“Retrait” russe de Syrie : “Partibus factis, verba fecit leo”.

par Caroline Galactéros - le 15/03/2016.


Ce mardi 15 mars 2016, les premiers bombardiers Soukhoï ont quitté la base aérienne de Hmeimim près de Lattaquié, quelques heures seulement après l’annonce hier du retrait partiel des forces russes présentes en Syrie. Le président Poutine a justifié cette décision par le fait que « la tâche qui avait été demandée à notre ministère de la Défense et aux forces armées a été globalement accomplie ». Rappelons que Moscou mène depuis le 30 septembre 2015 et sur requête officielle du gouvernement syrien de Bachar el-Assad, sa première opération militaire en dehors des frontières de l’ex-Union soviétique depuis la Guerre d’Afghanistan (1979-1989). L’aviation russe aura réalisé entre 5000 et 6000 sorties aériennes en seulement cinq mois d’opérations.

L’annonce de ce retrait partiel de Syrie coïncide avec la reprise des négociations de Genève sur l’avenir de la Syrie. Comme le rappelle Georges Malbrunot dans Le Figaro, « Vladimir Poutine montre (de nouveau-ndlr-) que c'est lui qui imprime le tempo de la crise syrienne » que ce soit dans son versant militaire ou diplomatique. Le président russe sait demeurer imprévisible pour imposer subitement de nouveaux équilibres qui lui soient favorables .

Dans les médias, la stupeur semble de mise. Le zapping fait des ravages même chez les commentateurs éclairés parfois. Elle ne peut être que feinte à Washington et peut-être correspond-elle même à une mise en scène orchestrée en duo avec Moscou. La Russie en effet avait annoncé l’horizon temporel envisagé de sa campagne dès octobre dernier.

Pour Alexeï Pouchkov, président de la Commission des Affaires étrangères de la Douma interrogé sur Europe1 le 2 octobre 2015, « les frappes russes en Syrie dev(r)aient durer trois ou quatre mois ».

 

Voici la retranscription du passage de cette interview :

Jean-Pierre Elkabbach : est-ce qu’il n’y a pas un risque d’enlisement d’abord ?

Alexeï Pouchkov : Oui, il y a toujours un risque d’enlisement, mais à Moscou on parle de trois à quatre mois d’opérations.

Jean-Pierre Elkabbach : comment vous pouvez dire trois ou quatre mois Alexeï Pouchkov ? Comment calculez-vous trois quatre mois ?

Alexeï Pouchkov : Je pense que c’est l’intensité qui est importante parce que la coalition américaine a fait semblant de bombarder le Daesh pendant une année et il n’y a pas de résultats. Mais si vous le faites de manière beaucoup plus efficace, je pense que les résultats vont se faire connaître.

 

De quels « résultats » Alexeï Pouchkov parlait-il ? Évidemment pas de l’écrasement de l’Etat islamique ni d’ailleurs d’une reprise de contrôle de l’ensemble du pays au profit du régime syrien. L’armée russe n’a ni les moyens ni l’ambition d’une telle implication. L’enlisement est un spectre omniprésent, les limites logistiques et financières une réalité… et l’Arabie Saoudite vient d’annoncer la livraison de missiles aux “rebelles” qui menaceraient les chars modernes russes en phase d’acheminement sur le théâtre…! Le président Poutine joue donc une partie mondiale en simultané sur plusieurs échiquiers, géographiques ou thématiques. L’enjeu ultime en demeure la restauration et la consolidation du statut de la Russie comme puissance globale incontournable dans la redéfinition des rapports de force mondiaux en duo-pôle … avec Washington avant tout. Avant même Pékin.

Washington mène aussi une lutte d’influence globale et tous azimuts avec Moscou. Une lutte d’essence stratégique. Mais l’Amérique est aussi ponctuellement en convergence tactique avec Moscou car elle ne peut risquer d’aller au choc militaire frontal avec la Russie et doit gérer ses alliés saoudien et surtout turc avec doigté et fermeté pour ne pas se laisser entraîner avec l’OTAN, dans une confrontation gravissime. Chacun des deux doit en conséquence jouer de postures agressives et poursuivre ses intérêts sans laisser la dynamique propre du conflit et les acteurs secondaires l’acculer à un duel où il devrait par réalisme reculer ouvertement et de manière humiliante.

Le Président russe a donc été très clair dès le 11 octobre 2015 sur les objectifs premiers de son intervention, très limités: « stabiliser les autorités légitimes et créer les conditions pour la mise en œuvre d'un compromis politique ».

Et bien… nous y sommes. Au moins formellement. A Genève, la Russie a réussi à sauver (au moins provisoirement) Bachar el-Assad et à influer sensiblement sur la composition de l’opposition en mettant en avant des interlocuteurs adoubés, autour des Kurdes syriens (jusque là évincés diplomatiquement, sur pression d’Ankara notamment) et d’autres “opposants” jugés respectables, formant avec eux le “Groupe de Khmeïmim" …. Un embryon de gouvernement de transition pouvant négocier avec les représentants du régime puisque ses membres n’ont pas pris part à la lutte armée contre le régime d'Assad.

Comme en Ukraine avec les Accords de Minsk, le président russe laisse volontiers se développer un récit occidental d’exagération permanente, teinté de crainte et de fureur, à propos de “l’interventionnisme” supposé de Moscou pour brouiller les pistes des négociations véritablement en cours (notamment en bilatéral avec Washington) et mieux cacher son jeu diplomatique.

Par ce retrait partiel, Vladimir Poutine fige l’état actuel du rapport de force militaire. Bachar el-Assad n’a certes pas reconquis l’intégralité de son pays, mais il contrôle aujourd’hui “la Syrie utile”, c’est-à-dire la bande côtière de Lattaquié au Nord, la majeure partie de la région de Damas, et le couloir permettant de relier ces deux points, notamment les villes d’Hama et de Homs. Les rebelles sont réduits à la portion congrue tandis que les Kurdes syriens s’enracinent au contraire dans le Nord de la Syrie, formant (presque) un mur à la frontière avec la Turquie. Dans ces conditions, la Russie est plus que jamais en position de force pour les négociations avec les États-Unis et les puissances sunnites afin de pouvoir garantir ses objectifs stratégiques (enjeux pétroliers et gaziers, bases militaires, contrepoids à l’influence iranienne - Téhéran reste à moyen terme un concurrent énergétique de premier plan) sans risquer un enlisement du conflit voire une “montée aux extrêmes” dangereuse avec Ankara. De l’art de ne pas aller trop loin… La Russie ne quitte pas la Syrie. Elle réarticule les formes de son empreinte locale, régionale et globale.

 

Source : http://galacteros.over-blog.com/2016/03/retrait-russe-de-syrie-partibus-factis-verba-fecit-leo.html


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