Cinq questions écrites à Olivier Faure

...par Richard Labévière - Le 17/02/2020.

Drôle de Saint-Valentin qui voit exploser l’affaire Benjamin Griveaux… avec la jactance unanime de presque tous les politiques et belles âmes moralisantes : c’est une atteinte à la démocratie ! On a passé toutes les bornes ! On est en train de s’américaniser ! Comme si ça datait d’aujourd’hui ; etc., etc. Vous aussi, Monsieur Olivier Faure, vous n’avez pas manqué à l’appel pour verser votre petit panier unanimiste : « la transparence nécessaire, ce n’est pas le déballage délétère. Nous devons tous défendre la démocratie contre ces dérives ». Quelles dérives ?

Celles d’un ministre qui a le temps de donner dans la gaudriole, mais surtout qui a la grande naïveté de diffuser des péripéties de sa vie privée par l’intermédiaire d’Internet, persuadé que ses fantasies resteront parfaitement anonymes ! En voilà un ministre qui n’est pas très futé. C’est le moins que l’on puisse dire ! Porte-parole du gouvernement, c’est pourtant le même homme qui prétendait séparer le bon grain de l’ivraie en distinguant les vrais des faux journalistes… Les victimes de ce tri plutôt arbitraire se sont-elles vengées ? A voir… à ce stade il est urgent de ne rien exclure !

Mais voyez-vous Monsieur Faure, le vrai drame pour notre démocratie, est d’une toute autre nature : voir, endurer et subir le genre de gugus qui sont censés incarner cette même démocratie, la préserver, sinon la faire progresser. Bien avant les affaires Cahuzac, Strauss-Kahn, Balkany et Delevoye, moult erreurs de « casting » ont poussé bien des voyous à exercer un mandat public. Ces derniers auraient dû donner l’exemple alors qu’ils ont, soit piqué dans la caisse, soit sombré dans d’improbables comportements aux antipodes des responsabilités publiques qu’ils étaient censés incarner. L’autre vrai drame de notre démocratie est, aussi de voir s’installer une insidieuse « dictature numérique », à travers des réseaux, mal nommés « sociaux ». Maintenant, on ose même dire « médias sociaux » -, des tuyaux hors de contrôle qui érigent l’opinion de n’importe quel crétin au niveau de la dernière des vérités scientifiques…

UN

Votre camarade de Parti – Madame Anne Hidalgo -, elle-aussi n’a pu s’empêcher de relever une affaire « qui n’est pas digne du débat démocratique », en appelant à la protection de… la famille. Diantre ! Premières questions Monsieur Olivier Faure : Madame hidalgo est-elle toujours membre de votre Parti ? Pourquoi concoure-t-elle à la mairie de Paris sans avouer, ni afficher son appartenance à votre parti, si elle en est toujours membre active ? Que pensez-vous de son bilan, plus que contrasté ? On se saurait que vous conseiller la lecture de la dernière livraison de l’hebdomadaire Marianne dont le dossier s’intitule : « Le bilan caché – Comment Hidalgo a vendu Paris »1. Sans attendre vos réponses – vous l’avez compris et nous l’avons déjà écrit : pour la rédaction de prochetmoyen-orient.ch et ses nombreux amis, notre prochain vote municipal, ce sera tout… tout sauf votre camarade de Parti !

DEUX

Deuxième question : que pensez-vous de la dernière inauguration d’Anne Hidalgo – d’une « place Jérusalem » à Paris -, à l’invitation des seules organisations pro-israéliennes, sans avoir daigné associer la moindre représentation palestinienne ? Il est vrai qu’en matière de parti-pris en faveur du régime de Tel-Aviv, Madame Hidalgo est plutôt multirécidiviste. Chacun se souvient de son « Paris-plage » transformé en « Tel-Aviv-sur-Seine » en août 2015. À l’époque, sa seule défense était de faire publier dans Le Monde, une tribune lamentable décrivant Tel-Aviv comme une ville de… « happy-fews ». Visiblement, la dame n’a jamais mis un bout d’orteil dans un camp de réfugiés palestiniens, ni en Palestine, ni au Liban, ni en Syrie, ni en Irak, ni en Égypte, ni partout ailleurs.

