Note d'actualité n°590 - Février 2022.

Par Alain Rodier

Washington, suivi par ses alliés anglo-saxons et de nombreux pays européens, dénonce depuis la fin 2021 l’invasion « imminente » de l’Ukraine par les forces armées russes, se basant sur des photos satellites – aimablement diffusées aux médias – qui montrent des milliers de matériels militaires parqués en rangs d’oignons[1] à proximité des frontières ukrainiennes. Les manoeuvres militaires qui se déroulent quasi-continuellement dans ces mêmes régions et en Biélorussie sont aussi dénoncées comme des phases préparatoires à une offensive. Qu’en est-il réellement ?

Il était « certain », début décembre, que l’attaque devrait être lancée en janvier les conditions hivernales et le sol gelé favorisant les mouvements des blindés[2]. Mais cette offensive ne s’est pas produite. Les lanceurs d’alerte et les médias ont avancé une bonne raison : si l’assaut n’a pas eu lieu, ce serait en raison de l’hiver qui s’est révélé trop clément. Il risquait – en janvier – d’embourber ces mêmes véhicules de combat car le terrain n’était pas assez dur.

Il n’en restait pas moins que l’alerte restait si chaude que l’armée américaine et l’OTAN décidaient de dépêcher des troupes supplémentaires dans les ex-pays de l’Est, dont certains n’ont rien à voir avec l’Ukraine mais qui craignent pour leur propre sécurité. En effet, l’ours russe serait si gourmand qu’après l’Ukraine, il serait tenté d’avaler les pays Baltes, la Pologne et pourquoi pas la Suède et la Finlande… Ces deux pays n’appartiennent pas à l’Alliance mais craignent visiblement pour leur propre sécurité et ne sont pas couverts par l’article 5 de l’OTAN qui stipule la solidarité de ses membres.

Personne parmi les responsables politiques et encore moins dans les médias occidentaux ne semble s’être aperçu qu’après la mort du marxisme-léninisme, aujourd’hui Moscou n’a plus d’idéologie à imposer au reste de la planète. Il n’existe aujourd’hui que deux idéologies conquérantes : le salafisme-djihadisme et les droits humains (hier appelés « droits de l’homme »).

Cette dernière est portée par les Occidentaux emmenés par les États-Unis. C’est d’ailleurs ce qui semble motiver les actions que l’on ne peut vraiment qualifier d’« amicales » conduites par les présidents américains qui se succèdent à la Maison-Blanche. Les Anglo-saxons sont totalement imprégnés de la même pensée qui est une sorte d’héritage de la culture protestante. Le reste de l’Occident est obligé de suivre – parfois par peur comme les Polonais et les Baltes qui ont, fort justement, de très mauvais souvenirs de l’URSS – mais surtout pour de simples raisons économiques. Washington est prompt à aider financièrement ses alliés, mais encore plus rapide à les accabler de sanctions s’ils sortent de la voie qu’ils ont définie. Les informations de ces d’organismes d’influence tels que le Voice of America ou le New York Times sont toujours « de qualité » puisqu’elles sont présentées comme provenant des « services de renseignements » américains ou de « hauts responsables » ukrainiens qui ont accès à des documents, bien sûr, très sensibles.

Puisqu’elle n’a pas eu lieu ces dernières semaines, l’invasion est désormais pour demain – voire après-demain –, enfin pour bientôt… L’agence de presse Bloomberg a même fait sa « une » du 4 février avec « la Russie envahit l’Ukraine », démontrant que les manchettes des journaux sont prêtes en Occident. Ces médias semblent attendre avec impatience et gourmandise l’Apocalypse.

Il faut reconnaître que Moscou s’en donne à cœur joie dans le rôle de croquemitaine qui lui a été attribué, surtout depuis l’invasion de la Crimée en 2014[3]. Trop content de pouvoir enfin remettre la Russie sur le devant de la scène internationale dont elle avait été écartée depuis l’effondrement de l’URSS, le Kremlin semble prendre un malin plaisir à faire bouger ses soldats comme sur un échiquier et se délecte de la panique que cela provoqué, particulièrement dans les pays frontaliers.

Ainsi, selon une source ukrainienne – toujours de « haut niveau » – citée par le New York Times, les Russes auraient récemment augmenté leurs effectifs de 100 000 à 110 000 hommes…  Il n’y a rien de bien nouveau puisque les chiffres de 130 000 et même de 150 000 avaient parfois été annoncés en janvier.

Pire encore, « certaines unités » basées en Crimée auraient été placées au niveau d’alerte le plus élevé. La question se pose toutefois, pourquoi pas toutes ? D’autres formations militaires déployées ailleurs (régions non définies) seraient désormais au deuxième niveau sur l’échelle d’alerte des forces russes.

Selon Kiev, si l’invasion devait débuter, elle commencerait par des « conquêtes limitées » et si elles étaient couronnées de succès, Moscou étendrait ses zones d’opérations. Toutefois, ces affirmations sont tempérées par certains responsables politiques qui estiment que cela fait partie du « vrai jeu de poker » auquel se livre le Kremlin. Cela est davantage destiné à créer de la confusion entre Kiev et l’Occident, plutôt que le signe d’une incursion imminente. Les observateurs soulignent que les armées russes ne pourraient mener des offensives multiples pendant plus d’une semaine leur logistique ne pourrait assurer le soutien au-delà de ce délai ; les munitions, les carburants et les vivres viendraient vite à manquer[4] et le personnel de réserve disponible serait en nombre insuffisant.

Pour conclure et sachant que prévoir l’avenir est un exercice périlleux, l’auteur pense que la Russie qui est très forte dans « l’art de la surprise » – prise de Kaboul en 1979, Crimée 2014, Syrie 2015 – ne va pas agir là où on l’attend. Par exemple, personne ne semble remarquer qu’ayant « une guerre d’avance », elle est en train de renforcer sa flotte du Pacifique en y affectant les derniers fleurons de ses sous-marins à propulsion nucléaire.

Ce n’est que la conséquence du rapprochement Moscou-Pékin qui est en grande partie la résultante de la politique « percutante » de Washington.

 

 

 


[1] En contradiction totale avec un déploiement opérationnel où les engins doivent être répartis du le terrain de manière à ne pas constituer des cibles trop sensibles pour l’aviation et l’artillerie adverse.

[2] L’auteur avait écrit le 6 décembre 2021 dans un article sur le site Raids.fr : « Ukraine. Non, il n’y aura pas d’invasion en janvier ».

[3] Cela a été le virage de la politique étrangère du Kremlin qui se basait sur son expérience de la guerre en Géorgie, celles de Tchétchénie étant considérées comme des affaires purement « intérieures ».

[4] Il a souvent été signalé la chaîne médicale qui ne serait pas en place. Depuis que cette information a été diffusée par la presse, des sources affirment qu’elle est désormais prête. Cela fait partie de la guerre de propagande menée de part et d’autre.

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