Le fait que nous soyons à ce point surpris, y compris l’auteur de ces lignes, par l’invasion russe de l’Ukraine, témoigne de la perte d’une capacité
d’analyse obscurcie par l’arrogance inconsciente de ce que l’on appelle « l’occidentalisme ». Et également par un rapport au temps, envahi par ce que l’on appelle le « présentisme »,
c’est-à-dire limitation de notre mémoire à ce qui s’est passé la semaine dernière. Et nous avons pris l’habitude de plaquer sur le réel une morale unilatérale et utilitaire qui nous fait
oublier le caractère tragique de l’Histoire.
Petit retour 500 ans en
arrière
À la fin du XVe siècle, l’Europe s’est lancée à la conquête du monde dans le cadre de ce que l’on a appelé la « deuxième mondialisation » après celle de
l’antiquité romaine. Pendant que la civilisation chinoise qui disposait pourtant de bases matérielles plus importantes, et dont les flottes parcouraient les mers, décidait de se refermer
et de se contenter d’être l’Empire du Milieu. Juste un petit détail qui en dit long, lorsqu’au milieu du XVe siècle, la dynastie Ming mis fin aux expéditions maritimes, en fermant ses
ports et ses frontières aux bateaux et aux voyageurs étrangers, construire une jonque était puni de mort. Pendant trois siècles, les Européens sillonnèrent les mers du globe et
s’implantèrent massivement dans le Nouveau Monde débarrassé de ses habitants par la conquête, le génocide et les germes. Au XIXe siècle ce fut l’avènement du fameux triptyque décrit par
Éric Hobsbwam. Avec la révolution industrielle (l’ère du Capital) et son accouchement faisant subir aux populations de l’Europe et du Nouveau Monde une énorme violence sociale. Puis la
colonisation occidentale sur l’ensemble de la planète avec son cortège de violences et ses contradictions (l’ère des empires). Et enfin la mise en place des structures politiques en
Occident dont nous continuons aujourd’hui à faire usage (l’ère des révolutions). Ce fut la troisième mondialisation qui vit des migrations considérables, l’Europe déversant sur le monde
ses populations excédentaires.
Le « court XXe siècle », commencé le 1er août 1914 pour se terminer le 8 novembre 1989 fut le théâtre de deux guerres mondiales mettant la planète à feu et
à sang et d’une guerre froide qui nous fit frôler plusieurs fois la catastrophe nucléaire. Depuis la fin du XIXe, une fois réglé son problème interne avec la guerre de Sécession, les
États-Unis d’Amérique ont mis en œuvre une stratégie claire, celle de la conquête de l’hégémonie sur l’ensemble occidental, devant déboucher sur la conduite des affaires du monde. Ce
n’est pas exonérer Joseph Staline de ses crimes et de la mise en coupe réglée des pays conquis lors de la guerre contre l’Allemagne nazie, que de rappeler que la guerre froide fut d’abord
voulue et déclenchée par les États-Unis. Le choix de Truman comme vice-président d’un Roosevelt malade dont on savait qu’il ne finirait pas son quatrième mandat en fut le premier acte.
Par une manipulation de la convention démocrate 1944, Henry Wallace considéré comme soviétophile et partisan de la pérennité de la « Grande alliance » fut écarté au profit d’Harry Truman.
Plus tard, l’effondrement et le démantèlement de l’URSS furent considérés par les États-Unis comme la victoire qui leur était due et signifiait la fin de l’Histoire avec la consécration
définitive de la domination occidentale sur le monde, sous conduite américaine. Cette conviction explique les actes de piraterie internationale que les USA ont multipliés depuis 30 ans
sans qu’aucune de ces violations du droit ne subisse ou n’encoure la moindre sanction. Tout comme la façon dont la Russie fut piétinée dans les années 90, et pourquoi l’arrivée à sa tête
d’un colonel du KGB décidé à restaurer un État, fut perçue comme illégitime et une atteinte aux intérêts fondamentaux de l’Amérique.
Le piège de Thucydide
Le piège de Thucydide est un concept de relations internationales tiré de son livre La Guerre du
Péloponnèse qui décrit l’affrontement entre Sparte puissance dominante, et Athènes puissance émergente, la première étant poussée à la guerre par la peur suscitée par
l’ascension de son rival. C’est ce qui arrive aujourd’hui aux États-Unis avec l’émergence de la Chine.
On attribue à Lénine la citation selon laquelle : « Les capitalistes nous vendront la corde avec laquelle nous les pendrons ». Si elle ne s’est pas
appliquée à l’Union soviétique, le moins que l’on puisse dire est qu’elle colle parfaitement à la façon dont l’Occident a facilité le décollage de la Chine et le retour de l’Empire du
Milieu dans l’Histoire. Par souci du profit immédiat, à coups de délocalisations et d’investissements, il a transformé ce pays en atelier du monde. Favorisant son décollage et lui
permettant en un temps très court de rattraper ses retards. Occident incapable, probablement aussi par racisme inconscient, de comprendre que la Chine avait une revanche à prendre sur ce
que nous lui avions fait au XIXe siècle pendant « le siècle de la honte » (la puissance occidentale s’exprimant notamment à l’époque dans les Guerres de l’Opium, imposant à la Chine les
règles libre-échangistes de son commerce par la force), et que le souci de cette civilisation bimillénaire était de reprendre la place qu’elle considère lui être due.
Le réveil des adeptes occidentaux du court-termisme a été brutal et douloureux. Et c’est ainsi que la question russe est devenue primordiale. Tous les
étudiants de ce pays qui envisagent des études historiques, politiques ou diplomatiques sont tenus de lire intégralement le livre de Zbigniew Brzeziński Le grand
échiquier où le conseiller écouté des présidents américains expose avec franchise, voir cynisme, la théorie selon laquelle l’amélioration du monde et sa stabilité dépendent du
maintien de l’hégémonie des États-Unis. Tout pays devenant concurrent est dès lors considéré comme une menace pour la stabilité mondiale. Et pour lui, la Russie doit être neutralisée,
voire démantelée. Pour la bonne raison qu’il faut la détacher d’une Europe qui ainsi ne peut pas redevenir une puissance, restant ainsi soumise à l’hégémonie américaine. Les États-Unis
pouvant ainsi se tourner vers le Pacifique et la Chine où ils savent qu’aura lieu l’affrontement prévu par Thucydide.
Pour les Russes, tout ce qu’ils considèrent avoir subi depuis la chute de l’Union soviétique se rattache à ce choix stratégique, et nourrit un sentiment
d’insécurité traditionnellement très fort. Sentiment aggravé, il ne faut jamais l’oublier, par l’épouvantable catastrophe que fut pour eux la Deuxième Guerre Mondiale. Le coup d’État
organisé en 2014 par les États-Unis en Ukraine, l’installation dans ce pays d’un gouvernement anti-russe corrompu et à leur botte, la volonté de le faire rejoindre l’OTAN pour y installer
des armes offensives dirigées contre eux, tout ceci a convaincu les Russes que l’affrontement devenait inévitable. La façon dont ils s’y sont préparés sur les plans militaires économiques
et financiers aurait dû attirer notre attention à tous. Le refus des pays occidentaux qui en étaient pourtant les garants d’appliquer les accords de Minsk ont probablement fini de les
convaincre que la solution militaire était inéluctable.
L’espoir que le pire ne soit pas toujours sûr nous a aveuglés sur ce qui nous attendait. La force du sentiment de supériorité occidentale si présent dans
nos têtes nous a empêchés de comprendre le sens de l’offensive diplomatique de l’automne dernier. Les demandes écrites de la Russie exigeant des réponses également écrites dont
manifestement leurs dirigeants savaient qu’elles étaient vouées à l’échec, tout cela constituait une maskirova, c’est-à-dire une opération d’intoxication destinée à masquer les
préparatifs militaires. Une opération du type de celle qui vient de se déclencher nécessitait plusieurs mois de préparation et la décision de principe avait probablement été prise depuis
longtemps.
La fin de l’ère occidentale
?
Il est difficile de savoir à ce stade quelle est la stratégie militaire mise en œuvre par la Russie en Ukraine, mais l’objectif apparaît désormais
clairement. Mettre fin à l’existence d’une Ukraine antirusse, laquelle ne perdrait pas nécessairement son statut d’État, mais serait transformée, réorganisée, neutralisée et redeviendrait
partie intégrante du monde russe. Les Russes sont gens d’action, et il vaut mieux les écouter quand ils parlent. Il aurait fallu le faire lors du discours de Vladimir Poutine à Munich en
2007. Et dès ce moment-là, comprendre que parier sur la poursuite de l’effondrement de la Russie était une erreur. Nous avons dit dans ces colonnes que nous étions rentrés dans une
nouvelle guerre froide. Il est possible que cela soit beaucoup plus que ça. Et qu’une phase de plus de 500 ans, celle de la domination de l’Occident sur la planète, soit en voie
d’achèvement et ce qui vient de se passer en Ukraine est une singulière expression du processus en cours.
Comme le démontre le vote de la condamnation de l’invasion russe par l’assemblée générale de l’ONU. Il faut regarder en détail qui a condamné, qui
sanctionne, qui a refusé de condamner, mais surtout qui s’est abstenu. Reflet d’un monde multipolaire où l’on constate que seul l’Occident s’oppose réellement à la Russie. Parce que pour
les autres, ce n’est pas autre chose qu’un conflit entre celle-ci et l’Occident. La Chine, l’Inde, l’Amérique latine, l’Afrique, le monde islamique et l’Asie du Sud-Est, plus personne ne
reconnaît réellement le pouvoir que s’auto-attribue l’Occident à régenter l’ordre mondial. Et n’acceptera plus qu’il en fixe longtemps encore les règles du jeu.
Une fois de plus, il faut rappeler qu’il ne s’agit plus de morale, de celle dont es occidententaux savent faire peu de cas quand ça les arrange. Et surtout
quand les cours de morale sont donnés par ceux-là mêmes qui jugent, généralement avec cynisme en être dispensés. Il s’agit d’intérêts nationaux.
