Elections partielles au Brandebourg et en Saxe : Nouvel avertissement

...par Jean Daspry - le 09/09/2019.

« Il n’y a pire sourd que celui qui ne veut entendre. Il n’y a pire aveugle que celui qui ne veut pas voir » nous rappelle l’adage. Et, c’est bien ce qui se produit aujourd’hui avec la montée des « populismes » (terme impropre pour décrire la réalité du phénomène) en Europe et ailleurs. Le clergé médiatique se félicitait que les dernières élections au Parlement européen n’aient pas vu de raz-de-marée de l’extrême droite. C’est la parabole du verre à moitié vide et du verre à moitié plein. Nos folliculaires, fortement influencés par nos dirigeants somnambules, passaient sous silence la percée des partis « souverainistes » à Bruxelles/Strasbourg. Ils ne se souviennent déjà plus qu’en France, la liste du Rassemblement national dirigée par l’inconnu Jordan Bardella l’avait emporté – devant celle de Nathalie Loiseau – en frôlant les 25% des suffrages et qu’en Allemagne, l’AfD faisait un score fort honorable. Comme si de rien n’était, la vie reprenait son cours puisque la peste « populiste » avait été terrassée grâce à l’action bienfaisante de Jupiter 1er, celui qui déconnecte à plein tube. Le bon peuple de France et de l’Europe pouvait dormir du sommeil du juste. Et, le mois de septembre n’est pas encore entamé que deux coups de tonnerre nous viennent d’Allemagne. Les élections du Brandebourg et de Saxe conduisent à mettre le parti AfD en deuxième position dans les deux Länder avec un triplement des suffrages depuis les dernières consultations dans l’un et un doublement dans l’autre. Elles marquent un recul constant des partis traditionnels – sauf Les Verts – qui inquiète Berlin. Mais, nos adeptes de la méthode du bon docteur Coué soulignent que l’AfD ne parviendra pas à diriger une coalition dans ces deux régions9.

Les partis populistes ne constituent donc pas une menace pour la démocratie surtout comme ils n’ont pas atteint les scores que laissaient présager les sondages d’opinion avant les élections. Tout va très bien madame la marquise. La rengaine est bien connue… mais on passe sous silence le tout petit rien. Cessons de nous donner des frissons inutiles ! Que peut-on déduire de ces élections législatives dans ces Länder de l’ex-RDA tant au niveau allemand que chez ses voisins proches mais aussi à celui de la relation franco-allemande et la (dé)construction européenne ?

LA POUSSÉE CONSTANTE DE L’AfD EN ALLEMAGNE

En Allemagne, qu’on le veuille ou non, la coalition paie sa politique des bras ouverts à l’égard d’un million de migrants extra-européens. La coalition dirigée par Angela Merkel est de plus en plus déstabilisée à l’échelon fédéral. La constitution de coalitions à l’échelon régional sera plus compliquée10 d’autant que les partis traditionnels (les deux Volksparteien » pour partis populaires) CDU et SPD sont en recul constant. Rien ne sera possible avant le départ d’Angela Merkel et l’arrivée de son successeur, AKK (Annegret Kramp-Karrenbauer). Manifestement, l’AfD (sa principale revendication de départ était de prôner la fin de l’euro et le retour du deutschemark11) s’impose lentement mais sûrement dans le paysage politique allemand sur un programme radical antimigrants. Que pourra-t-il se produire dans les prochaines années ? Doit-on écarter, ab initio, l’hypothèse d’une nouvelle poussée qui pourrait en faire le premier parti au niveau fédéral après les succès passés (Saxe-Anhalt et Mecklembourg-Poméranie-Occidentale) et éventuellement à venir (Thuringe en octobre) ?12 Ne dit-on pas que gouverner, c’est prévoir ! Prévoir l’impossible, l’impensable pour s’y préparer, le cas échéant13.

L’EXTENSION DU « POPULISME » EN EUROPE

Si l’on passe les frontières de la RFA, force est de constater qu’un axe identitaire affirmé et assumé, sur lequel il faudra de plus en plus compter à l’avenir, se développe depuis les Länder de l’ex-RDA (ses citoyens s’estiment discriminés par rapport à ceux de l’ex-RFA) et la Bavière vers la Pologne, les pays du Groupe de Visegrad trente ans après la chute du mur de Berlin et pourrait atteindre d’autre États de l’Union européenne. Nous en avons eu un exemple en Italie. Doit-on considérer leurs revendications comme nulles et non avenues et faire comme si de rien n’était ? Ou bien tenter de comprendre les ressorts du « populisme » pour essayer de répondre à certains d’entre eux ?

