Frédéric Akary : « le Sabre est une Aston Martin »

Texte et photos (sauf mention contraire) : © Mathieu Mounicq.

Les 29 et 30 juin, la base aérienne 120 de Cazaux (33) a accueilli l'un des deux Meetings Nationaux de l'Air (MNA) de la saison 2019. Ce meeting organisé au profit de la Fondation des Œuvres Sociales de l'Air (FOSA) a rassemblé pour des démonstrations en vol une cinquantaine d'aéronefs militaires, civils ou encore de collection. Parmi ces derniers, un appareil était particulièrement attendu en meeting cette année, il s'agissait du Canadair CL-13 Sabre Mk 6 appartenant à Frédéric Akary (Mistral Warbirds) et arrivé en France au mois de février dernier.

Defens'Aero a eu l'opportunité d'interviewer ce pilote comptant plus de 16 000 heures de vol et de recueillir ses impressions sur ses premières démonstrations avec ce magnifique appareil.

Frédéric Akary devant son Canadair CL-13 Sabre Mk 6, une des versions du North American F-86 Sabre construites sous licence au Canada dans les années 50.

Frédéric Akary devant son Canadair CL-13 Sabre Mk 6, une des versions du North American F-86 Sabre construites sous licence au Canada dans les années 50.

1. Vous présentez aujourd'hui en meeting le cousin canadien du F-86 Sabre. Avant cela votre appareil était un P-51 Mustang, comment vous est venue l'idée de passer de l'un à l'autre ?

C'est un concours de circonstances qui m'a fait envisager d'acquérir cet appareil : l'ancien propriétaire de mon Mustang est en effet décédé dans un accident aérien en P-51 aux États-Unis et des amis à lui m'ont contacté car ils souhaitaient pouvoir faire revenir son ancien avion sur le sol américain en son honneur. Ils m'ont ainsi proposé de faire un échange entre mon P-51 et cet appareil. Cette proposition était une vrai opportunité pour moi car j'ai toujours rêvé de pouvoir voler sur un appareil comme celui-là et les américains m'ont proposé de s'occuper de toutes les démarches afin de faciliter l'échange.

C'était aussi une opportunité de pouvoir changer de domaine de vol, bien que je n'ai pas du tout la prétention de dire que j'avais fait le tour des warbirds à pistons. Je compte plus de 300 heures en Sea Fury ou en Mustang mais c'était pour moi l'occasion de me remettre en cause et de découvrir un nouveau monde que je connaissais pas. Alors bien sur j'ai 16 000 heures de vol sur réacteur, mais en avion de ligne, donc c'était vraiment chouette de retourner à 55 ans sur les bancs de l'école avec son papier et son crayon je trouve.

Avant le Sabre, Frédéric Akary était le propriétaire du North American P-51D-25NA immatriculé F-AZXS, vu ici au Luc en 2013.

Avant le Sabre, Frédéric Akary était le propriétaire du North American P-51D-25NA immatriculé F-AZXS, vu ici au Luc en 2013.

2. Quelles sont les spécificités du vol avec cet appareil à réaction par rapport à un appareil à moteur à pistons ? La vitesse est bien sûr l'élément prépondérant à prendre en compte ?

Cela va plus vite en effet mais quelque part je dirais que c'est plus facile. Les phases de décollage et d'atterrissage notamment sont plus simples que sur un warbird à pistons en l'absence du couple moteur dû à l'hélice. Par contre effectivement, le problème c'est que ça va très vite et qu'il faut réapprendre un petit peu à voler en fonction de cette vitesse et des facteurs de charges qui sont plus importants et surtout plus longs. C'est la longueur de ces facteurs de charges qui a une incidence sur des potentiels accidents, il est ainsi nécessaire de les maitriser et d'avoir une grande conscience de ça. La réglementation m'impose d'ailleurs une combinaison anti-g lorsque je vole avec cet appareil.

Le Sabre a reçu l'immatriculation F-AYSB au registre des avions de collection français.

Le Sabre a reçu l'immatriculation F-AYSB au registre des avions de collection français.