La Russie a donc défié l’Occident, et que dire du spectacle de la réaction de celui-ci à base de délires guerriers impuissants, de sanctions improductives,
voire mortifères, pour ceux qui les prennent, et d’affichage d’une médiocrité tragique lorsque l’on voit qui sont les dirigeants de ces puissances ? Un vieillard sénile flanqué d’une
nullité politique pour diriger celle qui se veut le gendarme du monde. Des élites américaines et européennes incompétentes basculant au coup de sifflet dans une hystérie inepte, à base de
propagande grossière, de glapissements et d’incantations. Des États européens multipliant à grands sons de trompe des sanctions qui sont autant d’obus de mortier qu’ils se tirent dans les
pieds, et qui n’auront aucun effet sur la détermination russe. Tout cela constitue autant de symptômes permettant de penser que l’ère de la domination occidentale mondiale est en train de
s’achever. Fruit du piège de Thucydide, ce processus ne se passera pas simplement, sera dangereux et chaotique, et il constitue pour notre pays, puisque nous sommes un pion dans le
système occidental, un défi particulier.
L’invasion de l’Ukraine est une claire violation du droit international, mais c’est d’abord un événement qui acte le
déclin de la civilisation occidentale sous hégémonie américaine. Nous allons probablement vers des temps difficiles.
La réalité est que l’opération militaire actuelle en Ukraine, en temps voulu, sera reléguée à un peu plus qu’une note en bas de page dans l’histoire mondiale, mais
la guerre financière totale qui s’est répercutée sur la Russie sera essentielle pour définir le nouvel ordre mondial à venir. En fait, nous avons peut-être déjà assisté au moment où l’histoire
économique a changé de voie : Le 26 février, l’Occident collectif a saisi toutes les réserves de change de la Banque centrale de Russie qui étaient détenues en Occident.
En résumé, l’Occident a décrété que les réserves souveraines russes en euros, en dollars et en bons du Trésor américain n’étaient plus de la « bonne
monnaie ». Elles étaient sans valeur en tant qu’« argent » pour payer les dettes russes envers les créanciers étrangers. Et en sanctionnant également la banque centrale russe, il est
devenu impossible pour ceux qui achètent des biens, de l’énergie ou des matières premières d’effectuer leurs transactions par l’intermédiaire de la banque.
L’ampleur de cet événement est soulignée par le fait que lors d’un conflit antérieur centré sur l’Ukraine – la guerre de Crimée de 1854-1856 – la Grande-Bretagne et
la France étaient en guerre contre la Russie. Pourtant, tout au long de la guerre, le gouvernement russe a continué à payer des intérêts aux détenteurs britanniques de sa dette, et le
gouvernement britannique a également continué à payer ses dettes au gouvernement russe.
Le message est clair : si même un État important du G20 peut voir ses réserves annulées en un tour de main, alors, pour ceux qui détiennent encore des
« réserves » à New York, allez les chercher ailleurs tant que c’est possible ! Et si vous avez besoin de garder quelque chose de valeur en réserve pour les mauvais jours, achetez et
conservez de l’or.
Nous pensions donc que les obligations souveraines des États-Unis étaient de l’« argent » et étaient inviolables ? Eh bien, les États-Unis viennent de déclarer
nulles et non avenues ces dettes américaines détenues par la banque centrale russe. Peut-être qu’à l’instar des obligations impériales russes qui décoraient les salles de bain européennes en tant
que papier peint coloré mais sans valeur, la banque centrale russe va maintenant utiliser ses obligations du Trésor américain comme papier peint de salle de bain (bien que dans une décoration
moins colorée).
Eh bien, faites attention ! Ce n’est pas tout. Selon la législation proposée par le Sénat américain, les réserves d’or détenues par la banque centrale de Russie
seront gelées et saisies. Il y a cependant un gros problème avec cette législation. L’or existe. Il s’agit de lingots d’or physiques (environ 2300 tonnes), d’une valeur d’environ 150 milliards de
dollars, MAIS ils sont stockés en Russie. Ils ne peuvent pas du tout être gelés ou saisis.
Alors, de quoi est-il question si l’or ne peut être saisi ? Il est question de sanctions secondaires de boycott à l’encontre de toute partie qui aide la Russie à
transporter ou à négocier de l’or. Ainsi, si la Russie importait, par exemple, des puces à semi-conducteurs chinoises et réglait la transaction en or, les États-Unis pourraient théoriquement
sanctionner l’entité réceptrice en Chine.
Il est vrai que les États-Unis sanctionnent les destinataires de l’or russe, ce qui est peut-être un peu tiré par les cheveux, mais considérez ceci : Il existe (du
moins en théorie, car personne n’en est sûr) 6000 tonnes d’or étranger (c’est-à-dire appartenant à des États étrangers) encore détenues par la Réserve fédérale de New York.
Aujourd’hui, ces 6000 tonnes (selon le précédent de la Russie) peuvent être facilement saisies par les autorités américaines – en un tour de main. Pourquoi pas :
ils sont à portée de main. Alors pourquoi les États étrangers voudraient-ils continuer à conserver leur or à New York ? Pourquoi ne pas rapatrier l’or tant que c’est possible ? (Pour commencer,
il ne sera pas facile d’arracher cet or à la Fed).
Oui, certains pourraient dire que les États-Unis considèrent la Russie comme un « mauvais acteur », alors que ce n’est pas notre cas. D’accord, c’est bien
pour aujourd’hui, mais la liste des États qui, à un moment ou à un autre, ont été qualifiés de « mauvais acteurs » est longue. Rappelons que même la France, membre du G7, a été accusée
d’être un « mauvais acteur » pendant la guerre en Irak en 2006.
Il est donc certain que nous sommes sur le point d’assister à un retrait important des réserves – hors de la juridiction des États-Unis. La décision de Biden de
saisir les actifs de la banque centrale russe est aussi importante en termes géopolitiques que la fermeture de la « fenêtre de l’or » des États-Unis par Nixon en 1971. Rappelons qu’à
l’origine, la fermeture de cette « fenêtre » avait été saluée comme une « mesure temporaire ».
La conséquence géopolitique, cependant, a été nucléaire. Le système commercial basé sur le pétrodollar qui en a découlé a permis aux États-Unis d’« atomiser »
le monde par des sanctions et des sanctions secondaires (en revendiquant la juridiction sur tous les échanges libellés en dollars ou qui passaient d’une manière ou d’une autre par un processus de
compensation en dollars).
L’hégémonie des États-Unis sur le soi-disant « ordre fondé sur des règles » a été financière (et pas tellement militaire). C’est-à-dire qu’elle s’est
imposée en menaçant tout mécréant d’une sanction « bombe à neutrons » par le Trésor américain.
Et le 26 février, ce système a commencé sa chute, lorsque les « faucons » russophobes de Washington ont stupidement déclenché un conflit avec le
seul pays, la Russie, qui possède les produits de base nécessaires pour diriger le monde et pour déclencher le passage à un système monétaire différent, ancré dans autre chose que la
monnaie fiduciaire.
Il est clair que le yuan ou le rouble peuvent refléter la valeur sous-jacente de leurs importantes réserves d’or. Mais aussi, les matières premières sont des
garanties, et les garanties sont de l’argent. Et la Russie possède la part du lion des matières premières clés.
En bref, le système monétaire occidental basé sur le dollar américain comme monnaie de réserve est sur le point de se terminer dans une supernova inflationniste,
car les États-Unis perdent la capacité d’utiliser l’épargne chinoise pour financer leurs déficits budgétaires et commerciaux. Et cela se produit alors que la génération des baby-boomers part à la
retraite et que leurs droits à l’aide sociale montent en flèche. La défense, les intérêts et les droits non discrétionnaires absorbent déjà 100% des recettes fiscales. Alors maintenant, il n’y a
plus le choix : la Fed va imprimer la plupart des énormes dépenses supplémentaires.
Zoltan Poszar, l’une des voix les plus respectées de Wall Street, a affirmé que
le système monétaire actuel fonctionnait tant que les prix des matières premières oscillaient de manière prévisible dans une fourchette étroite – c’est-à-dire qu’ils n’étaient pas soumis à des
tensions extrêmes (précisément parce que les matières premières servent de garantie à d’autres instruments de dette). Toutefois, lorsque l’ensemble du complexe des matières premières est soumis à
des tensions, comme c’est le cas actuellement, la flambée des prix des matières premières entraîne un vote de défiance plus large à l’égard du système. Et c’est ce à quoi nous assistons
actuellement.
Les faucons n’avaient-ils pas prévu ces « conséquences inattendues » ? Y avait-il une grande stratégie derrière la saisie des réserves russes, au-delà de
la malveillance viscérale à l’égard de la Russie ?
Non, il n’y avait qu’une impulsion. Nous le savons parce que la Fed et la BCE ont déclaré qu’elles n’avaient pas été consultées sur la saisie ou l’expulsion de sept
banques russes du système de compensation financière SWIFT, ajoutant qu’elles se seraient opposées à ces deux mesures si on leur avait demandé.
C’était de l’autodestruction.
Et quelle ironie ! Dans leur zèle à écraser l’économie russe, les faucons américains ont, par inadvertance, ouvert la voie à
la Russie et à la Chine pour commencer à créer un nouveau système monétaire, bien éloigné de la sphère du dollar américain.
Le Nouvel Ordre Mondial que l’on prépare sous prétexte de guerre en Ukraine
...par Thierry Meyssan - Le 29/03/2022.
Consultant politique, président-fondateur du Réseau Voltaire.
Dernier ouvrage en français : Sous nos yeux - Du 11-Septembre à Donald Trump (2017).
Le conflit en Ukraine n’a pas été ouvert par la Russie le 24 février, mais par l’Ukraine une
semaine avant. L’OSCE en est témoin. Ce conflit périphérique avait été planifié par Washington pour imposer un Nouvel Ordre Mondial dont la Russie, puis la Chine, devaient être exclues. Ne vous
laissez pas berner !
Les opérations militaires de la Russie en Ukraine se déroulent depuis plus d’un mois et les opérations de propagande de l’Otan depuis un mois et demi.
