Le billet de Stratediplo

 

par Stratediplo  

 

De formation militaire, financière et diplomatique, s'appuie sur une trentaine d'années d'investigations en sciences sociales et relations internationales.

Qui est Javier Milei ?

Source : Stratediplo - Le 20/08/2023.

 

Javier Milei, le diablotin sorti des urnes à l'occasion des élections nationales à blanc du 13 août en Argentine, est président du Parti Libertaire et de la coalition électorale La Liberté Avance. Cependant ce député au parlement national n'est pas un homme politique et encore moins un politicien, mais un économiste.

 

D'une manière générale le pays du bout du Nouveau-Monde, et porte du prochain (l'Antarctique), ne connaît aucun défi existentiel, n'est menacé par aucun ennemi, ne manque d'aucune ressource, n'est pas situé sur une frontière intercivilisationnelle, n'est troublé par aucun déséquilibre interne et produit sept ou huit fois la nourriture qu'il consomme. Sa population a tout loisir de s'adonner à ses occupations favorites, panem et circenses soit la malbouffe et le football télévisé, et d'autre souci que le superflu, en l'occurrence la monnaie. Pour se faire élire les démagogues n'y parlent pas de paix mondiale, de défense, d'ambitions séculaires ou d'éducation, ils promettent un ordinateur par enfant, un écran plat par chambre ou un stade par quartier. Si la profession la plus crainte et respectée est celle d'avocat, celle systématiquement mise aux commandes politiques est celle d'économiste, et les citoyens ne se réconnaissent pas dans des classes sociales mais strictement économiques. Même les idéologues en retard sur l'effondrement du communisme dans le monde ne sont élus que sur un discours rapportant tout à l'économie, c'est-à-dire marxiste.

 

Pur économiste entouré d'économistes, Milei a le profil pour exprimer en langage économique le las rejet du tout-économique en politique. Certes, sa sœur Karina, spécialiste en communication qui lui interdit de posséder un peigne et lui a remis ses anciens blousons de chanteur de rock, en a fait une bête de scène capable d'électriser les foules dégoûtées de la politique. Sa crinière rappelle autant le rebelle Johnson que le hors-système Mujica, mais ce n'est ni un Bernard Tapie racheteur d'entreprises en faillite ni un Pierre Poujade défenseur du petit commerce, c'est un professeur d'université qui nie les dogmes macro-économiques du capitalisme et de l'économie dirigée, et croit au salut de la société par la liberté d'initiative individuelle imprévisible et incontrôlée. Milei est désormais un phénomène populaire et médiatique, comme d'autres ailleurs que les partis auto-reconduits par alternance programmée appellent "populistes", à savoir empêcheurs de se réélire en rond. Car après le ras-le-bol du "¡que se vayan todos!" (qu'ils s'en aillent tous) qui avait suivi les cinq présidents de décembre 2001, le hirak argentin avait débouché sur l'habituelle confiscation de la politique par les politiciens, et le vote obligatoire n'avait pas empêché une inexorable montée de l'absentéisme.

 

Celui que la presse des autres pays occidentaux classe à l'extrême-droite pour effrayer l'électorat est tout sauf un conservateur. Comme la plupart des Argentins auxquels le gouvernement central a imposé la légalisation de l'avortement en violation des constitutions provinciales et des convictions chrétiennes majoritairement exprimées, Milei réprouve personnellement l'avortement, mais il n'a rien contre la récente innovation légale de l'appariement légal des homosexuels, dit mariage "égalitaire" afin de dévaloriser le vrai. Connu pour ses positions en faveur de la dérèglementation de tous les marchés, il a été coincé par un journaliste sur la question de la vente d'enfants, qu'il a repoussée en disant qu'elle ne se poserait pas avant deux siècles, alors qu'au moment du déclenchement de l'opération spéciale russe la presse faisait ses premières pages sur les couples argentins inquiets pour leurs commandes, puis partis prendre précipitamment livraison de bébés achetés en Ukraine. A cette époque Milei avait suivi la mode irréfléchie en entrant au parlement avec un drapeau ukrainien, en cohérence certes avec son intention de dérèglementer le commerce des organes humains, justement bien portant en Ukraine depuis la livraison des camions chirurgicaux allemands en 2014 au régime Maïdan pour la mutilation à vif, sur commandes préalables, des soldats blessés et des civils kidnappés dans le sud-est.

 

L'Argentine n'a que faire de karcher mais Milei est célèbre pour ses appels à la politique de la tronçonneuse, destinée évidemment aux mammouths étatiques centraux. En bon disciple de l'école autrichienne d'économie, il professe le démantèlement de la pieuvre jacobine qui saigne le pays et l'endette régulièrement auprès de l'étranger. Un siècle et demi après la fin des guerres entre les Provinces-Unies et Buenos Aires, les tiraillements entre unitaires et fédéralistes restent vifs, comme on s'en rend compte à chaque fois que l'Etat fédéral tente d'imposer une unification institutionnelle (il y a dix ans Cordoba aurait fait sécession pour sauvegarder sa police) ou une uniformisation juridique (seulement deux provinces ont adopté le nouveau code "national" de procédure pénale). Si le discours du Parti Libertaire a des motifs économiques, il trouve des échos politiques, constitutionnels, juridiques, culturels, sociaux et philosophiques dans toutes les provinces confédérées. Pour mémoire, parmi les trois dénominations en vigueur selon la constitution, celle de Provinces Unies du Rio de la Plata et celle de Confédération Argentine ne sont pas moins officielles que celle de République Argentine. Et paradoxalement, l'appel de ce Portègne à la libération des provinces trouve des soutiens même à Buenos Aires.

 

Dans cet esprit le projet d'un gouvernement fédéral réduit à huit ministères renvoie à la théorie moderne du principe de subsidiarité, ne déléguer à un niveau supérieur centralisé que les compétences difficiles à assumer au niveau naturel inférieur. Il renvoie aussi à la définition ancienne des fonctions régaliennes, depuis longtemps oubliée dans les grands Etats tentaculaires, et réveille les souvenirs constitutionnels de la France d'avant la dissolution des provinces et de leurs parlements, du temps où l'ancien domaine royal n'avait pas été illimité par une légitimité démocratique nationale à compétence universelle.

 

La dissolution de la Banque Centrale est, pour ce provocateur surpris de son résultat de dimanche dernier, aussi symbolique que l'image de la tronçonneuse. Car contrairement à ce que dénoncent ses détracteurs il ne prône pas l'élimination de la monnaie nationale (peso argentin) mais la libre circulation de toutes les monnaies, dont le dollar qui est déjà systématiquement utilisé pour toutes les transactions immobilières. Dans l'ensemble les Argentins ont gardé un bon souvenir de la (trompeuse) stabilité monétaire des années quatre-vingt-dix dûe à la parité fixe avec le dollar, sans avoir tous saisi qu'elle portait en germe le décrochage inévitable de 2001 du fait de la baisse de compétitivité internationale dûe au renchérissement du dollar (il revenait moins cher d'importer un tracteur des Etats-Unis que de le produire en Argentine). Le panorama est très différent aujourd'hui, d'abord parce qu'une baisse du dollar est inéluctable même avant son effondrement, et ensuite parce que l'Argentine commerce aussi désormais en euros, yuans, réals et autres roubles, avant même d'entrer dans le système financier des BRICS. Le pays où circulent le plus de dollars après les Etats-Unis doit en libérer la circulation, et mettre fin aux diverses formules gouvernementales (dollar soja, dollar tourisme, dollar thésaurisation…) définissant autant de taux de change confiscatoires auxquels convertir en pesos les dollars entrant par la banque centrale pour le règlement des diverses exportations.

 

Milei entend aussi affranchir le pays de sa politique d'endettement, un projet issu évidemment de la théorie économique autrichienne mais qui aura des conséquences en termes de souveraineté politique. Les grands prêteurs du monde occidental prêtent toujours en dollars ce qui oblige à en obtenir pour rembourser, alors que l'Argentine exporte de plus en plus dans d'autres monnaies, comme elle l'a montré en remboursant récemment en yuans un prêt du Fonds Monétaire International. Le porteur d'un tel projet rencontrera certainement de nombreuses embûches d'origine étrangère entre les urnes et la Maison Rose.

 

Il a défrayé la chronique en annonçant la fin de la "coparticipation", c'est-à-dire du budget redistributeur national, essentiellement financé par les impôts invisibles (à la consommation notamment) qui expliquent le triplement de la fiscalité en vingt ans, qui a fait passer l'Argentine d'un paradis fiscal au taux d'imposition des ménages et des entreprises comparable aux taux russes ou uruguayens, à quasiment la pression fiscale des grands monstres étatiques collectivistes à l'économie dirigée ou saignée, comme la France. Quelques provinces désertiques en souffriront si elles ne bénéficient pas d'aide exceptionnelle, et choisiront peut-être l'unification avec des provinces plus prospères et peuplées. Mais la majorité des provinces accueillera favorablement la fin de la gabegie démagogique fédérale, et la dénationalisation des ressources nécessaires à leur politique d'éducation, de transport, de sécurité ou de santé.

 

En fait, et bien que plus porté sur les questions économiques que de philosophie politique, Milei n'est pas un anarchiste au sens du rejet de toute organisation ou autorité, il serait de facto plutôt ce qu'on appelle aujourd'hui un souverainiste ou un régionaliste. La théorie économique autrichienne sur les effets pervers du parasitisme d'un appareil étatique puissant sur la société civile et productive engendre là sur le terrain la nécessité de relever les structures sociales de base, ce qui pousse à l'empirisme organisateur.

 

L'économiste pressentie comme futur ministre des affaires étrangères, Diana Mondino, est une immigrée bulgare, parlant russe et spécialiste des échanges avec la Chine. Il n'est pas impossible qu'en se penchant sur les questions diplomatiques elle en vienne à un certain réalisme politique.

 

Enfin la colistière candidate comme vice-présidente est Victoria Villarruel, présidente du Parti Démocrate. Cette juriste militante, fondatrice et présidente du Centre d'Etudes Légales sur le Terrorisme et ses Victimes, dévoue son énergie à la défense des victimes du terrorisme communiste des années soixante-dix, et accessoirement à la défense des anciens militaires persécutés par la politique de représailles des sympathisants de l'ancienne guérilla communiste. Le premier gouvernement démocratique élu en 1983 après le retrait du régime d'exception militaire appelé par Isabel Peron en 1976 pour pacifier le pays a jugé et condamné les officiers généraux de ce court intermède que l'on a appelé le "processus". Le gouvernement suivant a jugé les colonels, et ainsi de suite, et quarante ans après le rétablissement de la démocratie les antimilitaristes revanchards en mal de têtes ne trouvent plus à condamner que des retraités de soixante-cinq ans qui avaient dix-huit ans en 1976, c'est-à-dire qui n'ont participé à la répression anticommuniste qu'au bas niveau de responsabilité d'un sous-lieutenant. En 2023 cependant, des hommes condamnés pour dix ans en 2011 ou 2012 (trente ans après la fin du régime militaire) attendent sine die leur libération "imminente". La société argentine, peu militarisée, l'ignore. Par contre elle est beaucoup plus sensible à la question de la reconnaissance (sans rêver d'indemnisation) des victimes du terrorisme communiste, qui ont été plus nombreuses que les victimes de la répression militaire, en dépit du fameux mythe des 30000 disparus entretenu par des associations revanchardes (comme les Mères de la Place de Mai dont la meneuse Hebe de Bonafini n'a pas connu ses petits-enfants puisque ses enfants exilés qu'elle proclamait disparus ne voulaient plus la voir) malgré l'établissement officiel, par un gouvernement de gauche (Kirchner), du bilan définitif de 13000.

 

Villarruel, déjà qualifiée de "révisionniste", est certainement le membre de l'équipe Milei qui sera le plus attaqué en vue de l'élection présidentielle.

 

Qu'un grand pays envisage de mettre fin à l'exploitation de la société réelle et de l'économie productive par un appareil fiscal disproportionné au service du grand capitalisme apatride ou supra-étatique prêteur en dollars est un enjeu important pour le monde, et si l'Argentine choisit et applique ce projet (au-delà de quatre ans insuffisants) avec succès, elle fera école, au plus grand dam des actuels maîtres du dollar et du monde.

 

www.stratediplo.blogspot.com

Avant de lire, sur le même sujet : L’Argentine, désarmée et fragiliséegardez en mémoire que "Stratediplo", l'auteur, vit en Argentine depuis de nombreuses années. 

Risque de guerre nucléaire ou imminence de frappes ?

Le 23/01/2023.

 

On se demande si Joseph Biden est assez fou pour risquer une guerre nucléaire plutôt que de lâcher l'Ukraine

(https://ripostelaique.com/biden-est-il-assez-fou-pour-risquer-une-guerre-nucleaire-plutot-que-de-lacher-lukraine.html). 

L'excellence de l'article de Jacques Guillemain, et la pertinence des deux réflexions qu'il cite, ne laissent au polémiste que le titre.

 

Tout d'abord il n'est pas certain que la santé mentale du de cujus (ou de l'intéressé, dans ses phases lucides) importe beaucoup plus que la couleur du pyjama de Paul Deschanel. Et au-delà de la question de qui dirige vraiment la politique des Etats-Unis d'Amérique si ce n'est l'exécutif indirectement élu, se pose, en cas de réponse multiple, la question de la cohérence de cette direction. Il n'y a aucun doute que chacun des centres de pouvoir pense décider rationnellement en fonction de ses intérêts, même ceux qui, forgés dans la culture générale du pays, se focalisent plus sur leurs intérêts à court terme que sur ceux à long terme. Par contre rien ne permet de supposer que les intérêts à long terme des différents centres de pouvoir convergent, ou qu'un centre de pouvoir domine suffisamment les autres pour imposer une cohérence et une rationnalité à la politique du pays. Si on peut voir sur le terrain deux services étatiques étatsuniens (par exemple CIA et DEA, ou forces armées et CIA) soutenir des factions combattantes opposées sur certains théâtres d'opérations extérieures, des conflits d'intérêts bien plus titanesques ont lieu au niveau macropolitique et méta-étatique. Par rapport aux enjeux actuels, on peut considérer les événements de 2008 comme un symptôme mineur et ceux de 2011 comme un palliatif mesuré.

 

Par ailleurs l'Ukraine, ou Hunter Biden, ne sont que des prétextes fort mineurs. Dès la fin 2013, par son ultimatum à l'Ukraine, puis par l'annulation de son prêt accordé, l'Union Européenne a montré que l'avenir de l'Ukraine lui importait bien moins que le différend civilisationnel avec la Russie, révélé plus tôt par l'ampleur des investissements, puis des mesures coercitives, pour l'imposition du transhumanisme asexué en Russie.

 

Surtout, la décision de risquer une guerre nucléaire induit la perception d'un risque, c'est-à-dire de probabilité de danger. Si le décideur, qui n'est pas nécessairement un politicien responsable de populations, pense que la guerre nucléaire n'est pas un danger, il peut la décider sans y voir la prise d'un risque. De même, si le décideur, qui n'est pas nécessairement un polémologue, confond guerre nucléaire avec guerre mondiale, et s'il est marqué par la courte histoire d'un pays pour lequel la guerre mondiale a été (et est généralement perçue comme) une période très bénéfique pour le pays, il peut décider la guerre nucléaire, vague concept théorique, en croyant décider la guerre mondiale, expérience connue et très positive. Et même s'il sait ce que signifie guerre nucléaire, il peut la décider s'il est convaincu qu'il la gagnera (avec ou sans dommages civils).

 

D'autre part, si le décideur a de bonnes raisons de penser que l'adversaire refusera la guerre nucléaire, c'est-à-dire soit qu'il encaissera sans riposter, ou juste symboliquement, soit qu'il ripostera par des moyens non nucléaires, soit même qu'il préfèrera la reddition à l'apocalypse (cas d'un gouvernement rationnel et à plus forte raison d'un gouvernement chrétien), ce décideur peut conclure qu'il n'y a pas de risque, c'est-à-dire que toutes ses actions, y compris d'éventuelles frappes nucléaires, ne comportent aucune probabilité de conduire à une guerre nucléaire.

 

Enfin, si l'enjeu pour le décideur est tel que même le risque correctement perçu d'une guerre nucléaire lui paraît un moindre mal par rapport à d'autres catastrophes imminentes, et qu'une assertion nucléaire au moment idoine lui paraît avoir quelque chance de différer voire d'écarter ces catastrophes, il peut décider de prendre ce risque. Le gouvernement français ne le ferait pas pour sauver son "île de Guyane", mais les pouvoirs étatsuniens peuvent le faire pour sauver leur privilège du "repas gratuit" aux dépens du monde, comme ils l'annoncent depuis vingt ans.

 

Quant aux gouvernements européens, qui envoient leur armement à la casse avant d'attaquer frontalement la Russie, ils préparent leurs états-majors (leurs opinions publiques ne comptent plus) à l'inéluctabilité d'un recours au nucléaire.

 

On a systématiquement exploré toutes ces questions, et conclu à la certitude d'une "ultime assertion" nucléaire étatsunienne (avec ses cibles probables), dans le Onzième Coup de Minuit de l'Avant-Guerre (https://www.amazon.fr/onzième-coup-minuit-lavant-guerre/dp/1913057984).

 

www.stratediplo.blogspot.com

La faute de Gorbatchev.

Le 01/10/2022.

 

Le récent décès de Mikhaïl Gorbatchev a été l'occasion générale de louer une fois de plus son rôle dans l'abattement du communisme, et d'oublier son rôle dans le démembrement de la Russie.

 

Il est vrai qu'il a joué un rôle primordial, non seulement en poussant l'URSS sur la voie de la démocratisation (à commencer par la fin du monopartisme), mais aussi en y encourageant la Hongrie et la Pologne, ces deux pays ne pouvant donner libre cours à leurs aspirations réformatrices et libératrices sans l'autorisation soviétique, en l'occurrence même l'exemple soviétique sous Gorbatchev. Celui-ci a libéré la société, en partant de la sphère politique et en commençant par rendre une capacité d'initiative à la société civile, qui gagnerait vite d'autres sphères, mais dont le premier signe majeur fut la normalisation du parti communiste parmi d'autres partis concurrents, et donc de l'idéologie collectiviste parmi d'autres options votables. Sur le plan international, après avoir abandonné l'objectif de libérer les prolétariats d'Europe occidentale, il a dissous le Pacte de Varsovie (alors que les raisons de sa fondation existaient encore) ce qui a libéré les six autres pays "frères" européens de la tutelle soviétique mais aussi livré à eux-mêmes les autres régimes communistes du monde, à commencer par Cuba qui ne pouvait pas tenir l'Afrique australe et orientale sans soutien.

 

C'est alors qu'il s'est trouvé pris entre d'une part l'aile la plus conservatrice de l'appareil communiste et d'autre part les nouveaux dirigeants (apparatchiks soudain déclarés réformateurs) des républiques les plus importantes. Le coup d'Etat d'août 1991, qui a d'ailleurs donné à l'inénarrable presse française l'occasion d'appeler "extrême-droite" l'aile communiste la plus irrédentiste, est généralement considéré comme la cassure qui a créé et renversé le rapport de forces entre le pouvoir fédéral (comité central) et les nouveaux pouvoirs provinciaux. C'est à ce moment que Boris Eltsine, pourtant une pâle figure comparée à Edouard Chevardnadzé ou Leonid Kravtchouk (ou à plus forte raison Anatoli Sobtchak), devint accidentellement le porte-étendard de la décentralisation.

