Cette presse "fire and forget" incendiaire et amnésiante

...par Stratediplo - le 24/04/2018.

 

 De formation militaire, financière et diplomatique, s'appuie sur une trentaine d'années d'investigations en sciences sociales et relations internationales.

 

 

La presse française (en réalité occidentale) a été unanime et volubile à rapporter les images, les vidéogrammes et les accusations colportées par les "réseaux sociaux" antisyriens et clamant que la Syrie avait procédé à un bombardement chimique sur la ville syrienne de Douma, en Ghouta orientale, samedi 7 avril 2018. La presse française (en réalité occidentale) est unanime à avoir complètement occulté les aboutissants de ces allégations, ayant soudain des milliers d'autres sujets plus importants à traiter qu'un prétendu crime assez grave pour que la France décide d'agresser ouvertement un pays, violant la charte de l'ONU, sans même attendre l'enquête internationale.

 

Pourtant les rebondissements n'ont pas manqué, avant même l'attaque française, et les invitations syriennes à la presse accusatrice étrangère non plus. Les images et accusations ayant commencé à circuler sur les "réseaux sociaux" dimanche 8, et étant tout de suite diffusées par les trois agences de presse des pays de l'OTAN (AFP, Reuters et AP) qui détiennent le quasi-monopole de la fourniture d'informations dans le monde occidental (Europe, Afrique et Amérique), l'armée russe a décidé lundi d'ouvrir une enquête pour événement chimique, et dépêché une équipe de spécialistes. Dès mardi 10 les chercheurs d'information indépendante pouvaient lire ou écouter ce que les receveurs passifs d'information livrée peuvent toujours attendre, le rapport (formellement négatif) à la presse du colonel Alexandre Rodionov, commandant le détachement russe de défense NBC en Syrie. A l'hôpital de Douma où les faux Casques avaient tourné leur court-métrage personne n'avait vu ou traité la moindre victime d'attaque chimique, et sur le lieu prétendu de l'attaque, difficile à trouver car les habitants disaient qu'aucune attaque chimique n'avait eu lieu dans la région, il n'y avait rien à voir, ce qui n'a d'ailleurs pas empêché l'équipe NBC des trouver des laboratoires chimiques des terroristes islamistes.

 

Il n'est pas inutile de rappeler ici que l'armée russe est une armée européenne, pas américaine (sans insulte ici pour les armées brésilienne, uruguayenne et encore récemment canadienne non représentatives de l'Amérique), qui ne s'exprime pas par les éructations télévisées de n'importe quel sous-caporal anonyme ayant supervisé l'abattage par ses soudards débraillés d'une statue du chef d'Etat vaincu ou des gazelles d'un parc zoologique. Comme tout porte-parole du commandement voire simple officier supérieur autorisé à s'exprimer devant la presse, cet ingénieur-docteur, diplômé d'école de guerre et haut fonctionnaire de son pays s'identifie, engage la signature de son gouvernement et donne ses coordonnées pour pouvoir être recontacté. Un véritable journaliste devrait y porter plus d'intérêt qu'aux "déclarations d'un haut responsable sous couvert d'anonymat" que font si souvent circuler les agences de presse du phare ouest et qui garantissent l'impossibilité d'authentification, de cotation de crédibilité, et de conséquences en cas de démenti ultérieur par les faits, surtout quand ces "déclarations d'un haut responsable sous couvert d'anonymat" proviennent d'un pays dont le gouvernement est coutumier du fieffé mensonge avéré jusque devant les plus hautes instances internationales. Au contraire, le gouvernement russe doit jouir auprès de la presse sérieuse (malheureusement pas auprès de l'auditorat endoctriné occidental) d'une crédibilité impeccable puisqu'il n'a jamais été pris en délit de mensonge en ce siècle, fait particulièrement rare parmi les grandes démocraties.

 