3. Quels sont justement les facteurs de charges que vous atteignez dans le cadre de votre démonstration ?

Mon principe c'est que ces avions sont des vieilles dames, (en anglais ils disent "she" quand ils parlent des avions) et donc il faut les respecter. Cette vieille dame là, elle n'a pas beaucoup d'heures, que 3 800, mais il faut la respecter, même si elle a été construite de manière excessivement robuste. Chez North American ils auraient pu en effet fabriquer cet avion avec une masse de 500 kg en moins mais comme c'était la première aile en flèche qu'ils faisaient ils ont mis beaucoup de matière au niveau de la voilure et il est donc très robuste. Néanmoins, plus on va tirer dessus, plus on va avoir de soucis, donc je m'applique à le respecter. Par ailleurs, avec les gros bidons je suis limité à 5 G, donc je reste sur cette limite.

4. La décoration a été largement discutée, notamment sur internet, que pouvez-vous nous dire là dessus ?

Il y a eu effectivement pas mal de discussions sur le net auxquelles je n'ai pas été associé ni n'ai souhaité participer. Je tiens à dire que cette décoration est très originale, c'est le seul avion décoré comme cela puisque les autres sont tous en couleur alu avec des bandes jaunes correspondant aux marquages de la guerre de Corée. Cette décoration a une histoire, il faut savoir que lorsque les américains ont basé des Sabre en Allemagne dans les années 50 ils sont tous arrivés dans leur marquages de la Corée et donc en couleur alu qui n'était pas particulièrement adaptée aux forêts de l'Europe. L'état-major a donc décidé de camoufler les avions avec une robe plus adaptée et cela a donné cette décoration. Ce qui est rigolo c'est que cette avion est sorti de restauration il y a 6 ans avec cette décoration et aujourd'hui il est en Europe, c'est formidable ! Après beaucoup de gens parlent en le voyant en photo mais lorsqu’ils le voient en vrai finalement ils le trouvent beau. Je vous confirme donc qu'il n'est pas du tout à l'ordre du jour de changer la décoration de cet avion, ce qui par ailleurs représente un budget énorme.

5. Y a t'il des phases de vol un peu critiques lorsque l'on pilote cet avion ?

Non franchement c'est un avion extraordinaire qui a vraiment de grandes qualités de vol, un avion de rêve. C'était l'avion préféré de Bob Hoover qui a été le plus grand pilote d'essais aux États-Unis, aujourd'hui c'est l'avion favori de Steve Hinton qui est "Mr Warbird" aux États-Unis et qui pilote des Sabre depuis l'âge de 20 ans. Le Sabre a été construit après le Mustang dans le même esprit : un avion dédié au combat aérien, très maniable et avec une voilure qui génère beaucoup de portance. Comme tous les avions il faut faire attention mais je dirai qu'il est très sain. Par contre, le Mig-15 sur lequel j'ai fait de l'instruction aux États-Unis lui c'est un avion dangereux dans lequel il faut faire extrêmement attention en permanence. Pour comparer les deux c'est simple le Mig-15 c'est une vieille R8 Gordini aux pneus lisses sur une route mouillée alors que le Sabre c'est une Aston Martin dernier modèle aussi bien en termes de confort que de performances.

6. Comment élaborez-vous votre démonstration ? Allez vous en changer chaque année ?

Pour être très honnête quelque soit le type d'avion, à moins d'être un professionnel qui vole chaque jour sur son avion, il faut facilement 2 à 3 ans avant de pouvoir mettre au point une bonne démonstration. Là j'en suis à 2 mois donc j'y vais doucement pour apprendre à le connaître, voir un peu ce qui est bien et ce qui n'est pas bien, je recueille les avis des gens depuis le sol pour savoir quelles sont les figures qui ont de l'intérêt ou non. Après c'est vrai qu'en démo on est là pour faire plaisir, se faire plaisir et surtout faire plaisir au public. Donc pour l'instant ma démo est plutôt safe mais elle va évoluer pour faire plaisir au public avec peut être plus de passages à l'anglaise, etc. Ceci dit ça prend 2 ou 3 ans pour vraiment que ça prenne forme, que la zone d'évolution se réduise pour que cela soit plus proche du public. Il est facile de voler vite avec un tel avion mais plus difficile de voler doucement. Si je vole vite l'avion n'est qu'un point à 6000 ou 7000 pieds et les gens le voient à peine, par contre si je vole plus doucement le public peut plus en profiter. Faire des figures de voltige compliquées les gens ne voient pas bien l'avion et ne se rendent pas compte de la difficulté donc autant voler plus proche et plus doucement. Il y a donc un compromis à adopter entre se faire plaisir et rendre visible l'avion pour les gens.

Vue arrière du Sabre permettant d'observer le détail des aérofreins.

Vue arrière du Sabre permettant d'observer le détail des aérofreins.