Voyez-vous Monsieur Faure, une autre vraie honte pour notre démocratie est, en l’occurrence, cet alignement inconditionnel derrière le criminel de guerre Benjamin Netanyahou et son « État juif », qui assassine quotidiennement femmes et enfants dans les territoires palestiniens occupés par une soldatesque au service d’un régime d’apartheid ! À ce propos, on n’a guère entendu le Parti socialiste condamner, sinon commenter le dernier « plan de guerre » pour le Proche-Orient de Donald Trump.

Bien-sûr, et c’est bien naturel, l’affaire Benjamin Griveaux a fait ressurgir toutes les belles âmes de leurs certitudes sensibles pour répéter comme des perroquets – elles-aussi – que notre démocratie est en danger : l’imposteur Bernard-Henri Lévy, Aurélie Filippetti – ancienne ministre socialiste de la Culture qui, en 2005, avait promu l’acteur américain Bruce Willis au rang de Commandeur de l’ordre des arts et des lettres (ce dernier s’était déclaré pour l’invasion anglo-américaine de l’Irak au printemps 2003) -, le pseudo-philosophe Raphaël Einthoven – fils du commissaire politique des éditions Grasset – et, l’autre Raphaël – fils de « celui qui est passé du col Mao au Rotary », le jeune Glucksmann, votre tête de liste lors des dernières élections européennes. Bref, autant de fausses valeurs, elles-mêmes véritables dangers – permanents – pour notre démocratie !

TROIS

Troisième question : après avoir travaillé pour l’ex-président de Géorgie – le mafieux Mikheil Saakachvili et pour l’OTAN – le jeune Raphaël Glucksmann avait copieusement traîné dans la boue la mémoire de François Mitterrand, l’accusant d’avoir directement favorisé le génocide rwandais. Pas moins ! À l’époque, vous deviez convoquer un groupe de travail pour rétablir la vérité historique et tirer les oreilles du gamin. Où en est-on ?

QUATRE ET CINQ

Enfin, nos quatrième et cinquième questions concernent encore les Proche et Moyen-Orient. On imagine sans peine que vous devez partager d’autres certitudes sensibles, celles des « experts de la Syrie » qui ont pris le parti des jihadistes contre le « boucher Bachar al-Assad et le régime de Damas » (voir notre dernière revue de presse qui s’ouvre sur les carabistouilles de l’ex-ambassadeur de France en Suisse Michel Duclos). En mars 2012, le ministre des Affaires étrangères de l’époque – Alain Juppé – avait pris la décision, plutôt curieuse, de fermer… notre ambassade à Damas. Aujourd’hui, les pays européens rouvrent, les uns après les autres, leurs représentations en Syrie. La France éternelle sera-t-elle le dernier pays européen à le faire ? Qu’en pensez-vous ?

Enfin, cinquième question. Vous n’êtes pas sans ignorer les épreuves que traversent actuellement nos amis libanais. Sur ce dossier aussi, la voix du Quai d’Orsay est particulièrement aphone. Et l’on aimerait savoir si le Parti socialiste – dont Pierre Guidoni dirigea avec tellement de brio la Délégation internationale – a, aujourd’hui, une quelconque lecture – à défaut de faire des propositions face à la plus grande crise survenue au Pays du Cèdre depuis la fin de la « guerre civile » (1975 – 1990) ?

Notre pays conserve quelques responsabilités historiques dans la création de ce « pays-message » comme disait Jean-Paul-II, sinon pays-témoin, et en tout cas – État-tampon – comme le répète notre vieil ami Georges Corm. Par conséquent, qu’elle pourrait être une politique étrangère pertinente de la France en faveur de ce pays, qui est aujourd’hui l’un des derniers de la région où nous conservons quelques intérêts ? La réponse à cette dernière question mérite quelque expertise. Votre Parti dispose-t-il encore des compétences suffisantes pour ouvrir ce chantier ?