Ce même 10 avril le journaliste étatsunien Pearson Sharp a annoncé, de Damas, qu'il serait bientôt en mesure de diffuser des informations sensationnelles. Il a aussi dénoncé le mensonge de certains journalistes occidentaux prétendant qu'ils ne pouvaient pas entrer en Syrie, alors que lui, ennemi déclaré puisqu'Etatsunien, avait obtenu son visa très rapidement. Prenant son temps pour interroger les Damascènes, puis surpris par l'attaque dans la nuit du 13 au 14 et par les manifestations de rue célébrant le 14 le succès de la défense antiaérienne syrienne, il est allé le 15 à Douma, où les dizaines de personnes qu'il a interrogées lui ont toutes déclaré qu'il n'y avait eu aucune attaque chimique. Sauf erreur c'est lui qui a popularisé le mot qu'il ignorait il y a dix jours, qui a fait la semaine dernière par internet le tour du monde en plusieurs langues, et que les trois agences de presse de l'OTAN doivent toujours soigneusement éviter. Le médecin-chef de l'hôpital souterrain de Douma lui a expliqué que l'hypoxie, ou manque d'oxygène, n'est pas rare chez les gens qui passent une nuit ou plus entassés dans des abris souterrains à atmosphère confinée sous les décombres, mais qu'en plus des bombardements accentués depuis quelques jours, le vent avait soulevé cette nuit-là une tempête de poussière, aussi l'hôpital a reçu beaucoup de patients souffrant d'irritation des voies respiratoires.

 

Déjà le 13 avril l'étudiant en médecine Halil Ajij, de service aux urgences de cet hôpital, avait publiquement déclaré que l'hôpital n'avait reçu aucune victime d'attaque chimique le 7 et le 8, et raconté ce qui s'était passé dans le hall de l'hôpital le 8. Le même 13 avril le ministère de la défense russe a présenté en conférence de presse les preuves et témoignages de l'absence d'attaque chimique à Douma, le général de division Igor Konachenkov faisant même remarquer que les témoins (dont Halil Ajij) déclinaient leurs noms et fonctions et pouvaient être contactés par tout enquêteur intéressé. Le 16 le représentant russe à l'OIAC a déclaré à celle-ci que les enquêteurs russes avaient retrouvé, vivantes, des victimes prétendues mortes de cette fausse attaque, qui étaient prêtes à témoigner.

 

Le 17 avril le fameux journaliste britannique Robert Fisk a aussi publié les résultats de sa visite des lieux (avec quelques journalistes syriens il a même faussé compagnie à une visite organisée pour la presse) et de l'hôpital, ainsi que de son entrevue du médecin-chef Assim Rahaibani, qui lui a expliqué que la vidéo tournée par les "Casques Blancs" (il ignore que ce ne sont pas ceux reconnus par une vingtaine de résolutions de l'ONU depuis 1994) était authentique mais pas sincère. Alors que le personnel soignant s'occupait des personnes souffrant d'hypoxie, un "casque blanc" a fait irruption, hurlé "attaque au gaz !" et d'autres ont filmé la panique qui en a résulté, augmentée d'ailleurs par l'irruption soudaine de plusieurs inconnus vêtus de blouses hospitalières qui ont introduit de prétendues victimes (qui observées immédiatement se sont avérées indemnes) et aspergé d'eau les patients présents. Une fois leur film fait, tous les intrus se sont retirés aussi rapidement qu'ils étaient arrivés.

 

Le 18 avril les journalistes de Russie 24 ont retrouvé le garçonnet largement filmé par les faux Casques Blancs, Hassan Diab, qui leur a déclaré que dans la rue le 8 au matin il avait entendu quelqu'un qui appelait les gens à aller rapidement à l'hôpital où on allait distribuer de la nourriture. Il y est allé, et à peine entré on l'a aspergé d'eau, plaqué sur un lit et filmé, ainsi que d'autres personnes, puis qu'ensuite on lui avait donné un peu de nourriture. Son père Omar a confirmé et est prêt à aller témoigner devant toute organisation internationale qui en ferait la demande. Le 21 avril un autre garçonnet présent sur le film, Moustafa, a aussi été retrouvé par des journalistes et raconté une histoire identique.

 

Ce 23 avril a été publié le témoignagne de Mirwan Jaber, un autre médecin de l'hôpital de Douma qui confirme ce qu'ont déjà raconté ses collègues. Tous les témoignages concordent, et la quasi-totalité des habitants de Douma, qui ont appris la rumeur d'attaque chimique sur leur quartier par les journalistes étrangers, se disent de plus convaincus que ce n'est pas ça qui a motivé la bien réelle attaque franco-étatsuno-britannique.

