Succès et défis du renseignement militaire Français.

Source : CF2R - Eric Denécé - Octobre 2022.

2022 marque le trentième anniversaire de la Direction du renseignement militaire (DRM)[1]. Créée au lendemain de la première guerre du Golfe (1991), la DRM s’est constituée en réunissant sous un seul commandement les Deuxièmes bureaux des trois armées et le Centre d’exploitation du renseignement militaire (CERM). Elle s’est depuis développée et dotée de moyens spécialisés dédiés à l’interception des émissions électromagnétiques (CF3E), à l’imagerie (CF3I), au renseignement humain (CI3RH), à l’investigation cyber (CRAC), au renseignement géospatial (CRGI) et à la formation des spécialistes du renseignement d’intérêt militaire (CFIAR).

 

PETITE MAIS EFFICACE

 

La DRM est le plus récent et le plus petits des « grands » services de renseignement militaire. Elle regroupe 2 100 personnels civils et militaires, ce qui la place loin derrière ses homologues étrangers : plus de 17 000 pour la DIA américaine, plus de 12 000 pour le GRU russe, environ 9 000 pour l’AMAN israélien et 4 500 pour la Defence Intelligence britannique. En dépit de la faiblesse relative de ses effectifs[2], la DRM a su gagner rapidement sa place dans ce club fermé, grâce à son professionnalisme et son efficacité qui ont pu être constatés lors de nos opérations extérieures.

En effet, depuis sa création, la DRM est intervenue sur tous les théâtres où les forces françaises ont été engagées : Cambodge, Somalie, Rwanda, ex-Yougoslavie, Kosovo, Côte d’Ivoire, Afghanistan, Libye, Mali, Centrafrique, Syrie, Irak, Sahel. Chaque fois, elle a apporté un appui essentiel aux forces en opération. Elle a également été engagée en soutien à des alliés ou des partenaires de la France (Liban, Égypte, Ukraine, etc.), tout en assurant un suivi permanent de l’évolution de la situation internationale et de ses risques au profit des hautes autorités civiles et militaires.

La DRM est ainsi devenue un acteur majeur du premier cercle de la communauté française du renseignement, participant aux cellules Allat[3] et Hermès[4]Elle a par ailleurs mis sur pied une cellule spécialisée (Paros) chargée du ciblage deschefs et des principaux cadres des groupes djihadistes du Sahel, opérant en étroite collaboration avec le Commandement des opérations spéciales (COS), laquelle s’est révélée particulièrement efficace (opérations Serval et Barkhane).

 

DE MULTIPLES DÉFIS À RELEVER

 

En raison de l’évolution chaotique de la situation mondiale, la DRM est aujourd’hui confrontée à de multiples défis. Ils sont, d’une part, géopolitiques : permanence du terrorisme en Afrique et au Moyen-Orient, affirmation internationale de la Chine sur de nombreux théâtres, remise en cause des intérêts français en Afrique, hostilité de plus en plus marquée de la Turquie, prolifération nucléaire, guerre en Ukraine, etc. Ils sont, d’autre part, technologiques : développement majeur de la cyberguerre et de la guerre de l’information, croissance rapide des capacités technologiques d’adversaires étatiques et non étatiques, nécessité de moderniser ses capteurs techniques – notamment satellitaires et aériens[5] –, etc.

Depuis deux décennies, la DRM s’est principalement consacrée à la lutte antiterroriste. Or son rôle est aussi de prémunir notre pays contre toute surprise stratégique. Elle doit donc aujourd’hui réorienter une partie de ses effectifs et de ses moyens sur d’autres sujets, principalement la remontée en puissance des menaces de nature étatique susceptibles d’engendrer une guerre de haute intensité, ce qui la contraint à un « grand écart » entre ces différentes missions.

Certes, entre 2013 et 2020, les effectifs de la DRM ont augmenté de 30%. Mais cela est encore insuffisant, car les métiers du renseignement évoluent sans cesse et le service a besoin de davantage d’experts techniques, d’analystes-exploitants et de linguistes maitrisant des langues et des dialectes rares.

De plus, sur le plan technologique, plusieurs défis majeurs sont à relever :

– d’abord, celui du big data et des outils technologiques permettant de traiter des masses de données en croissance constante[6] ;

– ensuite, celui de l’interconnexion et de l’interopérabilité des réseaux permettant l’échange sécurisé de données avec les autres services de la communauté française du renseignement et les partenaires internationaux ;

– enfin, celui de l’espace cybernétique afin d’exploiter le potentiel de renseignement qu’il recèle, ce qui nécessite des compétences et des outils très particuliers.

La DRM se caractérise enfin par quelques spécificités marquées par rapport à ses grands partenaires. Ainsi, à la différence des services de renseignement militaire américain, russe, israélien ou britannique, elle ne se livre pas à la recherche par des moyens clandestins, ce qui est un trait majeur de la doctrine française[7]. Dans ces autres États, rien ne s’oppose à ce que des missions clandestines soient conduites par des unités militaires opérant en civil, sans qu’il y ait confusion ou rivalité avec les services spéciaux.