 

Pensant moderniser le régime politique Gorbatchev a transformé le poste de secrétaire général du parti communiste en président de la république (fédérale), puis pensant abolir le régime soviétique, fin 1991 il a aboli cette fonction et déclaré la souveraineté des (douze restantes) républiques, certes invitées à participer à un forum de concertation la Communauté des Etats Indépendants.

 

Gorbatchev pensait abolir l'Etat soviétique, symbole d'oppression, sans réaliser que le soviétisme n'était qu'un régime. L'Etat lui était antérieur, bien antérieur à la révolution bolchévique qui ne l'avait pas fondé mais conquis. Cet Etat, d'Odessa à Vladivostok, c'était la Russie. Le régime soviétique n'avait pas fédéré de nouveaux territoires à la Russie, il avait découpé celle-ci en grandes préfectures artificielles appelées républiques de Russie, de Biélorussie, d'Ukraine, du Kazakhstan etc. En accordant une souveraineté nouvelle à ces subdivisions, Gorbatchev a démembré la Russie. Certains territoires récents (en termes historiques) avaient conservé leur nom d'avant conquête ou annexion, comme la Géorgie par exemple, historiquement distincte de la Petite Russie (Malorussie) berceau de la principauté de Kiev et plus tard renommée Ukraine ou "confins", de la Russie Blanche (Biélorussie) en réalité "franche" car échappée aux Mongols, de la Grande Russie (Moscovie) appelée ainsi depuis le basculement du centre de gravité vers le Nord-Est, ou de la Nouvelle Russie (Novorussie) libérée par Catherine II de trois siècles d'exactions mahométanes consécutives à la chute de Constantinople. Mais en 1917 la Géorgie était aussi russe que la Provence était française cent ans après l'union d'Etats ou la Navarre un siècle après la confusion des couronnes, aussi russe que la Savoie est française aujourd'hui.

 

L'acte inouï de Mikhaïl Gorbatchev est comparable à celui d'un président de la 5° république française qui, à l'issue de deux siècles et demi d'expérience révolutionnaire, déciderait de dissoudre la république et d'accorder la souveraineté aux cent départements ou aux dix (simple exemple puisque le chiffre et les découpages sont régulièrement révisés pour empêcher la renaissance des provinces historiques) régions administratives du moment. Les préfets auraient beau être élus au lieu de nommés, voire issus de leur terroir respectif au lieu d'être parachutés de Paris, ces nouveaux Etats artificiellement délimités et émancipés seraient tous la France, même si une Picardie ou une île-de-France se déclarait Etat successeur de la république française et revendiquait autant l'exclusivité du nom de France que le siège au Conseil de Sécurité de l'ONU et les clefs de l'arme nucléaire. La France existait bien avant la république, celle-ci a conquis (et certes hypertrophié) un appareil étatique préexistant, pluriséculaire. Le régime peut se dissoudre, de la même manière que le processus révolutionnaire permanent a engendré une vingtaine de constitutions en vingt décennies (celle issue du coup d'Etat de mai 1958 n'étant que la plus longève mais pas nécessairement la dernière), sans pour autant modifier les frontières géographiques et humaines du pays. On ne saurait comparer l'Etat français ou russe avec, par exemple, l'institution confédérale des Emirats Arabes Unis qui peut se dissoudre en rendant leur pleine souveraineté à chacun des sept émirats bien distincts.

 

A l'opposé de Mikhaïl Gorbatchev, et à la même époque, un autre grand homme a su mettre fin à un régime politique sans détruire l'Etat ni démembrer le pays. Il a certes accordé la souveraineté à un territoire pris en protectorat depuis moins d'un siècle, comme l'URSS aurait pu abandonner à l'indépendance les récentes colonies russes d'Asie centrale, et il a aussi pris soin de démanteler l'arsenal et le programme nucléaires, et de réinsérer le pays dans la communauté internationale, avant de passer le pouvoir. Il n'a eu que le tort de croire à une transition démocratique sans prévoir qu'un nouveau parti unique ethnique allait opprimer certaines minorités. En tout cas il a dissous un régime, transmis le pouvoir et l'Etat, sans dépecer le pays. Il s'agit de Frederik de Klerk.

 

La circonscription artificielle d'île-de-France n'est qu'une partie de la France dite actuellement République Française, et de même la République Socialiste Fédérative de Russie n'était qu'une partie de la Russie dite alors Union des Républiques Socialistes Soviétiques.

 

Mikhaïl Gorbatchev a commis une lourde faute. La réunification de la Russie, après consultation de ses anciens peuples séparés arbitrairement, n'est pas moins légitime ou logique que celle de l'Allemagne effectuée sans consultation de ses peuples.

 

www.stratediplo.blogspot.com

Le 28/09/2022.

 

"QUI A COUPE LE GAZ ?"

Mais qui donc a bien pu couper les gazoducs sous-marins acheminant, ou capables d'acheminer, le gaz russe en Allemagne ?

 

De puissantes explosions sous-marines distinctes mais coordonnées ont coupé dans la nuit de dimanche à lundi l'une des deux conduites du gazoduc Nord Stream 2 terminé et rempli en fin d'année dernière, et lundi après-midi les deux conduites du gazoduc Nord Stream 1 en service depuis 2011. Dans les terminaux en Allemagne on a noté immédiatement que le gaz n'arrivait plus, puis le Danemark et la Suède ont détecté de grosses fuites et interdit la navigation localement auprès de l'île Bornholm, enfin les services sismologiques suédois ont déclaré avoir enregistré de fortes explosions.

 

Le gouvernement allemand est convaincu que la simultanéité et l'efficacité des explosions excluant toute cause accidentelle, il ne peut s'agir que d'une attaque de la part d'un Etat tiers, et le gouvernement russe le soupçonne également. Avant même qu'on se demande à qui profite le crime, le gouvernement étatsunien non interrogé s'est empressé de déclarer que cela ne servirait personne, même s'il s'agissait d'un sabotage selon certaines rumeurs qu'il ne pouvait pas confirmer à ce stade. D'ailleurs personne n'avait demandé au gouvernement des Etats-Unis d'Amérique de confirmer ou d'infirmer les déclarations des gouvernements allemand et russe concernant des sinistres survenus dans les eaux danoises et suédoises. Mais personne non plus n'a oublié les efforts énormes qu'ont déployés les Etats-Unis pour empêcher la construction du gazoduc Nord Stream 2, puis pour interdire son entrée en service.

 

Car qui a exercé de lourdes pressions politiques pendant des années pour interdire au gouvernement allemand de lancer ce chantier, puis pour le faire bloquer par les pays des eaux traversées ? Qui, ayant échoué par la diplomatie, a en mars 2018, décidé, annoncé et mis en œuvre toute une batterie de mesures coercitives illicites (et prohibées par l'Organisation Mondiale du Commerce) envers toute entreprise légale d'un pays tiers souverain suspectée d'avoir légalement, directement ou indirectement, participé à la construction du gazoduc Nord Stream 2 décidé par les gouvernements allemand et russe et autorisé par les gouvernements des pays riverains concernés ? Qui a, fin 2018, fait voter des lois par son parlement afin de s'autoriser à  "saisir" (voler) les biens présents aux Etats-Unis de toute entreprise participant à la construction de cet ouvrage objet d'appels d'offre du gouvernement allemand, tout sous-traitant de services, tout fournisseur de pièces détachées, toute entreprise de travaux sous-marins, toute compagnie d'assurance ou toute banque soutenant l'une des entreprises retenues par l'opérateur gazier allemand ? Qui a, de la sorte, dissuadé de nombreuses entreprises et réussi à retarder de quatre ans la construction de ce gazoduc (qui a duré trois fois plus longtemps que celle du Nord Stream 1), avec d'ailleurs la manifeste complicité du gouvernement allemand et de la Commission Européenne qui n'ont pas protesté contre toutes ces attaques illicites ?

 

Qui a poussé l'Allemagne à attendre le remplissage par la Russie des deux conduites de Nord Stream 2 en fin d'année dernière, soit 2,5 millions de mètres-cubes sous pression, avant d'annoncer qu'elle refusait finalement de le mettre en service ? Qui a déclaré, le 7 février à Washington, que si la Russie envahissait l'Ukraine le Nord Stream 2 cesserait d'exister ? Qui a intérêt à l'envolée des cours du gaz de schiste, dont l'absence de rentabilité même avec subventions avait mené à la fermeture de nombreux puits aux Etats-Unis ? Qui a intérêt à l'envolée des cours du gaz liquéfié, dont les importations uniopéennes ont augmenté de 40% en volume depuis un an, et devraient encore doubler, sur le marché à court terme très cher, par rapport aux contrats à long terme aux prix assurés ?

 

Quant aux livraisons de gaz par voie terrestre, qui a poussé la Pologne a interrompre le transit via le gazoduc Yamal ? Qui a convaincu l'Ukraine de refuser obstinément l'augmentation du trafic gazier à travers la station de pompage de Sokhranovka, régulièrement sollicitée par Gazprom en complément de la station de Soudja, pour compenser la baisse de trafic sur le Nord Stream 1 due aux pannes successives des compresseurs de Portovaya, et qui a poussé la Commission Européenne à interdire la maintenance desdits compresseurs afin qu'ils tombent en panne les uns après les autres et soient inaptes au service ? Qui a demandé au gouvernement canadien d'interdire le renvoi en Russie du compresseur envoyé par le fabricant allemand Siemens à sa filiale canadienne pour réparation ? Qui paie le gouvernement ukrainien pour qu'il interdise l'augmentation du trafic par Sokhranovka, quitte à renoncer à l'augmentation du lucratif péage qu'il perçoit sur le gaz en transit entre la Russie et la Pologne ?

 

Qui a dû s'inquiéter de la pression interne (parlementaire et populaire) sur le gouvernement allemand pour enfin mettre en service le gazoduc Nord Stream 2, encore accrue depuis la récente fermeture du Nord Stream 1 pour panne des compresseurs ? Qui a bien pu vouloir ôter à l'Allemagne toute possibilité matérielle de revenir sur sa décision de boycotter les matières premières énergétiques russes ?

 

Car l'Ukraine n'a pas de capacité sous-marine hors de la mer Noire et pas de présence navale en mer Baltique. Pour sa part, la flotte russe est sous étroite surveillance des pays riverains de la mer Baltique, l'Estonie et la Finlande annonçaient début août vouloir faire de la Baltique une "mer intérieure de l'OTAN" en bloquant la flotte russe dans ses ports, et la moindre vedette qui sort de Saint-Pétersbourg ou de Kaliningrad est immédiatement prise en chasse par les flottes sous-marines et satellitaires ennemies. Qui donc a librement accès à la Baltique, à part les pays riverains aujourd'hui préoccupés par les conséquences écologiques des fuites de méthane ?

 

Et pour rester dans les profondeurs sous-marines, qui a coulé le Koursk ? A-t-il été accidentellement éperonné par le Toledo qui le suivait de trop près, ou coulé par le Memphis (voire par le Splendid) pour dégager le Toledo ? Et vingt ans après, qui a coulé le Locharik ? La simultanéité des réunions de crise convoquées en urgence à la présidence des Etats-Unis et à celle de Russie le 2 juillet 2019 au soir signifiait-t-elle que le Locharik aurait été coulé en représailles au tir d'une torpille par un sous-marin russe pour dégager un autre sous-marin intercepté par un sous-marin étatsunien au large de l'Alaska, comme l'a suggéré le site d'infoxication israélien Debka ?

 

Alors, cui bono 

?

Source : Stratediplo Blogspot

Quelle mobilisation russe ?

Le 23/09/2022.

Source : Stratediplo.

Les suppôts du régime issu du coup d'État du 22 février 2014 à Kiev s'émeuvent d'une mobilisation de la Russie.

 

Le mot a été, sinon mal traduit, du moins mal interprété. Ce que le gouvernement russe a annoncé n'est pas une mobilisation mais un rappel partiel. L'effectif concerné, à l'issue d'un processus qui devrait s'étaler sur plusieurs mois, ne représente qu'un tiers des effectifs militaires russes du temps de paix, ou qu'un sixième des effectifs de réserve. En valeur absolue c'est aussi bien inférieur à l'apport des mobilisations ukrainiennes.

 

Pour comparer avec un concept connu avant la fonctionnarisation de l'armée française, il s'agit en quelque sorte du rappel d'une partie des fractions de contingent rappelables, sauf qu'au lieu de sélectionner les réservistes en fonction de leur date de fin de service actif ils seront sélectionnés en fonction de leurs qualifications et de leur affectation de mobilisation.

 

D'autre part il ne s'agit pas d'imposer une prolongation ou une répétition du service national conscrit, comme le fit la France lors des événements d'Algérie, mais d'augmenter les effectifs militaires servant sous contrat. Les personnes concernées sont simplement obligées de s'engager dans l'armée active, et y bénéficieront du même statut que les militaires professionnels actuels. Pour utiliser une image française, il s'agit de recruter d'autorité des Engagés Involontaires de l'Armée de Terre, et des Cadres de Réserve en Situation d'Activité. La seule inconnue, du moins à l'étranger, est la durée de cet engagement, à savoir s'il s'agira de contrats à durée déterminée "pour la durée de l'opération spéciale", ou pour une durée spécifiée en nombre de mois ou d'années, et enfin si cette durée sera égale pour tous ou individualisée en fonction des besoins.

 

Ce qui, sauf erreur, n'a pas non plus été précisé, est s'il s'agit de rappels personnels donnant lieu ensuite à affectation individuelle selon les besoins du moment, ou s'il s'agit de la mobilisation d'unités (corps) organiques de réserve déterminées connaissant dès le temps de paix leurs tableaux nominatifs d'effectifs (listes de réservistes avec leurs affectations).

 

Le président russe a fait référence à la nécessité de garnir une longue ligne de front en Ukraine, et assuré que tous les militaires de réserve concernés feraient l'objet d'une formation complémentaire préalable à leur déploiement. Cela ne signifie pas que la finalité de ce rappel partiel, qu'on ne notera pas immédiatement sur le théâtre d'opérations, soit de tenir le front ukrainien, d'ailleurs l'armée russe n'est pas dans une situation d'urgence, ni d'attrition significative.

 

Il est plus vraisemblable que le gouvernement russe, qui contrairement à ses homologues occidentaux gouverne, gère et prévoit, ait décidé de procéder à une augmentation du format de l'armée, tout simplement. D'ailleurs depuis plus d'un quart de siècle le gouvernement français excuse toutes ses réductions d'effectifs au moyen du concept nouveau de "changement de format" (pas seulement d'augmentation d'effectifs) en cas de résurgence d'une tension majeure en Europe, expliquant dès le livre blanc de 1994 qu'un tel cas de figure prendrait "suffisamment de temps pour permettre à la France de changer le format de son outil de défense" (comme on l'a rappelé dans le Septième Scénario), et omettant de procéder à ce changement alors qu'elle ne cesse, depuis 2014, de déclarer la guerre à la première puissance européenne.

 

Alors que le gouvernement russe avait en mars de bonnes raisons d'espérer un accord rapide avec le gouvernement ukrainien, l'axe atlantico-uniopéen ne cesse aujourd'hui d'annoncer une guerre totale, et de prendre des mesures à moyen terme dont les effets sont attendus sous deux à cinq ans, ce qui indique une intention de faire durer (et d'élargir) le conflit. De même les pays de l'axe antirusse ont depuis plusieurs mois engagé exceptionnellement des moyens financiers colossaux, sollicité extraordinairement leurs industries militaires (autre indicateur d'une intention de durée) voire, pour certains, annoncé l'entrée en régime d'économie de guerre et le rationnement des populations. Les décisions annoncées par le gouvernement russe le 21 septembre relèvent du même ordre, bien que l'impact pour la société civile en soit incomparablement inférieur.

 

C'est dans ce contexte que la Russie a décidé d'augmenter d'un tiers le volume de ses forces armées du temps de paix, sans pour autant (à ce stade) déclarer l'état de guerre, ni la mobilisation en vue d'une montée en puissance et du passage au format du temps de guerre, à savoir la mise sur pied de toutes les unités de réserve. Ce n'est pas ça.

Referenda en Novorussie

Le 22/09/2022.

Quatre régions ex-russes, représentant la moitié de la Novorussie appelée en français Nouvelle-Russie depuis deux siècles et demi, vont se prononcer par referendum, dans les jours qui viennent, sur leur réunification avec la Russie.

 

Les deux premières à l'avoir annoncé sont les provinces administratives ukrainiennes de Kherson et Zaporogié, récemment libérées (partiellement) par l'armée russe du joug du régime issu du coup d'Etat qui avait abrogé la constitution ukrainienne en février 2014, a interdit il y a huit ans l'utilisation et l'enseignement de la langue de ces provinces, a poursuivi il y a quelques mois par la dissolution de tous les partis d'opposition et venait d'annoncer il y a quelques semaines une grande opération d'épuration de la population "collaboratrice avec l'ennemi".

 

Les deux autres régions ex-russes à avoir annoncé un referendum sont les républiques de Donesk et Lougansk, États indépendants de facto depuis leur exclusion manu militari de l'ex-Ukraine, indiscutablement souverains selon les critères de la Convention de Montevideo de 1933 (qui précise même que "l'existence politique de l'État est indépendante de sa reconnaissance par les autres États"), et finalement reconnus par la Russie le 21 février. Sauf erreur ces deux pays avaient déjà conduit il y a quelques années des referenda sur la réunification avec la Russie, ignorés par celle-ci qui n'avait même pas reconnu leur indépendance avant l'imminence d'une attaque ex-ukrainienne il y a sept mois, de même qu'elle n'avait pas reconnu l'indépendance de l'Ossétie du Sud avant le déclenchement de l'opération de "purification ethnique" par la Géorgie début août 2008… et ignore encore son referendum de réunification. Pour mémoire, la Transnistrie s'est prononcée à 97% pour la réunification il y a seize ans, et l'a encore demandée en vain il y a huit ans.

 

Ces quatre régions ex-russes exerceront leur droit à l'autodétermination selon les critères contemporains. En ce qui concerne les deux républiques cosaques, elles ont largement démontré depuis huit ans leur capacité à organiser des scrutins locaux ou nationaux libres, sans interférence extérieure (l'armée russe n'y est entrée que cette année) et en invitant même des observateurs étrangers, en dépit du refus de l'OSCE. En ce qui concerne les deux régions actuellement ukrainiennes, il est évident que le scrutin ne pourra se tenir que grâce à la protection périphérique de l'armée russe, et seulement dans les zones qui ne sont plus sous le contrôle du gouvernement de Kiev. Bien que l'intention en fût connue depuis au moins deux mois, le court préavis d'organisation ne permettra certainement pas le déploiement d'un dispositif international d'observation. La libre présence des moyens modernes d'information, l'expérience démocratique des populations et la dimension de ces régions laissent cependant supposer qu'il ne s'agira pas d'un vote dicté par une armée d'occupation, comme dans les États pontificaux en juin 1790.

 

Concept historiquement récent, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est affirmé dès l'article premier de la Charte des Nations Unies, puis plus loin dans l'article 55. Il est cité en préambule ou en référence de nombreux instruments juridiques adoptés par les institutions internationales (du système ONU ou pas). La résolution 1541 de l'Assemblée générale de l'ONU, adoptée le 15 décembre 1960, mentionne trois modalités d'exercice du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, à savoir "l'indépendance et souveraineté, la libre association avec un État indépendant, et l'intégration à un État indépendant". En dépit de ce qu'on appelé dans la Neuvième Frontière un traité tacite de non-prolifération étatique, plusieurs instruments internationaux préconisent que les États favorisent l'exercice du droit à l'autodétermination par les peuples qui ne sont pas encore des États. Par exemple, selon le Pacte International relatif aux Droits Économiques, Sociaux et Culturels et le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques du 16 décembre 1966, "les États […] sont tenus de faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes".