Comme à chaque fois, la propagande de guerre des Anglo-Saxons est coordonnée depuis Londres. Les Britanniques ont acquis depuis la Première Guerre mondiale un
savoir-faire sans équivalent. En 1914, ils étaient parvenus à convaincre leur propre population que l’armée allemande avait pratiqué des viols de masse en Belgique et qu’il était du devoir de
chaque Britannique de venir au secours de ces pauvres femmes. C’était une version plus propre que d’évoquer la tentative du Kaiser Wilhelm II de rivaliser avec l’Empire colonial anglais.
À la fin du conflit, la population britannique exigea que l’on indemnise les victimes. On chercha à les recenser et l’on se rendit compte que les faits avaient été extraordinairement
exagérés.
Cette fois, en 2022, les Britanniques sont parvenus à convaincre les Européens que, le 24 février, les Russes ont attaqué l’Ukraine pour l’envahir et l’annexer.
Moscou tenterait de reconstituer l’Union soviétique et s’apprêterait à attaquer successivement toutes ses anciennes possessions. Cette version est plus honorable pour les Occidentaux que
d’évoquer le « piège de Thucydide » —j’y reviendrai—. Dans la réalité, les troupes de Kiev ont attaqué leur propre population du Donbass, le 17 février après-midi. Puis l’Ukraine a
agité un chiffon rouge devant le taureau russe avec le discours du président Zelenski face aux dirigeants politiques et militaires de l’Otan réunis à Munich, au cours duquel il a annoncé que
son pays allait se doter de l’arme atomique pour se protéger de la Russie.
Vous ne me croyez pas ? Voici les relevés de l’OSCE à la frontière du Donbass. Il n’y avait plus de combats depuis des mois, mais les observateurs de
l’Organisation neutre ont observé, à partir du 17 février après-midi, 1 400 explosions par jour. Immédiatement, les provinces rebelles de Donetsk et de Lougansk, qui se
considéraient toujours comme ukrainiennes, mais prétendaient à l’autonomie au sein de l’Ukraine, ont déplacé plus de 100 000 civils pour les protéger. La plupart se sont repliés à
l’intérieur du Donbass, d’autres ont fui vers la Russie.
En 2014 et 2015, lorsqu’une guerre civile avait opposé Kiev à Donestk et à Lougansk, les dégâts matériels et humains ne ressortaient que des affaires
intérieures de l’Ukraine. Cependant, au cours du temps, la presque totalité de la population ukrainienne du Donbass a envisagé d’émigrer et a acquis la double nationalité russe. Par
conséquent l’attaque de Kiev contre la population du Donbass, le 17 février, était une attaque contre des citoyens ukraino-russes. Moscou leur a porté secours, en urgence, à partir du 24
février.
La chronologie est indiscutable. Ce n’est pas Moscou qui a voulu cette guerre, mais bien Kiev, malgré le prix prévisible qu’il devrait en payer. Le président
Zelensky a délibérément mis son peuple en danger et porte seul la responsabilité de ce qu’il endure aujourd’hui.
Pourquoi a-t-il agi ainsi ? Depuis le début de son mandat, Volodymyr Zelensky a poursuivi le soutien de l’État ukrainien, qui avait commencé avec son
prédécesseur Petro Porochenko, aux détournements de fonds perpétrés par ses sponsors états-uniens et aux extrémistes de son pays, les bandéristes. Le président Poutine a qualifié les premiers
de « bande de drogués » et les seconds de « bande de néo-nazis » [1]. Non seulement Volodymyr Zelensky a publiquement déclaré
qu’il ne voulait pas résoudre le conflit du Donbass en appliquant les Accords de Minsk, mais il a interdit à ses concitoyens de parler le russe à l’école et dans les administrations et, pire,
a signé une loi raciale le 1er juillet 2021, excluant de facto les Ukrainiens revendiquant leur origine slave de la jouissance des Droits
de l’homme et des Libertés fondamentales.
L’armée russe a d’abord envahi le territoire ukrainien, non pas depuis le Donbass, mais depuis la Biélorussie et la Crimée. Elle a détruit l’ensemble des
installations militaires ukrainiennes utilisées par l’Otan depuis des années et a combattu les régiments bandéristes. Elle se consacre désormais à les anéantir à l’Est du pays. Les
propagandistes de Londres et leurs presque 150 agences de communication un peu partout dans le monde nous assurent que, repoussée par la glorieuse Résistance ukrainienne, l’armée russe
défaite a abandonné son objectif initial de prendre Kiev. Or, jamais, absolument jamais, le président Poutine n’a dit que la Russie prendrait Kiev, renverserait le président élu Zelensky et
occuperait son pays. Au contraire, il a toujours dit que ses objectifs de guerre étaient de dénazifier l’Ukraine et d’éliminer les stocks d’armes étrangères (celles de l’Otan). C’est très
exactement ce qu’il fait.
La population ukrainienne souffre. Nous découvrons que la guerre est cruelle, qu’elle tue toujours des innocents. Nous sommes submergés aujourd’hui par nos
émotions et, comme nous ignorons l’attaque ukrainienne du 17 février, nous en voulons aux Russes que nous qualifions à tort d’« agresseurs ». Nous n’éprouvons pas la même compassion
pour les victimes de la guerre simultanée au Yémen, ses 200 000 morts, dont 85 000 enfants, morts de faim. Mais il est vrai que les Yéménites ne sont aux yeux des
Occidentaux « que des arabes ».
Le fait de souffrir ne doit pas a priori être interprété comme la preuve que l’on a raison. Les criminels
souffrent comme les innocents.
La Cour internationale de Justice (CIJ), c’est-à-dire le tribunal interne de l’Onu, a été saisie par l’Ukraine et a ordonné à titre conservatoire, le 16 mars, à
la Russie de cesser la guerre et de retirer ses troupes [2]. Or, ainsi que je viens de le montrer le Droit donne raison
à la Russie.
Comment une telle manipulation de la Cour est-elle possible ? L’Ukraine a évoqué le fait que le président Poutine a déclaré, lors de son discours sur
l’opération militaire russe, que les populations du Donbass étaient victimes d’un « génocide ». Elle a donc nié ce « génocide » et accusé la Russie d’avoir indûment
utilisé cet argument. En droit international, le mot « génocide » ne désigne plus l’éradication d’une ethnie, mais un massacre ordonné par un gouvernement. Au cours des huit
dernières années, 13 000 à 22 000 civils ont été tués dans le Donbass selon que l’on se réfère aux statistiques du gouvernement ukrainien ou à celles du gouvernement russe. La
Russie, qui avait envoyé sa plaidoirie par écrit, fait valoir qu’elle ne se fonde pas sur la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, mais sur l’article 51 de la
Charte des Nations unies autorisant la guerre en légitime défense —ce que le président Poutine avait explicitement déclaré lors de son discours—. Le Tribunal n’a pas cherché à vérifier quoi
que ce soit. Il s’en est tenu au démenti ukrainien. Il a donc conclu que la Russie avait indûment utilisé la Convention comme argument. En outre, la Russie n’ayant pas jugé nécessaire de se
faire représenter physiquement à la Cour, celle-ci a utilisé son absence pour lui imposer une mesure conservatoire aberrante. La Russie, sûre de son bon droit, a refusé d’obtempérer et
réclame un jugement sur le fond qui ne sera pas rendu avant la fin septembre.
Tout ceci étant posé, nous ne pouvons comprendre la duplicité des Occidentaux qu’en replaçant les évènements dans leur contexte. Depuis une dizaine d’année, les
politologues états-uniens nous assurent que la montée en puissance de la Russie et de la Chine conduiront à une inévitable guerre. Le politologue Graham Allison a créé pour cela le concept de
« piège de Thucydide » [3]. Il faisait référence aux guerres du Péloponnèse qui
opposèrent au IVème siècle avant J.C. Sparte à Athènes. Le stratège et historien Thucydide analysa que les guerres étaient devenues inévitables lorsque Sparte, qui dominait la Grèce, réalisa
qu’Athènes conquérait un empire et pourrait se substituer à son hégémonie. L’analogie est parlante, mais fausse : si Sparte et Athènes étaient des cités grecques voisines, les
États-Unis, la Russie et la Chine n’ont pas la même culture.
À titre d’exemple, la Chine récuse la proposition de compétition commerciale formulée par le président Biden. Elle lui oppose sa tradition de
« gagnant-gagnant ». Ce faisant, elle ne fait pas référence à des contrats commerciaux profitables aux deux parties, mais à son Histoire. L’« Empire du milieu » a une
population extrêmement nombreuse. L’empereur était contraint de déléguer son autorité au maximum. Aujourd’hui encore la Chine est le pays le plus décentralisé au monde. Lorsqu’il prenait un
décret, celui-ci avait des conséquences pratiques dans certaines provinces, mais pas dans toutes. L’empereur devait donc s’assurer que chaque gouverneur local ne considérerait pas son décret
comme sans objet et n’oublierait pas son autorité. Il offrait alors une compensation à ceux qui n’étaient pas concernés par le décret pour qu’ils se sentent toujours soumis à son
autorité.
Depuis le début de la crise ukrainienne, la Chine, non seulement adopte une position non-alignée, mais protège son allié russe au conseil de Sécurité des
Nations unies. À tort, les États-Unis ont craint que Beijing n’envoie des armes à Moscou. Cela n’a jamais été le cas, même s’il y a une aide logistique en repas préparés pour les soldats par
exemple. La Chine observe comment les choses se passent et en déduit comment elles se passeront lorsqu’elle tentera de récupérer la province rebelle de Taïwan. Beijing a gentiment décliné les
offres de Washington. Il pense sur la longue durée et sait par expérience que s’il laisse détruire la Russie, il sera une nouvelle fois pillé par les Occidentaux. Son salut n’est possible
qu’avec la Russie, même s’il doit un jour la contester en Sibérie.