 

Le nom d'Hassan Diab, comme celui d'Halil Ajij, est depuis quelques jours aussi célèbre dans le monde libre que le mot hypoxie. Mais il semble largement ignoré dans les pays de la coalition antisyrienne. Vu que le témoignage d'Hassan Diab a été repris ou commenté par toute la presse russe, l'AFP s'est cependant vue obligée d'émettre une dépêche laconique selon lequel la télévision russe avait "diffusé mercredi soir ce qu'elle présente comme le témoignage d'un garçon syrien affirmant avoir participé à une mise en scène chimique". Les rares médias français qui ont repris cette information ont rajouté du conditionnel et des suspicions, et surtout leur fameuse formule selon laquelle cette information n'avait "pas pu être confirmée de manière indépendante", ce qui signifie dans leur jargon confirmée par un correspondant d'une agence de presse officielle d'un pays membre de l'OTAN, à savoir AFP, Reuters ou AP, les agences de presse des trois pays qui ont bombardé la Syrie dans la nuit du 13 au 14 avril au prétexte justement de cette attaque chimique alléguée. Il est d'ailleurs notable que les mêmes médias n'ont pas fait preuve de la même déontologie partisane pour la confirmation indépendante de l'accusation gravissime portée par les faux Casques Blancs, que ces médias ont largement colportée afin de justifier à l'avance l'entrée en guerre contre la Syrie. Parmi les cent-quatre-vingt-treize membres de l'ONU, cent-quatre-vingt-dix n'ont pas bombardé la Syrie il y a dix jours, mais on voudrait faire croire que seules les informations diffusées ou confirmées par les agences des trois pays agresseurs sont "indépendantes"... des quatre-vingt-dix pays non agresseurs.

 

Le gouvernement français, auto-institué procureur, juge et bourreau expéditif du gouvernement syrien, a reconnu dans le communiqué conjectural du 14 avril servant d'alibi à sa violation de la charte de l'ONU que ses "services" n'avaient pas trouvé "d'autre scénario plausible" parce qu'ils s'étaient contentés de croire dans leurs bureaux parisiens les images diffusées par les terroristes islamistes et les allégations communiquées par un service de renseignement étranger (voir sur http://stratediplo.blogspot.com/2018/04/evaluation-de-levaluation-nationale-du.html). En ce qui les concerne les médias et les agences soi-disant indépendantes qui ont diffusé les images anonymes et muettes de ces "victimes" d'attaque chimique devraient se précipiter pour enregistrer et authentifier leurs témoignages maintenant qu'elles ont été identifiées et demandent à être entendues. Ces "victimes" sont quand même plus faciles à joindre que les miliciens de Jaïch el-Islam qui ont abandonné leurs treillis de combat et leurs casques blancs de tournage et bourré leur quartier général de bombonnes de chlore (espérant un bombardement gouvernemental) avant de prendre les derniers autobus d'évacuation offerts aux terroristes en direction de leur bastion d'Idlib. Pourtant, les médecins et les figurants involontaires de l'hôpital de Douma attendent encore la visite des journalistes de la coalition antisyrienne.

 

"Fire and forget", c'est le feu et l'oubli d'une presse incendiaire et amnésiante. Dans certain pays passé directement de la barbarie à la décadence sans avoir connu la civilisation, on dit que la police tire d'abord et interroge ensuite. Or voici que la presse aux ordres a perfectionné la méthode, elle tire d'abord et ne pose pas de questions ensuite. Cependant, ne pas rectifier une information fallacieuse c'est mentir par omission, et lorsque ce mensonge est commis pour justifier une entrée en guerre, crime contre la paix considéré comme la plus grave infraction au droit international, cela constitue une complicité de crime contre l'humanité.

 

Les contribuables qui subventionnent grassement des médias qui leur ont raconté que les Serbes de Bosnie avaient installé à Trnopolje un "camp de concentration" avaient le droit de savoir ensuite que c'était un camp de réfugiés ouvert et que le photographe Jeremy Irvin était entré dans un petit enclos agricole pour photographier Fikret Alić à travers des barbelés. Puisqu'on leur a raconté que l'armée serbe de Bosnie avait bombardé le marché de Markale ils avaient le droit de savoir ensuite que les officiers généraux français (et autres) présents à Sarajevo ont tous déclaré que c'était l'oeuvre des Turcs de Bosnie, ils avaient le droit de savoir que le chef d'état-major bosno-turc Sefer Halilović a démissionné pour cet acte contre son propre peuple et s'en est expliqué dans son livre, ils avaient le droit de savoir que le président bosno-turc Alija Izetbegović l'a confessé sur son lit de mort. Puisqu'on leur a raconté que la police serbe avait massacré de paisibles villageois albanais à Račak, ils avaient le droit de savoir ensuite que les deux enquêtes internationales avaient déterminé que la plupart étaient des miliciens islamistes tués au combat et le reste de vieux villageois exécutés ultérieurement par les islamistes et mélangés avec les terroristes rhabillés post-mortem en civil. Puisqu'on leur a raconté que le gouvernement syrien avait utilisé des armes chimiques contre sa population les 19 mars et 21 août 2013, ils ont le droit de savoir que l'enquête de l'OIAC a montré la culpabilité des milices islamistes. Puisqu'on leur a raconté que la Russie avait abattu ou fait abattre l'avion malaisien MH17, ils ont le droit quatre ans plus tard de connaître la vérité (récemment rappelée sur http://stratediplo.blogspot.com/2018/03/le-pilote-qui-abattu-le-mh17-malaisien.html).