 

La Cour Internationale de Justice a même établi par un arrêt du 30 juin 1995 que ce devoir de facilitation est une norme erga omnes, qui concerne donc tous les États et pas seulement ceux directement impliqués comme parties prenantes. Ainsi, non seulement l'Ukraine (souveraine) et la Russie (occupante) sont évidemment censées faciliter l'autodétermination des peuples de Zaporogié et Kherson, mais également les autres pays, qu'ils soient signataires de ces traités comme la France ou la Pologne par exemple, ou non signataires comme Donetsk (voisine de Zaporogié). Et, contrairement à une erreur assez répandue, l'autodétermination d'un peuple ne porte pas atteinte à l'intégrité d'un État déjà existant, celle-ci n'interdisant, dans les textes internationaux, que l'usage de la force par d'autres États. L'Acte final d'Helsinki montre qu'il n'y a pas d'incompatibilité entre le principe de l'intégrité territoriale et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, puisque ses signataires se sont engagés à respecter simultanément les deux. Et la Cour Internationale de Justice, dans son avis consultatif 2010/25 du 22 juillet 2010, a expressément rappelé que "la portée du principe de l’intégrité territoriale est donc limitée à la sphère des relations interétatiques".

 

On sait peu de choses, à l'étranger, sur les modalités pratiques des consultations des électorats cosaques dans les prochains jours, mais on peut en deviner certains critères de décision. En effet la Commission Européenne pour la Démocratie par le Droit, dite Commission de Venise (du Conseil de l'Europe), a précisé certaines normes il y a cinq ans, à la demande du gouvernement catalan. Celui-ci s'interrogeant notamment sur un seuil de participation pour la validité du scrutin, la Commission de Venise a répondu qu'une telle innovation n'était pas nécessaire. Dans la mesure où tout votant peut librement exprimer son choix, ou décider de s'en abstenir voire d'aller à la pêche ce jour-là, le referendum est démocratiquement valide de par sa tenue et la possibilité d'y participer, indépendamment du nombre ou du pourcentage de choix finalement exprimés. Le gouvernement catalan s'interrogeant aussi sur le taux de réponses positives, ou la marge d'écart entre le nombre de réponses positives et négatives sur une question aussi importante que la souveraineté, il lui a été répondu qu'aucune norme n'existe en la matière. Il s'agissait certes d'un gouvernement constitué par un parlement expressément élu pour la conduite à l'indépendance sous dix-huit mois, mais même si cela n'avait pas été le cas il suffisait que le oui l'emporte d'une voix sur le non pour que la décision ait été démocratiquement exprimée en pleine connaissance des règles du jeu (majorité simple en l'occurrence) et des conséquences.

 

En comparaison, les États-Unis qui ont poussé la minorité albanaise de Serbie à prononcer en 2008 la sécession de la province de Kossovo et Métochie (après avoir tenté pendant neuf ans de la faire prononcer par l'ONU) n'ont posé de question juridique ou politologique à personne, et n'ont même pas suggéré de simulacre de referendum. Les États-Unis connaissent pourtant l'existence de la pratique référendaire, puisqu'en 2014 ils ont poussé le monde entier à nier d'avance toute légitimité et toute conséquence au referendum d'autodétermination de la Crimée, après que celle-ci ait constaté son indépendance du fait de l'abrogation de la constitution de 1996 par laquelle elle avait adhéré à l'Ukraine (et renoncé à sa propre constitution de 1992). Ils allèrent alors jusqu'à rédiger des projets de résolutions pour l'Assemblée Générale et le Conseil et Sécurité de l'ONU interdisant d'avance toute reconnaissance du résultat du referendum, activisme qui ferait comparativement bien remarquer leur silence approbatif à l'occasion du referendum catalan trois ans plus tard.

 

La France a fait partie des tous premiers pays à protester à l'annonce des referenda d'autodétermination en ex-Ukraine, comme lors de celui de la Crimée en mars 2014, dans une posture d'ailleurs relativement osée trois ans à peine après l'annexion de Mayotte le 31 mars 2011. Car contrairement au referendum criméen organisé par le gouvernement local déjà de facto indépendant de l'Ukraine, le referendum mahorais de 2009 fut organisé par la métropole française, au mépris d'ailleurs des résolutions 3291, 3385 et 31/4 de l'Assemblée Générale de l'ONU affirmant l'unité des Comores et interdisant expressément à la France d'organiser un referendum à Mayotte.

 

L'Allemagne a aussi fait partie des tous premiers pays à entendre interdire d'avance l'exercice de l'autodétermination des peuples de Novorussie, posture elle aussi particulièrement osée guère plus de trente ans après l'annexion sans consultation des cinq États allemands orientaux. Pour mémoire, le parlement est-allemand, élu en mars 1990 sans mandat d'abandon de souveraineté, a décidé le 22 août la reconstitution des provinces de Brandebourg, Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, Saxe, Saxe-Anhalt et Thuringe, puis quelques heures plus tard (nuitamment) l'adhésion unilatérale de ces nouvelles provinces à la République Fédérale d'Allemagne à compter du 3 octobre. Un traité de réunification rapidement rédigé a été signé par les gouvernements de RFA et de RDA le 31 août et ratifié par le parlement national de RDA le 20 septembre, aucun gouvernement ou parlement n'ayant, sauf erreur, été constitué dans les cinq provinces reconstituées un mois plus tôt. Le 2 octobre à minuit la République Démocratique Allemande s'est dissoute (sur décision du parlement national) dans le but précis et hypocrite de rendre leur souveraineté aux provinces, devenues alors États, la RFA ne voulant pas annexer la RDA en bloc mais seulement morcellée. Le 3 octobre 1990 à 00h les nouveaux États souverains de Brandebourg, Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, Saxe, Saxe-Anhalt et Thuringe ont été annexés à la RFA sans que leurs populations respectives n'aient été consultées, et le 14 octobre elles n'ont été appelées qu'à élire des assemblées régionales (non souveraines). À ce jour, les peuples de Brandebourg, Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, Saxe, Saxe-Anhalt et Thuringe, livrés par le dernier régime de la RDA à l'annexion par la RFA, n'ont pas encore été invités à disposer d'eux-mêmes par referendum. Le contraste avec ce qui se passe de l'autre côté du rideau de presse est net.

 

Le gouvernement russe a déclaré qu'il respectera l'issue des referenda, ce qui ne signifie pas nécessairement qu'il entende honorer ensuite la demande d'adhésion à la Fédération. Si tel est le cas, les implications pour les régions et les populations concernées sont d'ordre historique, évidemment immenses pour elles, ce qui n'interdit pas de s'interroger parallèlement sur les conséquences stratégiques immédiates en-dehors de ces régions.

 

www.stratediplo.blogspot.com

Rappel opportun d'inimitié - Le 08/05/2022.

"Buvons un coup, buvons-en deux, à la santé des amoureux…" dit une vieille chanson.

 

Le plus vieux voisin étatique de la France, et son plus vieil ennemi, se rappelle opportunément à son bon souvenir.

 

Le 4 mai 2022, à l'occasion du quarantième anniversaire de la perte du Sheffield, la commission de défense du parlement britannique a demandé l'ouverture d'une enquête judiciaire, et donc ensuite d'un procès, contre le gouvernement français. Le parlement britannique accuse la France, et entend l'en condamner, d'avoir caché à l'Angleterre l'existence d'un système secret de désarmement à distance des missiles Exocet. Un tel système, que le pays réputé pour sa perfidie installe secrètement sur les armes qu'il exporte, lui permet ensuite de désarmer à volonté ses clients, si les armes qu'il lui a vendues sont utilisées contre une cible qu'il désapprouve. La révélation de son hypothétique existence sur les armes françaises serait certes une belle victoire de la part d'un fournisseur d'armement concurrent, mais même la création d'un doute à ce sujet, et sa diffusion auprès des clients potentiels de l'industrie d'armement français, est déjà un coup grave que le gouvernement français ne devrait pas laisser sans réponse.

 

Evidemment, si les ingénieurs anglais avaient découvert quelque chose au cours de leurs quarante ans de dissection fébrile dudit missile très largement vendu y compris à des alliés proches de l'Angleterre, les parlementaires d'outre-Manche n'auraient pas besoin d'une nouvelle enquête. Quant aux clients de la France, ils ont certainement été rassurés en 1986, lorsque deux avions français ont affronté, au-dessus de la Méditerranée, deux avions libyens du même modèle. Il s'écoulerait encore trente ans avant que le gouvernement français refuse subitement, sur pressions inamicales et juridiquement infondées, de livrer le Sébastopol et le Vladivostok vendus, construits et encaissés. Nonobstant, le lancement d'une controverse politique aujourd'hui ne cherche pas à obtenir des aveux mensongers mais à mettre le gouvernement français en difficulté. Les accusations anglaises (voire, par imitation, étatsuniennes) de déloyauté voire de trahison française envers une proclamée dûe solidarité atlantiste apparaissent régulièrement, y compris préventivement, chaque fois qu'un gouvernement anglais (ou, désormais, allié) veut pousser le gouvernement français à donner des gages et soutenir une initiative stratégique illicite, comme en 1995, 1998, 2003 ou 2015.

 

En 1982 tout aurait dû pousser la France à s'opposer à l'action dans l'Atlantique sud de son allié de l'Atlantique nord, même si elle n'était pas signataire, au contraire des Etats-Unis, du Traité Interaméricain d'Assistance Réciproque. Car non seulement il s'agissait de pérenniser une violation flagrante du droit international, mais de plus envers un pays qui tenait ses droits de la France. L'Angleterre a forgé son prétexte en Géorgie du Sud en signifiant l'injonction au ferrailleur privé Davidoff, titulaire d'une concession britannique en bonne et dûe forme, d'y abandonner ses employés (accusés d'avoir hissé un drapeau argentin le 19 avril), et en signifiant l'interdiction à l'Argentine de secourir ses ressortissants ainsi abandonnés. Puis elle a formellement déclaré la guerre à l'Argentine les 20, 23 et 26 mars et proclamé une "zone d'interdiction maritime" sur le plateau continental argentin, conduisant l'Argentine à reprendre le 2 avril les îles Malouines sans oublier bien sûr de secourir ses ressortissants sur les îles Géorgie du Sud, actions annoncées le 1er avril au Conseil de Sécurité de l'ONU en vertu de la légitime défense selon l'article 51 de la Charte des Nations Unies.

 

L'accusation britannique contre la France aujourd'hui omet que celle-ci s'était alors (à tort) explicitement rangée du côté anglais, en prenant des mesures coercitives contre l'Argentine et en votant le 3 avril la résolution 502 du Conseil de Sécurité accusant l'Argentine d'agression. Le gouvernement français est même allé bien plus loin, en offrant le lendemain à la marine anglaise en partance la possibilité de s'entraîner à contrer des attaques de Super Etendard et de Mirage III (identiques à ceux vendus à l'Argentine), simulées par l'armée de l'air française. Et il a même trahi son client et allié argentin, d'abord en révélant à l'Angleterre les quantités de missiles livrés, puis en retirant à l'Argentine le service après-vente acheté avec les missiles, ne maintenant que le service des avions tout juste arrivés. Il est vrai que, d'après une révélation ultérieure du président Mitterrand, la première ministre anglaise l'avait menacé d'utiliser des armes nucléaires (tactiques suppose-t-on) contre l'Argentine en cas de neutralité de la France.

 

Le rangement de la France aux côtés du Royaume-Uni était pourtant une grande faute juridique et historique. Au-delà des nombreuses revendications de découverte non prouvées ni suivies de peuplement, le premier texte interétatique traitant de la souveraineté sur les îles Malouines étant le traité de cession de la France à l'Espagne de 1761, contesté ni à l'époque ni depuis lors, il emporte antériorité. En 1816, les pays qui ont reconnu l'indépendance des Provinces-Unies (proclamée en 1810) leur ont reconnu les limites territoriales de l'ancienne vice-royauté espagnole du Río de la Plata. Ce fut en particulier le cas du Royaume-Uni, qui non seulement reconnut le nouvel Etat dans ces limites territoriales, incluant donc les archipels de l'Atlantique Sud et plus particulièrement les Malouines objet du traité franco-espagnol de 1761, mais joua même de sa puissance pour obliger l'Espagne à faire de même. L'Angleterre prit possession de fait des Malouines en janvier 1833, profitant de la déportation de la population un mois plus tôt par la marine étatsunienne (en réaction à l'arraisonnement par le gouverneur local Louis Vernet d'un bateau boucanier étatsunien coupable de pillage), et elle proclama alors sa souveraineté sur la base de la première occupation d'une "terre non habitée", un mensonge grotesque proféré dans le port d'un village où il restait certainement des animaux domestiques dans les enclos et des casseroles pleines sur les cuisinières.

 

Plus récemment, la France, pourtant donc à l'origine de la souveraineté argentine sur l'archipel des Malouines (certes pas pour les Géorgie et Sandwich du Sud), a encore renié l'histoire et le droit en acceptant l'incorporation des îles à l'Union Européenne (traité constitutionnel) en tant que territoire d'outre-mer britannique. Puis elle a autorisé un simulacre de légitimation démocratique de l'annexion anglaise, par le referendum de mars 2013, en contradiction du droit international qui refuse l'autodétermination aux populations installées après déportation ou extemination d'une population antérieure. Cette acceptation par le gouvernement français d'une insulte grossière au droit international contraste singulièrement avec son refus par avance de reconnaître le résultat du vrai referendum d'autodétermination de la Crimée (conforme au droit international et même à la jurisprudence de la Cour Internationale de Justice), exactement un an plus tard. Il est donc particulièrement vicieux d'accuser la France de n'avoir pas soutenu la Grande-Bretagne en 1982, alors qu'au contraire elle a lourdement, constamment et injustement soutenu l'occupation illicite des Malouines.

 

Au moment où la France s'apprête à passer à la phase militaire d'une guerre qu'elle a déclarée il y a huit ans à son plus vieil allié, le rappel de son plus vieil ennemi tombe à pic pour rafraîchir sa mémoire historique du dernier millénaire. Depuis le 19 mai 1051, date de l'alliance scellée par l'union d'Henri 1er (petit-fils d'Hugues Capet) et Anne Yaroslavna (petite-fille de Saint Vladimir), la France et la Russie ont été très rarement en guerre, et assez brièvement. Depuis le 14 octobre 1066, date de la défaite des Saxons des Angles par le duc Guillaume de Normandie, la France et l'Angleterre n'ont jamais été en paix, sauf à nommer ainsi les périodes de guerre froide plus courtes que les deux guerres de Cent Ans.

 

L'Angleterre trouve opportun de faire le procès de la position de la France pendant la guerre de l'Atlantique Sud (dite "des Malouines" par ceux qui veulent occulter qu'elle fut déclarée en mars en Géorgie du Sud), quarante ans plus tard. Or en 1982, cela faisait aussi guère plus de quarante ans que la France avait été perfidement attaquée par l'Angleterre officiellement alliée. Pour mémoire, le 2 juillet 1940 l'Angleterre a arraisonné et capturé les navires français présents dans ses ports, hors d'atteinte de la flotte allemande. Le lendemain à Mers el-Kébir, le vice-amiral Gensoul a fait dire au premier ministre Churchill qu'une attaque anglaise contre l'escadre française serait considérée comme une déclaration de guerre. Albion a pourtant coulé la flotte française (que l'armistice franco-allemand entendait désarmer dans ses ports d'attache), et lorsque le gouvernement anglais l'annonça à son parlement il fut acclamé par les députés, ce qui provoqua une vague d'amertume en France. La guerre avec l'Allemagne, déclarée par la France le 3 septembre 1939, a été close par la signature du traité de paix du 12 septembre 1990. La guerre avec l'Angleterre, déclarée par celle-ci le 3 juillet 1940, est sauf erreur toujours ouverte.

 

Comme dit la vieille chanson, "…et merde pour le roi d'Angleterre, qui nous a déclaré la guerre !"

 

www.stratediplo.blogspot.com

La République en marche à la guerre

Le gouvernement mène la France à la guerre totale contre la Russie, et rien ne semble plus pouvoir arrêter cette marche martiale. Ou plus exactement, il n'est pas prévu d'arrêter cette marche.

 

Les deux officiers supérieurs français tombés le 31 mars, à Marioupol, aux côtés du commandant en chef des forces terrestres de l'OTAN (le général étatsunien Roger Cloutier), en compagnie sauf erreur d'un officier supérieur de l'armée régulière ukrainienne et de deux "commandants" de la sinistre milice paramilitaire Azov, ne seront pas les dernières pertes françaises. Plus généralement d'ailleurs, l'appel insistant du président Macron au président Poutine le 29 mars pour une autorisation d'exfiltration par voie maritime, puis le limogeage express (pour "mauvais renseignement") du général Eric Vidaud le lendemain, laisse supposer qu'il y avait là une autorité militaire ou plus vraisemblablement politique française plus importante aux yeux du président antimilitariste, ou plus compromettante en cas de capture, que deux lieutenants-colonels consommables, ou que les "cinquante officiers français" encore présents dans l'usine Azovstal d'après la presse étrangère. C'est aussi ce qu'on peut déduire de l'obstination du commandement ukrainien à continuer d'envoyer des hélicoptères jusqu'au 5 avril en dépit de la perte d'un dixième de son parc résiduel dans ces vaines tentatives d'extraction de Marioupol, ainsi que de l'ordre formel au dernier carré de la milice Azov de mourir plutôt que se rendre, même trois semaines après l'identification du corps du "LandCom" de l'OTAN : il reste là une haute personnalité qui ne doit pas être prise vivante.

 

La France a déjà au moins tiré un trait (si elle n'a tiré que ça) sur le cinquième de son corpuscule de bataille résiduel, ou sur le volume d'une brigade et demi sur les sept qui ont survécu aux combats budgétaires asymétriques de haute intensité que l'armée française perd systématiquement contre l'euro depuis trois décennies, en l'occurrence sa contribution à la Force de Réponse de l'OTAN dont elle assume d'ailleurs le commandement en 2022, à quoi il faut ajouter les formations déployées notamment en Roumanie et en Estonie, plus quelques menus détachements qui ne devraient rien représenter à l'échelle des forces d'une ancienne grande puissance. Certes, la doctrine offensive de corps expéditionnaire sur des théâtres extérieurs lointains, qui régit la pensée stratégique gouvernementale depuis la fin de la menace en Europe, permet de sacrifier ce que l'on y envoie puisqu'on n'envisage pas la nécessité d'une défense du territoire national, mais il est dangereux de penser qu'aucune menace ne profitera en France ou en Méditerranée de l'écrasement de l'armée française jetée sous les missiles Calibre et Kinjal.

