Note d'actualité n°584.

L'Amérique de retour sur la scène internationale

...par Alain Rodier - Mars 2021.

Tous les observateurs attendaient de savoir quelles seraient les orientations de la nouvelle administration américaine en matière de politique étrangère. Tout en adoptant des déclarations plus policées dans la forme – il n’y a plus de tweets vengeurs émanant de la Maison-Blanche -, cette dernière est encore plus agressive que celle menée par Donald Trump. À n’en pas douter, ce sont les néoconservateurs américains qui sont à la manœuvre, Joe Biden étant juste chargé de mettre en œuvre leur politique. Les importants lobbies du renseignement et du monde militaro-industriel en mal de financements démontrent une fois de plus leur toute puissance.

 

Le problème réside dans le fait que le Kremlin – fatigué de s’être montré conciliant durant des dizaines d’années – est entré dans le jeu et que l’escalade est enclenchée, même si certains se gaussent de la disparité des moyens qui va en gros d’un à dix entre les deux puissances. C’est oublier que le soldat et les matériels russes coûtent beaucoup moins chers que leurs homologues occidentaux.

 

La nouvelle « guerre des étoiles » a débuté, chacun développant son missile nucléaire supersonique pouvant frapper la capitale adverse en quelques dizaines de minutes après que l’ordre en ait été donné. Si les Russes ont renoncé aux porte-aéronefs pour l’instant, ils poursuivent le développement d’une flotte sous-marine impressionnante. En ce qui concerne les armements nucléaires, les deux parties sont quasi équivalentes : elles peuvent totalement détruire leur ennemi et provoquer l’apocalypse qui pourrait mettre fin à la vie humaine sur terre.

 

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En matière de renseignement, la cyberguerre est quasi-officiellement déclarée, les deux parties déroulant leurs attaques via des proxies difficilement identifiables avec certitude. Ainsi, l’affaire baptisée SolarWinds aurait permis à des hackers, probablement russes, d’accéder aux bases de données des administrations et des entreprises américaines.

 

Quant à la guerre de la communication, elle se déroule avec de nouveaux moyens, particulièrement les réseaux sociaux et les multiples chaînes d’information en continu. Il n’empêche que les « agents d’influence » humains continuent à être employés. Enfin, la crise provoquée par la Covid-19 aurait été utilisée – des deux côtés – pour décrédibiliser l’adversaire.

 

 

RELATIONS AVEC LA RUSSIE

 

Interrogé par un journaliste de la chaîne ABS le 17 mars, Joe Biden a promis à Vladimir Poutine de lui faire payer « le prix » de ses agissements – c’est-à-dire les ingérences russes dans les élections présidentielles américaines de 2016 et 2020 qu’un rapport de la Direction nationale du renseignement américain a dénoncé « avec certitude » –, estimant au passage qu’il était un « tueur » et qu’il n’avait « pas d’âme[1] ». Se faisant menaçant, le nouveau président américain a aussi déclaré : « je ne vais pas annoncer ce que je vais faire, mais il va comprendre… ». Inutile de préciser que cet interview était mûrement préparé et qu’il ne s’agit pas de « dérapages » de Joe Biden qui, selon certains, se serait « laissé surprendre » par les questions : c’est un vieux routier de la politique qui sait parfaitement se contrôler.

 

Sans mettre dos à dos les deux hommes, Dion Jack, journaliste à Marianne, a souligné que l’accusation de « tueur » avait été « formulée par un homme qui fut un soutien enthousiaste de la guerre d’Irak, cette balade humanitaire qui n’a fait aucune victime et qui a laissé un pays pacifié pour l’éternité ». Même si Biden n’en est pas directement responsable, le nombre des opérations « homo » américaines (cf. la « Disposition Matrix » ou « Kill List ») menée sous le mandat de Barack Obama, dont il était le vice-président, a été très important. Mais sur le fond, sa réaction n’est pas si étonnante que cela pour un homme qui a connu la Guerre froide et qui, psychologiquement, a gardé un très mauvais souvenir de la menace soviétique.