Revenons au piège de Thucydide. La Russie sait que les États-Unis veulent l’effacer de la scène. Elle anticipe une possible invasion/destruction. Or, son
territoire est immense et sa population insuffisamment nombreuse. Elle ne peut défendre ses frontières trop grandes. Elle a, depuis le XIXème siècle, imaginé de se défendre en se dérobant à
ses adversaires. Lorsque Napoléon, puis Hitler, l’ont attaquée, elle a déplacé sa population toujours plus à l’Est. Et elle a brûlé elle-même ses propres villes avant l’arrivée de
l’envahisseur. Celui-ci s’est trouvé dans l’incapacité d’approvisionner ses troupes. Il a dû affronter l’hiver sans moyens et, en définitive, battre en retraite. Cette stratégie de la
« terre brûlée » n’a fonctionné que parce que ni Napoléon, ni Hitler n’avaient de bases logistiques à proximité. Aussi la Russie moderne sait qu’elle ne pourra pas survivre si des
armes états-uniennes sont entreposées en Europe centrale et orientale. C’est pourquoi, à la fin de l’Union soviétique, la Russie a demandé que jamais l’Otan ne s’étende à l’Est. Le président
français François Mitterrand et le chancelier allemand Helmut Köhl, qui connaissaient l’Histoire, exigèrent donc que les Occidentaux prennent cet engagement. Lors de la réunification
allemande, ils rédigèrent et signèrent un traité garantissant que jamais l’Otan ne franchirait la ligne Oder-Neisse, c’est-à-dire la frontière germano-polonaise.
La Russie a fait inscrire cet engagement dans le marbre en 1999 et en 2010 avec les déclarations de l’OSCE d’Istanbul et d’Astana. Mais les États-Unis l’ont
violé en 1999 (adhésion de la Tchéquie, de la Hongrie et de la Pologne à l’Otan), en 2004 (Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie et Slovénie), en 2009 (Albanie et
Croatie), en 2017 (Monténégro), et encore en 2020 (Macédoine du Nord). Le problème n’est pas que tous ces États se soient alliés avec Washington, mais qu’ils aient entreposé des armes
états-uniennes chez eux. Personne ne critique que ces États aient choisis leurs alliés, mais Moscou leur reproche de servir de base arrière au Pentagone en préparation d’une attaque de la
Russie.
En octobre 2021, la straussienne [4] Victoria Nuland, la numéro 2 du département
d’État est venue à Moscou pour sommer la Russie d’accepter le déploiement d’armes US en Europe centrale et orientale. Elle a promis que Washington investirait en contrepartie en Russie. Puis
elle a menacé la Russie si celle-ci n’acceptait pas son offre et elle a conclu qu’il ferait juger le président Poutine devant un Tribunal international. Moscou a répondu en adressant, le 17
décembre, une proposition de Traité garantissant la paix sur la base du respect de la Charte des Nations unies. C’est ce qui a provoqué l’orage actuel. Car respecter la Charte, fondée sur le
principe de l’égalité et de la souveraineté des États, suppose de réformer l’Otan dont le fonctionnement est au contraire fondé sur une hiérarchie entre ses membres. Pris dans le « piège
de Thucydide », les États-Unis ont alors fomenté la guerre actuelle en Ukraine.
Si nous admettons que leur but est de rayer la Russie de la scène internationale, la manière dont les Anglo-Saxons réagissent à la crise ukrainienne devient
limpide. Ils ne cherchent pas à repousser militairement l’armée russe, ni à gêner le gouvernement russe, mais à faire disparaître toute trace de la culture russe en Occident. Et
subsidiairement, ils tentent d’affaiblir l’Union européenne.
Ils ont commencé avec le gel des avoirs des oligarques russes en Occident ; une mesure qui a été applaudie par la population russe qui les considère comme
d’illégitimes bénéficiaires du pillage de l’URSS. Puis ils ont imposé aux entreprises occidentales de cesser leurs activités avec la Russie. Enfin, ils ont continué en coupant les banques
russes d’accès aux banques occidentales (le système SWIFT). Or, si ces mesures financières ont été désastreuses pour les banques russes (mais par pour le gouvernement russe), les mesures
contre les entreprises travaillant en Russie sont au contraire favorables à la Russie qui récupère leurs investissements à moindre frais. D’ailleurs, la Bourse de Moscou, qui avait été fermée
du 25 février (lendemain de la riposte russe) au 24 mars, a enregistré une progression dès sa réouverture. Certes l’indice RTS a reculé le premier jour de 4,26 %, mais il mesure surtout
des valeurs spéculatives, au contraire l’indice IMOEX, qui mesure l’activité économique nationale, a augmenté de 4,43 %. Les vrais perdants des mesures occidentales sont les membres de
l’Union européenne qui ont eu la bêtise de les prendre.
Déjà, en 1991, le straussien Paul Wolfowitz écrivait dans un rapport officiel que les États-Unis devaient empêcher qu’une puissance puisse se développer au
point de rivaliser avec eux. À l’époque, l’URSS était en miettes. Aussi désigna-t-il l’Union européenne comme le rival potentiel à abattre [5]. C’est très exactement ce qu’il fit en 2003, lorsque devenu
numéro 2 du Pentagone, il interdit à l’Allemagne et à la France de participer à la reconstruction de l’Iraq [6]. C’est aussi ce dont parla Victoria Nuland, en 2014,
lorsqu’elle donna comme consigne à son ambassadeur US à Kiev d’« enculer l’Union européenne » (sic) [7].
L’Union européenne est aujourd’hui sommée de stopper ses importations d’hydrocarbures russes. Si elle obtempère à cette injonction, l’Allemagne sera ruinée et
avec elle toute l’Union. Ce ne sera pas un dommage collatéral, mais le fruit d’une pensée structurée, clairement exprimée depuis trente ans.
Le plus important pour Washington est d’exclure la Russie de toutes les organisations internationales. Il est déjà parvenu, en 2014, à l’exclure du G8. Le
prétexte était non pas l’indépendance de la Crimée (que celle-ci réclamait depuis la dissolution de l’URSS, plusieurs mois avant que l’Ukraine ne songe à sa propre indépendance), mais son
adhésion à la Fédération de Russie. La prétendue agression de l’Ukraine fournit un prétexte pour l’exclure du G20. La Chine a immédiatement fait remarquer que personne ne pouvait être exclu
d’un forum informel ne disposant pas de statuts. Peu importe, le président Biden est revenu à la charge les 24 et 25 mars en Europe.
Washington multiplie les contacts pour exclure la Russie de l’Organisation mondiale du Commerce. De toute manière, les principes de l’OMC sont battus en brèche
par les « sanctions » unilatérales mises en œuvre par les Occidentaux. Une telle décision serait préjudiciable aux deux camps. C’est là qu’il convient de se reporter aux écrits de
Paul Wolfowitz. Il écrivait en effet en 1991 que Washington ne doit pas chercher à être le meilleur dans ce qu’il fait, mais à être le premier par rapport aux autres. Cela implique,
notait-il, que pour maintenir leur hégémonie, les États-Unis ne doivent pas hésiter à se faire du mal, s’ils en font beaucoup plus aux autres. Nous allons tous faire les frais de cette
manière de raisonner.
Le plus important pour les Straussiens est d’exclure la Russie des Nations unies. Ce n’est pas possible si l’on respecte la Charte des Nations unies, mais
Washington ne s’en encombrera pas plus là qu’ailleurs. D’ores et déjà, il a pris contact avec chaque État-membre de l’Onu à quelques exceptions près. La propagande anglo-saxonne étant déjà
parvenue à leur faire prendre des vessies pour des lanternes, tous sont convaincus qu’un membre du Conseil de sécurité s’est lancé dans une guerre de conquête contre un de ses voisins. Si
Washington parvient à convoquer une Assemblée générale extraordinaire de l’Onu et à en modifier les statuts, il parviendra à ses fins.
Une sorte d’hystérie s’est emparée de l’Occident. On fait la chasse à tout ce qui est russe sans réfléchir à ses liens avec la crise ukrainienne. On interdit
aux artistes russes de se produire même s’ils sont réputés opposés au président Poutine. Ici une université interdit l’étude du héros anti-soviétique Soljenitsyne de leur cursus, là-bas une
autre interdit l’écrivain du débat et du libre-arbitre Dostoïevski (1821-1881) qui s’opposa au régime tsariste. Ici on déprogramme un chef d’orchestre parce qu’il est russe et là-bas on
supprime Tchaïkovski (1840-1893) du répertoire. Tout ce qui est russe doit disparaître de notre conscience comme jadis l’Empire romain a rasé Carthage et méthodiquement détruit toute trace de
son existence, au point qu’aujourd’hui nous ne savons pas grand-chose de cette civilisation.
Le 21 mars, le président Biden ne s’en est pas caché. Devant un parterre de chefs d’entreprises, il a déclaré « C’est le moment où les choses changent. Il
va y avoir un Nouvel Ordre Mondial et nous devons le diriger. Et nous devons unir le reste du monde libre pour le faire » [8]. Ce nouvel ordre [9] devrait couper le monde en deux blocs
hermétiques ; une coupure telle que nous n’en avons jamais connue, sans comparaison possible avec le rideau de fer de la Guerre froide. Certains États, comme la Pologne, pensent pouvoir
y perdre beaucoup comme les autres, mais aussi gagner un peu. Ainsi, le général Waldemar Skrzypczak vient-il de réclamer que l’enclave russe de Kaliningrad devienne polonaise [10]. En effet, après la coupure du monde, comment Moscou
pourra-t-il communiquer avec ce territoire ?
Alors que l’Europe et les États-Unis n’ont jamais été aussi proches, l’« Occident » n’a paradoxalement jamais
été aussi seul.
Parfois, une seule anecdote peut résumer presque entièrement un moment de l’histoire. C’est le cas de celle-ci : En 2005, Zbig Brzezinski, l’architecte du
bourbier afghan contre l’Union soviétique et l’auteur de The Grand Chessboard (qui a intégré le dicton de Mackinder selon lequel
« celui qui contrôle le cœur de l’Asie contrôle le monde » dans la politique étrangère des États-Unis), s’est entretenu à Washington avec Alexander Dugin, philosophe politique
russe et partisan d’une renaissance culturelle et géopolitique du « cœur ».
