La ceinture islamiste occitane

...par Jean-Baptiste Noé - le 17/01/2019.

 

Docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages :

Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015),

Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016)

et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).



L’analyse des départements où habitent les personnes fichées pour radicalisation et les islamistes fait apparaître sans surprise dans le peloton de tête les grands centres urbains : la Seine-Saint-Denis, Paris et sa couronne, la vallée du Rhône (Lyon, Villeurbanne), le Nord, l’Alsace et la région marseillaise. Sans surprise, parce que ce sont les régions les plus peuplées et celles où la présence de populations musulmanes est la plus forte. Plus étonnant en revanche, apparaît dans les premiers postes une ceinture occitane de l’islamisation, qui part de l’Ariège pour aller jusqu’aux rives de la Méditerranée, en passant par Toulouse et Carcassonne. Le département du Tarn est ainsi l’un de ceux où il y a le plus d’islamistes rapportés à la population. Cela surprend, car ce sont des régions rurales et de villes moyennes, avec peu de grands ensembles et peu de concentration de populations venant du monde musulman. On y trouve le village d’Artigat, dans l’Ariège, 600 habitants et centre du djihadisme français. On y trouve la banlieue toulousaine et ses frères Merah, ainsi que la ville de Trèbes, celle de Lunel et Castres, où des attentats furent perpétrés contre les militaires parachutistes. Cet état de fait s’explique par l’histoire de la région.

 

Appel de main d’œuvre maghrébine

 

C’est à la fois une région rurale, de vignes et de cultures maraîchères, qui nécessite donc beaucoup de main-d’œuvre, et une région d’industries diffuses dans le tissu urbain de villes moyennes. À Castres, ce sont les laboratoires Pierre Fabre. À Mazamet, à Graulhet et à Castres aussi, ce sont les tanneries, grâce aux peaux venues du Massif central. Il y a ainsi eu toute une petite industrie, qui a perduré jusque dans les années 1970, de fabrication d’outils agricoles, de conserverie, de transformation alimentaire, de textile, qui a fait appel à de la main-d’œuvre venant des territoires alors français : Maroc, Algérie, Tunisie. Ces populations se sont donc installées dans ces régions de moyenne ruralité. À la fermeture des usines, elles sont restées au chômage et ont vécu en cercle clos, avec leurs enfants et leurs petits-enfants. C’est cette génération-là qui, aujourd’hui, prend le chemin de l’islamisme.

 

Les historiens de l’économie et des entreprises débattent aujourd’hui quant à l’utilité de l’appel de cette main d’œuvre. Dans les années 1950-1960, les gouvernements avaient encouragé ces venues afin d’intégrer les populations dans le tissu français. Ils espéraient ainsi permettre le développement du Maghreb et éviter l’indépendance de la région. La venue de ces populations a été davantage le fait d’une pression politique que d’une réelle demande des chefs d’entreprises, qui n’appréciaient guère ces populations peu formées et à la faible productivité. Ainsi, en 1957, sur les 300 000 Algériens présents en France, 100 000 étaient au chômage. On peut même se demander si cette main-d’œuvre peu chère et imposée n’a pas joué un rôle dans la disparition du tissu industriel. En effet, incité à embaucher cette main-d’œuvre peu productive, les industries textiles et artisanales n’ont pas investi dans la mécanisation et la robotisation, qui leur auraient permis de se moderniser, d’accroître leur productivité et de faire face à la concurrence mondiale. Quand le prix de l’énergie a brutalement augmenté en 1973, beaucoup ont fermé, laissant la main d’œuvre maghrébine d’hier au chômage et dont les petits-enfants sont les islamistes d’aujourd’hui. Cela forme un islam rural, loin des barres et des concentrations urbaines habituelles, mais tout aussi actif et nuisible.

 

 

Artigat : la ferme à djihadistes

 

Artigat, petit village de 600 habitants perdu dans les Pyrénées ariégeoises, au milieu de paysages magnifiques. C’est là que se sont formés les islamistes les plus redoutables des quinze dernières années. C’est ce lieu calme et isolé que choisit à la fin des années 1980 Abdulilah Qorel, un musulman originaire de Syrie, pour s’y installer et fonder une communauté. Il ouvre sa ferme en 1987 pour y créer un groupe salafiste. Sous le nom d’Olivier Corel, il reçoit beaucoup de jeunes musulmans, qu’il forme au djihad et à la lutte armée. Il a passé quelque temps en prison avant de rejoindre l’État islamique. À Artigat sont passés tous les grands djihadistes de France. Fabien Clain, un Réunionnais converti à l’islam y est formé. Parti en Syrie, il devient un cadre de l’EI. C’est lui qui rédige les communiqués après les attentats et sa voix apparaît dans les vidéos revendiquant les attentats du Bataclan (2015). Sont passés également les frères Merah, Abdelkader et Mohammed. Mohammed Merah est l’auteur d’attentats dans la région de Toulouse en 2012. Il a assassiné trois militaires puis a ensuite attaqué une école juive où il a abattu quatre personnes, dont trois enfants. Son frère, Abdelkader, était un proche d’Hassan Jandoubi. Celui-ci avait été recruté comme intérimaire à l’usine d’engrais AZF de Toulouse, une usine appartenant au groupe Total. Cette usine a connu une forte explosion le 21 septembre 2001, qui a tué 31 personnes et en a blessé des centaines d’autres. Selon le rapport de police, Hassan Jandoubi a été retrouvé mort sur le lieu de l’explosion, portant sept caleçons et ayant le bas du ventre brûlé, comme s’il avait eu une ceinture d’explosif autour de lui. Après seize ans d’enquête, les causes de l’explosion restent officiellement inconnues, même si la lecture du rapport permet de penser qu’il s’agissait d’un attentat organisé par la cellule terroriste de la ferme d’Artigat.