7. Pensez-vous faire tomber les bidons dans le futur de votre démonstration ?

Alors je dispose de 2 jeux de bidons, 2 gros qui sont montés ici et 2 plus petits. Je ne pense pas les tomber car cela entraine derrière un problème d'autonomie. Cela ne pourrait se concevoir que pour voler en local car on a vraiment besoin des bidons pour se rendre sur les meetings. Après c'est aussi un choix car je trouve qu'il est vraiment beau avec les bidons mais c'est vrai que sans bidons il ressemble à une hirondelle et est beau aussi.

8. Quelle est l'autonomie de l'avion avec ses bidons ?

Si on arrive à monter à 45 000 pieds pour le transit on va être sur un rayon d'action de 2400 km et si on reste en basse altitude on est plus sur 1000 kilomètres à peu près. Après ce qui diffère vraiment avec un tel avion par rapport à un Sea Fury ou à un Mustang, c'est qu'un vol nécessite vraiment une planification comme pour un vol en avion de chasse : "je veux arriver sur tel terrain, combien de pétrole je veux en réserve à l'arrivée, quels terrains de dégagement je prends en cas de problème météo ou de piste indisponible, quelle sécurité pétrole pour atteindre ces terrains, etc." Une fois que l'on a ces données on remonte au départ pour déterminer le plein nécessaire. Il ne s'agit pas de faire le plein et de dire aller je vais voler, cela impose vraiment une gestion fine du carburant.

9. Vous avez évoqué votre instruction sur Mig-15, pouvez vous revenir sur votre cursus de formation ?

Je ne voulais pas aborder le Sabre comme ça donc j'ai fait une demande de formation réacteur complète dans le cadre de l'échange d'avion. Donc j'ai fait un premier stage sur T-2 Buckeye puis un stage sur Mig-15 à ailes en flèche qui est de la même génération que le Sabre. Ensuite un cours au sol de 42 heures sur le F-86. J'ai du fournir à cette occasion un gros travail personnel car le manuel de vol du Canadair était assez léger donc je suis reparti du manuel de vol du F-86E/F et j'ai réécrit toutes les procédures normales, anormales, performances, etc. Finalement j'ai fait un dernier stage avec le lâcher avion, 10 heures de vol avec à l'issue un test en vol avec un testeur de la FAA qui me suivait dans un autre F-86. J'ai ainsi obtenu ma qualification Sabre sur une licence américaine de commercial pilot et la DGAC m'a donné la qualification équivalente en France.

10. Vous avez souligné sur les réseaux sociaux la grande aide qui vous a été fournie par l’administration française pour ce projet, vous pouvez nous en dire plus ?

Effectivement, la France est un très grand pays d'aviation et l'administration française a été remarquable sur ce projet. On dénigre souvent notre administration mais l'herbe n'est pas plus verte ailleurs je peux vous l'assurer. Que ce soit le préfet du Vaucluse, la DGAC avec l'OSAC et le service de la navigabilité, la DGA, les douanes, tout le monde a été super. C'est un projet qui a suscité beaucoup d'engouement au sein des services de l’État qui sans pour autant nous faire de cadeaux ont été très facilitateurs pour toutes les démarches. Je dois dire que je suis encore plus fier d'être français depuis cette affaire.

11. Vous ciblez une dizaine de meetings aériens pour cette saison, est ce que ce seront que des meetings français ou également des étrangers ?

C'est vrai que cet avion est le seul de ce type en Europe et qu'il a équipé les armées de l'air de la France, du Portugal, de l'Italie, de l'Espagne, de l'Allemagne, de la Grèce, de la Suède, de la Grande-Bretagne, de la Norvège donc il suscite un engouement aussi à l'étranger et je compte là-dessus car les coûts à l'heure de vol sont tout de même importants. Je cible donc des gros meetings, je devais aller en Espagne mais le meeting a été annulé, je vais par contre à Jersey et en Autriche en septembre.

© Jean-Pierre Dewam : le Sabre sera désormais largement visible dans nos cieux.

© Jean-Pierre Dewam : le Sabre sera désormais largement visible dans nos cieux.

Remerciements : Defens'Aero souhaite chaleureusement remercier Frédéric Akary pour sa disponibilité et ses réponses détaillées à nos questions et également l'Aspirant Bérengère de la cellule communication de la BA 120 pour avoir rendu cette interview possible.

 

Source : http://www.defens-aero.com/2019/07/frederic-akary-le-sabre-est-une-cadillac.html

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