Brzezinski avait déjà écrit dans son livre que, sans l’Ukraine, la Russie ne deviendrait jamais la puissance de son cœur, mais qu’avec elle, elle le pourrait et
le deviendrait. La réunion avait été organisée avec une photo-programme d’un échiquier placé entre Brzezinski et Dugin (pour promouvoir le livre de Brzezinski). Lors de cet échange autour
d’un échiquier Dugin a demandé à Brzezinski s’il considérait les échecs comme un jeu à deux : « Non, a répondu Zbig : C’est un jeu pour un. Une fois
qu’une pièce d’échecs est déplacée, vous retournez l’échiquier, et vous déplacez les pièces d’échecs de l’autre camp. Il n’y a « pas d’autre » dans ce jeu », insiste
Brzezinski.
Bien sûr, la partie d’échecs en solitaire était implicite dans la doctrine de Mackinder : « Celui qui contrôle le cœur du pays » était un message aux
puissances anglo-saxonnes de ne jamais permettre l’union du cœur. (Ce qui, bien sûr, est précisément ce qui évolue à chaque instant).
Et lundi, Biden a fait ressortir Brzezinski à haute voix, alors qu’il s’adressait à la Business Roundtable aux États-Unis. Ses remarques sont arrivées vers la fin de son bref discours où il a
parlé de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et de l’avenir économique de l’Amérique :
« Je pense que cela nous offre des opportunités significatives pour faire de vrais changements. Vous savez, nous
sommes à un point d’inflexion, je crois, dans l’économie mondiale : [et] pas seulement l’économie mondiale – dans le monde [qui] se produit toutes les trois ou quatre générations. Comme
l’un des principaux militaires m’a dit l’autre jour lors d’une réunion, 60 millions de personnes sont mortes entre 1900 et 1946 ; et depuis lors, nous avons établi un ordre mondial
libéral, ce qui n’était pas arrivé depuis longtemps. Beaucoup de gens sont morts, mais loin du chaos. Et maintenant, c’est le moment où les choses changent. Nous allons, il va y avoir un
nouvel ordre mondial là-bas ; et nous devons le diriger et nous devons unir le reste du monde libre pour le faire. »
Là encore, il n’y a pas d’ « autre » sur le plateau. Lorsque les coups sont joués, l’échiquier est tourné de 180º pour jouer de l’autre côté.
Le fait est que la contre-attaque soigneusement délibérée de ce concept de Brzezinski a été officiellement lancée à Pékin avec la déclaration commune selon
laquelle ni la Russie ni la Chine n’acceptent que l’Amérique joue aux échecs seule, sans personne d’autre sur l’échiquier. Cela représente la question déterminante de l’ère à venir : le
décloisonnement de la géopolitique. C’est une question pour laquelle les « autres » exclus sont prêts à entrer en guerre (ils n’ont pas le choix).
Un deuxième joueur d’échecs s’est avancé et insiste pour jouer – la Russie. Et un troisième se tient prêt : la Chine. Les autres font silencieusement la queue
pour voir comment se déroulera le premier engagement dans cette guerre géopolitique. Il semble, d’après les commentaires de Biden cités plus haut, que les États-Unis ont l’intention
d’utiliser des sanctions, et toute l’étendue sans précédent des mesures du Trésor américain, contre les dissidents de Brzezinski. Il s’agit de faire de la Russie un exemple de ce qui attend
tout challengers demandant un siège au conseil d’administration.
Mais c’est une approche qui est fondamentalement défaillante. Elle découle du célèbre dicton de Kissinger selon lequel « celui qui contrôle l’argent
contrôle le monde ». C’était faux dès le départ : il a toujours été question que « celui qui contrôle la nourriture, l’énergie (humaine et fossile) et l’argent peut contrôler le
monde ». Mais Kissinger a ignoré les deux premières conditions requises – et la dernière s’est imprimée dans les circuits mentaux de Washington.
Et voici le paradoxe : lorsque Brzezinski a écrit son livre, c’était une époque très différente. Aujourd’hui, alors que l’Europe et les États-Unis n’ont jamais
été aussi étroitement alignés, l’ « Occident » n’a paradoxalement jamais été aussi seul. L’opposition à la Russie a pu sembler, au départ, être
un facteur d’unification mondiale; et que l’opinion mondiale s’opposerait si vigoureusement à l’attaque de Moscou, que la Chine paierait un prix politique élevé pour ne pas avoir pris le
train en marche de l’anti-Russie. Mais ce n’est pas ainsi que les choses se passent.
« Alors que la rhétorique américaine cloue la Russie au pilori pour les « crimes de
guerre » et la crise humanitaire en Ukraine… » –note l’ancien ambassadeur indien Bhadrakumar- « les capitales mondiales considèrent cette affaire comme une confrontation entre
l’Amérique et la Russie. En dehors du camp occidental, la communauté mondiale refuse d’imposer des sanctions à la Russie ou même de diaboliser ce pays« .
La déclaration d’Islamabad publiée mercredi à l’issue de la 45e réunion des ministres des affaires étrangères des cinquante-sept membres de l’Organisation de la
conférence islamique a refusé d’approuver les sanctions contre la Russie. Pas un seul pays du continent africain ou de la région d’Asie occidentale, d’Asie centrale, d’Asie du Sud et du
Sud-Est n’a imposé de sanctions contre la Russie.
Il se pourrait bien qu’un autre facteur entre en jeu ici : En effet, lorsque ces derniers pays entendent des phrases telles que « les Ukrainiens, grâce à leur héroïsme, ont gagné le droit d’entrer dans notre ‘club des valeurs« , ils sentent l’odeur de l’Europe « blanche » affaiblie qui s’accroche aux radeaux de sauvetage.
La réalité est que les sanctions auxquelles Biden a fait référence dans son discours ont déjà échoué. La Russie n’a pas fait défaut ; la bourse de Moscou est
ouverte ; le rouble est en train de rebondir ; son compte courant est en gros bon état et la Russie vend de l’énergie à des prix exceptionnels (même après réduction).
En bref, le commerce « sera détourné », pas détruit (l’avantage d’être un exportateur de biens presque entièrement produits localement – c’est-à-dire
une économie de forteresse).
La deuxième bizarrerie de la politique de Biden est que, alors que la doctrine clausewitzienne (à laquelle la Russie adhère largement) préconise le
démantèlement du « centre de gravité de l’ennemi, pour parvenir à la victoire », en l’occurrence vraisemblablement le contrôle occidental de la monnaie de réserve mondiale et des
systèmes de paiement. Aujourd’hui, cependant, c’est l’Europe et les
États-Unis qui l’ont démantelé eux-mêmes et se sont enfermés dans une inflation galopante et une contraction de l’activité économique, dans une crise
inexpliquée de masochisme moral.
Comme le note Ambrose Evans-Pritchard dans le Telegraph:
« Ce qui est clair, c’est que la politique de sanctions occidentale est le pire des mondes. Nous subissons un choc
énergétique qui gonfle encore les revenus de guerre de la Russie… La crainte d’un soulèvement des gilets jaunes est omniprésente en Europe, tout comme le soupçon qu’un public inconstant
ne tolérera pas le choc du coût de la vie une fois que les horreurs de l’Ukraine auront perdu leur nouveauté sur les écrans de télévision« .
Une fois encore, nous pouvons peut-être attribuer ce comportement paradoxal à l’obsession de Kissinger pour le pouvoir de l’argent, et à son oubli d’autres
facteurs importants.
Tout cela a conduit à un certain malaise qui s’est insinué dans les couloirs du pouvoir de certaines capitales de l’OTAN quant à la tournure que prend le
conflit ukrainien. L’OTAN n’interviendra pas, ne mettra pas en place une zone d’exclusion aérienne et a ignoré de manière significative la nouvelle demande de Zelensky pour des équipements militaires
supplémentaires. Ostensiblement, cela reflète le geste « désintéressé » de l’Occident pour éviter une guerre nucléaire. En réalité, cependant, le développement de nouvelles armes
peut transformer la géopolitique en un instant (par exemple, le bunker-buster intelligent hypersonique Kinzhal de la Russie). Le fait est que, dans l’ensemble, l’OTAN ne peut pas l’emporter
militairement sur la Russie en Ukraine.
Il semble que le Pentagone ait – pour l’instant – gagné la guerre contre le département d’État et qu’il ait entamé le processus de « correction du
récit ».
Comparez ces deux récits américains:
Le département d’État a signalé que les États-Unis découragent Zelensky de faire des
concessions à la Russie en échange d’un cessez-le-feu. Le porte-parole « a indiqué très clairement qu’il est ouvert à une solution diplomatique
qui ne compromet pas les principes fondamentaux au cœur de la guerre du Kremlin contre l’Ukraine« .
Lorsqu’on lui a demandé de préciser son propos, M. Price a déclaré que la guerre est « plus importante » que la Russie et l’Ukraine.
« Le point clé est qu’il y a des principes qui sont en jeu ici et qui ont une applicabilité universelle partout. » M. Price a déclaré
que M. Poutine tentait de violer des « principes fondamentaux ».
Mais le Pentagone a « lâché deux bombes de vérité”(*) dans sa bataille avec l’État et le Congrès pour
éviter une confrontation avec la Russie : « La conduite de la Russie dans cette guerre brutale est différente de l’opinion largement acceptée selon
laquelle Poutine a l’intention de démolir l’Ukraine et d’infliger un maximum de dommages aux civils – et elle révèle le jeu d’équilibre stratégique du dirigeant russe« , rapporte
Newsweek dans un article intitulé « Les
bombardiers de Poutine pourraient dévaster l’Ukraine, mais il se retient. Voici pourquoi« .
On y cite un analyste anonyme de la Defense Intelligence Agency (DIA) du Pentagone qui déclare : « Le cœur de Kiev a à
peine été touché. Et presque toutes les frappes à longue portée ont visé des cibles militaires. Un officier retraité de l’armée de l’air américaine, qui travaille aujourd’hui comme
analyste pour un contractant du Pentagone, a ajouté : « Nous devons comprendre le comportement réel de la Russie. Si nous nous convainquons simplement
que la Russie bombarde sans discernement ou qu’elle ne parvient pas à infliger davantage de dégâts parce que son personnel n’est pas à la hauteur de la tâche ou parce qu’elle est
techniquement inepte, alors nous ne voyons pas le véritable conflit« .