 

Certaines menaces sur le territoire national ont notamment été étudiées dans le Septième Scénario (https://www.amazon.fr/septième-scénario-Stratediplo/dp/2981537407), où l'on mentionnait aussi d'ailleurs que le Livre Blanc sur la Défense de 1994 prévoyait un modèle d'armée réduite complété par un concept de "changement de format", face à l'éventualité de la résurgence à plus de vingt ans (soit après 2014) d’une menace majeure contre l'Europe occidentale de la part d’une puissance dotée d’importantes forces nucléaires et conventionnelles conduisant la France à exercer une manœuvre dissuasive avec des moyens significatifs, aux côtés de ses alliés. L'apparition de cette menace-là devait prendre suffisamment de temps pour permettre à la France de "changer le format" de son outil de défense. Or, d'une part, le modèle d'armée réduite annoncé par le Livre Blanc (et déclaré insuffisant face à une menace majeure) n'est plus qu'un lointain souvenir divisé par deux depuis lors. Et, d'autre part et surtout, la désignation en 2014 d'une menace majeure contre l'Europe occidentale, puis les multiples déclarations de guerre à la Russie, n'ont pas donné lieu au fameux "changement de format". Il a pourtant déjà passé huit ans depuis lors, soit un délai douze fois supérieur à la durée de la précédente "drôle de guerre" entre la déclaration de guerre de la France à l'Allemagne en 1939 et l'attaque par celle-ci en 1940. Le gouvernement français a largement démontré depuis 2014 l'irréversibilité de ses intentions belliqueuses contre la Russie mais, au lieu de "changer le format" des forces françaises, il a continué de les réduire (d'au moins une brigade), de la même manière qu'après avoir annoncé le 25 février 2020 qu'il préférait guérir plutôt que prévenir ("il est inutile d’essayer d’empêcher la contamination, on va plutôt […] soigner") il a prohibé les traitements contre le coronavirus de Wuhan et des Contamines, interdit à la médecine de ville de soigner, puis supprimé des milliers de lits de soins intensifs.

 

Au-delà du déploiement d'unités aux avant-postes contre la Russie à quelques centaines de kilomètres de Saint-Pétersbourg et Sébastopol, et de la prise en charge de la composante terrestre de la Force de Réponse de l'OTAN, l'armée française participe à la formation de l'armée ukrainienne en guerre, et elle lui envoie des armements lourds pris sur ses propres dotations, comme par exemple la douzaine de canons automoteurs CAESAR annoncés par le président Macron le 22 avril (surenchère sur les obusiers étatsuniens), avec évidemment les dizaines de milliers d'obus correspondants (dont l'armée française était déjà sous-dotée) puisque les armées post-soviétiques n'utilisent pas le calibre 155 mm mais le 152. Il s'agit évidemment d'une surenchère après que l'Allemagne ait déclaré avoir envoyé tout ce qu'elle pouvait prélever sur son armée (déjà notoirement affaiblie par son ancien ministre de la défense Ursula von der Leyen), munitions y compris, et devoir maintenant solliciter directement son industrie d'armement.

 

Mais il s'agit aussi évidemment d'une violation au code de conduite des pays exportateurs d'armements, puisque le gouvernement français sait que même en cas de réception de ces pièces dans l'est du pays, l'armée ukrainienne les tournerait vers les populations du sud-est, comme le reste de ses forces encerclées qui, depuis deux mois, n'ont pas retourné leurs feux vers les troupes russes en approche (pleins feux depuis peu) par le nord et le sud-ouest. La vigueur de la propagande atlanto-uniopéenne à l'ouest du rideau de presse aveugle certes les peuples, autant qu'elle désespère les états-majors sommés de préparer la contre-offensive, mais le gouvernement français sait parfaitement que le missile SS-21 ou Totchka-U (ogive à 20 sous-munitions projetant chacune 800 fragments) tombé sur la gare de Kramatorsk le 8 avril après l'annonce de trains gratuits d'évacuation, au numéro de série SH91579 inscrit à l'inventaire ukrainien et tiré de la localité de Dobropolié sous contrôle ukrainien, n'a pas été tiré par l'armée russe qui a détruit ses derniers exemplaires après l'équipement de la 448° Brigade d'Artillerie (dernière unité de SS-21) en Iskander, en 2019. En ce sens le gouvernement français, le parlement silencieux, et le cas échéant l'électorat d'aquiescement (car aujourd'hui ignorer la vérité ne peut être qu'intentionnel), sont complices de la commission de crimes de guerre contre la population civile ukrainienne, ces crimes largement répertoriés que, précisément, le gouvernement russe entend faire arrêter, puis dissuader pour l'avenir en passant publiquement en jugement sinon chaque perpétrateur du moins quelques donneurs d'ordres significatifs, comme les commandants mais aussi les conseillers étrangers de la milice Azov (d'où leur interdiction d'être capturés vivants).

 

Néanmoins l'envoi d'armes lourdes de dernière génération impliquant plusieurs semaines de formation comprenant aussi vraisemblablement le système ATLAS d'automatisation des tirs et liaisons (ou l'envoi discret d'opérateurs français) ne signifie pas nécessairement qu'on espère qu'elles seront livrées, déployées et utilisées dans une nasse dont l'ouverture est battue par les feux russes. Sachant qu'elles ne peuvent pas changer l'issue inéluctable de la confrontation dans l'est de l'Ukraine, qui ne peut pratiquement plus être renversée que par une frappe massive (à la percée non garantie) par des centaines de missiles de croisière à charge classique ou une dizaine à charge nucléaire, ces armes françaises sont peut-être intentionnellement vouées au même destin que le système antiaérien S-300 envoyé par la Slovaquie et détruit dès son arrivée à Dniepropetrovsk. Leur utilité est peut-être plus politique que tactique ou anti-cités, à savoir d'une part montrer l'engagement résolu du gouvernement français avec des armes lourdes prélevées sur l'armée française, et d'autre part créer un prétexte pour un degré d'escalade supplémentaire, au minimum l'envoi de forces d'acheminement et de protection des livraisons, et éventuellement même des représailles après l'élimination des livraisons ou de leurs détachements d'accompagnement.

 

Pendant ce temps la Pologne parachève la montée en puissance de son armée, entre autres la 18° Division de Fusiliers Motorisés et la 6° Brigade Aéroportée sont déjà sur le pied de guerre ayant terminé le rappel de leurs effectifs, la perception de leurs dotations du temps de guerre et la définition de leurs objectifs tactiques initiaux possibles, n'attendant plus que l'ordre de traverser la frontière ukrainienne… ou biélorusse. Car l'interdiction faite au président Zelenski de signer un armistice réduit certes la probabilité d'un appel au déploiement d'une mission de pacification polonaise mais la Pologne n'attendra pas forcément une invitation russo-ukrainienne ou une permission de l'OTAN, et par ailleurs elle répète annuellement depuis sept ans la prise de Kaliningrad, avec la Lituanie et les autres pays de l'Alliance dont la France qui semble insister à y participer par son détachement symbolique en Estonie, à moins que celui-ci vise réellement Saint-Pétersbourg.

 

De toute façon, en commandant une force de l'OTAN qui a déclaré son objectif de livrer la province russe de Crimée à l'Ukraine, tout comme en soutenant les décisions de l'Union Européenne de participer à la guerre côté ukrainien ("on gagnera cette guerre sur le champ de bataille" d'après Josep Borell le 9 avril), ou en installant un drapeau ukrainien derrière le président lors de ses déclarations officielles, le gouvernement français renouvelle régulièrement son intention d'en découdre avec la Russie. Tout cela ne serait d'ailleurs que de simples casus belli relevant de la guerre conventionnelle menée selon les règles des pays civilisés (hormis le soutien à la milice Azov), s'il n'y avait pas pire.

 

Le gouvernement français a lancé une grande campagne d'incitation officielle à la haine. Au-delà de la saisie initiale de vingt-deux milliards d'euros appartenant à la Banque Centrale de Russie, il a illégalement et anticonstitutionnellement fait exproprier et confisquer sans jugement (nationaliser ou voler) les biens privés de personnes physiques et d'entreprises russes, fait licencier sans préavis voire expulser de nombreux Russes au seul motif de leur nationalité, participé à la campagne occidentale d'expulsion extrajudiciaire des Russes des compétitions sportives internationales, employé le budget de l'Etat (impôts et emprunts des citoyens) à faire haïr la Russie et les Russes dans le monde entier et à tenter de faire exclure la Russie de la communauté internationale, afin de faciliter son agression. La consternation et le dégoût profond ressentis et parfois exprimés par les Russes sont à la hauteur de leur ancienne francophilie déçue, et il faudrait désormais une véritable campagne de séduction et réconciliation pour les convaincre que les Français ont été trompés et manipulés par le gouvernement qu'ils se sont donné.

 

Le gouvernement français, comme ses alliés, a institutionnalisé la diffamation et la calomnie diffusée à grande échelle sur instructions et financements publics, après avoir participé à l'interdiction des médias russes susceptibles d'apporter des corrections d'information. C'est ainsi que le public français (comme toutes les populations à l'ouest du rideau de presse) ignore qu'après le retrait ordonné de l'armée russe de Boutcha le 30 mars le maire Anatoli Fedorouk s'est réjoui le lendemain 31 car "nous sommes tous sains et saufs" (https://www.youtube.com/watch?v=nellEd8umKU), que l'armée ukrainienne a encore bombardé la ville pendant deux jours avant de savoir que l'armée russe s'en était retirée, que la police nationale entrée le 2 avril a diffusé une vidéo des rues désertes (avec un seul corps dans un véhicule touché par les bombardements) et a annoncé sur sa page Facebook le lancement d'une opération de nettoyage "des saboteurs et des complices de l'armée russe", que cette épuration a été menée par l'unité paramilitaire de Sergueï Arkadievitch Korotkikh (ancien de l'association national-socialiste russe, emprisonné en Russie puis expulsé de Biélorussie avant d'entrer à la sinistre milice Azov ukrainienne), que celui-ci s'est enregistré répondant par l'affirmative à l'un de ses subordonnés qui lui demandait, en entrant dans Boutcha, si on pouvait abattre les civils ne portant pas de brassard bleu (signe de loyauté à l'Ukraine), que la quasi-totalité des exécutés portaient un brassard blanc de neutralité envers l'armée russe (qui avait occupé Boutcha correctement pendant un mois et fourni de l'aide humanitaire), que les habitants ont été enfermés chez eux par un cessez-le-feu décrété le 2 au soir et ont découvert le 3 au matin la douzaine de corps disposés dans la rue à intervalles réguliers. Le public français a entendu des chefs d'Etat accuser la Russie de crime de guerre, voire s'engager (comme le président Biden) à faire juger le président Poutine pour cela (donc à le capturer) mais n'a pas su que le Royaume-Uni, président du Conseil de Sécurité de l'ONU, a interdit une réunion d'urgence du Conseil (dont certains membres sont neutres) pour étudier les éléments, ou qu'aucun des accusateurs grandiloquents n'a appelé d'enquête médico-légale. Le public français a d'ailleurs oublié que sa presse ne lui a pas encore rapporté les gênantes mais fermes conclusions de la commission d'enquête internationale sur le massacre de Račak du 15 janvier 1999 prétexte à l'attaque de l'Alliance Atlantique (France comprise) contre la Serbie, et ne lui a pas rapporté non plus la réunion et la conférence de presse du 26 avril 2018 au siège de l'Organisation pour l'Interdiction des Armes Chimiques ayant incontestablement démonté la mise en scène mensongère d'une fausse attaque chimique près de l'hôpital de Douma le 7 avril 2018 prétexte au bombardement de la Syrie le 14 avril.

 

Au-delà de la campagne de bannissement multilatéral de la Russie, menée tambour battant de l'Assemblée Générale de l'ONU au G20 en passant par le Conseil de l'Europe (que la Russie a fini par quitter après avoir différé cette extrémité depuis 2015), c'est un véritable climat de guerre mondiale que la France a contribué à créer. Le gouvernement français a annoncé une "guerre économique totale", concept inconnu des relations internationales où il n'y a que la paix et la guerre (comme le droit distingue le temps de paix et le temps de guerre), le blocus d'un Etat par tous les moyens modernes de la finance, de la télématique et des fermetures d'espaces aériens et maritimes n'étant pas plus pacifique que l'antique siège militaire d'une cité, le vol électronique de la moitié des réserves de change d'un pays n'étant pas plus pacifique que le pillage physique des coffres de sa banque centrale, et la division par deux du pouvoir d'achat d'une monnaie par la spéculation n'étant pas plus pacifique que l'interception militaire ou corsaire de la moitié des convois d'approvisionnement alimentaire de sa population. Ce que le gouvernement français a annoncé le 1er mars avec pour objectif avoué "l'effondrement de l'économie russe" n'était pas un conflit économique, mais bien les modalités économiques d'une guerre totale. Il s'agit de mesures irréversibles dans leurs effets comme dans leurs conséquences, et aucun recul n'est envisagé.

 

On a montré dans le Onzième Coup en quoi les prétendues "sanctions" (un terme absent de la Charte de l'ONU), tout en revendiquant un caractère punitif contraire au droit international non seulement conventionnel (onusien) mais également coutumier (multiséculaire), ne sont ni des contre-mesures licites ou pas prises par un Etat spolié pour faire cesser un tort, ni même des mesures illégitimes de coercition visant à forcer la cible à prendre une certaine décision, mais manifestement des mesures prémilitaires visant à affaiblir l'ennemi avant de l'attaquer. C'est pour cela que les gouvernements en acceptent le coût (élevé et imposé à leurs populations), de la même manière qu'un gouvernement responsable accepte d'engager les dépenses nécessaires à sa politique militaire. Concrètement, tandis que les Etats-Unis ont déjà augmenté de moitié leurs importations de pétrole russe (qu'ils entendent interdire à leur "alliés" européens) comme ils avaient déjà en 2014 profité de la baisse du commerce russo-uniopéen, la Commission Européenne s'apprête à interdire coûte que coûte l'importation de charbon et de pétrole russe (la Russie était son fournisseur principal), ce qu'elle avait différé pour "ne pas influencer" l'élection présidentielle française, ainsi que vraisemblablement l'importation de gaz du moins si l'Allemagne consent elle aussi au sacrifice volontaire de son économie. C'est d'ailleurs en vue de la récession importante qu'elle prépare, ainsi que de la pénurie alimentaire, que la Commission Européenne a fait lancer une grande campagne de consignes d'austérité, d'économie énergétique et d'accumulation de provisions auprès des populations des pays membres, peu répercutée en France en période électorale.

 

De la même manière la Commission Européenne a recommandé il y a quelques semaines aux gouvernements des pays membres (on l'a peu communiqué en France) de constituer des stocks nationaux de cachets d'iodure de potassium, et d'imprimer des notices d'utilisation, en préparation des événements nucléaires prochains. De leur côté les Etats-Unis ont envoyé en Ukraine des équipements de détection, protection et décontamination nucléaire, biologique et chimique (NBC). Bien que leur activité clandestine principale en Ukraine (et dans d'autres pays européens) ces dernières décennies ait touché la recherche en matière d'armes biologiques à discriminants génétiques slaves, la campagne de frappes qu'ils annoncent depuis 2005 pour affirmer leur singularité et leur supériorité est de nature nucléaire. Ils ont d'ailleurs annoncé plusieurs fois qu'en cas d'utilisation d'armes non conventionnelles par la Russie en Ukraine ils entreraient dans la guerre au moyen d'armes non conventionnelles, pas nécessairement de la même nature que celles utilisées par la Russie. Pour mémoire la Russie n'a plus d'armes chimiques depuis 2017 (contrairement aux Etats-Unis, seul pays membre de la convention d'interdiction à en posséder), n'a pas d'armes biologiques (contrairement aux Etats-Unis qui en ont même utilisé), et démontre depuis deux mois qu'elle a désormais des armes conventionnelles cinétiques bien plus efficaces que le nucléaire tactique (seuls les Etats-Unis ont utilisé des armes nucléaires).

 

Les premières opérations politico-médiatiques d'imputation à la Russie de crimes de guerre commis par l'Ukraine contre sa propre population s'étant soldées par des succès, et les opinions publiques (qui importent peu) et les états-majors militaires (nécessaires aux étapes prochaines) étant, pour les unes convaincues de la monstruosité de la Russie, et pour les autres convaincus du caractère inéluctable de la guerre, la mise en œuvre du gros prétexte suprême, sur le terrain ou dans la presse, peut avoir lieu. Ce 23 avril le gouvernement russe a fait état de sa préoccupation concernant des indices de préparation de plusieurs massacres de populations (et un de troupes) ukrainiennes par des moyens NBC, en au moins quatre lieux dont il a même cité les noms, y compris l'un où la presse atlantico-uniopéenne est déjà arrivée.

 

Les Européens acceptent la guerre puisqu'ils ne protestent pas, alors qu'ils savent manifester pour des motifs plus futiles. En l'absence d'opposition citoyenne ou parlementaire, les décisions gouvernementales sont donc souveraines et omnipotentes. Aussi peu d'événements auraient encore quelque chance (sans garantie) d'interrompre subitement la marche à la guerre, ou d'en sortir un pays. Certes un grand pays pourrait annoncer soudain le renversement de ses alliances, ou du moins s'opposer à l'Union Européenne et ses voisins (il serait alors suivi par de plus petits). Il pourrait quitter l'OTAN aussi rapidement que la Suède et la Finlande y entrent, sans nécessairement quitter simultanément l'Alliance Atlantique mais en lançant une réflexion sur l'opportunité, sinon de la neutralité, du moins de l'indépendance stratégique. En tout cas il pourrait dans un premier temps interrompre immédiatement ses préparatifs, retirer ses troupes du front et demander à être relevé de ses responsabilités organiques tournantes dans le dispositif militaire. Un tel événement géopolitique serait de nature à interrompre la trajectoire sur laquelle l'axe atlantico-uniopéen a lancé l'Europe et le monde.

 

Sinon la suite prochaine des événements, et on n'entend pas par là la guerre mondiale mais la frappe nucléaire en Europe, est celle que l'on a exposée et explicitée dans le Onzième Coup de Minuit de l'Avant-Guerre (https://www.lulu.com/fr/fr/shop/-stratediplo/le-onzième-coup/paperback/product-1qk6rjjj.html).

 

www.stratediplo.blogspot.com

D'une intervention à l'autre

Le 19/04/2022.

 

On vit une époque intéressante.

 

Avant-dernière nouvelle, la Turquie a lancé hier une opération militaire spéciale en Irak. Elle assure que cette invasion ne vise aucunement une occupation durable, mais seulement la neutralisation et le désarmement de ses ennemis (civils d'ailleurs), à moins que ce soit des ennemis des Turcomans locaux. Demain on apprendra sans aucun doute la saisie de tous les fonds souverains et des réserves de change turcs à l'étranger, l'interdiction de l'usage du système Swift par les banques turques, l'expulsion de dizaines de diplomates turcs, l'interdiction des médias d'information turcs, le blocus physique par interdiction des avions, navires et camions turcs dans le monde entier à commencer par les voisins de la Turquie, l'interdiction aux moyens de transport du reste du monde de desservir ce pays, le boycott de toutes les exportations turques sauf le pétrole volé en Syrie, l'expulsion des sportifs turcs de toutes les compétitions sportives dans le monde sauf quelques rares cas sous condition d'abandon de nationalité et de déclaration publique de défection, et la confiscation sans jugement des biens de tous les citoyens et entreprises turcs dans l'espace atlantico-uniopéen. Le président turc sera grossièrement insulté par des chefs d'Etat, l'armée turque sera massivement calomniée par les trois agences de presse monopolistiques et les anciens alliés de la Turquie enverront des milliards de dollars d'armement au gouvernement irakien, tout en déployant des troupes dans tous les pays voisins. Les banques étrangères dépositaires de fonds souverains turcs se verront interdire de procéder aux paiements des intérêts de la dette turque, en dépit des ordres de virement du gouvernement turc. La Turquie sera éjectée de l'OTAN, les Etats-Unis suborneront des gouvernements vénaux pour la faire exclure du G20, sa délégation au Conseil de l'Europe sera privée de l'exercice de ses droits, et le blocus aérien empêchera le ministre des affaires étrangères turc de se rendre aux sessions de l'ONU à New-York et à Genève. A Bruxelles on changera le nom des anciennes toilettes sans siège et du café bouilli avec le marc, en Bosnie on bannira l'empalement. L'ex-république yougoslave de Macédoine et nouvellement du Nord sera poussée à revendiquer la Thrace orientale, la Grèce et la Bulgarie obtiendront des Etats-Unis la promesse de la libération de Constantinople, l'Arménie accueillera les plus grandes manœuvres de débarquement défensif jamais vues dans un pays sans accès à la mer, l'Irak et l'Adjarie recevront l'assurance d'une adhésion accélérée à l'OTAN.

