“Urgence d’Etat”, Terrorisme islamiste : les mesures drastiques qui s'imposent.

par Caroline Galactéros - le 30/07/2016.


Docteur en science politique et colonel au sein de la réserve opérationnelle des Armées, Caroline Galactéros dirige le cabinet d'intelligence stratégique «Planeting». 

Auteur du blog Bouger Les Lignes, elle a publié Manières du monde. Manières de guerre (Nuvis, 2013) et Guerre, Technologie et société (Nuvis, 2014).

Caroline Galacteros est administratrice de l’ASAF



L'ampleur du rassemblement populaire mêlant fidèles et non-croyants autour de la messe célébrée mercredi soir en Notre-Dame de Paris après l'assassinat d'un prêtre à Saint-Etienne-du-Rouvray a démontré que l'on se trompe de débat. Il ne s'agit pas plus «d'être unis» que de «protéger l'Etat de droit». Le peuple français est uni et vit dans un Etat de droit. Mais il a peur, tout simplement, et de plus en plus. Chaque carnage lui fait découvrir cet Etat (de droit si parfait donc) sidéré devant la terreur indiscriminée, tétanisé devant le réel et cherchant à le nier sur le thème de «la folie meurtrière» des assassins ou de leur «radicalisation express», avant de devoir admettre très vite qu'on les connaissait, qu'on les «surveillait», qu'ils étaient «fichés» S ou pas mais avaient été laissés en liberté ou relâchés dans la nature avec ou sans bracelet électronique…

 

Les Français n'en reviennent pas de ce pouvoir impuissant et aboulique, tout en paroles et en poses, mais sans courage politique. Un pouvoir que le vent mauvais de l'histoire du monde - dont même notre Pape reconnaît qu'il est en guerre -, ne fait pas bouger d'un iota dans ses certitudes idéologiques pourtant tragiquement pulvérisées sous nos yeux, sur les corps de nos enfants, de nos policiers, de nos prêtres… Un pouvoir qui s'accroche pathétiquement aux branches mortes de ses utopies délétères et sous-dimensionne avec obstination ses «réactions», calibrées sur de petits calculs électoralistes, de petits intérêts privés servis par de petites personnes qui prennent immanquablement… de petites mesures. Un pouvoir enfin, qui se refuse toujours, au nom de la «préservation de nos libertés» et de «l'Etat de droit» intangible donc, à prendre quelques libertés avec le droit pour protéger ses mandants d'une sauvagerie qui les frappe sans faiblir. La résilience n'est ni la résignation ni le fatalisme.

 

Exhorter nos concitoyens à la résistance, au courage et à la patience n'est audible que si l'Etat exerce son devoir de protection envers eux au maximum de ses moyens, que s'il est perçu comme déterminé et proactif, que s'il n'hésite pas à modifier en urgence jusqu'à notre Constitution s'il le faut, et a minima, à prendre des mesures de bon sens et à faire respecter nos lois existantes. La «déradicalisation» est un leurre, mais «l'intelligence avec l'ennemi» une réalité. Surtout, quasi systématique est le lien entre tous nos djihadistes-maison, - psychologiquement fragiles peut-être mais rarement seuls et préméditant leurs passages à l'acte -, et le fameux «fichier S». Sans parler de la porosité manifeste entre moyenne délinquance et terrorisme, qui met en lumière l'ampleur d'une infiltration qui fait frémir.

 

     Qu'attend-on pour empêcher de nuire tous ceux au moins déjà identifiés comme radicalisés ou en passe de l'être? 

     Qu'attend-t-on pour pénaliser la consultation de sites djihadistes dont on connaît l'impact psychologique et la charge «d'exemplarité» maléfique? 

     Comment est-il concevable que l'on puisse être «fiché S» - S pour «menace à la sûreté de l'Etat» - et libre de commettre un attentat terroriste? 

     Comment peut-on remettre en liberté, au bout d'un an, un individu avec le fameux bracelet électronique, alors qu'il doit encore être jugé «pour faits de terrorisme», et alors même que le Parquet anti-terroriste a fait appel de cette décision au vu de sa dangerosité manifeste? 

     Quelle «protection des libertés individuelles» de tels hommes peut-on sérieusement invoquer? La liberté de prendre la vie des autres? Celle de tuer leurs concitoyens? Celle de déstabiliser notre Etat? La présomption d'innocence? Et celle de culpabilité, et le faisceau concordant d'indices laissant penser que…?