La deuxième « bombe de vérité » sape directement l’avertissement dramatique de Biden concernant une attaque chimique sous faux drapeau. Reuters a
rapporté : « Les États-Unis n’ont pas encore vu d’indications concrètes d’une attaque imminente d’armes chimiques ou biologiques russes en Ukraine,
mais ils surveillent de près les flux de renseignements pour les détecter, a déclaré un haut responsable de la défense américaine. »
Biden se positionne au milieu, en disant « Poutine est un criminel de guerre « , mais aussi qu’il n’y
aura pas de combat de l’OTAN avec la Russie. « La seule finalité actuelle« , a déclaré un haut responsable de l’administration lors d’un
événement privé au début du mois, « est la fin du régime de Poutine. D’ici là, tant que Poutine restera, [la Russie] sera un État paria qui ne sera
jamais réintégré dans la communauté des nations. La Chine a commis une énorme erreur en pensant que Poutine s’en tirera à bon compte« .
Voilà, c’est la conclusion : Permettre au carnage en Ukraine de se poursuivre ; s’asseoir et regarder les « Ukrainiens
héroïques saigner la Russie à blanc » ; en faire assez pour soutenir le conflit (en fournissant quelques armes), mais pas assez pour l’intensifier ; et le jouer comme une lutte
héroïque pour la démocratie, afin de satisfaire l’opinion publique.
Le fait est que les choses ne se passent pas ainsi. Poutine pourrait surprendre tout le monde à Washington en quittant l’Ukraine lorsque l’opération militaire
russe sera terminée. (D’ailleurs, lorsque Poutine parle de l’Ukraine, il considère généralement que la partie occidentale ajoutée par Staline est ukrainienne).
Et ça ne marche pas avec la Chine. Blinken a déclaré pour justifier les nouvelles sanctions imposées à la Chine la semaine dernière :
« Nous sommes déterminés à défendre les droits de l’homme dans le monde entier et nous continuerons à utiliser
toutes les mesures diplomatiques et économiques pour promouvoir la responsabilité ».
Les sanctions ont été imposées parce que la Chine n’a pas réussi à répudier Poutine. C’est tout simplement cela. Le langage de la responsabilité et (de
l’expiation) utilisé ne peut toutefois être compris que comme l’expression d’une culture contemporaine éveillée. Il suffit de présenter un aspect de la culture chinoise comme politiquement
incorrect (comme raciste, répressif, misogyne, suprématiste ou offensant), et immédiatement il devient politiquement incorrect. Et cela signifie que n’importe quel aspect de cette culture
peut être invoqué à volonté par l’administration comme méritant d’être sanctionné.
Le problème revient une fois de plus au refus de l’Occident d’accepter les « autres » sur l’échiquier. Que peut faire la Chine, sinon hausser les
épaules devant une telle absurdité ?
Biden, dans son discours à la table ronde, a mis en scène – une fois de plus – un nouvel ordre mondial ; il a suggéré qu’une grande remise à zéro était
imminente.
Mais peut-être qu’un « Re-set Reckoning » d’un ordre différent est à l’horizon, qui ramènera beaucoup de choses à ce qui, jusqu’à une date
relativement récente, avait réellement fonctionné. La politique et la géopolitique se métamorphosent à chaque instant.
Biden se positionne au milieu, en disant « Poutine est un criminel de guerre », mais aussi qu’il n’y aura pas de combat de l’OTAN avec la
Russie.
« La seule finalité actuelle » a déclaré un haut responsable de l’administration lors d’un événement privé au
début du mois, « est la fin du régime de Poutine. D’ici là, tant que Poutine restera, [la Russie] sera un État paria qui ne sera jamais réintégré dans
la communauté des nations. La Chine a commis une énorme erreur en pensant que Poutine s’en tirera à bon compte« .
Voilà, c’est la conclusion : Permettre au carnage en Ukraine de se poursuivre ; s’asseoir et regarder les « Ukrainiens héroïques saigner la Russie à
blanc » ; en faire assez pour soutenir le conflit (en fournissant quelques armes), mais pas assez pour l’intensifier ; et le jouer comme une lutte héroïque pour la démocratie, afin de
satisfaire l’opinion publique.
Le fait est que les choses ne se passent pas ainsi. Poutine pourrait surprendre tout le monde à Washington en quittant l’Ukraine lorsque l’opération militaire
russe sera terminée. (D’ailleurs, lorsque Poutine parle de l’Ukraine, il considère généralement que la partie occidentale ajoutée par Staline est ukrainienne).
Et ça ne marche pas avec la Chine, Blinken a déclaré pour justifier les nouvelles sanctions imposées à la Chine
la semaine dernière : « Nous sommes déterminés à défendre les droits de l’homme dans le monde entier et nous continuerons à utiliser toutes les
mesures diplomatiques et économiques pour promouvoir la responsabilité« .
Les sanctions ont été imposées parce que la Chine n’a pas répudié Poutine. C’est tout simplement cela. Le langage de la responsabilité et (de l’expiation)
utilisé ne peut toutefois être compris que comme l’expression d’une culture contemporaine éveillée. Il suffit de présenter un aspect de la culture chinoise comme politiquement incorrect
(comme raciste, répressif, misogyne, suprématiste ou offensant), et immédiatement il devient politiquement incorrect. Et cela signifie que n’importe quel aspect de cette culture peut être
invoqué à volonté par l’administration comme méritant d’être sanctionné.
Le problème revient une fois de plus au refus de l’Occident d’accepter les « autres » sur l’échiquier. Que peut faire la Chine, sinon hausser les
épaules devant une telle absurdité ?
Biden, dans son discours à la table ronde, a mis en scène – une fois de plus – un nouvel ordre mondial ; il a suggéré qu’une grande remise à zéro était
imminente.
Mais peut-être qu’un ‘Re-set Reckoning » d’un ordre différent est en vue, qui ramènera beaucoup de choses à ce qui, jusqu’à une date relativement récente,
avait réellement fonctionné. La politique et la géopolitique se métamorphosent à chaque instant.
Depuis quelques heures, nous y voyons plus clair. Les pièces du puzzle s’assemblent pour nous former une image globale. Le ministre russe des Affaires
étrangères Lavrov a annoncé cet après-midi sur la chaîne de télévision russe « Russia 24 », à la surprise générale, un autre objectif de guerre de la Russie en Ukraine, sans que les
médias occidentaux n’en soufflent un mot : « Notre opération spéciale doit mettre fin à l’expansion inconsidérée, à la domination totale des États-Unis dans le monde, une domination qui
s’accompagne de violations du droit international ». (source : https://m.ura.news/1052544901)
Lavrov a cité les actions américaines au Kosovo et en Irak comme exemples de telles violations du droit international par les États-Unis.
Les cartes sont désormais sur la table et chacun sait désormais de quel côté il faudra se situer. Chacun doit assumer la responsabilité de ses choix et de
leurs conséquences. Nous assistons actuellement à la poursuite de l’objectif poursuivi suite à la crise sanitaire : si quelqu’un se fait piquouzer, sans que l’on ait à demander le
pourquoi, on en concluera que chacun décide lui-même et en assume également les conséquences. Je vous renvoie à mon post d’hier (« Ce qui est en jeu », cf. infra). Depuis cet
après-midi, c’est officiel et plus personne ne peut se soustraire à la décision : soit on est du côté de l’instance criminelle mondiale qu’est l’Amérique, soit on ne l’est pas. Il n’est
plus nécessaire d’en débattre.
***
Ce qui est en jeu
Ces dernières semaines, des militants bien intentionnés ne cessent de répéter que la guerre en Ukraine n’est pas la nôtre et que nous devrions plutôt nous
occuper de l’Allemagne. Mais ce n’est pas suffisant.
En Ukraine, c’est l’avenir du monde qui est en jeu, indépendamment de la durée de la guerre et de la possibilité qu’elle se termine par une solution
négociée qui ne ferait que retarder le conflit en soi. Mais les « masterminds », qu’ils s’appellent Alexandre Douguine ou Francis Fukuyama, sont tout à fait d’accord sur le fait
que l’issue du conflit ukrainien sera déterminante pour l’orientation future de la situation mondiale. Soit l’Occident l’emporte, soit ce n’est pas le cas : la Russie, la Chine et
l’Eurasie en formation auront alors acquis la maîtrise de la situation. Dans ce sens, l’issue de la guerre est très importante pour notre propre avenir. Comme l’Allemagne n’a actuellement
ni les moyens ni même la volonté d’adopter une position neutre, elle participe inévitablement à la confrontation entre les blocs et en subira les conséquences, dans un sens ou dans
l’autre. Face à cela, chacun devra d’une manière ou d’une autre se positionner et expliquer quelles sont les conséquences du jeu en acte qu’il préfère et quelles sont celles qu’il préfère
épargner à notre pays.
Celui qui ne fait rien – de même que celui qui soutient l’Ukraine – soutient la poursuite de l’hégémonie américaine, des « valeurs dites
occidentales », du pillage du monde par Big Money. Il soutient le fait que l’Allemagne reste une plaque tournante pour les guerres d’agression américaines dans le monde entier et
devienne la cible d’éventuelles attaques militaires de toute partie adverse. Il soutient aussi le suicide économique de l’Europe qui a soutenu une politique énergétique délirante et des
sanctions absurdes. Il soutient le programme satanique des élites occidentales, qui se résume à la destruction de la famille, à la destruction de notre santé et de notre intégrité
physique, à l’effacement de l’identité personnelle (via le transhumanisme !).
En supposant que la Russie ne fasse PAS partie du Great Reset : la Russie, la Chine et l’Eurasie représentent au contraire la fin de la domination mondiale
du dollar américain, l’avènement d’un véritable ordre mondial multipolaire, le respect des valeurs traditionnelles telles que la famille, la patrie et l’identité, et le rejet de toutes
les formes de décadence libérale occidentale, qui est de facto une « culture de mort ». Au printemps 2020, Poutine a déclaré que tant qu’il serait au pouvoir, il n’y aurait pas
de « mariage homosexuel » en Russie – une déclaration parmi d’autres.