 

On vit une époque décidément intéressante.

 

Dernière nouvelle, les Etats-Unis d'Amérique envisagent d'envoyer et déployer leurs forces armées dans l'autoproclamée république séparatiste non reconnue de Taïwan (Formose) en sécession armée, et la Chine envisage de saisir l'ONU d'une menace grave à la paix et de l'imminence d'une invasion d'une partie de son territoire (Bruxelles renommera-t-elle le quart d'heure d'inversion des rôles ?)…

 

On vit vraiment une époque fort intéressante.

 

www.stratediplo.blogspot.com

De la victoire russe à la frappe étatsunienne

Le 01/04/2022.

 

Afin d'explorer les suites possibles à la campagne d'Ukraine, Piero San Giorgio, l'auteur de Survivre à l'Effondrement Economique, a interrogé le 28 mars Stratediplo, dont le Onzième Coup de Minuit de l'Avant-Guerre exposait les tenants et les aboutissants de la tentative de sauvetage du free lunch étatsunien au moyen d'une frappe nucléaire sur une ville russe d'Europe. Cet entretien d'une heure quarante, introduit par la finalisation de la campagne d'Ukraine, se trouve sur https://www.youtube.com/watch?v=3VHIwBK7PJw.

 

Suwalki entre Borussie et Biélorussie

Le 21/03/2022.

Puisque l'on mentionnait récemment la trouée de Suwalki, il n'est pas inopportun d'en rappeler l'importance stratégique pour la Russie.

 

Le discours étatsunien tend à présenter cette région comme le "talon d'Achille" de l'Alliance Atlantique. Il peut être instructif à cet égard de lire la présentation qui en est faite sur Wikipédia, à laquelle on sait que la CIA a affecté plusieurs milliers de rédacteurs à temps complet, comme le savent tous ceux qui ont chronométré combien de temps une rectification du mythe de Srebrenica reste en ligne avant d'être "corrigée", ou tous ceux qui ont tapé les mots "CIA editing Wikipedia" sur le moteur de recherche non bridé Qwant (https://www.qwant.com/?q=CIA+editing+Wikipedia). On y lit que cette zone est la "seule à relier" deux membres de l'OTAN (qui a d'autres membres non contigüs voire insulaires ou sur d'autres continents), mais on n'y lit pas qu'elle est aussi la seule à séparer deux portions du territoire national russe. On y lit aussi que la Russie "dispose de bases militaires à proximité", comme si la présence de forces russes en Russie (Kaliningrad) ou dans un pays lié à elle par Union d'Etats (Biélorussie) était moins légitime que la présence en Pologne et en Lituanie de forces d'une quinzaine de pays de l'OTAN, dont certains non européens. On y lit également que la zone serait importante pour l'OTAN en cas de guerre éventuelle avec la Russie selon les hypothétiques intentions de celle-ci, sans qu'il soit mentionné qu'elle est vitale pour la Russie dès le temps de paix, et qu'autant l'OTAN que l'Union Européenne y montrent des intentions hostiles depuis des années.

 

En effet l'UE par exemple a interrompu unilatéralement les pourparlers sur l'exemption de visas pour les Russes obligés de passer par un territoire uniopéen pour aller de Russie en Russie, bien qu'en réciproque la Russie proposât l'exemption de visas pour tout Uniopéen allant en Russie. Plus grave, l'Union Européenne a inséré au traité sur son fonctionnement la possibilité d'une occupation temporaire (3° alinéa de l'article 355) qui ne peut concerner que Kaliningrad (le statut de Gibraltar ayant été traité séparément), et elle tolère les revendications émises par la Lituanie, comme elle a accepté la création d'un statut de non-citoyen pour les natifs dits russophones de Lituanie. Quant à l'OTAN, cela fait déjà sept ans qu'elle mène annuellement des manœuvres baptisées Saber Strike (coup de sabre) visant à couper le cordon ombilical en encerclant l'exclave de Kaliningrad, puis à la prendre. Et quant aux Etats-Unis, en 2015 ils ont gravement exposé à l'OTAN leur "préoccupation", puis longuement débattu dans leur presse militaire, au sujet de l'écartement particulier des voies ferrées dans les pays baltes, montrant par là qu'ils n'envisagent pas un desserrement puis déploiement tactique sur les routes ou dans les champs pour défendre ces pays, mais plutôt une traversée en train… dont la seule destination possible (voir la carte du réseau) est évidemment Saint-Pétersbourg, à 150 kilomètres de Narva.

 

La trouée de Suwalki est le seul endroit où on peut obliger la Russie à mener une opération hors de ses frontières, en assiégeant Kaliningrad qu'elle ne peut libérer qu'en faisant incursion en Lituanie. La préparation ostensible d'une agression ukrainienne contre Donetsk et Lougansk a poussé la Russie à intervenir pour les assister, mais la possibilité de la contraindre à défendre son territoire national (Kaliningrad) en passant par un pays membre de l'UE et de l'OTAN (Lituanie) est toujours là, tout comme la possibilité d'y justifier une frappe nucléaire, comme on l'a montré plus longuement dans le Onzième Coup de Minuit de l'Avant-Guerre.

 

Or c'est dans cette partie du nord de l'Europe que l'OTAN concentre toujours plus de forces, en ce moment même. Et ce 21 mars, la Commission Européenne appelle les Etats membres à s'équiper rapidement en pilules d'iodure de potassium et médicaments similaires, ainsi qu'en tenues de protection nucléaire.

La Pologne revendique Kaliningrad

Source : RzO Voltaire. Le 26/03/2022.

 

L'enclave de Kaliningrad (un tiers de l’ancienne Prusse orientale) est devenue soviétique à la fin de la Seconde Guerre mondiale à titre de réparation de guerre, puis russe par la suite.

Le reste de la Prusse orientale est devenu polonais.

Le général Waldemar Skrzypczak, ancien commandant des forces terrestres polonaises, vient de réclamer le rattachement de Kaliningrad à la Pologne.

 

Cependant Kaliningrad (ex-Königsberg) n’a jamais été Polonaise, mais Allemande.

 

Si le monde doit être coupé en deux, la Pologne ne pense pas possible que l’enclave de Kaliningrad puisse rester russe.

 

La Russie ne devrait plus être autorisée à survoler la Pologne, ni à traverser la mer Baltique.

 

Uncle SAM pourrait ici, trouver un "excellent" prétexte pour "tirer nucléaire" sur la Russie...si jamais, les attaques chimiques sous faux drapeaux d'Ukraine ne fonctionnaient pas !

JMR

 

 

Campagne d'Ukraine – Lancée dans l'urgence

Le 19/03/2022 - 04h02

La campagne d'Ukraine touchant à sa fin sur le terrain, on peut déjà faire le point de certaines questions d'ordre militaire ou stratégique avant d'entrevoir les suites possibles, dont certaines sont terrifiantes. On n'entend pas par là les suites en termes de conséquences, mais des événements et actions qui étaient déjà annoncées ou prévisibles et se voient désormais facilités, pas tant par l'issue de la campagne d'Ukraine (la victoire russe) que par le fait que cette question-là soit désormais réglée, ou en voie de l'être.

 

On reviendra plus tard sur la raison pour laquelle la Russie a tellement insisté en décembre dans ses tentatives d'ouvrir d'une part avec les États-Unis et d'autre part avec l'OTAN, dans deux processus parallèles, des négociations en vue de l'établissement de nouveaux traités de sécurité en Europe en remplacement de tous ceux unilatéralement dénoncés ou violés par les États-Unis. Si les réponses d'abord évasives de ces derniers, répétées par l'OTAN, ont donné lieu en janvier à une insistance accrue de la part de la Russie de recevoir des réponses fermes, c'est-à-dire par écrit, c'est qu'il y a un élément nouveau et terriblement menaçant, installé ou en cours d'installation par les États-Unis en Pologne et en Roumanie, dont la Russie connaît certainement l'état d'avancement, et voué à changer radicalement l'équilibre stratégique et les capacités réelles d'action imparable des États-Unis. Cependant, bien que certains experts stratégiques soulignent cette question, elle n'est liée ni à la situation dans le sud-est de l'Ukraine, ni aux événements entre la Russie et cette dernière depuis le 21 février.

 

En ce qui concerne les raisons du déclenchement de l'opération spéciale, il s'agissait bien de l'urgence. Les États-Unis faisaient certes monter la pression de manière à construire l'image d'un conflit et accoutumer les opinions, ou les gouvernements européens sans œil satellitaire dans la région. Mais la Russie semble avoir cru qu'on la désignait comme agresseur imminent afin d'une part de ne pas prendre en considération ses demandes insistantes concernant l'application par l'Ukraine des accords de Minsk, et d'autre part d'écarter ses demandes, depuis décembre, d'ouvrir un dialogue stratégique sur les garanties mutuelles de sécurité en Europe. C'est ainsi que, trompée peut-être aussi par les protestations de plus fréquentes et de plus en plus virulentes du président Vladimir Zelenski contre l'hystérie étatsunienne, la Russie ne semble pas avoir décelé en cette campagne intensifiée de communication la préparation d'une action militaire.

 

En témoignent notamment le fait que la Russie n'a pas pris de mesures conservatoires comme le rapatriement de ses réserves de change, dont la moitié se trouvaient en Europe occidentale et ont donc été saisies (volées). Elle tournait en dérision (comme l'Ukraine d'ailleurs) les successives annonces étatsuniennes, pendant plus d'un mois, selon lesquelles la Russie attaquerait après-demain, et n'a pas non plus réagi aux divers appels des États-Unis aux retraits des ressortissants occidentaux et à la fermeture des ambassades occidentales à Kiev (seule l'Ukraine a vainement protesté) ; de fait l'ambassade russe a été l'une des dernières ambassades européennes présentes à Kiev. Enfin, quand le 13 février le ciel ukrainien a été interdit à l'aviation civile étrangère par les compagnies d'assurance ou de réassurance sur intimation étatsunienne, forçant toutes les compagnies étrangères à déprogrammer leurs vols et même certaines à dérouter des avions déjà en vol vers des aéroports non ukrainiens pour réacheminer les passagers par autobus (singulier contraste avec la situation en vigueur en juillet 2014 dans le sud-est pourtant enflammé de l'Ukraine), la Russie n'a pas perçu de menace concrète puisqu'elle n'a pas pris de mesures d'alerte, aérienne par exemple. Les États-Unis ont "temporairement" transféré leur ambassade de Kiev à Lvov le lendemain 14, puis l'ont précipitamment extraite du pays le 15, sans que quiconque en devine la raison véritable, obligeant encore le gouvernement ukrainien à déclarer qu'il n'y avait aucun signe de préparation offensive russe pour le 16 ou le 17. La Russie n'a pas non plus préparé de forces, comme le montrerait par la suite une intervention avec à peine 50000 hommes contre 150000.

 

Pourtant Donetsk, qui avait noté les renforcements massifs et la concentration progressive de l'armée ukrainienne depuis la fin de l'année dernière, alertait de plus en plus la Russie sur les signes croissants de l'imminence d'une attaque. Le 8 février le président Denis Pouchiline a déclaré qu'en l'état de l'estimation des forces ukrainiennes juste au nord de Donetsk, il faudrait aux forces novorusses un renfort de plusieurs brigades (il chiffra à 30000 hommes) pour repousser une attaque. C'est alors qu'il a de nouveau demandé au parlement russe de reconnaître la souveraineté de Donetsk et Lougansk, un dossier sur lequel ce qui tient lieu de diplomatie novorusse a été particulièrement absent (en dépit de sollicitations extérieures) depuis le départ d'Alexandre Kofman, en contraste singulier par exemple avec la diplomatie catalane. Le 11 février Pouchiline a tenu une longue conférence de presse alarmiste, avec une évocation rapide des moyens concentrés côté ukrainien, et n'excluant pas une offensive imprévisible à tout moment puisque tout étant prêt il ne manquait que l'ordre d'attaque. Le parlement russe a voté la reconnaissance des deux républiques le 15 et l'a présentée au président Vladimir Poutine, qui pendant une semaine s'en est seulement servi pour interroger de nouveau divers chefs d'Etats occidentaux sur leur intention d'amener l'Ukraine à appliquer les accords de Minsk, indiquant par là qu'il croyait encore à la possibilité de désamorcer l'attaque ukrainienne.

 

Le 18 février les milices ukrainiennes ont intensifié leurs pilonnages, y compris avec des armes lourdes interdites par les accords de Minsk (ramenées clandestinement dans la zone d'exclusion). Les rapports de la mission d'observation de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, des vendredi 18 et samedi 19, font état d'un quadruplement des "violations de cessez-le-feu" (bombardements) par rapport au début de la semaine, en l'occurrence de l'ordre de 2000 incidents quotidiens observés au lieu de 500. Comme le savent les militaires, une intensification soudaine des tirs d'artillerie est soit une mise à l'épreuve des défenses de contre-batterie adverses, soit l'annonce d'un mouvement imminent. En effet, bien qu'on les appelle tirs de préparation puisqu'ils visent à sidérer et endommager les défenses adverses et même si possible à y ouvrir des brèches, les armées régulières disciplinées évitent d'y procéder trop tôt afin de ne pas dévoiler leurs intentions et provoquer l'arrivée de renforcements ennemis. Dans l'idéal ces salves d'artillerie doivent même précéder immédiatement l'exploitation, c'est-à-dire la ruée des formations mécanisées dans les brèches opérées par l'artillerie. C'est d'ailleurs ce qui a provoqué un début d'exode le 17 au soir, vite encadré par les autorités locales qui ont déclaré l'évacuation le 18, demandé à la Russie d'accueillir les réfugiés et organisé des moyens d'acheminement, puis décrété le 19 la mobilisation. Encore à ce moment-là, les téléphones en sont encore rouges et la presse n'a pas encore effacé les comptes-rendus, le gouvernement russe contactait fébrilement diverses chancelleries européennes pour tenter d'obtenir un engagement immédiat de l'Ukraine à renoncer à la force et à appliquer les accords de Minsk. En réponse l'OTAN a annoncé le 19 le relèvement du niveau d'alerte de ses forces en Europe, montrant ainsi son soutien à une opération militaire ukrainienne.

 

Le gouvernement russe a donc procédé le 21 février à la reconnaissance de la souveraineté des deux régions exclues par l'Ukraine, préalable nécessaire, en droit international (qui ne reconnaît pas de "devoir d'intervention" dans un pays souverain), à une assistance militaire, n'en déplaise aux pays qui se permettent de soutenir directement un mouvement sécessionniste comme l'ont fait les membres de l'Alliance Atlantique en Serbie en 1999 (en août 2008 la Russie surprise par l'offensive géorgienne n'a pas eu le temps de reconnaître l'Ossétie du Sud avant de la défendre). Il était alors évident que la réintégration par la force des régions légalistes (réfractaires au coup d'État de février 2014 et exclues des élections du nouveau régime), si régulièrement annoncée par le gouvernement ukrainien avant comme après les accords de Minsk qu'il a d'ailleurs dénoncés par la loi 7163 de 2018, était imminente. Toutefois la reconnaissance par la Russie, accompagnée d'un accord de défense, aurait pu encore dissuader le pouvoir ukrainien, du moins s'il n'avait pas eu l'assurance (manifeste en effet) d'un soutien de l'OTAN.

 

Mais au contraire la reconnaissance des républiques a été suivie d'un regain d'actes prémilitaires de guerre envers la Russie de la part de l'axe atlantico-uniopéen, dont le blocus intégral. Le pouvoir ukrainien de facto, que le président Vladimir Zelenski en fasse partie ou pas, y a très logiquement vu un encouragement et a amplifié encore les bombardements préparatoires à l'offensive sur Donetsk et Lougansk. À ce moment-là le gouvernement russe a conclu que l'offensive aurait décidément lieu, et a appliqué ce que les journalistes appellent la tactique des enfants des rues de Léningrad et que les stratèges appellent la doctrine nucléaire d'emploi des États-Unis d'Amérique, à savoir que quand un affrontement est inévitable celui qui porte le premier coup emporte l'avantage. L'opération spéciale a donc été décidée dans l'urgence, face à l'imminence d'une attaque, laquelle a été confirmée ensuite par la découverte du degré inouï d'armement et de concentration des forces ukrainiennes au nord de Donetsk (au point qu'une frappe nucléaire tactique aurait pu détruire cette armée en un instant).

 

Cette opération fondée sur la nécessité de redresser un tort sanglant et l'urgence d'en prévenir un encore pire, avec des perspectives raisonnables de succès moyennant l'emploi exclusif de moyens moralement licites et ne risquant pas de causer des torts pires que celui redressé, correspond sans le moindre doute à la guerre juste, théorie fondée sur les réflexions philosophiques de Saint Augustin et Saint Thomas d'Aquin, et encore respectée dans les sociétés civilisées jusqu'à l'officialisation de la doctrine nucléaire anticités.

 

www.stratediplo.blogspot.com

Campagne d'Ukraine – Opération spéciale

Le 19/03/2022 - 04h02.

 

Le début de l'opération a pu surprendre plus d'un téléspectateur occidental, habitué à voir des semaines de bombardements sur les villes avant l'entrée du premier véhicule terrestre (quand il y en a) sans combat puisqu'ayant attendu la reddition du pays attaqué. Au contraire l'armée russe a certes lancé une salve de frappes de précision sur l'infrastructure militaire ukrainienne, généralement périurbaine comme dans d'autres pays, mais cette frappe surprise a été suivie immédiatement (avant l'aube) d'une exploitation terrestre, à savoir l'incursion de l'armée de terre russe à travers les frontières nord, sud et nord-est, et évitant les agglomérations. Il n'y a même pas eu, comme les régions exclues du sud-est pouvaient l'espérer, de frappes massives contre la concentration militaire et paramilitaire au nord de Donetsk, compte tenu justement du fait que ces formations étaient déployées sur le terrain, et de ce fait fortement imbriquées avec la population civile fût-elle villageoise et rurale.

 

Pour mémoire, à la date du 3 mars soit après exactement une semaine de guerre, le haut commissariat de l'ONU aux droits de l'homme a déclaré que l'intervention russe avait causé la mort de 249 civils (du 24 février matin au 2 mars soir), un bilan d'une toute autre échelle que la simple première journée de n'importe quelle intervention étatsunienne ou alliée. La veille la Russie avait annoncé avoir perdu 498 soldats et tué de l'ordre de 2870 militaires et paramilitaires ukrainiens. Les chiffres exacts sont évidemment bien moins importants que leur signification politique et éthique pour le monde civilisé, à savoir le retour de la guerre propre au moyen de l'affrontement de forces armées (sans bombardement de populations civiles), que l'on n'avait plus vu depuis la confrontation de deux armées occidentales modernes dans l'Atlantique Sud en 1982, sans victimes civiles dans un contexte certes particulier en mer et sur des îles dépeuplées.