Le peuple n’est-il pas roi dans une authentique démocratie ? La question n’est pas anodine. Elle est au cœur de l’avenir de la relation entre dirigeants et citoyens qui s’est fortement détériorée au cours de la dernière décennie, les seconds reprochant aux premiers de n’en faire qu’à leur tête sans les écouter, les entendre 14. Elle doit être traitée autrement que par le mépris de nos dirigeants incultes et arrogants qui se félicitent que l’AfD ne soit pas arrivée en première position. Maigre consolation ! En toute hypothèse, il faut à tout le moins dialoguer avec les « populistes » au lieu de les ostraciser. Ce qui a pour effet direct de les conforter dans les urnes au fur et à mesure des élections en Allemagne, avec une forte tendance dans l’ex-RDA.

LA DÉTÉRIORATION DE LA RELATION FRANCO-ALLEMANDE ET LA FIN DE L’EUROPE ?

Une coalition affaiblie à Berlin signifie une relation franco-allemande faible et cela d’autant plus que le successeur d’Angela Merkel, AKK ne passe pas pour une personne disposée à passer tous ses caprices à Emmanuel Macron comme l’a amplement démontrée sa réponse aux propositions françaises de défense européenne dans une tribune d’un quotidien français15. Le ton était martial et peu porté au compromis (en particulier sur la question du siège de membre permanent de la France au Conseil de sécurité de l’ONU). Il va sans dire, mais cela va mieux en le disant, qu’un couple franco-allemand, qui n’est pas sur la même longueur d’ondes, ne peut pas jouer le rôle de moteur d’une construction européenne déjà bien mal en point en raison des interminables péripéties du « Brexit » et des divisions croissantes entre les 28/27 sur les principaux défis auxquels l’Union est confrontée.

Aujourd’hui, l’Europe a besoin de tout sauf d’une crise de la relation franco-allemande. Si l’on ajoute que nous ne savons pas encore quelles vont être les conséquences, sur le long terme, de la guerre commerciale sino-américaine sur l’économie allemande, la marge d’incertitude est encore plus grande ? Si elles étaient durablement négatives, il y a fort à parier que l’Allemagne emprunterait un « sonderweg », une voie spécifique privilégiant ses intérêts nationaux aux intérêts d’une Union européenne n’ayant plus la moindre consistance. Elle pourrait traiter directement avec la Chine pour amortir le choc économique (Cf. sa récente visite à Pékin), avec la Russie pour assurer son approvisionnement en gaz… et avec tous les États dont elle estime que le développement des relations bilatérales est profitable pour son économie. Si tel était le cas, tout ceci n’annoncerait rien de bon pour la suite… si ce n’est la fin annoncée de l’Europe.

Petites causes, grands effets, dit-on. Ces dernières élections en Allemagne jouent, qu’on le veuille ou non, le rôle de révélateur de signaux faibles inquiétants que nos dirigeants s’évertuent à ignorer pour éviter d’en traiter les conséquences graves. La montée des « populismes » n’est pas prête de s’inverser, bien au contraire. On ne peut faire l’impasse sur les « quatre angoisses qui dessinent l’horizon politique de notre temps : peurs du grand déclassement, du grand remplacement, du grand réchauffement, du grands renversement »16. Comme le soulignait en son temps le général de Gaulle : « Si doux que soient les rêves, les réalités sont là, et suivant qu’on en tient compte ou non, la politique peut être un art fécond ou une vaine utopie ». Il faudrait enfin cesser de conduire la fameuse politique du chien crevé au fil de l’eau à l’égard du retour des passions et des nations, politique dont elle sait où elle avait conduit l’Europe en 1939-1940. À maints égards, le résultat des dernières élections en Allemagne constitue un nouvel avertissement, un ultime avertissement comme le disent les spécialistes des doctrines nucléaires militaires, qu’il convient de prendre très au sérieux.

9 Thomas Schnee, L’AFD renforce son ancrage dans l’est de l’Allemagne, www.mediapart.fr , 1er septembre 2019.
10 Pierre Avril, La montée de l’AfD en ex-RDA rebat le jeu des alliances, Le Figaro, 3 septembre 2019, p. 4.
11 Éditorial, Allemagne : éviter un nouveau mur, Le Monde, 3 septembre 2019, p. 29.
12 Allemagne, année facho, Le Canard enchaîné, 4 septembre 2019, p. 8.
13 Thomas Wieder, Les nouveaux clivages du modèle politique allemand, Le Monde, 7 septembre 2019, p. 30.
14 Natacha Polony, Les institutions contre les peuples, Marianne, 6-12 septembre 2019, p. 3.
15 Guillaume Berlat, Paris-Berlin : la mésentente cordialewww.prochetmoyen-orient.ch , 20 mai 2019.
16 Simon Olivennes, Les quatre angoisses qui dessinent l’horizon politique de notre temps, Le Figaro, 4 septembre 2019, p. 16.

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