«Le problème des banlieues n’est pas économique mais culturel»

Extrait de l’entretien de Me Guillaume Jeanson dans le FigaroVox

Le 05/11/2019.

 FIGAROVOX/ENTRETIEN - De violents affrontements avec les forces de l’ordre ont à nouveau éclaté samedi, cette fois à Chanteloup-les-Vignes. Pour l’avocat Guillaume Jeanson, les jeunes à l’origine de ces échauffourées sont encouragés par un sentiment d’impunité.

Par Paul Sugy

Publié le 4 novembre 2019 à 20:22, mis à jour hier à 17:07

Sources :

https://www.institutpourlajustice.org/medias/chanteloup-les-vignes-le-probleme-des-banlieues-nest-pas-economique-mais-culturel/

-  https://www.lefigaro.fr/vox/societe/chanteloup-les-vignes-le-probleme-des-banlieues-n-est-pas-economique-mais-culturel-20191104

PIERRE RATEAU/AFP

 Guillaume Jeanson est avocat au Barreau de Paris et porte-parole de l’Institut pour la justice. 

 

FIGAROVOX.- Face à l’escalade de la haine anti-policiers, comme samedi soir à Chanteloup-les-Vignes, comment les forces de l’ordre peuvent-elles faire face à ce type de phénomènes émeutiers et criminels ?

 

Guillaume JEANSON.- Pour déterminer le type d’actions à mener, il faut au préalable trouver le courage, comme disait Péguy, de «voir ce que l’on voit». Ce qui implique, d’abord, de replacer ces phénomènes dans un temps long. Ce week-end s’inscrit dans la continuité de ces dernières semaines, où, à Étampes, Champigny-sur-Marne, Emerainville, les Mureaux, Béziers dans le quartier de la Devèze et ailleurs, les affrontements contre les forces de l’ordre se sont multipliés. Il faut ensuite déterminer précisément qui sont les cibles. La haine anti-policiers n’est, en effet, pas seule en cause ici. Il suffit pour s’en convaincre de relever l’accroissement d’agressions perpétrées également sur les pompiers et autres symboles de la République. Les chiffres des dépôts de plaintes du mois de septembre témoignent déjà d’une augmentation par rapport à 2018 et les dégradations vont désormais bien au-delà des caillassages de voitures sérigraphiées «police». Ici, on brûle une école. Là-bas, un cirque. Pourquoi? Certaines voix autochtones osent: «Parce qu’on n’a pas de plages islamiques!». 

 

Le sentiment d’impunité se renforce chaque année.

Derrière la provocation, n’oublions pas une réalité. Une réalité d’ailleurs encore rappelée l’année dernière par un «cadre reconnu de l’appareil de renseignement français» à votre confrère de Marianne, Frédéric Ploquin, et rapportée dans son livre La Peur a changé de camp: Les confessions incroyables des flics: «Le but de ces «voyous (…) clairement entrés dans une logique de harcèlement et de confrontation avec la police, (…) c’est de sanctuariser un maximum leur territoire pour y développer le business et de s’affirmer comme des caïds féodaux.» Cette spécificité tranche singulièrement avec les «voyous traditionnels» car «ces petits voyous-là ne se reconnaissent pas dans le système républicain (…). Ceux qui posent problème sont souvent issus de l’immigration (…) et la délinquance est souvent l’une des modalités de leur profonde révolte vis-à-vis de la France, révolte qui vire parfois à la haine et s’habille le cas échéant de religion.»

 

Existe-t-il toujours un sentiment d’impunité chez ces voyous ?

