Syrie : l’insolent succès russe

par Romain Dewaele le 11/04/2016.



Titulaire d'un Master en Histoire à Grenoble II

Actuellement étudiant en master Relations Internationales à l'IRIS (Institut des Relations Internationales et Stratégiques)

Auditeur du 90eme séminaire-jeune de l'IHEDN (Institut des Hautes Études de la Défense Nationale)

Membre du comité Moyen-Orient de l'ANAJ-IHEDN


De 2011 à 2016, des débuts de la révolte à l’intervention russe en passant par la non-intervention occidentale, force est de constater le succès militaire et diplomatique de la Russie. Que l’on soit d’accord ou non avec la politique étrangère du président Vladimir Poutine, il est indéniable de reconnaître la cohérence de sa politique et les moyens qu’il se donne pour faire réussir sa stratégie. Une stratégie élaborée en plusieurs actes et mise en œuvre par le triumvirat Poutine, Lavrov, Choïgou.

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Sceptique sur les révoltes arabes et réaliste en relations internationales, la diplomatie russe a anticipé dans les « printemps arabes » un « hiver islamiste ». En effet,  comment créer ex-nihilo des démocraties dans des pays où les sociétés n’ont pas (encore) de culture démocratique. Comme l’illustre l’Égypte où avec pas moins de 30 millions d’analphabètes ce sont les Frères musulmans qui ont gagné les premières élections libres du pays en juin 2012.

 

Au-delà des questions de démocratie, la Syrie est un pays stratégique pour la Russie, avec une alliance ancienne entre les deux pays. En effet, la plupart des cadres de l’État syrien ont été formé en URSS et l’arsenal de l’armée syrienne est essentiellement russe. Une alliance qui remonte à la guerre froide où pour contrer les États-Unis proches d’Israël, de la Turquie (membre de l’Otan), et de l’Égypte (depuis les accords de Camp-David de 1978), la Russie n’avait pas d’autre choix de se rapprocher de la Syrie. De même, la Syrie avait en 1955 refusé le Pacte de Bagdad (l’équivalent de l’Otan au Moyen-Orient). En revanche, cette alliance fut marquée par quelques soubresauts. En effet, Hafez El Assad, le « Bismarck du Moyen-Orient » pour Henry Kissinger s’est opposé à l’Irak et à l’OLP, alors que ces derniers étaient soutenus pas l’URSS. Enfin, dans les années 1990 la Russie s’est rapprochée d’Israël alors que la Syrie incarne l’un des derniers membres du « front du refus » face à l’État Hébreu. Mais l’arrivée au pouvoir en 2000 de Vladimir Poutine au même moment que Bachar El Assad va relancer la relation russo-syrienne. Une relance traduite symboliquement par 50 000 mariages mixtes (essentiellement entre chrétiens).

 

Mais pour comprendre la réussite russe dans le dossier syrien, il faut revenir à la vision des russes. Pour la diplomatie russe, la révolte de 2011 est une insurrection islamiste et une affaire interne à la Syrie. De même, contrairement aux occidentaux, la Russie a bien vu que ce ne sont pas des manifestations à Deraa (sud de la Syrie) qui vont faire tomber le régime de Damas. La Russie n’a pas sous-estimé la résilience du régime qui se retranscrit dans l’asabiya (« esprit de solidarité »). Une asabiya entre les alaouites, les chrétiens, les chiites et la bourgeoisie sunnite.

 

La Russie a bien vu que la Tunisie ce n’est pas la Libye, que la Libye ce n’est pas l’Égypte et que l’Égypte ce n’est pas la Syrie. Partant de ce constat, la Russie a soutenu, avec l’Iran, son allié syrien comme une allusion aux États-Unis qui avaient lâché le raïs égyptien Hosni Moubarak.

Un soutien sous-estimé par les chancelleries occidentales, comme l’illustre les propos d’Alain Juppé en 2011, alors ministre des Affaires étrangères, qui déclara « les jours d’Assad sont comptés », dans le même registre son successeur Laurent Fabius lâcha lors de l’été 2012 « ce n’est qu’une question de semaines ». Des déclarations au mépris des notes du dernier Ambassadeur de France en Syrie (Éric Chevalier) et des rapports de la DRM.