 

Les abstractions politiques expriment souvent de louables aspirations. Le problème est qu'elles sont tout aussi souvent bafouées ou dévoyées, transformées en icones sacrificielles. Mais ce sont les corps de nos enfants qui devraient aujourd'hui aveugler les consciences angéliques qui nous gouvernent si peu et si mal.

Être un peu moins «horrifié» et un peu plus efficace serait bienvenu et même électoralement payant, puisque tout semble vu à cette aune désormais.

 

Notre constitution n'est pas une momie. Elle est vivante, peut et doit être réformée sous l'empire de la nécessité vitale qui nous saute au visage. Les mesures à prendre sont évidentes et désormais ouvertement exprimées, à gauche comme à droite d'ailleurs.

De qui se moque-t-on à la fin? Nous ne deviendrons pas une dictature parce que nous emprisonnerons les Français ou étrangers partis s'entraîner au loin pour revenir nous assassiner, ou parce que nous enfermerons, avant qu'ils ne nous égorgent éventuellement, tous les fichés S ou autres délinquants connus pour leurs liens avec les milieux islamistes. Nous avons eu près de 300 morts en 18 mois. Doit-on encore des années reculer devant l'expulsion d'une centaine d'imams radicaux identifiés? On craint que cela n'enflamme nos banlieues travaillées au corps par une délinquance qui a viré au djihad et n'attend qu'une étincelle de rigueur pour se déchaîner? Certes... Mais qui peut croire que ne rien faire va arranger les choses, que tout va se calmer par l'opération du Saint Esprit raisonnant miraculeusement une - encore - petite frange de notre jeunesse, qui profère la haine de la France et prend en otage une communauté musulmane massivement quiétiste mais trop passive. C'est le vrai sujet.

 

Quant à la Cour Européenne des Droits de l'homme, elle devrait elle aussi ouvrir les yeux et se mettre au diapason de la réalité. La vague d'attentats qui déchire la France frappe l'Europe et à vrai dire le monde entier. Mais en France, le déni du réel dans tous les domaines de l'action de l'Etat (justice, sécurité, défense, politique étrangère, économie, éducation, etc.) atteint des sommets et nous tue. Et de moins en moins à petit feu. Nous avons laissé sciemment le communautarisme déstructurer le corps national, nous avons laissé s'institutionnaliser l'islamisation rampante de la population musulmane de France. C'est en procrastinant honteusement, en espérant voir un mandat et peut être même un second «passer entre les gouttes» de la fracture ouverte de la société, en psalmodiant le mantra du «pasdamalgame» que l'on croit conjurer le mal.

 

Tout cela ne signifie pas pour autant qu'il faille s'engouffrer dans l'interprétation dominante d'une «guerre de religion» en cours à l'échelle planétaire. Dieu est Etre, Principe, Souffle de Vie, Amour. Il ne peut appeler à la mort. Depuis Cracovie, son premier vicaire François reconnaît et nomme le Mal, mais adresse un message de paix et d'amour sans équivoque. Le Pape a aussi clairement rappelé que le sang répandu au nom de Dieu et la peur qui monte dans nos pays nous aveuglent sur les moteurs profonds des luttes en cours. La religion peut être le prétexte, l'instrument, le vecteur, le catalyseur de la guerre. Elle n'en est pas le principe. Au Moyen-Orient, en Afrique ou en Europe, on se bat avant tout pour le pouvoir, pour les ressources, pour l'argent, pour les territoires. Pas pour Dieu. La loi religieuse que les islamistes sunnites entendent imposer en Irak, en Syrie, au Sahel comme à Paris ou dans l'Europe entière n'est que le masque terrifiant d'une volonté de puissance politique et économique infiniment plus prosaïque et vénale.

 

Pas pour Dieu donc… Mais en son nom. Ce ne sont pas des guerres de religion, mais l'on veut imposer leur lecture confessionnelle. Car cette confessionnalisation des affrontements est un puissant moteur de mobilisation populaire pour le djihad et de contrôle politique des masses musulmanes terrorisées elles aussi. Cela marche très bien au Levant, entre Sunnites et Chiites, comme de plus en plus en Europe, entre Musulmans et Chrétiens. Les individus qui aujourd'hui ensanglantent le territoire national, et leurs coreligionnaires qui massacrent les Chrétiens d'Orient ou les populations sunnites modérées et chiites du Levant qui ne se soumettent pas à leur loi moyenâgeuse, le font bien «au nom de l'Islam». 

