La Turquie sous Erdogan :

Le compte à rebours vers l’ultime explosion

par Cherif Amir - le 22/03/2016.



 

Si la pauvre Europe demeure la victime de l’alliance américano-turque, la crise est beaucoup plus profonde qu’elle ne paraît puisque les orientations de la politique étrangère de Washington deviennent d’une façon ou d’une autre celles de l’Union Européenne, surtout en ce qui concerne la Russie.

 

La situation géopolitique est un peu schizophrénique car une Turquie sous l’autorité d’Erdogan au sein de l’OTAN est comme un Iran sous les Ayatollahs ou une Arabie Saoudite wahhabite membres de l’Union Européenne.

 

Il n’y a en effet aucune valeur commune entre la Turquie actuelle et les pays occidentaux : les libertés politiques sont bafouées, les droits de l’Homme sont écrasés, il y règne une dictature religieuse sunnite directement issue de l’idéologie terroriste des Frères musulmans, la corruption est endémique, l’espace aérien grec, pays européen membre de l’OTAN, est sans cesse violé, et bien sûr la force est constamment utilisée contre les populations kurdes.

 

Le bâillonnement de la liberté de la presse par Erdogan est devenu banal, à ce point que même le célèbre journal traditionnaliste « Zaman » a payé le prix fort pour avoir osé critiquer le régime. Le 4 mars 2016, le célèbre quotidien a été fermé par les autorités et la rédaction remplacée par des journalistes favorables à Erdogan. Le président turc n’hésite pas non plus à provoquer la plus haute autorité judiciaire de son pays.

 

A cela s’ajoute la détérioration de la situation sécuritaire, qui n’est en fait que le résultat de la répression menée contre la population kurde, puisque les attentats se multiplient au centre d’Ankara, dont le peuple turc paye d’ailleurs le prix.

A cet égard, il ne faut jamais oublier l’absurde mais continuelle négation du génocide arménien, tragédie commise en 1915 sous l’Empire ottoman et reconnue par la France et de nombreux pays occidentaux.

Cette animosité contre les pays voisins et les ethnies s’explique par le caractère artificiel de l’entité actuellement dénommée « Turquie ». La réalité est que cet espace géographique ayant été à plusieurs reprises conquis, reconquis, divisé et unifié, son territoire ne recoupe pas les zones d’implantation des peuples qui y sont présents.

En d’autres termes, la Turquie n’est pas un pays millénaire, dont les frontières auraient été plus ou moins stables à travers l’histoire, comme le sont l’Égypte ou la Grèce.

Si certains peuvent avancer l’importance économique d’Ankara, je souligne que l’effondrement d’un État n’est pas toujours nécessairement dû à une détresse économique, mais peut aussi provenir de mauvaises décisions et de folies géostratégiques commises par un dictateur déconnecté de la réalité… comme l’est Erdogan !

De nombreux dirigeants ont littéralement détruit leur pays malgré leur richesse économique, précisément à cause de leurs folles ambitions, de mauvais conseils ou du fait des manipulations orchestrées par des États alliés mais opportunistes. Alliés qui peuvent être, par exemple, l’actuelle Administration américaine, d’ailleurs la force principale de l’OTAN.

Erdogan a des ambitions territoriales et géopolitiques. Il est prêt à suivre les directives de Washington jusqu’au bout pour réaliser ses « fantasmes » expansionnistes. Mais les Américains ont la capacité de manipuler les dictateurs qui ont ces fantasmes et de les conduire jusqu’à la mort.

Saddam Hussein en est le parfait exemple. Avec le consentement, voire les encouragements implicites de l’ambassadrice américaine de l’époque, le dictateur a pris la décision d’envahir le Koweït. Si le pays était riche grâce à ses ressources pétrolières, sa décision d’envahir son voisin, le 2 août 1990, lui a amené toutes les malédictions, les guerres et même les famines du fait de l’embargo prononcé contre son pays.

Ainsi, en pratique, c’est le feu vert de l’ambassadrice américaine qui a été l’étincelle de la destruction de l’Irak.

La richesse et la prospérité économique ne constituent donc pas une sorte de « bouclier » ou d’« immunité » contre les effondrements et les défaites. Au contraire, une économie saine nécessite une prise de décision politique et géostratégique sage et logique, qui elle constitue la « muraille » la plus apte à la protéger.