 

Comment la Russie a sauvé le régime syrien ?

 

Dans un premier temps, la Russie dès 2012 a aidé le régime pour contourner les sanctions économiques. En effet, sous embargo, le régime syrien ne pouvait plus payer ses fonctionnaires, ses soldats, et ses armes…La Russie a donc fourni au régime du pétrole raffiné et du papier monnaie.

 

Dans un deuxième temps, la Russie a soutenu diplomatiquement le régime. Un soutien salutaire lors de l’affaire des armes chimiques utilisées par le régime en août 2013 dans la banlieue de Damas. Cette utilisation était pour le président des États-Unis Barack Obama une « ligne rouge », et le président français François Hollande déclara vouloir « punir Bachar El Assad ».

Mais la Chambres des Communes britanniques vota contre, tout comme le Congrès américain.

Dès lors, la France est seule, et la Russie par son ministre des Affaires étrangères, Serguei Lavrov proposa de détruire l’arsenal chimique syrien. Cette proposition fut acceptée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies. Le régime est donc sauvé temporairement.

 

Dans un troisième temps, la Russie voyant le régime exsangue à l’été 2015 et la diplomatie au point mort, décida d’intervenir militairement. En effet, si le régime s’est replié sur la « Syrie utile » et tente de la consolider grâce à l’aide du Hezbollah libanais, de troupes iraniennes et de milices chiites afghanes (Hazaras) et irakiennes, l’intervention russe va créer une rupture stratégique. Une intervention russe motivée par plusieurs éléments. D’une part, la Russie a besoin de la Syrie pour avoir une profondeur stratégique en Méditerranée et au Moyen-Orient. D’autre part, la Russie par son intervention va neutraliser des djihadistes russes (Tatars, Tchétchènes, Daghestanais…) afin d’éviter à leurs retours des attentats sur le territoire russe. La Russie est donc intervenue dès le 30 septembre 2015 à la demande du président syrien, avec des forces navales en Syrie (Tartous) et en Mer Caspienne, composées de sous-marins, de frégates et de croiseurs lance-missiles, des forces aériennes (Lattaquié-Hméimim) avec des hélicoptères d’attaques et des chasseurs-bombardiers et au niveau terrestre des missiles sol-air et des forces spéciales.

Le régime est donc sauvé temporairement.

Si à l’automne beaucoup ont parié sur un nouvel Afghanistan pour la Russie, le président Poutine a comme à son habitude surpris tout son monde en annonçant le retrait d’une partie des troupes russes en mars 2016.

Dès lors quel bilan ? D’une part la Russie ne s’est pas enlisée dans le « Bilad Al Cham», ensuite l’intervention russe a permis au régime de consolider l’axe Damas-Homs-Hama (en attendant Alep). D’autre part, si la reprise de Palmyre est symbolique, la ville servira de base arrière stratégique pour aller vers Raqqa, capitale de l’État Islamique en Syrie.

carteRussie-Syrie 

Bien plus qu’au niveau militaire, la Russie a débloqué diplomatiquement le dossier syrien.

En effet, si le régime syrien est en passe de pouvoir reprendre Alep, c’est grâce à l’aide du YPG, la branche armée du PYD (l’équivalent du PKK kurdo-turque en Syrie). Cette aide des Kurdes qui demandent depuis une fédéralisation de la Syrie, le reflux des troupes russes et désormais la présence aux négociations de Genève d’opposants soutenus par la Russie (Randa Kassis…) font pression pour que le régime syrien négocie.

La Russie montre qu’elle n’est pas marié avec Bachar El Assad. De même, le bombardement massif de la Russie sur les opposants au régime ont affaibli leurs poids diplomatique et font du régime syrien un acteur incontournable pour trouver une issue.

Enfin, l’intervention russe remplit le grand dessein de Vladimir Poutine. Si ce dernier est révisionniste au niveau diplomatique, son intervention a placé la Russie et les États-Unis à égalité dans le dossier syrien. 

Un « Yalta » syro-irakien entre les Russes et les Américains illustré par la relative trêve actuellement en Syrie.

 


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