Et ce seul fait appelle chez nous désormais, sans plus attendre, une réaction massive de la part de l'immense majorité des musulmans français et de leurs «représentants». Leur passivité les accuse «par défaut» et les menace. Il faut enfin voir dans les rues du pays tout entier une «marche silencieuse» de plusieurs millions de personnes qui manifestent spectaculairement aux autres Français qu'elles se désolidarisent totalement des crimes commis en leur nom pour les venger de je ne sais quelle humiliation ou frustration sociale. Sinon, alors oui, il nous faudra assister à ce que l'on dit craindre tout en le favorisant: la montée violente des tensions communautaires, la «guerre civile» dans nos banlieues, dans nos rues. Et pas forcément à l'initiative de la communauté musulmane. Car «les petits blancs», les citoyens ordinaires qui vivent la proximité de la délinquance ou de la crispation communautaire et confessionnelle se sentent bien plus menacés, à juste titre, que les franges plus préservées de la population ou évidemment que nos gouvernants qui vivent en apesanteur dans les palais de la République. Et s'ils ressentent dans leur chair et leur quotidien trop puissamment le défaut de protection de l'Etat, ils finiront par trouver légitime de la prendre en main tous seuls. Et c'est cela, précisément, la guerre civile.

 

Mais il faut bien comprendre qu'au-delà de la France, c'est toute l'Europe riche et molle des bons sentiments qui est en fait ciblée. Et singulièrement, notre puissant voisin allemand, lui aussi pacifique et bienveillant, qui se retrouve sous le feu d'une vague d'attentats sans précédent depuis quelques semaines. L'heure n'est plus à la célébration de la généreuse «Mutti Merkel» qui ouvrait toute seule les portes de papier de notre Union en crise aux malheureux migrants fuyant en masse la pauvreté et la guerre. On peut gager qu'en dépit de ses dernières déclarations pondérées, Angela Merkel doit à chaque seconde maudire en son for intérieur sa bonté d'âme qui donna voilà un an, le signal de la submersion migratoire mais surtout celui d'une inconscience et d'une faiblesse politique européennes abyssales. Les Anglais (le peuple surtout), qui pourtant jouissaient d'un «deal» à la carte hors pair pour leur appartenance à l'UE, ne s'y sont pas trompés et ont fui sans états d'âme ce navire en déroute identitaire, le jugeant désormais immaitrisable. Le Brexit a aussi sonné le glas de nos utopies communautaires sans frontièristes. Les Nations affaiblies sont attaquées du dedans et certains nouveaux membres, telles la Pologne ou la Hongrie, ne cachent plus leur crainte d'une contagion de ce ferment irénique des élites bruxelloises qui prétendent les régenter et les dissoudre «pour leur bien».

 

Et puis il y a la complexité de la guerre menée au loin contre l'Etat Islamique. En Syrie, l'actuelle «décontamination» d'Al Nosra - sous probable initiative américaine - de ses éléments les plus radicaux (désormais regroupés dans le Jabhat Fath al Sham…) vise sans doute à s'en servir comme contrepoids aux Russes et Iraniens qui soutiennent le régime syrien … trop efficacement à notre goût, à les empêcher de libérer seuls Alep au profit d'Assad, à soulager aussi les Kurdes syriens soutenus par Washington mais jamais à l'abri d'un «retournement» par Moscou. Qu'a-t-on promis à cette franchise d'Al Qaida, cousine rivale de Daech en échange de ce «re-branding» opportun? Une place à la table des négociations pour le marchandage final, après une participation active, pour le compte indirect de la Coalition, aux reprises de Mossoul (sous peu) et de Raqqa (ensuite) dont Washington souhaite à toute force partager le crédit avec Moscou et Téhéran? La tête du président syrien, qu'Américains et Russes doivent être en train de négocier âprement au plus haut niveau? Les deux?... A-t-on conscience à Washington ou à Paris, qu'une victoire sans très fort contrepoids chiite et russe de ces prétendus «rebelles modérés» intimement liés à Al Qaida, «racine-mère» de Daech, qui se ramifient à l'infini depuis cinq ans pour tendre des visages fréquentables à la Coalition et aux négociateurs occidentaux, signifierait un massacre communautaire immédiat et massif ou a minima une spoliation et une mise sous le joug du peuple syrien? Il faut craindre que non. Ne voit-on pas l'incohérence magistrale entre cette «politique» erratique et notre prétention à la fois crâne et angélique, à «protéger les populations» et «promouvoir la démocratie»? Ne voit-on pas enfin, que nous donnons par ce soutien - même tempéré - au radicalisme sunnite, un blanc-seing involontaire au ciblage ultime de notre propre territoire? On invoque le progressif et encore récent renforcement du dispositif militaire français en Irak pour expliquer cette salve d'attentats. N'est-ce pas plutôt l'édifiant spectacle de nos inconséquences et de notre aveuglement sur la gangrène islamiste «domestique» qui nous exposent au pire? L'ennemi extérieur et intérieur, a bien compris … que nous n'avions pas compris grand-chose.

