Note de réflexion n°23 - novembre 2017

GUERRE ÉLECTRONIQUE : LE RETOUR ?

...par Olivier DUJARDIN

Olivier Dujardin a 20 ans d’expérience dans la guerre électronique et le traitement des signaux radar. Il a successivement assuré des fonctions opérationnelles dans la guerre électronique radar, dans l’étude des systèmes radar et de guerre électronique, dans l’analyse et le recueil des signaux. Il a également assuré la fonction d’expert technique en systèmes de recueil. Il est l’auteur du Rapport de recherche n°15, Le Renseignement technique d’origine électromagnétique appliqué au radar (ELINT), CF2R, octobre 2015 (https://www.cf2r.org/recherche/le-renseignement-technique-dorigine-electromagnetique-applique-au-radar/).


Le domaine de la guerre électronique (GE) revient petit à petit sur le devant de la scène. Ce regain d’intérêt, est principalement du aux forces russes. En effet, la Russie, la Syrie, mais aussi l’Ukraine, à l’occasion de leurs différents exercices et opérations, mettent systématiquement en œuvre des systèmes de guerre électronique.

Les compétences russes dans ce domaine ne sont pas nouvelles. Ils ont été les premiers à mettre en œuvre des mesures de guerre électronique dès 1905, pendant la guerre russo-japonaise. C’est une discipline à laquelle Moscou a toujours accordé une grande importance, qu’il s’agisse du matériel ou des doctrines d’emploi.

L’action de brouillage réalisée par un SU-24 sur le destroyer USS Donald Cook en 2014, les actions de brouillage contre les systèmes Patriot basés en Turquie, le brouillage GPS des missiles Tomahawk lancés contre la base aérienne d’Al-Shayrat1, la mise en service du nouveau système de guerre électronique Krassoukha-4 et la récente création d’une unité de « Forces spéciales de lutte radio-électronique » sont autant de sujets de préoccupations pour les Etats-Unis. Il semblerait même que les Américains cherchent à se procurer, via des intermédiaires, les derniers équipements électroniques russes. Non seulement les Russes démontrent un réel savoir-faire, mais leur dynamisme est sans commune mesure avec celui des pays occidentaux qui semblent n accorder à la guerre électronique qu’un intérêt plus limité.

 

LE PRÉOCCUPANT RETARD FRANÇAIS

 

Si les Etats-Unis commencent à s’intéresser au sujet en prenant conscience de leur retard, la France semble demeurer en retrait. Pour s’en convaincre, il suffit de lire la dernière Revue stratégique commandée par le Président de la République. En effet, le sujet de la guerre électronique n’est tout simplement pas abordé : le terme n’est utilisé qu’une seule fois, page 49, dans une liste de capacités et le bigramme « GE » n’apparaît que sur un tableau, page 69. A titre de comparaison, la menace cybernétique est mentionnée une trentaine de fois.

Pourtant, la guerre électronique n’est pas inexistante aujourd’hui en France. Les capacités nationale en la matière se concentrent sur le renseignement (écoute et localisation des communications, identification et localisation des émetteurs radar), l’autoprotection des avions, des bâtiments de combat (brouillage et leurrage des missiles), ainsi que sur le brouillage des IED. Elles sont donc préventives et défensives, mais pas du tout offensives.

Ces limitations ne sont pas spécifiquement françaises : les principales capacités de guerre électronique offensives de l’OTAN sont américaines, essentiellement basées sur les avions d’attaque électronique EA-18G Growler. Ceux-ci ont pour mission d’effectuer du brouillage de gammes de fréquence, de façon à interdire à l’ennemi l’utilisation d’une partie du spectre électromagnétique en vue d’une attaque. Les Etats-Unis possèdent aussi d’autres capacités plus orientées vers l’écoute et le brouillage des communications, comme les EC-130 Commando Solo.

Les autres systèmes spécialisés sur les moyens de communication sont clairement orientés vers la contre-insurrection où l’ennemi ne possède que des moyens de communications rudimentaires ou issus du commerce. Le « brouillage à bruit », tel qu’il est pratiqué, a pour caractéristique d’être de large bande et de forte puissance, ce qui le rend peu discret. Si ce type de brouillage prive effectivement l’adversaire de ces moyens, cela l’avertit immanquablement sur vos intentions. Les systèmes radar ou de communication vont automatiquement détecter ce type de brouillage et tenter automatiquement d’y échapper en changeant de fréquences. De plus, si le « brouillage à bruit » ne couvre pas l’intégralité de la gamme de fréquence de l’équipement, il peut être sans conséquence sur son fonctionnement.

A l’inverse, le brouillage dit « intelligent » permet de perturber un système sans que celui-ci ne le détecte (l’adversaire ne tentera donc pas de changer son fonctionnement pour y échapper). Cela a pour conséquence d’être, non seulement plus discret, mais permet aussi de priver l’adversaire de ses moyens de communications et de détection sans qu’il s’en aperçoive, ou du moins sans qu’il comprenne immédiatement d’où vient le problème.