 

Les tacticiens du monde entier, contrairement à ce qu'en dictent les trois agences de presse monopolistiques de l'axe atlantico-uniopéen, ont été relativement surpris de la rapidité de progression des unités russes à partir des frontières la première semaine. Les terreurs sur "l'armée soviétique à Brest en trois jours" étaient des exagérations théoriques non confrontées à la réalité pratique, qui de plus prenaient en compte le déploiement systématique d'un nuage chimique en avant des unités de premier échelon et le mépris de la population locale. En Ukraine, en termes de volumes un corps d'armée ex-soviétique modernisé a attaqué trois corps d'armée ex-soviétiques fanatisés sur la largeur d'un front, relevant normalement d'une armée selon la nomenclature française ou d'un groupe d'armées selon la nomenclature soviétique. De plus il n'y a évidemment pas eu de préparation chimique (le concept tactique en avait été éliminé avant même les stocks), sur une population d'ailleurs considérée comme russe puisqu'il s'agit de la Malorussie au nord et de la Novorussie au sud, l'armée russe s'étant bien gardée d'entrer en Galicie ou tiers occidental du pays.

 

Le haut commandement russe, on le sait grâce au moscovite bien introduit Xavier Moreau, a lui-même été également surpris de la facilité et la rapidité de la progression initiale. Certes l'aviation pilotée et téléguidée russe avait éliminé les centres de commandement et de transmission, mais les formations de base (bataillons et régiments) n'avaient généralement pas été oblitérés et, bien que laissées à elles-mêmes et désormais incapables de monter et coordonner une manœuvre organisée, on s'attendait à ce que chacune à son niveau oppose une certaine résistance. Selon les configurations locales cette résistance aurait pu prendre la forme de défense ferme, de manœuvres retardatrices, de coups d'arrêt voire de contre-offensives, ce qui n'a dans l'ensemble pas eu lieu sauf semble-t-il en deux points (Nikolaïev et axe Kiev-Kharkov), où des axes majeurs de pénétration se trouvaient à la portée d'unités restantes dans des villes, celles-ci étant donc évitées par l'armée russe.

 

Cette surprise a vite trouvé son explication, à savoir que l'essentiel de l'armée ukrainienne était concentré dans le centre des régions administratives (oblasts) de Donetsk et Lougansk, immédiatement au nord de ces deux villes isolées par la force depuis 2014. Parenthèse sémantique, le raccourci soviétique DonBass pour le bassin du Don, qui s'étend d'ailleurs jusqu'à Rostov, est tout aussi insultant envers les Novorusses que le sigle jacobin déshumanisant PACA l'est envers les Provençaux. Il est encore difficile d'estimer s'il s'agissait de 60, 70 ou 80% de l'armée ukrainienne, dont les renforts paramilitaires ne présentent certainement pas de tableaux nominatifs d'effectifs au ministère de la défense, mais c'est indiscutablement là que se trouvait, et se trouve encore trois semaines plus tard, le gros des troupes régulières ou pas, dont évidemment les éléments les plus opérationnels et dotés des armements (occidentaux) les plus modernes.

 

Sans le moindre doute, l'armée ukrainienne était bien en train de préparer une grosse offensive pour, comme annoncé maintes fois depuis 2014, pousser la "population étrangère" jusqu'à la frontière russe et la mer d'Azov, selon le concept germanique popularisé dans les années quatre-vingt-dix sous le néologisme français de "nettoyage ethnique". Les milices comme Pravi Sektor sur lesquelles s'appuie le régime issu du coup d'État du 22 février 2014 prennent pour référence explicite l'opération Oluja par laquelle l'armée croate, sur planification opérationnelle étatsunienne, confiée par le gouvernement étatsunien à un état-major privatisé, a terminé l'expulsion d'un huitième de la population de la Croatie (la totalité de l'un de ses deux peuples constitutionnellement fondateurs), récompensée quelques mois plus tard par l'admission de la Croatie au Conseil de l'Europe.

 

Cette préparation s'était traduite notamment par l'envoi dans l'est de l'essentiel de la logistique militaire et de ses approvisionnements, autre facteur qui a expliqué le peu de capacité opérationnelle des unités du reste de l'Ukraine face à l'intervention russe. La quasi-totalité des munitions et l'essentiel des carburants, hors dotation initiale (deux jours de consommation moyenne) distribuée dans les corps du reste du pays, se trouvait dans l'est. En termes d'effectifs, ce qui est souvent plus explicite pour le profane, la Russie a envoyé le 24 février un corps expéditionnaire de 50000 hommes contre un pays disposant d'une armée de 150000 hommes. La suite a révélé que l'Ukraine avait amassé entre 100000 et 120000 hommes en préparation de son offensive sur le sud-est, laissant dans le reste d'un pays grand comme la France les unités les moins opérationnelles même le long des frontières russe et biélorusse.

 

La découverte, depuis le début de l'intervention, des ordres préparatoires envoyés par le ministère et par la région militaire depuis le début de l'année, a révélé la date butoir de la fin février pour la fin de la montée en puissance. D'autres éléments permettent d'estimer que l'ordre initial (le lancement de l'opération) aurait été donné dans la première quizaine de mars, voire plus précisément autour du 8. Quant aux futurs ordres de conduite, la découverte par les forces de Donetsk, dans un état-major avancé, d'un ordinateur tout en anglais indique qu'il se trouvait des étrangers dans le commandement ukrainien sur le terrain. Le contenu très complet et à jour de cet ordinateur indique que son utilisateur était organiquement placé au plus haut niveau de commandement du dispositif ukrainien dans le sud-est, et la présence de cartes avec la position et l'identification précises des unités adverses (forces de Donetsk et Lougansk), en anglais et selon des moyens de localisation dont ne dispose pas l'Ukraine, indique que l'officier en question recevait d'une grande puissance du renseignement d'origine électromagnétique en temps réel.

 

Bien que la progression russe ait été étonnamment rapide la première semaine, elle a été intentionnellement ralentie ensuite d'une part pour traiter les grandes villes, c'est-à-dire les encercler en laissant un corridor humanitaire et attendre la reddition des autorités locales ou des garnisons éventuelles, et d'autre part en raison de l'inutilité de disperser le dispositif dans la profondeur du désert militaire de l'Ukraine centrale. Seules deux jonctions étaient nécessaires entre le "front" (de progression faute de combat) nord et le front sud, d'une part celle tactique à l'ouest du groupe de forces ukrainiennes de l'est afin de les enfermer dans une nasse, et d'autre part celle stratégique le long du méridien 29 ou de la route 606 (entre les routes nationales 5 et 21) afin d'empêcher une éventuelle infiltration d'unités étrangères par la Galicie. Cette dernière jonction n'est, sauf erreur, pas encore opérée au sol (et ne le sera peut-être pas) mais l'armée russe, qui avait déjà désarmé la Galicie comme le reste du pays, a démontré le 14 mars sa capacité à porter des frappes précises et efficaces jusqu'à la frontière polonaise, au moyen de missiles de croisière Kalibr devenus célèbres depuis la mise en œuvre de l'accord d'assistance militaire avec la Syrie le 30 septembre 2015, et alors tirés depuis de petites vedettes en mer Caspienne.

 

Après la première semaine d'opérations l'armée russe a acheminé des renforts, jusqu'à tripler peut-être le volume des forces initialement lancées dans l'urgence. La mise de l'Ukraine sur la voie de la normalisation, en abandonnant la "dénazification" au champ du discours politique auquel il appartient (https://stratediplo.blogspot.com/2022/03/denazification-impossible.html), permet de faire durer un peu l'opération spéciale jusqu'à la fin mars voire la mi-avril. En effet, après la signature de l'armistice qui doit absolument avoir lieu très vite (pour des raisons que l'on expliquera par ailleurs), deux semaines ne seront pas de trop pour opérer le retrait en bon ordre d'un tel corps de manœuvre, en coordination avec l'armée ukrainienne régulière résiduelle. On se rappelle que l'encadrement de 2014 (partiellement "purgé" depuis lors) était très hostile à la nouvelle utilisation de l'armée par le nouveau régime, d'ailleurs interdite par la constitution de 1996. Et il y a deux semaines à peine, début mars, l'armée régulière ukrainienne a tiré un missile balistique SS-21 sur le poste de commandement du sinistre bataillon Azov de la milice, au nord de la ville de Marioupol que ce bataillon tenait en otage.

 

La campagne se termine, puisque le gouvernement russe n'avait pour intention ni de faire incursion en Galicie, c'est-à-dire de franchir l'axe Jitomir-Vinnitsa, ni d'occuper la Malorussie et la Novorussie, c'est-à-dire les deux-tiers orientaux du pays. Kiev ne devait surtout pas être prise car cela aurait eu des coûts humains et politiques, mais seulement isolée et, comme les autres villes, désarmée en périphérie. Quant à Marioupol, dont on pouvait penser que la normalisation serait confiée à l'armée de Donetsk après le retrait de l'armée russe, les dernières informations semblent y faire état de la réduction très avancée des éléments miliciens extrémistes.

 

Par contre, ce qui est très préoccupant est la construction méthodique, à l'ouest du rideau de presse, de l'illusion d'une défaite russe sur le terrain, qui ne peut faire obstacle longtemps à la révélation de la vérité et qui donc sert un objectif stratégique sérieux à court terme. La fin d'une campagne peut marquer la fin ou le début d'une guerre, et ce n'est pas nécessairement son vainqueur qui en décide.

 

www.stratediplo.blogspot.com

Campagne d'Ukraine – Obstination à une destruction sans merci

Le 19/03/2022 - 04h03

Les forces ukrainiennes prises dans la nasse de l'est réagissent d'une manière peu conventionnelle.

 

Le danger pour elles ne vient pas du sud ou de l'est, à savoir de Donetsk et Lougansk, puisque non seulement elles y font face mais qu'en plus elles ont eu des années pour y consolider leurs positions, peut-être pas dans un esprit vraiment défensif puisqu'elles savaient ces régions incapables de lancer une offensive de niveau opératif, mais au moins dans un esprit de points d'appui à partir desquels lancer l'offensive future. L'ennemi est arrivé du nord et du sud-ouest, les prenant donc à revers. Cependant ces forces n'ont pas lancé de contre-attaque sérieuse vers les éléments russes en approche, ni tenté de les prendre de vitesse en fuyant vers l'ouest avant la fermeture de la nasse. Tout en se retranchant, elles n'ont jamais cessé de bombarder les villes de Donetsk et Lougansk ainsi que les villages. Or elles disposent de divers types d'armes d'artillerie d'une portée de quelques dizaines à plus d'une centaine de kilomètres, du mortier au missile balistique en passant par le lance-roquettes multiple de saturation ("orgue de Staline"), capables donc, compte tenu de leur sérieux approvisionnement en munitions, de toucher les premières unités russes voire d'appliquer certains feux de barrage sur les nœuds de communication. Mais on n'a pas vraiment vu de telle tentative.

 

Par contre trois jours, une semaine, deux semaines, puis maintenant trois semaines après le début de l'opération russe de protection des populations du sud-est, ce groupe de forces ukrainiennes continue inlassablement de bombarder les populations civiles avec toutes les munitions qui lui restent, et qui lui seraient utiles au moment de l'inévitable confrontation avec le corps expéditionnaire russe. Ce choix pourrait dont paraître à première vue totalement irrationnel. Car quel que soit le niveau d'accès de la troupe à l'information extérieure, le commandement de ce groupe de forces se sait évidemment condamné à la défaite. Il n'a vraisemblablement plus, depuis le début, de communications avec l'état-major central à Kiev, mais il voit l'étau russe se rapprocher puis se refermer à une échelle de quelques dizaines de kilomètres. Son obstination à bombarder la population civile adverse n'est pas issue de considérations tactiques, puisqu'il ne choisit pas de retourner ses armes contre les deux groupements russes au nord et au sud-ouest. Cette obstination n'est pas non plus issue de considérations politico-judiciaires, puisqu'il sait qu'il n'aura plus jamais à répondre devant une cour martiale ukrainienne. Et une telle obstination est franchement contraire aux considérations humaines, qui devraient conduire le commandement de ce groupe de forces encerclé et condamné à la défaite à déposer les armes pour épargner des vies, à commencer par celles des soldats qui lui ont été confiés.

 

Pourtant le commandement opératif ukrainien dans l'est semble déterminé à commettre jusqu'au bout des crimes de guerre, comme le tir (emblématique en dépit de milliers de tirs d'artillerie par jour) le 14 mars d'encore un missile balistique OTR-21 dit SS-21, équivalent du Pluton français mais qui peut emporter une ogive chimique, ou conventionnelle à sous-munitions comme on le présentait dès 2014 (https://stratediplo.blogspot.com/2014/08/ss-21_65.html), les ogives nucléaires ayant été détruites en Russie après la dislocation de l'URSS. Ce missile a été tiré sur le centre ville de Donetsk alors qu'il ne s'y trouve aucune cible militaire et que l'erreur circulaire probable (une centaine de mètres) dudit missile à guidage initial par GPS et terminal optique (caméra) ou par radar confirme qu'il était bien destiné au centre ville. Au demeurant, sa portée de 120 kilomètres lui aurait permis de toucher les forces russes dans la direction opposée. Ce missile, que la défense de Donetsk affirme avoir abattu, aurait causé bien plus d'une vingtaine de morts en cas de fonctionnement de toutes ses sous-munitions à fragmentation, létales dans un diamètre de 400 mètres. Certes, l'Ukraine n'a pas adhéré (la Russie non plus d'ailleurs)  à la prohibition de ces armes dont la dispersion des sous-munitions actives s'apparente au semis aléatoire d'un champ de mines antipersonnel sans plan de pose. Et comme pour enfoncer le clou, deux jours plus tard un autre SS-21 fut tiré sur Madeevka, sans faire semble-t-il de victimes, mais l'intention de massacrer la population civile est toujours là après trois semaines d'intervention russe. Ce symbole de la politique du régime Maïdan envers les populations légalistes ne saurait cependant faire oublier les milliers d'obus de divers types qui leur sont assénés chaque jour depuis le 18 février.

 

L'obstination à attirer une riposte impitoyable rappelle que déjà en 2014 certaines unités présentes près de Lougansk se comportaient de façon suicidaire, comme si elles avaient reçu l'ordre exprès de tout faire pour que ses membres ne soient surtout pas capturés vivants. Et en effet près de huit ans plus tard on ignore toujours l'identité de plusieurs dizaines de combattants dont la pigmentation cutanée et les cheveux crépus étaient relativement exotiques en Europe de l'Est. Par contre à la même époque on a identifié près d'Ilovaïsk les corps de plusieurs officiers extra-européens, comme par exemple le général Randy Allen Kee tué au combat interukrainien le 5 août 2014 et le capitaine Mark Gregory Paslawsky décédé de tourisme martial le 19. La provocation de l'armée russe, et surtout de l'armée de Donetsk, par le massacre délibéré de civils innocents, pourrait ainsi avoir pour but d'entraîner une riposte sans merci sur l'unité coupable de ce crime de guerre.

 

D'ailleurs l'armée russe, qui attendait patiemment jusque-là la reddition des unités encerclées, semble avoir conséquemment accru ses tirs d'artillerie, au grand soulagement de la population de Donetsk mais au risque d'écraser quelques piécettes à conviction contre une puissance qui, de toute façon, contrôle les propos et les silences de la presse mondiale.

 

www.stratediplo.blogspot.com

Campagne d'Ukraine – Prélude à bien pire ?

Le 19/03/2022 - 04 h 04.

La guerre engagée contre la Russie début 2014 ne prendra pas fin avec la campagne d'Ukraine, bien au contraire, et tout indique que l'axe atlantico-uniopéen prépare déjà une suite, selon au moins trois scénarios possibles.

 

Le scénario d'opportunité pourrait démarrer par une opposition musclée à la normalisation de l'Ukraine démilitarisée, avec l'inconvénient que l'armée russe y est déjà. Les deux autres scénarios sont au contraire facilités par la fixation de l'armée russe en Ukraine, obtenue grâce à l'ostensible préparation d'une offensive sur le bassin du Don. Ils ont pour théâtre vraisemblable la trouée de Suwalki et pour prétexte déclencheur une prétendue attaque russe contre la Lituanie (pays où les russophones sont opprimés sous un statut d'apatrides) pour désenclaver Kaliningrad. Un scénario consiste en une agression conventionnelle vers Kaliningrad et Saint-Pétersbourg, suffisamment puissante pour déstabiliser le monde et suffisamment impuissante pour être défaite et justifier une frappe nucléaire, l'autre scénario consiste à procéder directement à celle-ci après une autre provocation dramatique. En ce mois de mars 2022, l'OTAN continue bruyamment son déploiement vers les pays baltes et la Norvège en ignorant ostensiblement les pays voisins de l'Ukraine.

 

En toile de fond il ne faut pas perdre de vue que :

- l'Union Européenne, condamnée à l'expansion permanente, est un facteur de déstabilisation en Europe,

- les Etats-Unis sont convaincus d'une "destinée manifeste" sacrée au-dessus des règles internationales, ignorent qu'une guerre peut être perdue et iront aux extrêmes pour éviter d'en perdre une,

- le monde ne peut plus se permettre de nourrir les Etats-Unis et se trouve de toute façon au bord d'un effondrement de l'économie réelle,

- les Etats-Unis doivent forcer le monde à remettre à zéro le compteur de leur dette,

- convaincus qu'une troisième guerre mondiale leur sera aussi bénéfique que les deux premières, les Etats-Unis pourraient la provoquer pour forcer le monde à annuler les dettes,

- les Etats-Unis veulent aussi la continuation de leur "repas gratuit", et leurs déclarations insistantes sur un nouveau recours aux armes nucléaires en font l'argument ultime pour imposer au monde un dollar surévalué,

- l'UE a choisi la Russie pour cible car elle représente une alternative humaine, démocratique et chrétienne à son matérialisme intégral "transhumain",

- la coalition antirusse écarte la Russie des organisations internationales pour en faire d'abord un pays "normal" parmi 193 puis un pays insignifiant et banni qui peut être attaqué,

- les Etats-Unis ne peuvent pas être dissuadés car ils sont persuadés qu'ils peuvent gagner un échange nucléaire, et aussi que la Russie ne ripostera pas,

- les fallacieusement nommées "sanctions" ne sont ni des contre-mesures selon le droit international ni des moyens de coercition pour forcer la Russie à faire quoi que ce soit, mais des actes préparant la phase militaire,

- la guerre a été déclarée, plusieurs fois et dans des termes irrévocables, depuis 2014,

- la montée en puissance militaire est agressive mais faible afin d'être défaite et de justifier des frappes nucléaires, les répétitions et la propagande visent à acoutumer les états-majors à l'idée de la guerre pour qu'ils ne réfléchissent pas le jour J.

 

Tels sont précisément les thèmes des douze chapitres du Onzième Coup de Minuit de l'Avant-Guerre, qui évoque les scénarios ci-dessus, y compris celui passant par l'Ukraine tout en considérant l'option baltique plus probable. Auto-édité en 2019 et esthétiquement actualisé (confirmation de la fin du traité FNI) pour les éditions Retour aux Sources en 2020, cet essai est d'une actualité chaque jour plus criante. Apprenant que l'édition 2020 est épuisée sur Amazon, l'auteur précise qu'il reste des exemplaires de l'édition 2019 pratiquement identique sur https://www.lulu.com/fr/fr/shop/-stratediplo/le-onzième-coup/paperback/product-1qk6rjjj.html.