 

MISES EN CAUSE ET TENTATIVES DE DÉSTABILISATION

 

En dépit de ses succès, la DRM a été l’objet, ces deux dernières années, de critiques infondées, voire de tentatives de déstabilisation provenant des médias, si ce n’est d’acteurs étrangers.

La première mise en cause est relative à l’assistance apportée par le service au renseignement égyptien afin de l’aider à lutter contre le terrorisme (opération Sirli). Selon le média Disclose, l’aide militaire apportée par la France à l’Égypte à partir de 2016 aurait été détournée par Le Caire pour bombarder des civils se livrant à la contrebande dans l’ouest du pays. Le média affirme que des membres de la DRM détachés auprès de notre allié auraient à plusieurs reprises alerté leur hiérarchie à ce sujet. Disclose accuse donc la France de collusion avec le régime d’Al-Sissi et de complicité dans le massacre d’innocents.

En dépit de la production d’un certain nombre de documents officiels émanant de la DRM et du Quai d’Orsay, les accusations formulées par le média apparaissent particulièrement discutables car fondées sur des éléments fragmentaires ne donnant qu’une vue partielle de la situation et sur des sites internet de contrebandiers que Disclose considère comme « objectifs et fiables »[8]. Ses arguments sont ainsi largement orientés et il convient s’interroger sur le but de cet article qui vise à stigmatiser les ventes d’armes à l’Égypte au profit conscient ou inconscient de nos concurrents.

La seconde mise en cause, plus récente, concerne l’Ukraine. Selon le quotidien Le Monde, l’invasion de la Russie en Ukraine a mis en évidence les « faiblesses » de la DRM. Certains parlementaires n’ont pas hésité à déclarer que malgré des informations collectées et fournies par les Etats-Unis, la DRM aurait fait preuve de « dysfonctionnements » avant et lors de l’invasion russe. Son directeur a ainsi été l’objet de critiques concernant « le manque d’anticipation » et les « insuffisances des informations fournies » par le service et « ses analyses erronées » sur la possibilité d’une invasion de l’Ukraine par la Russie. Le général Eric Vidaud, officier au parcours remarquable, a en conséquence dû quitter son poste.

Force est de constater le caractère discutable des reproches adressés à la DRM. En effet, les similitudes entre le déclenchement de la crise ukrainienne et la préparation de l’invasion de l’Irak en 2003 sont nombreux. Washington a construit une menace qui n’existait pas et déclenché une guerre de l’information d’ampleur en espérant que ses prophéties se réalisent et que la Russie commette la faute qui lui permettrait de la sanctionner. Depuis l’automne 2021, des informations alarmistes communiquées par les États-Unis, le Royaume-Uni et l’OTAN et n’ont cessé de faire état d’une offensive imminente des forces russes en Ukraine. Leurs dirigeants annonçaient régulièrement la date de l’invasion et « expliquaient » les plans d’attaque de Moscou. Or, en dépit de ces alertes répétées, la guerre a tardé à commencer[9]. On estime aujourd’hui que c’est le rejet par les Américains et l’OTAN des propositions russes et le déclenchement de l’offensive ukrainienne contre le Donbass qui a poussé Moscou à lancer son attaque. Jusqu’au 17 février, ses forces, bien que massées aux frontières, n’étaient pas en disposition de combat et la décision du Kremlin paraît avoir été prise au dernier moment. En conséquence, il semble bien que les évaluations de la DRM n’étaient pas erronées[10]. Le service n’a pas voulu reproduire la version des faits que les Américains voulaient imposer à tous les membres de l’OTAN. Les critiques qui lui ont été adressées apparaissent donc infondées et injustes.

 

 

 


[1] Cet article a été rédigé pour la revue revue Engagement, Association de soutien à l’armée française (ASAF), n°136, Automne 2022 (https://www.asafrance.fr/images/Sommaire_136.pdf)

[2] En sus de la DRM stricto sensu, les capacités de renseignement mises en œuvre par les trois armées regroupent environ 8 000 personnes disposant de moyens dédiés.

[3] Cellule dédiée à la lutte antiterroriste, hébergée par la DGSI. Elle regroupe sur un même plateau des représentants de l’ensemble des services du premier ou du second cercle, et permet de fusionner l’information qui intéresse la lutte antiterroriste sur le territoire national.

[4] Cellule traitant de sujets de renseignement intéressant plusieurs services.

[5] Satellites MUSIS et CERES ; aéronefs Falcon 8X CUGE (capacité universelle de guerre électronique).

[6] Cf projet ARTEMIS (Architecture de traitement et d’exploitation massive de l’information multi-service) en cours de mise en œuvre.

[7] Voir à ce sujet Eric Denécé et Alain-Pierre Laclotte, La Nouvelle guerre secrète. Unités militaires clandestines et opérations spéciales, Mareuil éditions, Paris, 2021.

[8] Eric Denécé, « Opération Sirli : zones d’ombres et soupçons de manipulation », Fildmedia.com, 5 décembre 2021.

[9] Cf. Eric Denécé, « Ukraine : la guerre des Spin Doctors américains », Editorial n°58, CF2R, février 2022 (https://cf2r.org/editorial/ukraine-la-guerre-des-spin-doctors-americains/)

 

 

 

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