Dassault Aviation : un champion français lui aussi “multirôles”

par Caroline Galactéros - le 12/05/2016.



Docteur en Science politique, ancien auditeur de l'IHEDN, elle a enseigné la stratégie et l'éthique à l'Ecole de Guerre et à HEC.

 

Colonel de réserve, elle dirige aujourd'hui la société de conseil PLANETING et tient la chronique "Etat d'esprit, esprit d'Etat" au Point.fr.

 

Elle a publié "Manières du monde. Manières de guerre" (éd. Nuvis, 2013) et "Guerre, Technologie et société" (avec R. Debray et V. Desportes, éd. Nuvis, 2014).

 

Polémologue, spécialiste de géopolitique et d'intelligence stratégique, elle décrit sans détours mais avec précision les nouvelles lignes de faille qui dessinent le monde d'aujourd'hui.


Je vous invite à lire l’instructive interview que le PDG de Dassault Aviation, Eric Trappier, a accordée au magazine Challenges.

 

 

J’en retiens trois leçons principales.

 

 

Primo, les armements français n’ont rien à envier à leurs concurrents américains. Les Etats-Unis investissent des milliards de dollars dans des projets pharaoniques qui finissent par décevoir la plupart de leurs destinataires. Le Lockheed Martin F-35, avion le plus cher au monde, en est une belle illustration : classé dans la catégorie des avions de 5e génération pour sa furtivité, son hyper-agilité, son autonomisation, il n’engendre aujourd’hui que des critiques acerbes, des simulations dites de type « combats de chiens » (dog fights) ayant révélé que le nouvel avion-amiral américain serait battu sans équivoque par d’anciens chasseurs de 4e génération de la Guerre froide... Cela sans compter les dérives budgétaires du programme qui font du chasseur furtif un gouffre financier que même l’US Air Force pourrait ne pas pouvoir assumer (Le F-35 de base pourrait coûter 180 millions de dollars à l’unité et jusqu’à 300 millions en version “marine”).

 

A l’inverse, notre Rafale est aujourd’hui le seul chasseur au monde véritablement multirôles. Comme le rappelle fort bien Eric Trappier, les Américains ont besoin de trois avions (F-35, F-22 et A-10) pour remplir le spectre des missions du Rafale.

Et notre chasseur, s’il est onéreux (coût unitaire de 80 à 90 millions de dollars), demeure parfaitement économique comparé à ses concurrents américains les plus récents (F-22 et F-35).

 

On se moquait de ses échecs successifs à l’export, participant, dans un navrant exercice de masochisme national, au French Bashing orchestré par nos concurrents. En réalité, la carrière à l’étranger du chasseur multirôles français, lancée avec les contrats de l’Egypte et du Qatar, pourrait s’avérer extrêmement fructueuse dans les prochaines années, ainsi que nous l’avons expliqué dans un dossier récent sur l’industrie de défense et les dividendes des guerres au Levant. En préservant, grâce à ces succès commerciaux, les bureaux d’étude de l’avionneur, cœur battant de notre excellence technologique, c’est notre souveraineté industrielle que l’on consolide et in fine, notre autonomie politique et stratégique. Une liberté d’action qu’il conviendrait toutefois de mettre au service d’une politique étrangère enfin réaliste et ambitieuse qui reste très largement à refonder.

 

 

Secundo, Eric Trappier révèle avec clarté et audace ce que beaucoup d’hommes politiques minimisent à outrance : l’OTAN est une machine à détruire l’autonomie industrielle de ses pays membres au profit d’un monopole américain sur les ventes d’armement.

La France conserve, avec la Russie, le précieux pouvoir de construire absolument tous les types d’armement, du revolver au missile nucléaire balistique intercontinental. Dassault Aviation est le symbole de cette résistance, au grand damne de Washington.

Voici ce qu’Eric Trappier, qui manie peu la langue de bois et lui préfère une rafraîchissante lucidité, déclare à ce propos :

« Beaucoup de pays sont en train de se rendre compte de la stratégie américaine : vous cotisez auprès de l’Otan, et le retour industriel passe intégralement aux Etats-Unis. Les Européens embarqués dans le F-35 travaillent sur le programme, admis comme sous-traitants. C’est un cercle vicieux : les Etats-Unis ne transfèrent pas de technologie, et vous vous retrouvez dépendants d’eux, car vous n’avez plus les moyens technologiques de développer vos propres matériels. Vous ne pouvez donc plus être présents sur le coup d’après ».

 

 

Tertio, Dassault Aviation est aujourd’hui l’entreprise française préférée des Français, source de fierté nationale, dans le dernier classement Randstad (2016).

Elle est l’illustration de ce que nous pourrions gagner en faisant preuve d’un véritable patriotisme économique, qui nécessite pour être pérennisé, de renforcer sans états d’âme les outils notamment militaires de notre indépendance nationale. Dassault Aviation est une société marquée par une forte culture d’entreprise et une haute attractivité pour les cadres qui y font de durables et passionnantes carrières. Elle a réussi à préserver son identité familiale originelle tout en étendant cette notion de famille aux dimensions de l’entreprise via une solidarité non seulement organique mais mécanique - pour reprendre les catégories durkheimiennes –. C’est une société qui incarne l’alliance réussie entre tradition et innovation, fulgurance et durée. Centrée dans les années 1960-1990, sur la vente d’avions militaires avant de se tourner dans les années 2000 vers les avions civils (avec le grand succès des avions d’affaires Falcon), Dassault Aviation semble aujourd’hui se rééquilibrer avec les succès à l’export de son Rafale.

 

 

Pour tous ces atouts, pour la solidité et la permanence de ses ambitions, tandis que nombre de nos autres “champions nationaux” n’en ont plus que le titre et se sont ouverts très, trop largement parfois, à des alliances lointaines et dangereuses, Dassault Aviation peut apparaître comme un modèle technologique, industriel et politique de résilience dynamique précieux pour la France.

 


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