Parmi les raisons de la survie de l’économie turque figure le chantage fait à l’Europe sur le flux des réfugiés.

 

Malheureusement, la fragile Union européenne s’est prosternée devant le petit Ottoman en lui offrant 3 milliards d’euros et en exemptant les citoyens turcs des visas préalables à leur entrée dans l’espace Schengen. De sorte que les exigences du régime turc atteignent désormais 20 milliards d’euros.

Une autre raison de la survie de l’économie turque est le vol du pétrole syrien et irakien. Ankara, sous les auspices de l’actuel dictateur turc et de sa famille, achète le pétrole fourni par l’État islamique (EI).

Un homme seul peut parfaitement enfoncer son pays et réduire sa gloire en cendres, même si les plus puissantes organisations militaires, comme l’OTAN, et économiques, comme le FMI, le soutiennent.

Recep Tayyip Erdogan est de ceux-ci, qui peut tout-à-fait amorcer la détérioration graduelle d’un pays comme la Turquie, jusqu’à sa pleine décomposition sociale et géographique.

La Turquie actuelle est ainsi en train de carboniser les progrès culturels, sociaux et politiques de son fondateur moderne Atatürk. Ankara est sous la tutelle, non seulement d’un dictateur obsédé par le passé ottoman, pourtant marqué par le sang et l’intolérance religieuse, mais aussi d’un membre du mouvement terroriste des Frères musulmans.

La Turquie, sous le joug d’Erdogan, est devenue un bastion des Frères musulmans égyptiens, des terroristes de Jabhat Al-Nusra, Jaysh Al Islam, Jaysh Al Fattah syriens et bien sûr de l’EI. C’est justement leur présence qui entraînera la désintégration de la Turquie, car les combattants islamistes étrangers, actuellement sous la protection d’Erdogan, constitueront les troupes du président turc, dans un éventuel conflit armé en vue de la survie de son régime dictatorial.

Ces milices interviendront lorsqu’Erdogan aura perdu le soutien de l’institution militaire turque, qu’il a contribué à affaiblir, et lorsqu’il adoptera formellement le système de l’Iran islamique, où les Basijs constituent des milices de répressions contre le peuple.

Mais dans le cas de la Turquie, le scénario serait encore pire car ces milices feront la guerre pour une cause religieuse sacrée et, constituées de membres de diverses nationalités, n’hésiteront pas à tout réduire en cendres…Souvenons-nous des Jihadistes étrangers injectés dans le conflit syrien…La Turquie est désormais morte cliniquement sur le plan géopolitique et le peuple turc souffre d’une véritable dictature. La répression sanglante des jeunes Turcs, mobilisés à partir du 28 mai 2013 contre les projets théocratiques d’Erdogan sur la place Taksim Gezi, à Istanbul, en est l’exemple. Le président turc a ignoré une manifestation de masse (environ 640 000 personnes), et l’a réprimée d’une main de fer.

Les académiciens turcs ont vivement protesté contre cette répression. A cet égard, je reprends les propos de Baskin Oran, l’un des signataires d’une pétition contre les pratiques d’Erdogan envers les chercheurs et les intellectuels. Selon lui, « M. Erdogan cherche à intimider le peuple turc. Il profite de chaque occasion pour (…) aggraver la scission au sein de la société turque. Il a pris cette fois comme prétexte la pétition des académiciens. Tous les régimes dictatoriaux ont recours à cette rhétorique pour atteindre leurs buts (…). Mais les dictateurs ont tort de croire que l’on peut opprimer les gens continuellement en augmentant les pressions et les répressions. Il arrive toujours un moment où l’on ne peut plus ignorer le mécontentement du peuple.

M. Erdogan devra faire face à ces protestations » 1

Recep Tayyip Erdogan a donc poussé très loin la confrontation au sein et au-delà des frontières de la Turquie. Il pratique un chantage continuel avec la vieille Europe, déjà accablée économiquement et socialement. Alors que le peuple turc aspirait à un leadership ouvert et en faveur d’une Turquie multi-ethnique et multiculturelle, qui pourrait devenir un carrefour entre l’Occident et l’Orient, c’est hélas l’ère d’Erdogan qui annonce la fin de la Turquie contemporaine.

 


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