Populisme : un mot pour éviter de penser

...par Jean-Baptiste Noé - le 01/11/2018.

 

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).


Avant, quand on voulait éviter de penser et discréditer un adversaire, on lui accolait l’épithète libérale voire ultra-libérale et extrême-droite. La personne était grillée et ne pouvait plus rien dire : elle se trouvait d’un coup prise dans les filets de l’infamie. Depuis quelque temps, une nouvelle épithète disqualifiante est arrivée : populiste. Ce qui n’a pas élevé le niveau de la pensée, mais a permis d’étoffer un peu le vocabulaire consensuel en lui rajoutant un troisième adjectif infamant. Trump est un populiste, tout comme les partisans du Brexit, Salvini, Orban et maintenant Bolsonaro. Du temps de l’Union soviétique, quand Brejnev voulait enfermer un adversaire en hôpital psychiatrique il lui accolait l’étiquette titiste, trotskyste, voire maoïste. Les modes changent ; désormais c’est populiste. Et on décrit ainsi une vague populiste mondiale qui après l’Europe de l’Est, l’Angleterre et les États-Unis vient de toucher le Brésil. Ce dernier figure désormais sur la liste noire des États voyous. En revanche, pas un mot sur Cuba, le Venezuela, le Pakistan, ni bien sûr l’Arabie Saoudite. Ce consentement unanime qui consiste à mettre populiste à toutes les sauces brouille la réalité et empêche de comprendre ce qui se passe réellement.

 

Il n’y a pas de vague populiste

 

D’abord, chaque cas est isolé et s’inscrit dans l’histoire particulière des pays. Il n’y a ni une vague ni une internationale populiste. L’électeur de Rio de Janeiro qui a voté pour Bolsonaro l’a fait en pensant d’abord au Brésil et à son cas personnel, surement pas en pensant à la Hongrie, à l’Italie ou aux États-Unis. Il n’y a rien de commun entre l’élection brésilienne et les élections en Europe ou aux États-Unis. Là-bas, pas de vague migratoire qui inquiète les populations et pas de liens compliqués avec l’Union européenne. On ne peut pas utiliser un terme identique pour désigner des cas différents. Vouloir mettre ces élections sur le même plan est donc une escroquerie intellectuelle. L’élection brésilienne est d’abord le résultat de la volonté de tourner la page des années Lula. Les deux anciens présidents du Brésil sont en prison pour corruption et détournement de fonds publics. Il y a de quoi se détourner du Parti des travailleurs (PT) et chercher d’autres voies politiques. L’autre élément est que le Brésil est en situation de faillite. Lula a mené une politique facile de nationalisations, de redistributions sociales (c’est-à-dire de corruption électorale), et d’accroissement des services publics. Cette politique tient un temps. Mais comme il n’y a pas de repas gratuit, le temps est venu de payer. Bolsonaro ne va pas détruire les services publics, il va essayer de rétablir une situation économique qui est très mal en point. Michel Tremer, actuel président du Brésil, a d’ailleurs commencé à privatiser plusieurs entreprises.

 

Enfin, troisième élément, l’insécurité, qui atteint des proportions affolantes. En janvier 2018, il y a eu 700 fusillades dans l’État de Rio. Les gangs font la loi, rançonnent les populations, tiennent des quartiers entiers où il est impossible de sortir sans risquer de se faire braquer. Les chiffres sont effrayants. En 1980, il y avait 8 710 décès par armes à feu. Ce nombre n’a cessé d’augmenter depuis lors. On dépasse les 10 000 morts en 1983, les 20 000 morts en 1989, les 30 000 morts en 1998, les 40 000 morts en 2012. En 2014, il y a eu 45 068 morts par armes à feu. Je n’ai pas de chiffres plus récents, mais on sait que celui-ci n’a cessé d’augmenter. Ramener au nombre de morts par 100 000 habitants cela donne 7.3 en 1980 ; 14.3 en 1990 ; 20.6 en 2000 ; 22.24 en 2014. Ce n’est pas un petit sujet. Il y a eu près de 60 000 homicides au Brésil en 2016, tous modes opératoires confondus. Si la France avait les mêmes taux, cela représenterait 18 519 morts par an, soit 51 par jour.  Chiffres qui sont probablement minorés, car il est difficile de recenser avec certitude les morts dans les favelas et les quartiers isolés. Le Brésil est l’un des États au monde les plus dangereux et violents, dépassé seulement par le Mexique et les Philippines. (source : gunpolicy.org).

 

Les Brésiliens ne se sont donc pas posé de question sur la politique menée par MM. Orban et Salvini, mais sur la meilleure façon de rétablir la paix et de mettre un terme à la corruption. Compte tenu du nombre d’homicides, on peut considérer que le Brésil est dans une situation de guerre civile de basse intensité.

 

Lula et Dilma Rousseff ont lourdement échoué. Les électeurs de Bolsonaro espèrent que celui-ci va réussir. Il n’y a pas de populisme là-dedans, uniquement l’espoir de pouvoir sortir dans la rue sans risquer de se faire violer ou tuer par balle. D’où la proposition de Bolsonaro de permettre le libre équipement en arme. Cela choque dans un pays comme la France où le sujet des armes est tabou. Mais Bolsonaro pense, et beaucoup de Brésiliens avec lui, que face aux crimes et aux gangs il faut pouvoir s’armer pour se protéger et répliquer. Il a peut-être tort, mais avant de mal juger cette proposition, il faut comprendre d’où elle vient et pourquoi il l’a faite. D’où aussi le soutien de l’armée. Non par nostalgie de la période militaire, mais parce que face à cette situation de guerre civile, seule l’armée peut intervenir pour rétablir l’ordre dans les quartiers chauds et ramener la sécurité. Ce que ne veulent pas comprendre les commentateurs, c’est que l’usage de l’armée est une obligation pour ramener l’état de droit dans des zones qui sont des narco-territoires aux mains des gangs et des mafias. Les commentateurs français seraient d’ailleurs bien avisés d’être prudents sur ce sujet, parce qu’étant donnée la situation de certains quartiers, la question risque de se poser chez nous aussi d’ici quelques années.

