Déportation hors Etat de droit pour délit d'expression d'opinion

 

 ...par Stratediplo - le11/07/2017.

 

  De formation militaire, financière et diplomatique, s'appuie sur une trentaine d'années d'investigations en sciences sociales et relations internationales.


Deux affaires récentes (car beaucoup ne sont pas connues) rappellent que la France est un pays dangereux pour l'exercice de la liberté d'expression. On peut aujourd'hui y être condamné pour "délit" d'expression d'opinion à plusieurs années de prison ferme (six ans pour un cas récent), soit plus que pour beaucoup de crimes de sang, et plus que pour les délits de droit commun pour lesquels toute condamnation ferme mais inférieure à deux ans n'entraîne plus d'incarcération. Les condamnations peuvent être prises pour des faits d'expression électronique, donc sans validité juridique faute d'authentification certaine et d'identification incontestable de l'auteur. Et elles peuvent être basées sur des attendus rédigés au conditionnel, donc hypothétiques. Une chambre d'exception est dédiée aux affaires d'opinion et d'expression, et se distingue tant par le fait de donner suite aux plaintes déposées pour l'appât du gain par des entités non lésées par les faits reprochés, que par le fait de se contredire d'un jugement à l'autre en attribuant la responsabilité entière des mêmes faits à plusieurs personnes successives. Il s'agit évidemment de procès politiques, puisqu'en janvier 1987 le Conseil constitutionnel a défini une "conception française de la séparation des pouvoirs" (en fait la subordination du judiciaire à l'exécutif) qui fait exception dans le panorama général des Etats de droit, et qui ne correspond ni à la célèbre vision de séparation des pouvoirs prônée par le politologue Montesquieu, ni bien sûr à la pratique de l'ancien régime où chaque province avait son propre système judiciaire autonome dans lequel l'Etat central ne pouvait intervenir, sauf lit de justice royal (mesure d'exception très rarement prise). Tous ces vices de forme, même aux yeux pas très regardants du droit républicain, seraient passibles de condamnations par la Cour européenne des droits de l'homme, cependant ses arrêts ne réforment pas les décisions judiciaires françaises (ils se contentent de prononcer des amendes contre la France) donc n'ont qu'une valeur consultative pour la justice française et qu'un intérêt de compensation morale pour la personne irrégulièrement condamnée ou ses ayants-droit post-mortem, qui auraient eu la patience d'épuiser toutes les voies de recours en France puis d'attaquer celle-ci au niveau européen.

 

Parmi les motifs des nombreuses condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l'homme on trouve, sans surprise, la violation de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, c'est-à-dire la violation du droit à un procès équitable. Mais on trouve aussi régulièrement la violation de l'article 10 de la même convention, c'est-à-dire de la liberté d'expression. Et il y a aussi un certain nombre de condamnations pour violation de l'article 5 garantissant le droit à la liberté et à la sûreté, et pour violation de l'article 2 garantissant le droit à la vie, ces violations ayant lieu en particulier, d'après les cas jugés par la Cour européenne des droits de l'homme, dans le système carcéral français. Pour sa part la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants interdit par son article 3 d'expulser, de refouler ou d'extrader une personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture. Cette convention proposée à la signature par l'Assemblée générale des Nations Unies s'impose à tous les pays qui l'ont signée, c'est-à-dire notamment toute l'Amérique du Sud moins un pays, et une bonne partie de l'Europe dont la France et ses voisins.

 

Or il se trouve que depuis quelques dizaines d'années le gouvernement français reconnaît avec constance, bien que sous des termes divers et variables, qu'une partie du territoire considéré par les autres Etats comme français n'est plus soumis à l'autorité du gouvernement. Bien qu'il utilise un certain nombre de formules visant à laisser entendre que les quelques milliers d'enclaves concernées seraient des zones de "non-droit", des considérations pertinentes au sens de l'article 3 de ladite convention contre la torture mènent à la conclusion qu'il s'agit, au contraire, de zones relevant d'un droit déterminé et commun à la quasi-totalité de ces enclaves extra-territoriales où les services publics français n'entrent plus et où l'administration d'Etat n'est de facto plus compétente. Cet archipel relève du droit islamique, même si celui-ci y est inégalement appliqué localement selon les rapports de force entre ses institutions judiciaires, pas encore officialisées comme en Grande-Bretagne, et la délinquance plus ou moins organisée mais plus mise en échec depuis le retrait des services de maintien de l'ordre français. Car bien qu'il ne s'agisse pas encore formellement d'un "autre Etat" au sens de la convention contre la torture et plus généralement de l'ONU, ce qui nécessiterait la capacité d'entrer en relations avec d'autres Etats (une diplomatie), il s'agit bien de territoires où le gouvernement français n'a pas la capacité (ou l'intention) de faire appliquer la loi française et les conventions internationales et donc d'assurer le respect des droits élémentaires. Or la loi en vigueur dans ces territoires prône, entre autres, la peine de mutilation, et applique la peine de mort.

 

L'intérieur des prisons françaises appartenant à cet archipel extra-territorial, envoyer un condamné français dans l'une de ces zones équivaut de fait à une déportation vers un territoire où s'appliquent, notamment, la torture et la peine de mort... comme en témoignent d'ailleurs les condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l'homme dans les cas de "suicides" déclarés par le personnel de surveillance extérieure des établissements carcéraux sans présence policière intérieure, dispersés sur le territoire encore considéré comme français par les pays voisins. Une personne envoyée contre son gré dans ces territoires et soumise là aux traitements visés par les conventions internationales aurait toutes les chances d'obtenir une condamnation de la France par la CEDH si elle en réchappait et suivait l'épuisante procédure judiciaire menant à la possibilité d'attaquer la France devant la juridiction du Conseil de l'Europe.

 

Tant qu'il ne ramènera pas son appareil carcéral dans le giron de ses appareils de maintien de l'ordre et d'application de la justice, c'est-à-dire qu'il ne réintroduira pas ses services publics dans les prisons avec la mission et les moyens d'y faire respecter la loi, le régime n'aura plus la légitimité d'y envoyer les citoyens français.

 

Source : http://stratediplo.blogspot.fr/2017/07/deportation-hors-etat-de-droit-pour.html

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