 

Alors que faire ? Il faut réarmer intellectuellement, moralement, concrètement, juridiquement et militairement bien sûr. Et il faut aussi comprendre que nos aventures moyen-orientales ont eu un prix élevé, trop élevé désormais. La Libye est en morceaux, le Sahel si fragile, le Maghreb menacé. Et il y aurait beaucoup à dire sur l'Egypte ou bien sur la Turquie…. Cela ne signifie évidemment pas que nous pourrons nous dispenser demain de projections de forces sur les théâtres lointains de la déstabilisation politique ou d'opérations de stabilisation des appareils sécuritaires de certains Etats amis, quand nos intérêts y sont engagés ou menacés. Mais cela ne suffira pas. Dans l'immédiat, l'attraction vénéneuse exercée sur nos nationaux par le projet califal irako-syrien impose pour l'affaiblir, de se décider enfin à en finir avec l'Etat islamique. Et l'on ne pourra le faire qu'en coopération claire, nette et purement pragmatique avec Moscou.

Il semble que les Etats-Unis commencent à considérer l'intérêt d'en finir avec ce rhysome diabolique trop longtemps toléré pour dire le moins. Souhaitons que cet éclair de lucidité se transforme en aube.

 

Etat de droit, oui. Etat de faiblesse, non. On fragilise la démocratie en exposant nos peuples à la violence. On la délégitime progressivement. En l'état actuel, l'on rêve pour la France d'un chef d'Etat «de guerre» qui allie sang-froid, énergie courage, lucidité, ambition et cohérence d'une politique d'envergure, à l'intérieur comme à l'extérieur. Car une chose est absolument claire, qui devra structurer la vision du prochain président de la République: notre politique étrangère et notre politique militaire (sous ses divers aspects) sont étroitement liées l'une à l'autre et ont un impact intérieur cardinal désormais. Leur duo doit en conséquence être lui-même le reflet d'un projet politique en matière sécuritaire, pénale, économique et sociale basé sur le pragmatisme et la lucidité. C'est donc une véritable stratégie globale, avec des lignes d'opérations cohérentes et complémentaires qu'il faut enfin définir. Seule une telle approche d'ensemble, proactive et ambitieuse, démontrera que la France a enfin repris ses esprits et tient de nouveau son rang au cœur du monde, non plus réfugiée aux marges et interstices que veulent bien lui concéder ses partenaires-concurrents… Sans parler de ses ennemis déclarés qui se gaussent de notre goût morbide pour le renoncement à être au monde tel qu'il est, très brutal, très violent. Très beau aussi et offert à l'espoir.

Chacun sait que «le risque zéro» n'existe pas. Mais l'affirmation - en actes et pas seulement en incantations martiales - d'une détermination à empêcher la destruction de la cohésion nationale n'a pas d'alternative. Sauf le suicide collectif consenti. Et les Français n'y consentent pas. Nous ne sommes pas des victimes, des agneaux offerts au sacrifice au nom de la bonté d'âme de ceux qui prétendent nous représenter. «La responsabilité de protéger», si pompeusement brandie pour légitimer des déploiements de force lointains souvent utiles mais parfois aussi dramatiquement contre productifs, s'applique sur le sol national. Le principe de précaution aussi. Il ne saurait être appliqué à meilleur escient qu'en ces circonstances si douloureuses qui portent atteinte à la chair même de notre nation.

Dire qu'on est en guerre certes. Mais la mener surtout. Voilà ce que nous attendons d'un pouvoir digne de ce nom.

 

Caroline GALACTEROS

 


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