Aujourd’hui, la rationalisation des moyens passe par l’hyper connectivité des combattants et des plateformes pour diminuer le « brouillard de la guerre » et ainsi éviter la dispersion des ressources. De même, la généralisation de l’emploi des armes guidées, à la fois par souci d’éviter les dommages collatéraux mais aussi par économie des plateformes (moins de plateformes = moins de munitions emportées), impose de disposer de l’usage des senseurs et moyens de guidage associés (GPS, radar, satellites, drones etc.). Si demain un adversaire est en mesure de priver l’armée française de l’usage de tout ou partie de ces capacités, elle ne bénéficiera plus de ce multiplicateur de force qui justifiait la baisse des moyens. Actuellement un effort est fait afin de parer les menaces cybernétiques afin de protéger nos systèmes; mais il ne faut pas oublier que la très grande majorité de nos moyens de communication passent par l’utilisation du spectre électromagnétique. Aussi son contrôle demeure stratégique.

Alors, pourquoi les armées françaises ne semblent-elles pas s’intéresser outre mesure à la guerre électronique ? Et pour quelles raisons personne, dans les états-majors, ne semble prendre conscience de l’importance de ce domaine ? Au moins trois facteurs sont à considérer :

– Premièrement, il n’existe pas, en France, sauf à de rares exceptions, d’officiers spécialistes de la guerre électronique. Quelques officiers issus du corps des sous-officiers ont des compétences en la matière mais leur cursus ne leur permet pas d’atteindre des niveaux de responsabilités suffisants. Aujourd’hui, selon leur cursus et leur spécialité, les officiers n’abordent la guerre électronique qu’au travers des thèmes plus larges (lutte au-dessus de la surface, autoprotection, renseignement, etc.). A titre d’exemple, le cas du GEOINT (GEOgraphique INTelligence ou renseignement géoréférencé) est présenté comme un axe majeur pour la défense, il fait appel à plusieurs domaines techniques (dont la guerre électronique) mais n’est qu’une interface de présentation des informations. Tel qu’il est présenté, il apparait comme un domaine indépendant, faisant faussement croire que les moyens et la présentation ne font qu’un (pour présenter quelque chose encore faut-il avoir quelque chose à présenter). La guerre électronique est un sujet très technique où les contraintes physiques et technologiques sont importantes et donc relativement complexes à appréhender. Or, cette complexité est difficilement compatible avec le temps d’affectation des officiers qui est souvent limité à deux ans. Fait aggravant, les officiers en charge de ce domaine n’ont que rarement la guerre électronique comme seule responsabilité. C’est aussi une discipline « temps long » (recueil du renseignement nécessaire, analyse, réalisation des équipements, etc.) où les décisions et les actions prises demandent plusieurs années pour produire leurs effets. C’est donc un secteur qui apparaît assez peu porteur pour l’avancement des officiers, ce qui ne favorise pas leur intérêt pour cette discipline. Comparativement, le cyber apparaît bien plus gratifiant et porteur pour ceux qui sont intéressés par les spécialités techniques.

– Deuxièmement – et c’est aussi la conséquence du premier point -, il y a une absence totale de réflexion stratégique sur le sujet. La réflexion est concentrée entre les mains d’une poignée de spécialistes au niveau de certains organismes étatiques (DGA principalement) et chez des industriels, mais elle principalement orientée vers des considérations technologiques, sans objectif ni direction précis. Elle est au demeurant déconnectée des contraintes et des besoins opérationnels. En conséquence, la guerre électronique n’est pas portée à haut niveau. La preuve en est qu’il n’y a aucune production de réflexion sur le domaine de la part des officiers généraux. A ma connaissance, le seul ouvrage sur le sujet est le livre du général Jean-Paul Siffre, La Guerre électronique : maître des ondes, maître du monde (2002). Ce livre a le mérite de, présenter les contours du domaine de la guerre électronique tel qu’il est vu en France mais ce livre n’en offre qu’une vue limitée et il était déjà un peu dépassé au moment de sa parution,.

– Troisièmement, les technologies liées à l’armement se diversifient et se complexifient, augmentant d’autant le nombre de sujets de recherche et de réflexion (robotique, intelligence artificielle, cyber défense, big data, hypervélocité, furtivité, etc.). Ni la réflexion, ni les transformations nécessaires à chaque domaine ne peuvent être menées de front dans un contexte où les ressources financières et humaines sont de plus en plus limitées. Face à cet afflux de sujets, les armées, par manque de ressource humaine et de compétence technique, ne semblent plus être en position de prendre le recul nécessaire pour définir des priorités et suivent les effets de modes du moment. Le champ de la guerre électronique se retrouve ainsi noyé dans un flot de branches scientifiques qu’il serait nécessaire de traiter et de prioriser, un peu à l’image d’un « Livre blanc » des technologies, pour concentrer les ressources sur les secteurs les plus structurants.

Le fait que la France ne dispose pas, aujourd’hui, de compétences en matière de guerre électronique offensive, au-delà du manque capacitaire que cela implique, signifie aussi qu’elle est peu à même de se protéger efficacement contre une attaque de ce type. En effet, pour construire une cuirasse efficace, encore faut-il savoir à quoi elle va devoir résister. Or, à l’heure de l’hyper connectivité et des armements guidés, la maîtrise du spectre électromagnétique est un élément dimensionnant pour l’efficacité des forces ; il ne faut donc pas le négliger.

  1.  Sur 61 missiles lancés, 2 ont dysfonctionné au lancement, 30 se sont crashés en mer, très probablement victimes de brouillage, 6 ont manqué leur cible et seuls 23 ont fait mouche

 

 

Source : https://www.cf2r.org/reflexion/guerre-electronique-le-retour/

 

Commentaires: 0