Réserve et garde nationale.

par Hervé Drevillon - le 04/09/2016.


DRÉVILLON Hervé

 

Professeur d’histoire moderne à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (UFR 09, Histoire)

Directeur de l’Institut des Etudes sur la Guerre et la Paix



FIGAROVOX. - Bernard Cazeneuve a lancé un appel aux volontaires pour les réserves du ministère de l'Intérieur tandis que Jean-Yves Le Drian a rappelé son objectif d'atteindre les 40 000 réservistes au sein des Armées d'ici 2019. Que vous inspirent ces déclarations ?

Hervé DREVILLON. - Il faut considérer l'appel aux réservistes selon deux points de vue: d'une part, la nécessité opérationnelle, d'autre part, la valeur symbolique. La nécessité opérationnelle résulte de la volonté de renforcer les forces armées, qui sont soumises à une tension considérable dans le cadre de l'opération Sentinelle. La valeur symbolique résulte, quant à elle, de la nature même de la Réserve qui, sous ses diverses formes, depuis le XIXe siècle, a toujours exercé une double fonction: fournir un réservoir d'hommes en vue d'une intensification de l'effort de guerre et accomplir des taches auxiliaires, telles que la défense et la surveillance du territoire. Par le passé, les différentes lois sur l'organisation de la conscription y ont affecté les hommes qui restaient mobilisables après avoir effectué leur période de service militaire. Ainsi la réserve est-elle intimement liée à l'histoire de la conscription dont elle était le prolongement. Depuis la suspension du service national en 1996-1997, la réserve constitue l'unique vestige du principe de la participation citoyenne à la défense. Elle revêt, en ce sens, une très forte valeur symbolique, qui, dans le contexte présent, constitue sans doute l'enjeu majeur des différentes annonces faites par le pouvoir exécutif.

 

Certains acteurs politiques évoquent la création d'une véritable «Garde nationale» de réservistes. Ceci marque-t-il un vide après la suspension du service militaire sous le septennat de Jacques Chirac ?

L'idée d'une Garde nationale de réservistes résulte, en effet, de la volonté de donner à la Réserve une importance et une visibilité accrues. Toutefois, même si elle constitue une perspective intéressante et un progrès par rapport à la situation présente, l'idée de constituer une Garde nationale à partir de la Réserve, fût-elle étendue, ne permet pas tout à fait d'atteindre l'objectif de combler le vide laissé par le service national. Les réservistes sont des volontaires et incarnent, à ce titre, les vertus du civisme. Or, la société française semble avoir besoin, non seulement de civisme, mais également de citoyenneté. La principale cible des terroristes étant notre cohésion nationale, il convient de trouver une réponse adaptée, qui amène l'ensemble de la société à communier dans des valeurs et une action communes. Une Garde nationale limitée à une élite de citoyens éclairés et dévoués, ne peut pas atteindre ce but.

 

L'opération Sentinelle est parfois critiquée au sein des Armées. Elle mettrait à rude épreuve les ressources humaines de la Défense. Pourrait-on imaginer que la Garde nationale assure la relève? Cela ne serait-il pas une gageure pour la formation des réservistes ?

L'opération Sentinelle a, en effet, soumis les armées à une très forte tension. Elle a, en outre, été critiquée pour l'inefficacité de ses gardes statiques (aujourd'hui remplacées par des dispositifs plus mobiles) et suscité des réticences vis-à-vis du principe même du déploiement des militaires sur le territoire national. Pour toutes ces raisons, l'engagement d'une Garde nationale peut apparaître comme une solution appropriée, à condition que soient clairement définis les objectifs et les conditions de son utilisation.

Un certain nombre de missions pourraient lui être confiées, notamment la relève des gardes statiques, qui ne sont pas aussi inutiles qu'on l'a souvent dit. Elles peuvent permettre, en effet, de protéger certains sites sensibles, dont la surveillance nécessite un important déploiement de forces en raison de leur étendue. Quant à la protection statique des lieux de culte, même si elle ne permet pas d'écarter la menace terroriste, elle a le mérite de protéger contre les actes de vandalisme et de prévenir les tensions communautaires.

On pourrait donc imaginer de confier à la Garde nationale, les missions de surveillance statique et de protection nécessitant d'importants effectifs et un effort de formation relativement limité, tandis que les forces armées, se verraient attribuer les missions de surveillance plus complexes et plus mobiles.