 

L'avant-guerre se termine.

Réédition à Marioupol de l'hôpital de Douma

Le 12/03/2022.

 

Il serait fastidieux et inutile de commenter chaque micro-événement d'une grande opération militaire, mais il semble que l'état-major médiatique AFP-AP-Reuters qui dicte ses communiqués à la presse du monde du côté occidental du rideau de presse ait décidé de rééditer sur Marioupol l'opération Douma (Syrie) d'avril 2018, à l'aide d'une autre mise en scène.

 

Pour mémoire, les faux Casques Blancs avaient alors diffusé un court-métrage entendant prouver qu'une attaque chimique avait eu lieu sur l'hôpital de Gouma (Goutha orientale) le 7 avril 2018. Le montage avait été exposé dès le 10 par diverses sources sur les lieux (http://stratediplo.blogspot.com/2018/04/cette-presse-fire-and-forget.html), vite isolées par la presse en pleine montée en puissance mensongère. Finalement dix-sept habitants de Douma, dont les figurants forcés et du personnel de l'hôpital, ont été reçus pour déposition le 26 avril au siège de l'Organisation pour l'Interdiction des Armes Chimiques, suivie d'une conférence de presse dont un diplomate étatsunien a tenté d'interdire l'entrée et où la presse atlantiste les a insultés, avant de méthodiquement occulter cet événement (http://stratediplo.blogspot.com/2018/05/leffroyable-posture.html). A ce jour l'électorat des trois pays qui ont bombardé la Syrie le 14 avril 2018 ignorent toujours que le prétexte en était un gros mensonge.

 

Pour revenir à la campagne présente, aucune maternité en service n'a été bombardée dans un hôpital de Marioupol le 9 mars 2022. La totalité de l'hôpital N°1 de Marioupol a été occupée fin février par deux compagnies de la 36° Brigade de Marine ukrainienne, qui en ont expulsé tout le personnel pour y installer des postes de tir et vraisemblablement un poste de commandement. L'ambassadeur russe à l'ONU Vassili Nebenzia l'a d'ailleurs dénoncé le 7 mars devant le Conseil de Sécurité, car le fait d'usurper la couverture d'un service médical pour cacher une unité combattante est un crime de guerre.

Par ailleurs le 9 mars, quelques heures à peine avant la prétendue attaque, le président ukrainien Vladimir Zelenski lui-même a déclaré que tous les établissements médicaux de Marioupol avaient été fermés et évacués faute d’électricité. Cela n'empêche pas que le court-métrage ait été tourné sur place après des tirs de contre-batterie visant les postes de tir de la 36° Brigade. Comme la population de Marioupol est largement hostile au régime issu du coup d'Etat de 22 février 2014, des témoins voire l'actrice principale s'empresseront de rétablir la vérité dès la libération de la ville.

 

Et comme lors de la déposition et conférence de presse au siège de l'OIAC le 26 avril 2018, la presse de l'axe atlantico-uniopéen et les trois agences monopolistiques qui dictent leurs communiqués au monde occulteront la révélation de la vérité.

 

www.stratediplo.blogspot.com

Dénazification impossible

Le 10/03/2022.

Parmi les buts de guerre qu'avait annoncés la Russie le 24 février, il y en a un qui ne figurait ni dans les quatre conditions de son ultimatum du 21 février, ni dans les quatre conditions du 7 mars pour un cessez-le-feu immédiat. Il s'agit de la "dénazification", une idée que soutient activement la presse israélienne (au sujet de l'Ukraine) mais qui a été reçue comme un mot vide de sens à l'ouest des Alpes.

 

De nos jours n'importe quel homme politique insulte son adversaire en l'appelant "nazi", et les journalistes ne se privent pas d'apostropher ainsi leurs cibles sans penser au contenu du mot, qu'on ne décortique pas et dont les jeunes igorent la signification. On a même inventé le mot "nazisme" pour cacher qu'il s'agissait de national-socialisme, et ce qui reste de pages consacrées aux pays d'Europe dans les livres d'histoire pour écoliers présentent la deuxième guerre mondiale comme une lutte contre ce nazisme, sans référence au nationalisme pangermanique et à la doctrine socialiste, et sans rappeler que la France n'a pas déclaré la guerre à l'Allemagne pour un motif idéologique mais par solidarité avec la Pologne. Evidemment l'objet de ces livres étant d'introduire l'amitié franco-allemande et l'unification européenne, ils blâment plutôt une idéologie qu'un pays.

 

Cependant en Ukraine il ne s'agit pas d'une insulte irréfléchie mais d'une réalité politique bien vivante. Le Parti National-Socialiste d'Ukraine a bien stylisé son logo trop explicite et s'est renommé Svoboda (Liberté) à l'occasion de la première "révolution orange" de 2004, mais il n'a pas amendé ses orientations. Aussi le 13 décembre 2012 (un an avant les événements de la place Maïdan) le parlement européen a qualifié ce parti de nazi, raciste, antisémite, xénophobe et contraire aux valeurs européennes, et a interdit à tout parti représenté au parlement européen d'avoir des relations avec ledit parti extrémiste. Et celui-ci, dès qu'il a pris le pouvoir par le coup d'Etat du 22 février 2014, s'est proclamé héritier des collaborateurs locaux du parti d'Adolphe Hitler, a érigé des statues à Stepan Bandera et ses acolytes, et a arboré des symboles nationaux-socialistes, ainsi que des insignes d'unités SS, sur ses nouvelles milices levées par le mouvement extrémiste Pravy Sektor.

 

Devant cette vague le 30 septembre 2014 l'Assemblée Permanente du Conseil de l'Europe, sur initiative russe, a condamné la renaissance du national-socialisme en Europe et appelé à le combattre. A son tour le 21 novembre 2014 l'Assemblée Générale des Nations Unies, sur intitiative russe, a adopté à une large majorité des deux-tiers une résolution L56 condamnant la glorification du national-socialisme. Bien que tous les pays européens sauf quatre se soient abstenus, seulement trois votèrent en faveur de cette résolution condamnant la glorification du national-socialisme à savoir la Russie, la Biélorussie et la Serbie. Au contraire seuls trois pays au monde s'opposèrent fermement à l'adoption de cette résolution (qui fut adoptée puisqu'à l'AG il n'y a pas de veto), en l'occurrence deux pays américains et un européen : les Etats-Unis d'Amérique, le Canada et l'Ukraine. Ainsi parler de national-socialisme au sujet de l'Ukraine n'est pas une insulte abstraite mais le rappel d'une idéologie explicitement revendiquée par le gouvernement actuel jusque dans les instances internationales.

 

En Ukraine aujourd'hui les références au nazisme relèvent de deux sentiments distincts. Le premier est, sinon la nostalgie, du moins la référence historique au seul moment (à part pendant la révolution bolchévique) où l'Ukraine, ou du moins sa moitié occidentale, s'est dite souveraine (bien que dépendante de l'Allemagne) par rapport à la Russie, pendant quelques années. Cette référence est donc une sorte de légitimation de souveraineté, certes aujourd'hui dépassée puisque depuis le démembrement de l'URSS l'Ukraine a déjà été indépendante dix fois plus longtemps que pendant son court protectorat allemand, d'ailleurs même la Croatie et les trois républiques baltes sont aujourd'hui un peu plus discrètes qu'il y a trente ans sur cette parenthèse historique qu'elles partagent avec l'Ukraine (ces quatre pays se sont abstenus lors du vote à l'ONU précité). Après plus d'une génération née dans l'Ukraine post-soviétique la revendication de cet héritage n'est plus nécessaire puisqu'un vrai sentiment national est né, et pas seulement en Galicie mais aussi en Malorussie et en Novorussie.

 

Le deuxième sentiment qui se réclame du nazisme est par contre un véritable engouement idéologique, qui s'auto-nourrit de diverses revendications mais aussi de son propre succès, la vue de milices viriles disciplinées attirant des jeunes désorientés dans un pays économiquement sinistré et politiquement corrompu où l'insécurité rappelle la Russie des années Eltsine. Cet engouement se traduit dans l'existence de milices, déjà de mauvaise réputation idéologique avant le Maïdan mais désormais aussi de très mauvaise réputation morale depuis qu'elles ont été officialisées (incorporées à une Garde Nationale) et envoyées dans le sud-est pour en éradiquer les doryphores par la déportation ou l'extermination. Les plus fameuses de ces milices sont le bataillon Azov, qui a revendiqué avoir atteint l'effectif d'une brigade, et le bataillon Aïdar. L'un a été rendu célèbre pour ses crucifixions de chrétiens et les confessions de Gaston Besson sur l'exécution des prisonniers, l'autre pour les charniers de centaines de jeunes paysannes après la perte du terrain de son camp du viol à Krasnoarmeïsk en septembre 2014. Sauf erreur c'est le bataillon Azov (bien plus gros et bien moins organisé qu'un bataillon militaire) qui tient en otage la population de Marioupol, mitraillant les civils qui tentent d'en sortir, interdisant par le feu l'ouverture des corridors humanitaires déjà déclarés par la Russie et l'Ukraine (avec cessez-le-feu) trois jours de suite en vain, et lui aussi sur lequel l'armée régulière ukrainienne a tiré la semaine dernière un missile balistique SS-21.

 

C'est cette deuxième manifestation du nazisme que la Russie a soi-disant chargé son armée d'éliminer. Au niveau politique l'arrestation et le jugement des commanditaires desdits bataillons ainsi que des dirigeants des mouvements comme Pravy Sektor et Svoboda aurait revêtu une forte charge symbolique, mais la Russie ne pourrait pas le faire sans, d'abord, prendre Kiev, et surtout, l'occuper. De plus cela ressemblerait à une opération de "changement de régime" à l'étatsunienne, ou en tout cas d'ingérence dans la politique interne. Enfin dans tout le quart ou le tiers occidental du pays, à l'ouest de la ligne Jitomir-Vinnitsa, cette orientation politique est relativement répandue au sein même de la population, donc il ne serait pas possible de l'extirper sans des années de rééducation civique. Au niveau militaire il serait théoriquement plus facile et moralement plus acceptable de détruire les milices embrigadées, qui sont actuellement encerclées dans la ville côtière de Marioupol et dans la nasse tactique où se trouve plus de la moitié de l'armée ukrainienne, au nord de Donetsk. La nasse de Donetsk se situe en zone rurale avec quelques villages, mais l'opération tactique en cours se déroule de façon conventionnelle et se terminera soit par la reddition des unités une par une, soit par leur destruction, un terme militaire qui ne signifie pas un massacre à l'étatsunienne comme celui de la Garde Présidentielle perdue dans le désert irakien en 1991 et pas encore ressortie, mais un niveau de dommages impliquant l'impossibilité définitive pour l'unité détruite de conduire une manœuvre (feu et mouvement) de son niveau (il peut rester des sous-unités). Par contre les éléments dits ou autoproclamés nazis dans Marioupol sont étroitement imbriqués dans la population qu'ils utilisent non seulement comme couverture générale mais également comme boucliers au sens propre pour progresser dans les rues, et ils n'hésiteront pas à se déguiser en civils pour se fondre dans la population. Il y a là plusieurs milliers de miliciens dans une ville de 400000 habitants, et certains pays n'hésiteraient pas à y appliquer la méthode Bassorah. L'armée russe a montré, notamment à Grozny quelques années après un premier échec, qu'elle pouvait conquérir une grande ville rue par rue, et a même développé un véhicule d'appui-feu à l'infanterie spécifique pour le milieu urbain (le BMPT), mais le coût humain serait important.

 

Il n'est donc pas impossible que la Russie, après la démilitarisation de l'Ukraine sauf la Galicie, Kiev et Marioupol, laisse le nettoyage ou la normalisation de cette dernière à la république de Donetsk afin de ne pas s'engager dans une occupation du pays.

 

La "dénazification" relevait du discours mais n'est pas indispensable à la démilitarisation, et n'est pas incluse dans les conditions pour le cessez-le-feu et le retrait russe.

 

www.stratediplo.blogspot.com

Autre provocation nucléaire

Ce 9 mars un autre groupe de miliciens ukrainiens infiltré a attaqué la sous-station électrique qui alimente l'ancienne centrale nucléaire de Tchernobyl, protégée conjointement par une unité ukrainienne et une unité russe.

 

L'entreprise ukrainienne d'électricité Ukrenergo a annoncé que la centrale nucléaire est totalement déconnectée du circuit électrique national et qu'il est impossible de la reconnecter en raison de "combats sur place". Tandis que le ministre ukrainien de l'énergie Haluschenko assure que la centrale peut produire toute l'électricté dont elle a besoin grâce à des diesels, le ministre des affaires étrangères Kuleba avertit que le refroidissement des sites de stockage s'arrêtera bientôt et que des fuites radioactives sont imminentes. Au contraire l'Agence Internationale de l'Energie Atomique dit que le volume d'eau de refroidissement par rapport à la chaleur des piscines de stockage de combustible utilisé permet de continuer le refroidissement même sans électricité.

 

Le vice-ministre russe de la défense Pankov déclare que la partie ukrainienne fait tout son possible pour entraver les réparations, mais que des spécialistes russes ont opéré la transition vers le système diesel de la centrale. Plus tard le vice-ministre russe de l'énergie Sorokine dit que les électrotechniciens biélorusses ont trouvé une solution durable en connectant la centrale au réseau électrique biélorusse voisin (la frontière est à 10 km), mais rappelle les autorités énergétiques ukrainiennes à leurs obligations contractuelles envers la centrale.

 

Le "responsable" uniopéen des affaires étrangères Josep Borrell a appelé le directeur de l'AIEA Rafael Grossi pour lui faire état de la "situation très inquiétante", celui-ci a répondu qu'il n'y a aucun risque et qu'il est prêt à venir personnellement sur place pour rassurer tout le monde.

 

Heureusement l'armée russe se retirera bientôt, mais malheureusement on lui imputera ce qui sera détruit après son départ.

 

www.stratediplo.blogspot.com

Mercenaires, corsaires et francs-tireurs

Le 07/03/2022.

Vu que le gouvernement ukrainien a annoncé le 3 mars qu'il allait recevoir 16000 combattants volontaires de l'étranger, que le gouvernement étatsunien a lancé une campagne massive de recrutement de "contractuels" pour ses entreprises militaires privées, et que le gouvernement russe les a avertis que les mercenaires ne sont pas protégés par les conventions internationales, il est opportun de préciser les termes du point de vue du droit de la guerre (jus in bello).

 

En réalité les trois gouvernements parlent de trois réalités très distinctes, que les nouvelles pratiques guerrières étatsuniennes des dernières décennies ont contribué à confondre, y compris dans les études de doctrine militaire d'autres pays, directement ou indirectement influencés par le vocabulaire militaire étatsunien. Ces réflexions furent élevées jusqu'aux instances internationales (ONU), appelées à élaborer de nouvelles règles (prohibitions) mais sous l'empire de l'anglais approximatif, de l'influence doctrinale et de la confusion juridique étatuniens, de sorte qu'aucun accord ne put en sortir.

 

Le mercenariat est vieux comme le monde. Du temps de la Cité-Etat, quand on ne pouvait entretenir en temps de paix des troupes permanentes, il se trouvait toujours quelques combattants professionnels (parfois regroupés en unités contituées) prêts à louer leurs services à l'Etat qui en aurait besoin, fût-il différent de leur propre souverain. Dans l'Europe moderne de quatre ou cinq cents Etats dotés d'armées de réserve à la disponibilité légale minimale, comme en France où le roi ne pouvait demander aux nobles plus de quarante jours de service militaire par an, on a institué des régiments permanents basés presqu'exclusivement sur le mercenariat, qu'il soit étranger ou national. Plus près de nous l'institution du service militaire universel obligatoire par la révolution française, en plus de permettre trois guerres mondiales (1794-1814, 1914-1918 et 1939-1945), marginalisa l'importance du mercenariat. Cependant, il reste toujours en ce XXI° siècle au moins deux célèbres corps composés de mercenaires, la Légion Etrangère française et la Garde Suisse vaticane. Et ce qui fait le mercenaire est qu'il prête volontairement ses services militaires, ce n'est pas son statut particulier ou le montant de sa solde, ainsi les volontaires étrangers qui en 2014 sont allés à Donetsk par conviction, bien que bénévolement, étaient des mercenaires dès qu'ils étaient incorporés et vêtus de l'uniforme et des signes distinctifs des forces régulières de cet Etat.

 

Un combattant régulier en uniforme ou signe distinctif d'une armée constituée était déjà protégé par les lois et coutumes de la guerre avant qu'elles ne fussent codifiées entre les puissances européennes par les multiples conventions sur le droit humanitaire et le droit de la guerre, convoquées par les empereurs de Russie depuis Alexandre 1er jusqu'à Nicolas II. Peu importe son statut militaire, qu'il soit fonctionnaire, contractuel, réserviste, conscrit ou mercenaire, être incorporé à une armée régulière lui assure la protection de prisonnier de guerre en cas de capture (à l'exception des criminels de guerre). D'autre part, bien que l'engagement comme mercenaire soit un acte individuel, quand un Etat organise l'envoi de ses citoyens pour les forces armées (ou irrégulières) d'un autre Etat, on considère qu'il lui envoie un détachement militaire et, le cas échéant, qu'il participe au conflit auquel sont destinés les mercenaires ainsi envoyés, comme on peut le déduire par exemple de la résolution 3314 de l'Assemblée Générale des Nations Unies.

 

Un corsaire est un participant privé, mais mandaté, aux opérations guerrières. La guerre de course est née elle aussi du coût de construction et d'entretien d'une flotte importante de bâtiments de guerre en temps de paix. En accordant à un navigateur une lettre de course, c'est-à-dire un mandat gouvernemental, un Etat engage un navire privé armé, mais plus légèrement qu'un bâtiment de guerre, et lui demande de participer à la guerre, généralement contre la flotte commerciale ennemie, en se payant sur la vente de ses prises. Bien que le corsaire reste sous statut privé il est soumis aux lois de la guerre, notamment en matière de traitement de ses prisionniers (qui sont généralement des civils), et vu qu'il agit en dehors d'un encadrement hiérarchique il est soumis à divers contrôles judiciaires au retour à son port. L'Etat qui a accordé une lettre de course reste responsable, devant les Etats tiers, des actes de ses corsaires. Bien que plusieurs pays européens aient déclaré simultanément, il y a un siècle et demi, renoncer à cette pratique, certaines puissances aujourd'hui importantes ne l'ont pas fait, comme les Etats-Unis et la Russie. De toute évidence, engager une entreprise privée pour qu'elle commette des actes de guerre entre dans le cadre juridique de la guerre de course. Bien que certaines de ces entreprises soient enregistrées dans la catégorie "non résidente" de micro-Etats pour des raisons fiscales (et politiques), comme Greystone à la Barbade, fiction utilisée par beaucoup d'entreprises y compris des banques, ces entreprises appartiennent de facto à un autre pays. C'est le cas en particulier quand un Etat lui fournit son capital, lui détache ses officiers, lui paye ses "honoraires", les emploie dans ses guerres et, le cas échéant, les habille avec des uniformes similaires à ceux de son armée régulière, avec des signes d'identification différents. Tant que les employés de ces "entreprises militaires privées" (qui n'absolvent pas l'Etat de sa responsabilité du monopole de la force) portent des uniformes et des signes distinctifs, et se conforment au droit humanitaire et de la guerre, ils doivent être assimilés à des forces régulières et bénéficient de la protection conventionnelle. Au contraire, s'ils ne portent pas de signes distinctifs ils sont considérés comme des criminels de droit commun.