ABANDON DU FRONT SOCIAL

Enfin, Monsieur Olivier Faure – pour ne pas conclure – nous n’osons pas vous interroger sur la question sociale et ses multiples déclinaisons orchestrées de manière symphonico-libérale par les musiciens de la France-en-marche-arrière… Quelles sont – aujourd’hui – vos propositions pour lutter contre le démantèlement des acquis sociaux, de l’héritage du programme du Conseil National de la Résistance (CNR) ; pour lutter contre les privatisations (non seulement la SNCF, la Française des jeux et l’Aéroport de Paris) ? Quelles sont vos propositions pour défendre nos agriculteurs – gardiens de nos saveurs, de nos territoires et de notre sécurité alimentaire – lorsqu’on sait que plusieurs d’entre eux se suicident chaque semaine ? Pourquoi le Parti socialiste a-t-il – à ce point – abandonné le front des luttes sociales, justement au Front, puis au Rassemblement national ? Pourquoi Monsieur Faure, pourquoi ?

À l’évidence, vous n’êtes pas le seul responsable de cette déglingue abyssale et vos réponses s’annoncent – d’ores et déjà – difficiles parce qu’en fait, nous avons affaire à une véritable « implosion » du politique et ce, depuis plusieurs années. Dès le début des années 1980, le sociologue Jean Baudrillard annonçait cette implosion fractale en posant cette question prémonitoire : « que feront les gouvernants quand il n’y aura plus de gouvernés ? ».

Aujourd’hui, la formule est réversible : nos vieilles démocraties parlementaires prennent l’eau de toutes parts, dès lors que les citoyens ne se considèrent plus « représentés » par des députés souvent accusés d’être « hors-sol », dès lors que ces derniers passent plus de temps à gérer leur carrière et leurs propres intérêts que de se préoccuper des difficultés quotidiennes de leurs administrés. La qualité et l’intégrité du personnel politique est, aussi en cause. Et ce ne sont pas les nouveaux venus de la République en marche sur la tête, qui inversent la tendance lourde porteuse d’un divorce croissant entre la classe politique et le réel quotidien des simples citoyens.

Bien au-delà de l’affaire Benjamin Griveaux, c’est l’ensemble du système qui est – aujourd’hui – en cause, à commencer par les acteurs eux-mêmes de la machine qui tourne à vide. Alors que les perroquets, qui caquètent sur la démocratie en danger, essaient de se poser les bonnes questions en commençant par déconstruire les vrais scandales de notre démocratie : ceux des violences économiques et sociales quotidiennes, invisibles et silencieuses – sans images, ni témoignages – indicibles et cachées ; des violences extrêmes qui n’ouvrent jamais les journaux de 20 heures.

Alors, tout en désapprouvant – bien-sûr – les moyens mis en œuvre pour dézinguer Benjamin Griveaux, disons clairement que sa mésaventure ne va pas nous faire pleurer. Une grande part de responsabilité lui en revient directement ! En dernière instance, et dans la mesure où rien de ses pantalonnades ne présentait le moindre caractère illégal, on peut se demander légitimement pourquoi a-t-il renoncé si vite au cœur d’une campagne qui, disons-le, n’avait pas vraiment décollé… En définitive, cet accident numérique ne lui ménage-t-il pas une sortie moins catastrophique que celle d’une vraie bonne fessée électorale annoncée par des sondages les plus fiables ?

Mais que cette ultime interrogation et la revanche d’un réel sans pitié n’empêchent pas le Premier secrétaire du Parti socialiste d’essayer de répondre à nos cinq questions.

En attendant, bonne lecture et à la semaine prochaine.

Richard Labévière
17 février 2020

1 Marianne, numéro 1196 – Du 14 au 20 février 2020.

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