 

Autre terroriste à avoir été en lien avec cette cellule, Sid Ahmed Ghlam, originaire de Saint-Dizier, une ville moyenne de Haute-Marne. Il devait organiser un attentat contre le Sacré-Cœur de Montmartre, mais il s’est blessé avec son revolver en tentant de voler une voiture et il a été arrêté par la police après avoir assassiné la jeune femme propriétaire de la voiture. Voilà beaucoup d’attentats et beaucoup d’islamistes formés pour une si petite ferme.

 

Lunel : la pépinière de l’État islamique

 

Lunel est l’autre ville importante du djihadisme en France. Vingt jeunes fréquentant la mosquée de la ville située dans le Languedoc, entre Montpellier et Nîmes, sont partis en Syrie pour mener le djihad et huit d’entre eux y sont morts. L’imam de la mosquée a reçu des menaces de mort de la part de plusieurs jeunes de la ville qui le trouvait trop mou et qui lui reprochait de ne pas faire l’apologie du djihad. Il a été contraint de quitter la ville et de s’enfuir à Marseille, laissant la mosquée aux mains des islamistes.

 

Trèbes : l’attentat surprise

 

Trèbes, petite ville de 5 600 habitants, située dans les faubourgs de Carcassonne, sur la route qui mène à Mazamet et à Castres. La ville compte deux associations cultuelles musulmanes, mais aucune mosquée, celles-ci étant à Carcassonne. La ville est entrée dans l’histoire par l’attentat du 23 mars 2018 qui a vu le terroriste Radouane Lakdim tuer quatre personnes, dont le colonel Arnaud Beltram. Lakdim était originaire de la cité Ozanam à Carcassonne et il a terminé sa course dans le Super U de Trèbes. La ville est à 1h30 de route de Castres, célèbre, outre son club de rugby champion de France, pour le 8e RPIMA, régiment de parachutistes d’infanterie de marine. Ses soldats sont de plus en plus victimes d’attaques, à la limite de la criminalité et du terrorisme. En septembre dernier, ce sont deux soldats qui rentrent de leur footing qui sont attaqués par une vingtaine de personnes, à coups de barres de fer, de pierres et de manches de pioche. Ils s’en sortent sans trop de blessures. En mars 2018, le lendemain des attentats de Trèbes, un jeune, selon le vocable consacré, fonce à deux reprises avec sa voiture sur une trentaine de militaires à pied qui rentraient à la caserne. En mai 2016, c’est un militaire seul qui a été attaqué, là aussi par deux jeunes, qui l’ont agressé à l’arme blanche, lui reprochant les bombardements de la France en Syrie. Enfin, en avril 2015, c’est un certain Mohammed B., originaire de Graulhet, qui a profané le cimetière Saint-Roch de Castres en s’attaquant à 215 tombes. Graulhet est une ancienne ville du cuir située à quarante minutes de Castres. Lors du jugement rendu en avril 2018, le caractère anti-chrétien de la profanation a été reconnu.

 

Nous sommes donc bien loin des centres historiques et urbains du djihadisme, il n’empêche que l’islamisme y est très actif et tout aussi mortel. Ces hommes forment des réseaux qui se connaissent bien, qui communiquent entre eux, soit par internet soit directement. Ils se connaissent et s’encouragent dans les actions respectives. Jusqu’à présent, les actes terroristes ont toujours été menés par une seule personne, hormis à Charlie Hebdo et au Bataclan. Mais aussi bien la gendarmerie que les services antiterroristes redoutent une structuration des réseaux islamistes et des attaques à plusieurs, sur différents points du territoire. On imagine très bien une action menée de façon simultanée à Toulouse, Castres, Trèbes et Lunel. Cela mettrait sous tension des services de sécurité et de soin qui sont déjà débordés. L’islamisme des campagnes et des villes moyennes de province est donc un fait majeur à surveiller.

 

Source : https://institutdeslibertes.org/la-ceinture-islamiste-occitane/

 

 

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