 

Un franc-tireur est une personne qui prétend participer à un conflit sans appartenir aux forces régulières, et sans porter de signes distinctifs qui l'identifient comme combattant. Le droit de la guerre, déjà avant les conventions de Genève, ne reconnaissent aucun statut protecteur à un franc-tireur. Il s'agit d'un civil, soumis au minimum aux lois locales relatives au port d'armes ou à la commission d'actes de violence, c'est-à-dire qu'en temps de paix il répond devant les tribunaux criminels compétents. En temps de guerre, que l'état de siège ou de guerre ait été officiellement prononcé ("loi martiale") ou pas, les armées ennemies et locales ont généralement une procédure spéciale accélérée pour les porteurs illégaux d'armes ou les perpétrateurs de violence. Nonobstant, il peut arriver que, en cas d'insurrection ou de résistance à une invasion, des groupements importants de francs-tireurs se trouvent dans une zone définie (maquis ou autre refuge isolé) séparée de la population et sans cacher ses armes, auquel cas bien qu'ils n'aient pas d'uniforme, mais s'ils portent un signe distinctif, on peut (choix politique sans obligation légale) les considérer comme combattants irréguliers (milice). Mais il n'y a aucun doute au sujet des groupes de francs-tireurs qui combattent déguisés en civils et se cachent parmi les civils dès qu'ils ont terminé leurs coups de main, ce qui attire sur la population civile les frappes et parfois les représailles des forces régulières ennemies. Pour ceux-là il n'y a généralement pas de pitié.

 

Au moment de terminer cette synthèse on apprend que les entreprises corsaires étatsuniennes offrent des salaires de 2000 dollars journaliers pour combattre en Ukraine, avec l'objectif de recruter comme mercenaires jusqu'à 20000 est-européens avec cinq ans d'expérience militaire, et l'armée russe avertit que seuls les militaires réguliers bénéficient du statut de prisonnier de guerre. Les opérations conventionnelles seront terminées avant qu'ils arrivent, et si on les introduit comme guérilleros irréguliers après la capitulation ukrainienne ils devront être traités comme des criminels par l'armée, vraisemblable ukrainienne, chargée de la normalisation après le retrait de l'armée russe.

 

Les mots mercenaires, corsaire et franc-tireur ne sont pas synonymes.

 

www.stratediplo.blogspot.com

Centrale nucléaire de Zaporojie

Le 06/03/2022.

 

Irréfutable depuis l'extinction de toutes les sources d'information russes à l'ouest du rideau de presse, la propagande antirusse dans le monde ex-libre accuse bruyamment la Russie d'avoir tenté le 4 mars dans la nuit de détruire la centrale nucléaire de Zaporojie, la plus grande d'Europe, dans un but qu'elle ne peut évidemment pas rationnellement expliquer.

 

Pour mémoire la sécurisation de la quinzaine de centrales nucléaires ukrainiennes était l'une des priorités du gouvernement russe dès le début de l'intervention. La zone de Tchernobyl est protégée conjointement par une unité ukrainienne et une unité russe depuis le 26 février, la zone de Zaporojie est sous le contrôle de l'armée russe depuis le 28 après la fuite désordonnée de l'unité ukrainienne locale.

 

Le ministère russe de la défense a annoncé qu'un commando ennemi infiltré dans le voisinage immédiat de la centrale nucléaire avait ouvert le feu "vers 2h00" (3h00 locales) sur une patrouille russe, laquelle avait riposté. Les premières informations venues du terrain évoquaient un départ de feu dû soit à l'utilisation de munitions éclairantes, soit à un incendie provoqué intentionnellement par ledit commando pour couvrir sa fuite. Les images ultérieures du bâtiment, des fenêtres duquel cet élément avait ouvert le feu, laissent supposer que la riposte n'a impliqué que les armes d'infanterie de la patrouille prise à partie.

 

Dmitri Orlov, dont les parents lui avaient fait traverser le rideau de fer pour qu'il puisse grandir en liberté, a récemment traversé le rideau de presse pour vieillir en liberté (né Soviétique et devenu Etatsunien il est désormais Russe), et vient de résumer avec sa minutie d'ingérieur la chronologie des événements selon la presse russe. Entre 3h00 et 4h30 locales un accrochage armé a eu lieu dans un bâtiment administratif à l'extérieur de la centrale nucléaire, résultant en un début d'incendie. Entre 4h51 et 4h59 les pompiers ukrainiens ont éteint ou vérifié ce qui restait de feu (on devine que les troupes russes sont intervenues sans attendre l'arrivée des pompiers). A 5h47 le président ukrainien Zelenski accusa la Russie de tenter de créer une nouvelle catastrophe Tchernobyl. A 6h36 l'Agence Internationale de l'Energie Atomique déclara que le feu dans la zone de la centrale de Zaporojie n'avait pas affecté cette centrale.

 

Plus tard dans la matinée le service de presse de la centrale nucléaire déclara que le feu avait eu lieu dans le service de formation situé à l'extérieur du site de la centrale, puis le directeur de la centrale déclara à la presse ukrainienne que la sécurité radiologique n'avait pas été menacée, et enfin le directeur de l'AIEA en personne assura que la sécurité de la centrale n'avait pas été menacée et que les outils de contrôle restaient pleinement opérationnels.

 

Le groupe assaillant a réussi à prendre la fuite, ce qui signifie que les tirs de riposte ont fait taire ses armes (neutralisation des points de tir) mais ne l'ont pas détruit. On ignore donc sa composition et son appartenance, à savoir ukrainienne ou étrangère, unité régulière ou groupe irrégulier, ainsi que son objectif et le commanditaire. Néanmoins l'intervention publique du président ukrainien, moins d'une heure après l'arrivée des pompiers et vraisemblablement avant leur retour à la caserne, laisse supposer soit que le directeur de la centrale nucléaire a jugé nécessaire de le réveiller pour lui dire qu'un incident bénin (accrochage sans victimes) avait eu lieu dans le pays en guerre et que tout allait bien, soit qu'un intervenant tiers, en liaison directe avec le groupe assaillant, venait d'apprendre le résultat du coup de main et de décider le maintien voire l'accélération de l'opération médiatique.

 

Dans les pays qui viennent d'interdire la pluralité d'information, le feu est loin d'être éteint et la période de demi-vie des retombées s'annonce longue.

 

PS : pendant ce temps, le Japon continue de jeter les déchets radioactifs de Fukushima dans l'océan dans l'indifférence médiatique et en toute impunité politique.

 

www.stratediplo.blogspot.com

Au sujet de la situation conflictuelle Ukraine-Russie - Le 18/02/2022.

Un article récent sur la "situation conflictuelle Ukraine-Russie" (https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/situation-conflictuelle-ukraine-239409), s'il est intéressant quant à son orientation générale et ses préconisations, appelle à la rectification de quelques petites approximations, trop lourde pour s'insérer dans les commentaires.

 

L'Ukraine n'est pas partiellement russophone "depuis l'URSS", elle l'est depuis mille ans. La Rus de Kiev est le berceau de la Russie. Saint Vladimir, fondateur de la Russie par son baptême à Chersonèse (Crimée), était prince de Kiev, et sa petite-fille la reine de France Anne, épouse d'Henri 1er (petit-fils d'Hugues Capet), était princesse de Kiev. Certes quand le centre de gravité de la Russie s'est déplacé vers la Moscovie on a alors appelé la région de Kiev Malorussie (Petite Russie), par opposition à la Grande Russie (Moscou) et la Biélorussie, littéralement Russie Blanche. Certes aussi à l'époque de Saint Vladimir on parlait plutôt dans toutes ces régions le vieux slavon, ancêtre du russe moderne et de l'ukrainien actuel, qui d'après les critères du grand linguiste Ferdinand de Saussure ne sont que deux dialectes de la même langue puisqu'ils sont intercompréhensibles (comme le néerlandais, le flamand et l'afrikaans par exemple). Tandis que la Malorussie (région de Kiev) est restée russe, le sud du territoire ukrainien actuel, byzantin (grec) a été annexé à l'empire ottoman après la chute de Constantinople (1453), et est resté turc pendant trois siècles, jusqu'à sa libération ou reconquête par Catherine II en 1769, puis annexée en 1783 sous le nom de Novorussie signifiant Nouvelle Russie. Tout cela est bien antérieur à l'industrialisation de l'Ukraine par le régime soviétique. Quant à la partie de l'Ukraine qui a été prise aux voisins occidentaux de l'URSS en 1946, c'est essentiellement la Galicie plus quelques petits territoires pris à la Pologne, la Hongrie et la Roumanie, où là la langue russe n'avait pas d'antériorité.

 

Les "occidentaux" n'ont pas rejoint les insurrections en Ukraine fin 2013, ils les ont provoquées. Les Etats-Unis ont ultérieurement admis avoir dépensé 5 milliards de dollars sur dix ans pour préparer ce coup d'Etat qu'ils appellent démocratisation, et on connaît le rôle de l'organisation Otpor commanditée par Soros. L'Union Européenne a facilité puis couvert le déploiement des tireurs d'élite géorgiens, tchétchènes et lituaniens sous commandement "privé" (corsaire) étatsunien qui abattaient simultanément des manifestants et des policiers pour radicaliser les affrontements. L'UE a fait renverser le président Viktor Yanoukovitch parce qu'il refusait la clause léonine de l'accord d'association avec l'UE obligeant à couper tout lien économique avec la Russie. Le coup d'Etat du 22 février 2014 n'a pas amené un "gouvernement pro-européen" stricto sensu mais le parti national-socialiste, rebaptisé "liberté" (Svoboda) en 2004, que le parlement européen qualifiait encore de "nazi" le 13 décembre 2012 (un an avant Maïdan) en interdisant formellement tout contact entre des députés uniopéens et des membres dudit parti ukrainien. La première chose que fit le régime issu du coup d'Etat fut d'abolir la constitution ukrainienne de 1996, puis d'envoyer l'armée et les milices contre les manifestants du sud-est qui manifestaient contre le coup d'Etat, avec l'objectif déclaré de déporter la population "russophone" (la pousser jusqu'en Russie) mais l'objectif réaliste d'exclure et isoler ces régions puisque leur participation aux élections futures ne pouvait que ramener un gouvernement dit "prorusse", comme deux fois dans les dix années antérieures (chaque fois que des élections libres ont été organisées) car la population ukrainienne est majoritairement "prorusse" même après soustraction de la population criméenne.

 

La Crimée n'était pas formellement "indépendante" avant son annexion en 1783, elle était un khanat (province autonome) de l'empire turc, comme les territoires d'Afrique du nord à la même époque. Encore une fois, elle était turque depuis trois siècles, étant avant la chute de Constantinople partagée entre l'empire byzantin et la république de Gênes (donc de culture grecque et latine sur le substrat slavon). L'auteur de l'article écrit qu'en 2014 le referendum a eu lieu "alors que des forces russes sont déjà présentes", sans autre précision comme si elles venaient d'arriver. En vérité l'accord de 1997 par lequel l'Ukraine avait laissé une partie du port de Sébastopol à disposition de la flotte russe de la Mer Noire jusqu'en 2017 (ultérieurement étendu à 2042), pas gratuitement évidemment, autorisait la présence de 25000 soldats russes pour protéger la zone, mais il n'y en avait que la moitié début 2014. Lors du referendum ces forces russes légalement présentes n'ont pas supervisé les bureaux de vote comme l'armée française dans le Comtat Venaissin en 1791, mais seulement empêché l'armée ukrainienne de sortir de ses casernes pour interdire le referendum, à Sébastopol (dans le reste de la Crimée il n'y avait pas de garnisons russes). Personne n'a réellement "suspecté" un bourrage des urnes, ceux qui l'ont prétendu mentaient car ils auraient pu se joindre aux observateurs de tous pays invités par la Crimée pour observer la tenue du referendum et qui constatèrent sa transparence, contrairement au referendum à Mayotte en 2009 (expressément interdit par l'ONU) où la France n'a accepté aucun observateur étranger, en dépit de la demande des Comores.

 

Dire qu'il y avait X% de Russes ou d'Ukrainiens en Crimée avant ou après la réunification peut laisser croire à des transferts de population et non pas de citoyenneté. En fait en 2013 la quasi-totalité des Criméens, qu'ils fussent d'anciens Soviétiques ou nés après 1991, avaient la nationalité ukrainienne (même s'ils se disaient "russes" comme certains Canadiens se disent "français"), sauf les milliers de Tatars revenus sur la terre de leurs ancêtres (l'URSS les avait déportés pour "collaboration collective" avec l'Allemagne) mais que l'Ukraine considérait comme apatrides ou Ouzbèques en leur refusant la nationalité ukrainienne, raison pour laquelle ils furent enthousiasmés (sauf la chanteuse Suzanne dite Djamila) de recevoir la nationalité russe dès la réunification en 2014. Après la réunification la quasi-totalité des Criméens obtinrent la nationalité russe, sauf quelques irrédentistes malorusses ou novorusses qui la refusèrent et restèrent comme Ukrainiens "immigrés".

 

"La Crimée sort donc de l'Ukraine" après le referendum est une erreur de chronologie, car le parlement de Crimée a constaté la restauration de l'indépendance le 11 mars et le referendum sur la réunification avec la Russie s'est tenu le 16, la Crimée étant alors de jure indépendante. Pour mémoire la Crimée avait proclamé son autonomie dès le 20 janvier 1991, l'Ukraine l'a fait le 24 août (après l'échec du coup d'Etat du 19 à Moscou) et les deux se sont retrouvées indépendantes à la dissolution de l'URSS le 26 décembre. La Crimée a immédiatement rédigé sa constitution (d'Etat post-soviétique indépendant) et l'a proclamée dès le 5 mai 1992 ; l'Ukraine ne l'a fait que le 28 juin 1996, et la Crimée y alors adhéré, renonçant à son indépendance acquise quatre ans plus tôt, en échange d'un statut d'autonomie très large. Le coup d'Etat du 22 février 2014 à Kiev ayant officiellement aboli la constitution de 1996 (elle fut rétablie –altérée– plus tard) par laquelle la Crimée avait adhéré comme région autonome à l'Ukraine, la Crimée s'est donc retrouvée indépendante, et l'a proclamé le 11 mars, avant d'annoncer le referendum sur la réunification avec la Russie.

 

Il est anachronique de voir dans les "sanctions" (en droit international des mesures coercitives illicites et illégitimes car seule une organisation internationale peut prendre une sanction contre un de ses membres et les contre-mesures licites ou légitimes sont bien répertoriées) une réaction au referendum ou à l'annexion par la Russie, puisqu'elles ont été annoncées par l'Union Européenne le 3 mars, donc avant la proclamation d'indépendance de la Crimée le 11, l'annonce du referendum (le 11 également) et sa tenue (le 16) et enfin la réunification avec la Russie (demandée le 17 et acceptée le 18). Ces mesures d'hostilité n'étaient donc pas réactives mais avaient pour but manifeste de soutenir le coup d'Etat du 22 février. Accessoirement les navires que la France refusa de livrer à la Russie qui les avait payés n'étaient pas de petites "vedettes maritimes" mais les Bâtiments de Projection et de Commandement (porte-aéronefs transport de troupes et hôpital) Vladivostok et Sébastopol de classe Mistral, à savoir des bâtiments de première ligne.

 

Autre approximation, le principe d'intégrité des Etats ne s'applique qu'aux relations entre Etats et n'est pas opposable à l'autodétermination d'une composante d'un Etat, d'après l'avis consultatif 2010/25 de la Cour Internationale de Justice (ONU), qui liste trois siècles de jurisprudence pour montrer qu'une déclaration d'indépendance (même sans referendum d'ailleurs) ne viole pas le droit international. Quant à la France, elle n'a jamais quitté l'Alliance Atlantique mais seulement l'OTAN (l'organisation militaire), et si c'est le président Sarközy de Nagy-Bocsa qui a signé le retour dans l'OTAN cela avait été décidé sous son prédécesseur Chirac, celui qui avait sabordé l'Union de l'Europe Occidentale ressuscitée par Mitterrand. Pour mémoire le traité de l'UEO comportait une obligation d'entrer en guerre en cas d'agression extérieure contre un autre membre, tandis que le traité de l'Alliance Atlantique n'en comporte que l'option facultative, la doctrine de "riposte graduée" des Etats-Unis interdisant un engagement formel d'intervention militaire ou nucléaire en cas d'agression soviétique en Europe.

 

L'auteur entre tardivement dans son sujet de titre, la tension entre l'Ukraine et la Russie d'après les Etats-Unis, et tout ce qui précède est plus intéressant que pertinent car ce que le gouvernement ukrainien entend reconquérir ou écraser un jour est la portion de Novorussie poussée en 2014 à l'indépendance (républiques de Donetsk et Lougansk), mais il n'a aucune ambition ou illusion sincère concernant la Crimée. Accessoirement il y a ici une opportunité de rectifier une interprétation erronée de la traduction française courante du nom des républiques de Donetsk et Lougansk, qu'on qualifie d'ailleurs systématiquement d'autoproclamées comme si les républiques d'Ukraine, de Russie ou de France avaient, elles, été proclamées par des autorités ou pays tiers. L'expression "narodnaya respublika" (народная республика) ne signifie pas "république populaire" au sens de communiste comme on l'entendait en français au siècle dernier. Narodna signifiant nation ou peuple, l'expression veut simplement dire Etat du "peuple de Donetsk" (ou de Lougansk), au sens de république "donetskienne" en l'absence d'adjectif spécifique aux peuples actuels du bassin du Don. Pour tout rappel sur les événements de 2014 et leurs conséquences on peut revoir l'article "Crimée et Ukraine" du 16 mars 2014 (http://stratediplo.blogspot.com/2014/03/crimee-et-ukraine_16.html) et la quarantaine d'articles suivants.

 

On ne peut en tout cas qu'approuver les conclusions implicites et explicites de l'auteur, à savoir que la Crimée est russe, que la France n'est pas directement concernée par les projets ukrainiens concernant Donetsk et Lougansk ou les projets étatsuniens concernant la Russie, et qu'elle doit restaurer son indépendance stratégique et sa pertinence diplomatique, en commençant par quitter l'OTAN et neutraliser l'Alliance Atlantique.

 

On aurait voulu avoir le temps d'écrire la semaine dernière sur les déclarations étatsuniennes, mais le gouvernement ukrainien a suffisamment dénoncé cet alarmisme hystérique sans fondement, jusqu'au président Zelenski qui a publiquement prié son pair Biden d'arrêter d'annoncer une invasion dont l'état-major ukrainien ne voit aucun signe.

 

Les deux questions qui restent en suspens sont d'une part la date de l'attaque finale de l'Ukraine contre Donetsk et Lougansk, dont la préparation semble s'accélérer mais qui peut être dissuadée, et d'autre part la date de l'attaque de l'UE et l'OTAN contre la Russie, qui reste imprévisible mais certaine pour les raisons exposées dans le Onzième Coup de Minuit de l'Avant-Guerre (https://www.amazon.fr/onzième-coup-minuit-lavant-guerre/dp/1913057984).

 

Source : Stratediplo

Commentaires: 0