Le report des élections algériennes et la bombe Brahimi

...par Khalida Bouredji - le 15/03/2019.

En 1992, une nouvelle équipe s’empara du pouvoir en Algérie pour faire face, à sa manière, au terrorisme islamiste. Aujourd’hui, acculée par les manifestations populaires, elle tente de se maintenir en créant un étau entre d’un côté Lakhdar Brahimi qui l’aida à accéder au pouvoir et, de l’autre, les terroristes du FIS qui justifièrent son coup d’État.

 

Source : https://www.voltairenet.org/article205644.html

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Lakhdar Brahimi fut un des 10 membres du Haut Conseil de Sécurité qui, en 1992, destitua le président Chadli Bendjedid qui avait instauré le multipartisme, annula les élections locales que les islamistes venaient d’emporter. En 1999, il ouvrit la voie à Abdelaziz Bouteflika vers la fonction présidentielle. Aujourd’hui âgé de 85 ans, il vient d’être nommé par le même Bouteflika, 82 ans, pour présider la Conférence nationale qui mènera la transition démocratique, annoncée depuis vingt ans et impatiemment attendue par la jeunesse.

 

Contrairement à la réalité, des agences de presse et des chaînes de télévision algériennes et internationales ont diffusé des images de joyeux manifestants, dans la rue algérienne, satisfaits, suite à la récente « lettre » attribuée au président Abdelaziz Bouteflika [1], annonçant son retrait de la course présidentielle, le report de l’élection, et un remaniement ministériel.

En réalité, des milliers d’Algériens n’ont pas pu attendre vendredi pour participer à des manifestations contre « la lettre », et ont envahi les rues, pas pour exprimer leur joie, mais pour protester.

De nouveau ce président —dont, selon sa presse, sa santé est satisfaisante et qui est revenu de Genève après des tests « de routine »— n’est pas apparu. Bouteflika a adressé au peuple un message écrit de près de 1 000 mots, précisant :

 Ne pas briguer un cinquième mandat en raison de son âge et de son état de santé ; 

 Qu’il n’y aura pas d’élections présidentielles le 18 avril 2019 ; 

 Préparer un remaniement gouvernemental ; 

 Organiser une conférence national incluant tous les courants politiques afin de préparer des reformes et un « changement du régime » ; 

 Convoquer des élections nationales à une dates non précisée ;

 Former un gouvernement de compétences nationales.

 

La ruse du report des élections

 

Nous remarquons dans cette lettre que Bouteflika assure qu’il n’avait pas l’intention de briguer un cinquième mandat. Cela soulève des questions sur ceux qui ont mené une campagne en son nom, sur la collecte de « six millions » de signatures, et sur le dépôt de sa candature.

Il a déclaré que son âge et son état de santé ne lui permettaient pas de se présenter aux élections, ce qui contredit des dizaines de déclarations de ministres et de hauts fonctionnaires de l’État et du corps diplomatique et des chefs d’État étrangers, qui ont assuré aux Algériens à plusieurs reprises que Bouteflika était en bonne santé, pouvant exercer ses fonctions (ce qu’Emmanuel Macron, par exemple, a confirmé lors de sa récente visite en Algérie).

Mais le point le plus important est que le report de l’élection a été annoncé un jour avant que le Conseil constitutionnel ne se prononce sur la validité des dossiers des candidats.

Le pouvoir ne se souciait pas des millions de personnes qui ont manifesté. Il attendait que le Conseil constitutionnel —notoirement soumis à sa volonté— accepte la candidature de Bouteflika, pour annoncer que « les urnes » auraient le dernier mot, en s’appuyant sur ses compétence frauduleuses.

Les manifestants ont faire preuve d’une grande volonté lors de la grève générale, dimanche dernier. Cependant, ils n’auraient pu influencer le pouvoir si les magistrats ne les avaient pas rejoints.

Après que les avocats se soient réunis devant le Conseil constitutionnel, environ 1 000 juristes se sont joints aux manifestations. Ils ont dénoncé les violations persistantes de la Constitution et ont promis de n’accepter aucune décision non conforme aux lois et à la Constitution.

 

 

Cette position a changé le rapport de force. Un cinquième mandat serait une nouvelle violation de la Constitution, il implique également des représailles contre tous les cadres nationaux qui ont accompagné le mouvement. Cela ne se fera pas sans la complicité des juges.

Ce qui est également remarquable, c’est que le « régime » de Bouteflika a continué à ignorer la Constitution. Il a décidé de reporter les élections sans préciser de date. Le même jour, il a désigné un nouveau Premier ministre : Noureddine Bedoui, l’architecte du cinquième Mandat, le falsificateur de six millions de signatures.

Il a créé également un nouveau poste qui n’existait pas auparavant : vice-Premier ministre. Il l’a attribué au ministre des Affaires étrangères, Ramtan Lamamra. Pour les observateurs avertis, il y a deux clans au pouvoir, qui ne parvenaient pas s’entendre pour désigner le Premier ministre.

Auparavant, le clan au pouvoir empêchait, à Genève, les journalistes de s’approcher du président. Il a diffusé des images du départ de son convoi de l’hôpital suisse, et de son arrivée en Algérie, jusqu’à la résidence présidentielle à Zeralda sans qu’il apparaisse personnellement.