 

La vérité est un dû. Si la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse punit d'une amende de 45000 euros (montant bien ridicule en regard des subventions de la désinformation) "la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler", de combien devrait-on punir la diffusion de nouvelles fausses ayant troublé la paix internationale et servi d'alibi à un acte d'agression, crime contre la paix plus grave en droit international que les crimes de guerre ?

 

Au-delà de son lectorat captif et manifestement peu curieux, la presse française était autrefois lue et écoutée des rizières sud-asiatiques aux plateaux andins en passant par le fin fond de la brousse africaine. La nature ayant horreur du vide et les hommes ayant peur du silence, son repli sur le psitaccisme des slogans étatsuniens laisse la place à une autre presse. Les annonces de recrutement de traducteurs du mandarin à l'espagnol, du mandarin au français et du mandarin à l'anglais vont fleurir dans les prochaines années. Accessoirement, si les Africains iront pêcher leur information ailleurs, les Arabes quant à eux iront acheter leur armement ailleurs, les états-majors et la presse de plusieurs pays arabes faisant des gorgées chaudes en ce moment au sujet des missiles français défectueux, dont un quart n'ont pas fonctionné, et même la moitié dans le cas de ceux tirés (ou du moins mis à feu) des magnifiques frégates qu'on cherche à leur vendre. Certes un missile qui ne part pas c'est moins gênant qu'un lot de munitions de fusil d'assaut qui ne veut pas fonctionner (bien que le missile coûte plus cher), mais la réputation de fiabilité technologique d'une France post-industrielle qui achète ou fait fabriquer dans des pays pré-industriels aura aussi des conséquences commerciales et économiques.

 

Mais le plus grave est évidemment à venir. Qu'on ait réussi à cacher la vérité pendant plus de deux semaines sur le bombardement chimique fictif de Douma est un gros succès de propagande, alors même qu'on n'a pas encore interdit la presse des pays libres (pourtant bien peu lue dans les pays de l'OTAN), contre laquelle le régime français actuel prépare des mesures drastiques d'après ses propres aveux. La mise en place de ces mesures légales de censure de contenu, puis logicielles d'interdiction de lecture, sera d'ailleurs l'indicateur le plus sûr que l'avant-guerre touche à sa fin. On y reviendra prochainement. Evidemment le but recherché est que lorsque la vérité finira par percer et triompher, si elle y parvient, cela n'aura plus d'importance car les effets du mensonge auront été pleinement consommés depuis longtemps. Qu'une puissance nucléaire, balistique et dotée de missiles de croisière se permette de bombarder illégalement et sans préavis un pays souverain au prétexte d'un mensonge grossier n'est pas une affaire anodine, et que sa presse sujette se permette de simplement bannir des premières pages les suites et les révélations sur l'événement prétexte en quelques jours, en comptant sur l'oubli instantané de l'important au moyen d'une saturation par l'hypertrophie de la rubrique des chiens écrasés et des starlettes offensées, c'est grave.

 

C'est d'autant plus grave dans le cas d'une démocratie, où le peuple est censé élire en connaissance de cause des gouvernants et des législateurs censés le représenter et gouverner en son nom et selon ses instructions. Cette connaissance de cause indispensable n'existe plus. S'il n'est pas justement et correctement informé le peuple n'a ni la légitimité ni la capacité de se gouverner. La démocratie en devient illusoire et dangereuse. Et si on ne corrige pas rapidement les comportements, tant gouvernementaux que médiatiques, c'est un peu plus que douze ou seize missiles, et un peu plus loin que sur la Syrie, qui seront bientôt tirés sans même que le pays réel ne sache si l'alibi était solide et combien de temps tiendra le mensonge. On pourrait même omettre d'informer les Français qu'à quelques milliers de kilomètres leur armée a été chargée d'attaquer un autre pays, et omettre aussi la réaction initiale du pays agressé. Or quelques jours suffisent largement pour déclencher un cataclysme majeur.

 

Source : http://stratediplo.blogspot.fr/2018/04/cette-presse-fire-and-forget.html

Commentaires: 0