C’est une évidence. Et ce sentiment se renforce avec les années. Qui se souvient qu’en 2011 déjà, le maire d’Évry dénonçait, dans son livre «Sécurité», «un sentiment total d’impunité et de toute-puissance chez les délinquants» résultant selon lui en partie d’une «réponse de la Justice souvent décalée»? Ce maire, devenu les années suivantes ministre de l’Intérieur, Premier ministre puis Conseiller municipal de Barcelone soulignait alors «la nécessité de créer de nouvelles places de prison». Un mandat présidentiel et demi plus tard, la situation semble pourtant s’être encore dégradée. Les politiques se succèdent alors que les problèmes demeurent. Non réglés, ils se gangrènent et se métastasent. «La réalité» perçue par les forces de l’ordre, «c’est l’agresseur qui ressort libre du tribunal et insulte la victime», comme le dénonce Philippe Capon, secrétaire général de l’UNSA Police. Celle perçue par les victimes ne vaut hélas souvent guère mieux. Il est impératif de reprendre pied dans ces quartiers. Si la police veut pouvoir agir en suivant les quatre principes d’actions exposés l’année dernière par le commissaire général Didier Joubert, lors d’une journée d’étude sur les relations police-population organisée par la Ligue des droits de l’Homme, à savoir «la fermeté, l’accessibilité, le respect et l’écoute», elle doit pouvoir s’appuyer sur une coercition crédible. La justice, avec sagesse, prudence et indépendance, doit alors pouvoir répondre présent.

 

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Cette montée de la violence doit inciter à revoir le fonctionnement de la «chaîne pénale» ?

 La chaîne pénale demeure toujours aussi gravement entravée par une défaillance lourde sévissant au stade de l’exécution des peines. De nombreuses peines d’emprisonnement ferme ne sont que très tardivement mise à exécution, ce qui renvoie un message gravissime d’impunité. Le 24 mars prochain, alors que devrait entrer en vigueur le dispositif le plus important de la fameuse loi de programmation pour la justice, l’embouteillage qui caractérise le bout de cette chaîne pénale qui tourne déjà au ralenti risque encore de s’aggraver: au-delà d’un an (contre deux aujourd’hui), les peines d’emprisonnement seront désormais exécutées sans que le juge d’application des peines ne puisse les aménager avant leur mise en exécution. Cette réforme est sans doute nécessaire. Mais, sans accroître le nombre de places de prison disponibles, comment ne pas redouter l’aggravement d’un engorgement carcéral dû à la mise à exécution désormais systématique des peines de prison supérieures à un an? Dans ces circonstances, le remède sera-t-il vraiment moins pire que le mal ?

 

 Derrière la provocation réside une véritable « fracture socioculturelle  ».

Il y a quelques jours, le groupe de rap 13 Block sortait un nouveau clip, intitulé «fuck le 17», mettant en scène de manière outrageante des confrontations avec les forces de l’ordre. La haine contre les policiers prospère-t-elle grâce à ces clips? Faut-il poursuivre les auteurs?

Il est vraisemblable que des paroles telles que «à mort les cops, on les abime» devrait pouvoir tomber sous le couperet de la loi pénale et il est souhaitable que les autorités réagissent. Tant pour défendre l’honneur de cette institution que pour défendre celui de ceux qui la servent, parfois même au péril de leur vie. Mais, là aussi, au-delà du juridique, il faut sans doute analyser ce phénomène «culturel» pour ce qu’il se donne à voir. Derrière la provocation réside une véritable «fracture socioculturelle». Dans son livre Génération «j’ai le droit», Barbara Lefebvre démontre très justement comment «des pans entiers du territoire national ont été perdus parce qu’ils ont été abandonnés culturellement. Non économiquement, contrairement aux banalités répétées en boucle sur l’abandon des banlieues, car très tôt, elles furent l’objet de toutes les aides publiques». À en croire tant les propos de François Hollande sur «la partition» rapportés par vos confrères du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme dans Un président ne devrait pas dire ça, que ceux tenus par Gérard Collomb dans son discours actant son départ de la place Beauvau, le défi effraie le politique car il est d’autant plus grand qu’il n’est plus seulement juridique, il est devenu également culturel.

  

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