Avez-vous vu l'Etat ? Je le cherche partout...!

par "Koz" - 10/04/2016.


Blogueur, Monoépoux, multipère, et fidèle à plusieurs titres.

Également avocat (associé fondateur BeLeM Avocats) et auteur de "Ca ira mieux demain" (Sept. 2015, éd. du Cerf)



Pour la première fois de toute mobilisation étudiante et lycéenne, des lycéens ont, à trois reprises, incendié leur établissement – le feu ne restant circonscris aux portes que par l’intervention1 des pompiers. Ainsi, désormais, dans l’imaginaire des manifestations lycéennes, une nouvelle modalité d’action a pris place. Il ne s’agit plus seulement de bloquer des établissements, de les dégrader éventuellement, mais encore de les incendier. Dans l’éventail des modalités d’action, un palier est franchi, un cliquet est engagé. Comment l’État a-t-il pu permettre cela ? Où sont les réactions de condamnation fermes que de telles actions auraient dû appeler ? Un communiqué de presse du ministre pour « condamner vivement ». Dérisoire papier.

 

Pour la première fois certainement, des commissariats ont été attaqués, par des lycéens (!) et plus car affinités. Ceci s’est reproduit cette nuit, un commissariat du XIème arrondissement étant « violemment attaqué »2. Comment ceci est-il seulement possible ? Dans quel état avons-nous collectivement glissé pour que l’on puisse penser qu’il faille protéger des commissariats (!) dans une situation autre qu’insurrectionnelle ?! Comment ceci a-t-il pu se produire sans une réaction de fermeté ? Un Etat qui se respecte sait montrer les limites de la contestation acceptable. Quand on attaque un commissariat, elles sont franchies. Quand, de surcroît, elles le sont dans un pays qui se prétend sous état d’urgence, cela confine à l’humiliation du pouvoir. Et c’est symptomatique d’un pouvoir velléitaire qui se paie de mots et de coups de menton : soit le pays est en état d’urgence, soit il ne l’est pas. S’il n’a pas à l’être, qu’on en prenne acte et qu’on le lève. Mais si on le maintient et que l’on veut que la notion d’« état d’urgence » ait un sens et un impact à l’avenir, il faut imaginer le faire respecter. C’est sans mentionner la perte de crédit de la France à l’étranger, pays qui se déclare martialement « en guerre » et se dresse de barricades en plein état d’urgence : la situation recèle un potentiel rare de ridicule.

 

Que des jeunes se réunissent de nuit sur des places pour parler politique ne saurait émouvoir – sauf à se souvenir que des Veilleurs qui ne dégradaient jamais rien étaient aussi systématiquement qu’irrégulièrement interpellés, et que les organisateurs de « Nuit Debout » refusent explicitement de se dissocier de « ceux que vous appelez les casseurs ». Il est en revanche inconcevable que le Président de la République comme le Premier Ministre ou les ministres compétents s’abstiennent de fixer les bornes claires et évidentes. Le pouvoir est liquide. L’évolution de ce mouvement traduit l’éternelle relation coupable de la gauche à la violence qui, quand elle ne la considère pas explicitement légitime, garde un rapport malsain à une violence qu’elle fantasme révolutionnaire – tout en préemptant sans vergogne la République. Il n’y a pourtant guère que la gauche pour entraîner de tels débordements. Car aussi détestables soient nombre des idées qu’ils ont pu y avancer, c’est à peine si les participants au « Jour de colère » ne s’arrêtaient pas consciencieusement aux feux rouges. Et aussi opposé que je sois à son action et au mouvement Pegida, il n’a pas fallu longtemps pour interpeller le général Piquemal, dont la manifestation n’avait pourtant donné lieu à aucun débordement comparable.

 

Tout ceci se produit de surcroît à l’occasion de la discussion de la loi El Khomri dont on peut évidemment comprendre la contestation mais qui ne devrait pas avoir, à l’évidence, de quoi soulever des barricades enflammées. C’est le résultat d’un exercice erratique et déficient du pouvoir par François Hollande et Manuel Valls, alliance du ventre mou et du coup de menton. Ils illustrent l’un et l’autre les plus évidents travers de l’autorité : l’un en est radicalement dépourvu, l’autre la confond avec l’autoritarisme. Mais ni l’un ni l’autre n’est capable d’incarner le seul rapport sain à l’autorité : l’autorité naturelle. François Hollande s’est montré incapable durant ces quatre années de mandat d’incarner un projet, d’indiquer un cap ou de fixer d’autre horizon que l’inversion d’une courbe. Pour sa part, Manuel Valls a dû imaginer, étrangement, capitaliser sur son impopularité en jetant à la face de sa majorité un projet qu’elle ne pouvait assumer dans son état, assorti d’une menace de 49-3, comme une marque de défiance autant que de défi. Au bout du compte, le projet de loi n’a guère plus de substance, et c’est l’Etat qui se retrouve piétiné, signe que les rodomontades colériques du matador dans les arènes parlementaires ne dépassent pas le stade de la pure comédie, dramatique.

 

Ce mouvement et sa gestion contresignent l’échec de François Hollande et Manuel Valls, et les dégâts causés dépassent leur propre sort. Mais il est ironique de lire qu’aujourd’hui, 80% des Français ne souhaitent pas que François Hollande se représente. Dans une autre configuration, un autre pays peut-être, c’est sa démission qui serait discutée. A tout le moins, aujourd’hui, une nouvelle candidature sonnerait comme une provocation.

 

1 ) Peut-être présumée, d’ailleurs, les casseurs comptant sur les forces de l’ordre pour limiter leurs propres dégâts

2 )Selon les mots d’un journaliste de Mediapart


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