Enfin, même si la menace terroriste constitue aujourd'hui notre principale préoccupation, il ne faut pas oublier les autres missions de sécurité civile et de protection de l'environnement, qui pourraient être confiées à la Garde nationale.

 

Nicolas Sarkozy a suggéré de restaurer un service militaire obligatoire pour les jeunes qui sortirait du système scolaire sans qualification. Faut-il restaurer sous une forme ou une autre le service militaire ?

Je ne partage pas cette vision punitive de l'obligation militaire. Limiter l'obligation du service national à une catégorie de population constituerait une entorse au principe de l'égalité républicaine. L'obligation n'a de sens que si elle est universelle, c'est-à-dire touchant l'ensemble d'une classe d'âge, hommes et femmes. N'oublions jamais que, depuis ses origines, la conscription a toujours été à la fois un devoir et un droit, qui définissait la citoyenneté. L'idée de la participation de la nation à sa propre défense, serait menacée par un dispositif discriminatoire, qui s'avérerait contre-productif au regard de l'objectif de cohésion nationale, qui fonde le principe même du service militaire.

Il faut donc imaginer un nouveau type de service obligatoire, qui soit à la fois réaliste et fidèle aux idéaux de la République. Le retour au service militaire d'antan étant totalement inenvisageable, on pourrait imaginer un service civique obligatoire et de courte durée (un à trois mois), qui pourrait se prolonger par un service volontaire encouragé par des mesures fortement incitatives. Les volontaires issus du service civique pourraient être affectés à la Garde nationale, qui pourrait être encadrée, à la fois, par des professionnels (militaires, policiers, pompiers) et par des réservistes. La Garde nationale permettrait ainsi de faire converger deux formes actuellement distinctes de l'engagement citoyen (la Réserve et le service civique) en s'appuyant sur un système combinant une obligation universelle de courte durée et un volontariat élargi.

 

L'expression de «Garde nationale» signe le grand retour du mot «nation». Comment analysez-vous cette résurgence d'un mot longtemps tombé en désuétude voire en disgrâce ?

Le plus important dans le retour du mot «nation» réside dans le sens que nous lui donnons. Ce n'est pas le mot «nation» qui avait disparu, mais sa véritable signification. En réduisant la nation à une question d'identité, on en a oublié le sens originel qui fut celui de la Révolution française, lorsque les soldats de Valmy se battaient au cri de «Vive la Nation». Il ne s'agissait aucunement, alors, d'exprimer une quelconque identité, mais d'affirmer, les armes à la main, le principe de la souveraineté du peuple. Il n'y avait aucune forme de chauvinisme dans ce «Vive la Nation», mais l'affirmation d'un principe politique, celui de la participation de tous à la chose commune, la République, proclamée au lendemain même de Valmy, le 21 septembre 1792.

En ce sens, l'idée d'une Garde nationale renoue avec cette tradition, car elle porte en soi l'idée de Nation en tant que corps politique participant souverainement à sa propre défense.

 

Avec le terrorisme islamiste, le pays compte ses morts. Ce retour d'une histoire tragique marque-t-il un retournement possible dans le rapport à la mort que les citoyens entretiennent avec la «patrie» ?

Le terrorisme auquel nous sommes confrontés n'est pas de nature à changer le rapport de notre société avec la mort collective. Le terrorisme ne touche que des victimes innocentes, dont la mort ne peut porter que douleur et affliction, contrairement au sacrifice d'un soldat que l'on peut glorifier et chercher à imiter. Nul ne rêvera jamais de mourir sous les coups d'un terroriste. Cette mort n'appelle pas au sacrifice mimétique. Elle appelle, au contraire, à ce que les psychologues appellent la «résilience», ce processus par lequel un individu ou une société se reconstruit dans l'action et la volonté de vivre. En ce sens, l'appel à un sursaut collectif de défense, au nom des idéaux qui fondent notre république, me paraît de nature à surmonter la pulsion de mort vers laquelle veulent nous entraîner les terroristes.

 

 

 

Propos de Hervé DREVILLON 

Directeur de l'Institut des études sur la guerre et la paix

Recueillis par Figarovox


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