Oui, il y a des nuances de gris et des nuances intermédiaires : des pays comme la Russie et la Hongrie ont également mis en œuvre cette mise en scène
mondiale que fut le « confinement sanitaire », parfois en adoptant des mesures drastiques ; la Chine l’a pratiqué de manière encore plus coercitive. La Chine en particulier,
avec son système de crédit social et l’un des régimes sanitaires les plus rigides au monde, et, là, ce n’est pas nécessairement un modèle pour nous. Personne ne devrait non plus être naïf
en ce qui concerne la Russie : personne ne s’attend à ce que la Russie nous « libère ». Mais si elle poussait les Américains hors d’Europe, ce serait déjà un saut quantique pour
notre partie du monde, dont les conséquences seraient difficilement prévisibles ; encore plus pour la répartition globale du pouvoir.
Au fond, c’est très simple. Les Américains ont encore du mal à accepter le fait qu’ils ne jouent plus dans la cour des grands. La Chine a remplacé les
États-Unis en tant que championne du monde des exportations, le dollar perd du terrain à grande échelle (ce qui explique la course folle à la guerre de l’Occident, qui utilisent les
malheureux Ukrainiens pour arriver à ses fins) ; l’Inde et l’Arabie saoudite sont en train de passer au paiement en roubles, et en Europe, Orbán fait ses premiers pas en ce sens. Et,
enfin, la Russie et la Chine disposent d’armes hypersoniques, mais non les Américains. Ce qui signifie que les Américains sont en train de passer en deuxième division. Pour l’instant, ils
ont encore du mal à l’accepter. Quelques coups sensibles, de nature militaire mais aussi monétaire, pourraient éventuellement leur faire comprendre qu’ils n’ont plus rien à faire en
Europe. Biden ne sera pas assez fou pour risquer une guerre nucléaire à cause de l’Ukraine – ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aura pas d’utilisation d’armes nucléaires tactiques en
Europe.
L’Europe, l’UE, va passer à l’état de décomposition active dans les prochains mois, dans un an ou dans trois ans au maximum. Poutine n’a même pas encore
commencé à fermer le robinet du gaz et tend toujours la main à l’Occident. L’eurocratie de Bruxelles est assez folle pour se tirer une balle dans le pied. L’Europe s’apprête à vivre un
interrègne sanglant et agité : elle pourrait échanger un hégémon contre un autre, et le retour à sa propre force est loin d’être visible. Mais la catastrophe peut ouvrir de nouvelles
voies qui ne sont pas encore perceptibles aujourd’hui. En attendant, il se peut que les valeurs de l’Europe – les vraies – soient mieux conservées à Moscou qu’à Bruxelles et à
Washington.
Tout le monde a maintenant lu l’excellent essai d’Andrei (The Saker)
sur ce qu’il appelle la zone A et la zone B. Ce compte-rendu de situation se penche sur trois actions de pays de la zone B, toutes menées par ceux qui comprennent que nous sommes dans un moment
de changement de civilisation dans notre monde.
Le Mexique
Il y a une semaine, AMLO a tenu la promesse qu’il avait
faite à l’électorat et a organisé ce que l’on appelle généralement un vote de rappel. En clair, si vous n’aimez pas ce que je fais, vous pouvez me révoquer tout de suite et nous aurons de
nouvelles élections – une action de démocratie directe. Il l’a emporté avec une étonnante majorité de 91,86 % des voix, soit 15,1 millions de votes sur 16,5 millions. Nous pouvons en conclure qu’il est un président populaire et que le peuple mexicain est avec lui.
Pourtant, il a fait l’objet de pressions pour les mêmes raisons que les autres pays de la zone B. Il a refusé de critiquer l’attitude de la Russie à l’égard de l’Union européenne. Il a refusé de
critiquer les actions de la Russie et d’adhérer au régime de sanctions. Dans un moment de forte pression, il a fait une déclaration qui, une fois encore, ne critiquait pas la Russie en tant que
telle, mais critiquait la guerre. C’est aujourd’hui qu’a lieu une discussion sur la souveraineté énergétique, et bien que je n’en connaisse pas les moindres détails, il s’agit d’un objectif à
long terme d’AMLO. En lisant le mare de café, je dirais que la pression exercée sur AMLO est liée à l’endroit où le Mexique vend son pétrole.
Des milliers de personnes se rassemblent devant le Congrès
à Mexico pour demander aux législateurs de voter en faveur de la #ReformaElectrica afin de reprendre le contrôle des ressources énergétiques du Mexique.
Compte tenu de la position géographique du Mexique dans le monde, cela me semble être un geste très courageux de la zone B.
Pakistan
Imran Khan a été démis de ses fonctions de Premier ministre du Pakistan par un mécanisme très simple de changement de régime. Quelques-uns de ses principaux législateurs ont rejoint l’opposition
et il s’est retrouvé sans majorité. Lui (et les législateurs restants) ont quitté le pouvoir quelques minutes avant l’élection d’un nouveau dirigeant, car ils refusaient de faire partie d’une
structure gouvernementale imposée par les États-Unis. La situation ne s’est pas arrêtée là. Il a appelé les gens à descendre dans la rue pour se battre pour les principes souverains d’un pays de
la zone B.
Jetez un coup d’œil :
Des images aériennes montrent le rassemblement des
partisans de l’ancien Premier ministre pakistanais Imran Khan à Karachi.
Le plus grand rassemblement de l’histoire du sous-continent
se tient à Karachi sous la direction du PTI. Un grand nombre d’enfants, de femmes âgées et d’hommes ont participé à ce rassemblement. L’ancien Premier ministre Imran Khan a montré le pouvoir de
son peuple après avoir été destitué.
Puis, comme d’habitude, nous découvrons la raison de ce changement de régime. Après le changement de dirigeant, le Pakistan a envoyé des attaques aériennes contre l’Afghanistan. Sous la direction
de Khan, ils ont refusé de donner de l’espace aux forces américaines pour une nouvelle base d’attaque contre l’Afghanistan, que les talibans soient au pouvoir ou non. La Chine a quelque
peu « adopté » l’Afghanistan et
s’efforce d’amener les talibans à une position de gouvernance équitable.
Ce n’est que le début et nous verrons si la population massive de la zone B dans les rues du Pakistan fait la différence. Des élections anticipées sont demandées.
Et de la Russie
La Russie a convoqué l’ambassadeur d’Israël et lui a
reproché de tenter d’utiliser la guerre en Ukraine pour détourner l’attention de ses attaques brutales contre les Palestiniens.
Par James Howard Kunstler – Le 11 avril 2022 – Source kunstler.com
Ces courants dangereux
constituent un énorme riptide dans les événements mondiaux qui emportera de nombreuses personnes et des sociétés entières vers la mer…..
Avez-vous pris le temps
de vous demander : quels sont exactement les intérêts des États-Unis en Ukraine ? La réponse : à peu près aucun, si l’on ne tient pas compte de tous les efforts et les capitaux dépensés ces dix
dernières années pour en faire un problème pour notre ennemi désigné, la Russie. Pendant ces huit années, l’Ukraine a été un distributeur automatique de billets pour la famille de « Joe Biden », un embarras gênant pour le département
d’État américain, qui n’a pas été capable de le dissimuler.
En fait, leur première tentative de le faire – les manœuvres séditieuses menant à l’impeachment n° 1 de Trump – n’a fait que mettre en lumière les activités
malhonnêtes de l’ambassadrice américaine Marie Yovanovitch et de ses collègues du Département d’État, en collusion avec l’Atlantic Council de George Soros, pour dissimuler leur implication dans
les affaires politiques corrompues de l’Ukraine. Cette bande comprenait des agents provocateurs qui entraient et sortaient du gouvernement, comme Jake Sullivan et Anthony Blinken, qui sont
maintenant les deux principaux responsables de la politique étrangère dans le gouvernement de « Joe Biden » (conseiller à la sécurité nationale
et secrétaire d’État).
Donald Trump a permis davantage de méfaits en envoyant ce qu’il a fièrement appelé une « aide mortelle » sous la forme de missiles
Stinger et d’autres armes à l’Ukraine, dans une tentative insensée de surpasser son prédécesseur, M. Obama, dont l’arme principale contre l’Ukraine était le vice-président Biden et sa famille de
voleurs. Le pauvre M. Trump devait apparemment faire quelque chose pour prouver qu’il n’était pas « la marionnette de Poutine », et cette chose était de
donner à l’Ukraine la permission tacite de bombarder la région séparatiste du Donbass à la frontière russe. Etait-ce censé ne pas avoir de conséquences ?
Pendant tout ce temps, l’OTAN a servi d’intermédiaire pour armer et entraîner une armée ukrainienne de 400 000 hommes, en violation de plusieurs accords officiels
entre la Russie et l’Occident. Pour le reste, l’OTAN n’a pas la volonté, ni même les moyens, de s’engager militairement avec la Russie. Et l’Amérique, à la tête de l’OTAN, s’est jusqu’à présent
abstenue de déclencher la troisième guerre mondiale en envoyant des troupes ou des avions de guerre américains en Ukraine. La Russie s’est donc attelée à la tâche laborieuse de neutraliser
l’armée ukrainienne en quête d’ennuis et de réarranger la carte pour que l’Ukraine ne puisse pas servir d’antagoniste par procuration dans la campagne mal conçue de l’Amérique pour détruire M.
Poutine et son pays.
L’opération se terminera probablement ce mois-ci. À mon avis, M. Zelensky sera autorisé à rester président de ce qui reste sur la carte, à l’exception du Donbass et
de la région située le long de la côte de la mer Noire, de Marioupol à Odessa. M. Zelensky n’aura pas d’armée en état de marche avec laquelle il pourrait faire des problèmes. D’autres parties de
l’Ukraine occidentale peuvent être réparties entre la Pologne, la Moldavie, la Roumanie et la Hongrie, laissant une grande partie de l’Ukraine entre Lvov et le fleuve Dniepr consacrée
principalement à la culture du blé. Une Ukraine stable et agricole sera un avantage pour un monde affamé, tandis qu’elle ne sera plus en mesure de lancer des hostilités ou d’être très utile comme
installation de blanchiment d’argent. En bref, avec un peu de chance, l’Ukraine cessera d’être une menace pour la paix mondiale.