Des images seront bientôt révélées : l’avion qui a décollé de l’aéroport de Genève n’est pas celui qui est arrivé en Algérie, les photos de son arrivée provenaient de l’aéroport international d’Alger, tandis que son avion privé avait atterri à l’aéroport militaire de Boufarik, selon des sources. La presse a été expulsée de la scène.

Le système a continué de générer des informations sur la télévision An Nahar, outil de Saïd Bouteflika. Une astuce a été utilisée en diffusant d’anciennes images montrant le président Bouteflika recevant le général Gaid Saleh (chef d’état-major), Ahmed Ouyahia (chef de gouvernement) et Lakhdar Brahimi (l’ancien diplomate). Ces images, filmées le 18 octobre 2017, selon des connaisseurs, ont été rediffusées comme si elles avaient été prises le 11 mars 2019.

 

Bouteflika n’a pas de prérogatives constitutionnelles pour arrêter le processus électoral. Le but de cette « lettre » est d’abolir le processus électoral et de prolonger le 4ème mandat, sans passer ni par le Parlement, ni par les urnes.

 

La bombe Brahimi

 

Le régime de Bouteflika ne partira pas avant d’engloutir l’Algérie. Lakhdar Brahimi —connu dans les médias arabes sous le nom de el-Ibrahimi— a été convoqué par le régime, pour satisfaire les masses. Beaucoup de gens pensent qu’il est issu de la respectée famille El-Ibrahimi ; une famille militante qui a porté le flambeau de l’éducation et de la réforme en Algérie, dans les années cinquante.

Mais Lakhdar Brahimi n’a rien à voir avec cette ascendance prestigieuse. Il est le fils d’une famille collaboratrice du colonialisme français, son oncle —qui porte le même nom, Lakhdar Brahimi— a été a l’origine du massacre de Dèchemia, en avril 1948. Des militants indépendantistes concurrents de cet oncle, candidat de l’administration coloniale aux élections truquées par le célèbre Marcel-Edmond Naegelen, y furent assassinés.

Ce faux passé révolutionnaire et une réputation diplomatique internationale usurpée devraient permettre au pouvoir d’absorber la colère du peuple et de lui faire accepter un homme qui sert Abdelaziz Bouteflika, même après sa renonciation.

En ce qui concerne les relations internationales, Brahimi est l’homme des États-Unis. Il a joué un rôle de diversion pendant la destruction de la Syrie par les Occidentaux et les arabes du Golfe [2]. Au contraire, Ramtan Lamamra est un homme « de confiance » du président Macron.

Les deux garantissent la préservation des intérêts de la France et des USA, les plus grands bénéficiaires économiques de l’Algérie.

Le ministre français des Affaires étrangères n’a pas tardé à exprimer sa satisfaction pour « la lettre » attribuée à Abedlaziz Bouteflika. Avant cela, Emmanuel Macron qualifiait cette décision de « raisonnable ».

 

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En août 2014, le chef opérationnel de la banche armée du FIS, Madani Mezrag, a été autorisé à tenir un camp de formation en Algérie. En 2016, il avait été reçu officiellement par Ahmed Ouyahia (juste avant que celui-ci ne soit nommé Premier ministre), puis il disparut des médias. Il est aujourd’hui de retour avec l’accord du président Bouteflika.

 

Ce que beaucoup d’Algériens ne savent pas, c’est que le président Bouteflika a donné au parti islamiste radical, le Front islamique du salut —FIS— (qui a pris les armes contre l’État et le peuple au début des années 1990) des privilèges spéciaux, ainsi que ceux accordés par la « Réconciliation nationale ».

Ce parti est une bombe à retardement que Bouteflika a cachée toutes ces années, pour intimider tout mouvement qui s’opposerait à son règne. Le choix se résume ainsi : soit son régime, soit le terrorisme, c’est-à-dire la peste ou le choléra.

La « Réconciliation nationale » prévoit l’amnistie des terroristes islamistes. Ils sont autorisés à retourner à la vie civile, mais pas à la politique.

Madani Mezrag, l’un des dirigeants de l’Armée islamique du salut (AIS) —c’est-à-dire de la branche armée du FIS— a déclaré que le président Bouteflika l’a autorisé, en vertu d’un accord particulier, à exercer des activités politiques, bien que son parti ne soit légal.

Il existe de nombreux partis politiques —tous fidèles au régime et actifs sous sa protection— qui le cautionnent même lors ce qu’il viole les lois. Ces partis ont de nombreux membres, mais le régime ne compte sur aucun d’entre eux : son arme active secrète reste le FIS.

Mezrag assure qu’il se fout des lois, tant qu’il existe un accord entre lui et le président Bouteflika. Il affirme que cet accord est supérieur à la loi de réconciliation nationale. Il a déclaré qu’il ne regrettait pas d’avoir porté les armes dans les années 1990, disant que son parti était une victime, et qu’il se battait pour « défendre des droits volés », soulignant qu’il est prêt à continuer si son parti était empêché de revenir à la vie politique.

C’était il y a 4 ans, cependant, il n’a pas reformé son parti et n’a pas engagé de démarche officielle.

 

Il attend le bon moment… Peut-être que celui-ci est venu, surtout que la loi —jusqu’à aujourd’hui— est la dernière chose à respecter en Algérie.

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