 

Deux modèles : le Venezuela et le Chili

 

Les Brésiliens ne regardent ni vers Trump ni vers Salvini. Ils regardent à côté de chez eux et ils ont deux modèles différents proposés par leurs voisins : le Venezuela et le Chili. Le premier a choisi la voie du « socialisme du XXIsiècle ». Nul besoin ici d’expliquer à quel point cette voie est un échec. Le président Temer a même positionné l’armée le long de la frontière avec le Venezuela pour protéger les territoires du nord et empêcher les migrants d’entrer au Brésil. Pourtant, Michel Temer, vice-président de Dilma Rousseff, n’a pas été qualifié de populiste. Les Brésiliens ne veulent pas que leur pays devienne le Venezuela et ils ont préféré agir avant qu’un dictateur marxiste ne plonge le pays dans le chaos, comme l’ont fait Chavez et Maduro.

 

Le Chili est l’autre modèle. C’est le pays le plus stable et le plus prospère d’Amérique du Sud. Évidemment, la période du général Pinochet est largement critiquée à l’étranger. Sans minorer les meurtres d’opposants politiques qu’il y a pu y avoir durant son mandat, notons quand même que celui-ci s’est retiré librement du pouvoir en 1989, après avoir organisé un référendum prévu par la constitution et l’avoir perdu. On a rarement vu un dictateur se retirer parce qu’il a perdu dans les urnes. Maduro aussi a perdu, mais il s’est maintenu et il a modifié la constitution pour évincer l’opposition et s’assurer les futures victoires. Entre le Venezuela et le Chili, de nombreux Brésiliens préfèrent donc le Chili. Parmi eux, Paulo Guedes, futur ministre de l’Économie, ancien professeur d’économie au Chili et membre de l’école de Chicago. Je cite ci-dessous un article du Cato Institute qui le présente (Institut Caton, think thank libéral américain) :

 

Il défend un impôt unique de 20% sur l’impôt sur le revenu des personnes physiques, dont tous ceux qui gagnent moins de cinq fois le salaire minimum seraient exemptés ; la réduction de l’imposition sur les bénéfices des sociétés ; il souhaite remplacer plusieurs taxes par une taxe unique sur les transactions financières de 0,5%. Sa vision de l’État est la suivante : « Plus il est petit, mieux c’est ». Il est favorable au libre-échange et à la réforme des retraites. Son passage à Chicago et son soutien aux retraites par capitalisation ont déclenché les alarmes de la pensée unique : il s’agit de réformes entreprises au Chili. Eh bien, Paulo Guedes entretient de bonnes relations au Chili et est proche des économistes du magazine Economía y Sociedad, fondé par José Piñera, frère du président actuel. José Piñera est l’auteur de la réforme des retraites sous la dictature de Pinochet. Il convient de rappeler que la privatisation de la sécurité sociale a été un tel succès que les gouvernements démocratiques successifs l’ont maintenue. Quand une Bachelet maladroite et radicalisée a voulu changer le système privé lors de son second mandat, les Chiliens ont renvoyé chez eux la gauche et réélu Sebastián Piñera, qui lors de sa récente visite à Madrid a loué le programme économique de Bolsonaro.

 

L’article précise plus loin :

Dès dimanche soir, le ministre de l’Économie Paulo Guedes a annoncé que le futur gouvernement allait « changer le modèle économique du pays ». « Le Brésil a connu 30 ans de dépenses publiques incontrôlées […] suivant un modèle qui a corrompu la politique et provoqué une augmentation des impôts, des taux d’intérêt et de la dette, à la façon d’une boule de neige », a-t-il affirmé lors d’une conférence de presse. Il a également appelé à « accélérer le rythme des privatisations » lancées sous le gouvernement du président sortant Michel Temer, qui avait déjà lancé fin 2016 une cure d’austérité. Paulo Guedes a aussi indiqué que le futur gouvernement se pencherait dès sa prise de fonction, en janvier, sur la réforme des retraites, très impopulaire, mais considérée cruciale par les milieux d’affaires pour réduire la dette. Il défend notamment la mise en place d’un système par capitalisation, identique à celui en vigueur au Chili, où Paulo Guedes fut professeur d’université dans les années 1980, sous la dictature du général Augusto Pinochet (1973-1989).

 

On est donc très loin de la politique de Maduro au Venezuela. Cette réforme des retraites sera très compliquée à mettre en œuvre, car elle est techniquement difficile à expliquer et qu’elle est facile à caricaturer. Gagner une élection est finalement assez facile. Pour le futur président, le plus dur reste à venir. On ne peut que lui souhaiter de réussir, et notamment de ramener la paix dans les villes et de faire baisser le nombre d’homicides. Il en va de l’espoir d’un peuple et de l’avenir d’un pays.

 

Source : http://institutdeslibertes.org/populisme-un-mot-eviter-de-penser/

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