L’Ukraine a peut-être été la dernière occasion pour « Joe Biden » de tout faire foirer sur la scène
mondiale. Alors que le conflit militaire se résout, l’Ukraine ne peut plus être utilisée par la Maison Blanche comme un bouclier pour détourner l’attention de l’Amérique du cancer politique de la
corruption de la famille Biden, et de la maladie systémique des institutions de la nation. Merrick Garland ne sera peut-être pas en mesure de limiter le dossier ouvert contre Hunter Biden à de
simples violations fiscales de pacotille – et s’il essaie de limiter le nombre de procureurs américains chargés de l’affaire, il s’exposera à un procès pour obstruction à la justice dans quelques
mois. L’ordinateur portable est sorti maintenant, trop de gens ont des copies du disque dur, et certains travaillent avec diligence pour rendre le fouillis de celui-ci plus facilement
consultable. Donc, attendez-vous à beaucoup plus à venir.
Il ne sera pas facile pour le parti Démocrate de se débarrasser de « Joe Biden ». Personne ne peut faire figurer
Kamala Harris dans le bureau ovale, et si elle parvenait à se retirer gracieusement de la scène, la suivante serait Nancy Pelosi qui, en plus d’avoir les dents longues, semble être littéralement
ivre la moitié du temps lors de ses apparitions publiques. Et derrière elle : Patrick Leahy, président provisoire du Sénat, qui est presque aussi sénile et incohérent que « Joe Biden ».
Beaucoup d’autres choses effrayantes se produisent pendant ce temps dans l’esprit du temps. Du jour au lendemain, avec ses sanctions maladroites, « Joe Biden » a tué le peu de crédibilité
qui restait dans les lambeaux de Bretton Woods et a donné le feu vert à la Russie pour lancer un mouvement mondial vers des monnaies adossées à l’or. Cela pourrait facilement transformer
l’inflation actuelle du dollar américain de 8 % par an en une hyperinflation galopante, où les prix doubleraient en quelques semaines ou quelques jours. Il est de plus en plus clair que l’avocat
spécial John Durham ne plaisante pas et que de nombreuses créatures des marais doivent trembler dans leur terrier en attendant leur mise en accusation. La controverse sur l’élection de 2020 ne
sera pas aussi éteinte que beaucoup l’ont espéré et imaginé. Et nous attendons des développements sur les séquelles de tous ces vaccins et boosters effectués dans toute la société occidentale.
Ces courants dangereux représentent un énorme riptide dans les événements mondiaux qui emportera de
nombreuses personnes et des sociétés entières en mer.
James Howard
Kunstler
Pour lui, les choses sont
claires, le monde actuel se termine et un nouveau arrive. Il ne dépend que de nous de le construire ou de le subir mais il faut d’abord faire notre deuil de ces pensées magiques qui font monter
les statistiques jusqu’au ciel.
Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
La notion « gauche/droite » doit être remplacée par le schéma « post-occidental/pro-occidental »
Apparemment, la notion politique
gauche/droite date de la Révolution française 1789 ; les représentants du futur ordre étaient assis à gauche dans l’assemblée du parlement tandis que les représentants de l’ancien ordre
étaient assis à droite. Par la suite, en conséquence de la domination occidentale de la planète, les termes politiques « gauche » et « droite » ont été utilisés dans le monde entier. Bien
qu’au cours du temps, la définition de « gauche » et de « droite » ait quelque part évoluée, on veut garder ici la compréhension originale, c’est-à-dire, gauche = représentants du futur
ordre et droite = représentants de l’ancien ordre.
Aujourd’hui, nous sommes au milieu d’une révolution mondiale. La domination occidentale de la planète touche à sa fin et est remplacée par un nouvel ordre.
Il n’est que logique que les forces politiques devraient être différenciées en conséquence. Donc, les forces de droite sont les forces qui défendent l’ancien ordre, c’est-à-dire qui
veulent que l’Occident reste la force dominante de la planète. D’autre part, les forces de gauche soutiennent que le nouvel ordre se stabilise et prenne forme ; je veux appeler
post-occidental ce nouvel ordre.
D’ailleurs, le 20 février 2017, lors de la Conférence sur la sécurité de Munich, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov utilisait l’expression
post-West world order dans son discours. Avant, ce terme était pratiquement inconnu (j’ai moi-même publié un article avec le titre La pensée post-occidentale en novembre 2016). Des
médias francophones l’avait traduit par
« ordre mondial post-occidental ». On peut aussi rappeler qu’en mars 2021, la Revue Défense nationale (France) est parue sous
le titre général Sommes-nous entrés dans l’ère post-occidentale ?
Les Russes, les Chinois et d’autres parlent souvent d’un monde multipolaire. On peut dire que, dans notre schéma, c’est la position du centre, entre gauche
et droite. Si, en plus, la conception d’un monde multipolaire est explicitement opposée à l’idée d’un monde unipolaire, je parlerais d’une position de centre-gauche. Le discours du
président russe Vladimir Poutine au 10ème Forum juridique international de Saint-Pétersbourg (30 juin 2022) en est un exemple typique : « Un système multipolaire des relations
internationales est en train de se former activement. Ce processus est irréversible, il se déroule sous nos yeux et il est objectif. … En résumé, la domination d’un pays ou d’un groupe de
pays sur la scène mondiale est non seulement contre-productive, mais aussi dangereuse et crée inévitablement un risque systémique mondial. Le monde multipolaire du XXIe siècle n’a pas de
place pour l’inégalité ou la discrimination à l’égard des États et des peuples ».
Continuons de différencier notre modèle. Je considère une position antioccidentale, qui prétend que tout qui vient de l’Occident est à condamner par
principe, comme une position d’extrême gauche que je ne partage pas. Je dirais qu’une position de gauche défend un monde multipolaire, mais, en plus, adopte le point de vue qu’ils
existent déjà des pays avec un meilleur système que le modèle occidental. Une position qui accepte que d’autres centres de pouvoir existent et respecte, en principe, l’indépendance des
autres pays, tout en préférant le modèle occidental est une position de centre-droite. D’autre part, comme déjà dit, la position de droite veut garder la suprématie de l’Occident. Et je
parlerais de l’extrême droite si on veut activement changer la direction que d’autres pays ont choisi. Notamment, utiliser illégalement (c’est-à-dire sans autorisation de l’ONU) des
sanctions pour changer le système établi dans un autre pays est une attitude d’extrême droite.
Aujourd’hui, l’ancienne utilisation des termes « gauche » et « droite » donne, en général, un résultat trompeur, voire absurde. Par exemple, l’actuel
gouvernement allemand est, d’après l’ancienne utilisation, un gouvernement de centre-gauche. Cependant, il est évident qu’il s’agit d’un gouvernement de droite, voire de l’extrême droite.
Ou le président français Emmanuel Macron a, en vérité, des positions bien plus à droite que sa rivale lors des dernières élections Marine Le Pen. Or, lors des élections en Italie le 25
septembre [ce texte a été écrit avant le 25 septembre], on attend une victoire du parti Fratelli d’Italia avec La Liga et Forza Italia. Ces partis sont classifiés par la plupart des médias occidentaux comme des partis de droite ou
d’extrême droite. Cependant, dans les faits, le premier ministre sortant Mario Draghi est bien plus à droite que ces partis ; c’est justement à cause de sa politique anti-russe, incluant
des sanctions illégales énormes (qui ont beaucoup augmenté les problèmes économiques en Italie), que Draghi a été poussé à la démission par la résistance populaire. Quant aux résultats
des élection récentes (11 septembre) en Suède, une analyse similaire s’impose.
D’ailleurs, la nouvelle Première ministre du Royaume-Uni, Liz Truss, est, d’après l’ancienne utilisation comme d’après la nouvelle utilisation, très proche
de l’extrême droite, mais n’est pas considérée comme d’extrême droite par les médias occidentaux ; ces derniers étant, en parenthèse, aussi souvent très proches de l’extrême droite. Ces
mêmes médias classifient le premier ministre hongrois Viktor Orban comme appartenant à l’extrême droite tandis qu’en réalité, Orban est fort probablement le premier ministre le plus
modéré de tous les pays de l’Union européenne.
En Suisse, la neutralité traditionnelle peut être considérée comme une position de centre-droite. Cependant, le gouvernement suisse, soutenu par la plupart
des partis politiques, s’est rallié aux sanctions illégales de l’Occident contre la Russie. Par conséquent, un nombre de pays, notamment la Russie, ne considèrent la plus la Suisse comme
un pays neutre et une rencontre entre Poutine et Biden comme celle du 16 juin 2021 à Genève ne sera plus possible en Suisse. En plus, il y a maintenant une tendance en Suisse qui veut
ouvertement redéfinir la neutralité comme une neutralité pro-occidentale. Ce qui constituerait un glissement à droite de la Suisse. Le dernier mot n’est cependant pas encore dit et on va
voir comment la Suisse va se positionner vu que la neutralité traditionnelle reste populaire, surtout dans les milieux et régions dites « conservateurs ».
En Occident, le mot « démocratie » est devenu un terme mythique, voire religieux. Toutefois, le modèle occidental ne s’est jamais basé sur le principe que
tous les pays sont souverains et ont les mêmes droits. En général, quand un président des États-Unis visite un autre pays, il ne manque pas de faire la leçon à ce pays et de lui dire
comment il devra se comporter. Donc, traditionnellement, le modèle occidental se base sur le principe « démocratie à l’intérieur, dictature à l’extérieur ». Cependant, ce modèle ne
fonctionne plus. Ces dernières années, aussi la démocratie à l’intérieur des pays occidentaux s’est beaucoup affaiblie.
Les mots qui sont utilisés pour classifier des positions politiques ont une influence considérable. Il est tout à fait crucial où le centre politique est
situé et qui est considéré comme extrémiste et qui est considéré comme modéré. Les anciennes compréhensions ne sont plus adaptées et doivent être remplacées.