 

Le président de la chambre basse du Parlement russe, Viatcheslav Volodine, a réagi en ces termes : « Poutine est notre président et une attaque contre lui, c’est une attaque contre notre pays (…) avec ses déclarations, Biden a insulté les citoyens de notre pays ». Il était prévisible que les déclarations du président américain soient très mal reçues par les Russes, même par ceux qui ne portent pas Poutine dans leur cœur. Ils sont avant tout « nationalistes ». De son côté, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a souligné que : « jamais dans l’histoire des relations russo-américaines n’ont été prononcés des propos tels que ceux du 46e Président américain ». Ce n’est pas tout à fait exact car ceux qui ont connu la Guerre froide se rappellent des amabilités que s’échangeaient les dirigeants de l’époque.

 

Le Kremlin déduit des dernières déclarations du Président Biden que les Etats-Unis n’ont aucune intention d’améliorer les relations avec la Russie, d’autant qu’ils affirment haut et fort continuer à soutenir l’Ukraine et se préoccuper du cas d’Alexeï Navalny, l’opposant russe arrêté après avoir été la victime d’une tentative d’empoisonnement au Novitchok[2]. Vladimir Poutine en a aussitôt pris acte et a déclaré : « Nous défendrons nos propres intérêts et nous travaillerons avec eux [les Américains] aux conditions qui seront avantageuses pour nous ». Il a fait rappeler Anatoli Antonov, l’ambassadeur russe en poste à Washington, pour consultation « sur les moyens de corriger la relation russo-américaine ».

 

Le chef du Kremlin a toutefois proposé au président Biden « de poursuivre notre discussion mais à condition que nous le fassions en direct (…) Je pense que cela serait intéressant pour les peuples russe et américain, ainsi que pour de nombreux autres pays ». La porte-parole de la Maison-Blanche, Jen Psaki, a rappelé que Biden avait déjà eu une conversation avec Poutine, et qu’il y avait d’autres dirigeants mondiaux avec lesquels l’hôte de la Maison-Blanche devait également s’entretenir. Il est donc peu probable que le président Biden ne se lance dans ce qui pourrait être considéré comme un duel verbal.

 

RELATIONS AVEC LA CHINE

 

Les relations des Etats-Unis avec la Chine ne sont pas meilleures. Washington et Pékin ont étalé le 18 mars à Anchorage en Alaska des désaccords profonds lors du premier face-à-face sino-américain de l’ère Biden. Ce séminaire de trois sessions qui se terminait le 19 mars, avait lieu à l’initiative des Etats-Unis. Le ton donné par les discours d’ouverture a confirmé la mésentente qui sépare les deux grandes puissances. Une précédente rencontre, en juin 2020, sous l’ère Trump, avait confirmé le climat de nouvelle Guerre froide qui s’était installé dans les relations entre les deux pays. Joe Biden a repris à son compte la position de son prédécesseur.

 

Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a ouvert les hostilités face à ses interlocuteurs en déclarant : « nous allons discuter de nos profondes inquiétudes au sujet des actes de la Chine s’agissant du Xinjiang » – où Washington accuse Pékin de « génocide » contre les musulmans ouïghours – « de Hong Kong, de Taiwan, des cyberattaques contre les États-Unis et de la coercition économique contre nos alliés (…) chacun de ces actes menace l’ordre fondé sur des règles qui garantit la stabilité mondiale, c’est pourquoi il ne s’agit pas seulement de questions intérieures ».

 

Le plus haut responsable du Parti communiste chinois pour la diplomatie, Yang Jiechi, lui a répondu vertement : « La Chine est fermement opposée aux ingérences américaines dans les affaires intérieures de la Chine (…) et nous prendrons des mesures fermes en réponse [aux sanctions] ». À ses côtés, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a dénoncé les dernières sanctions américaines annoncées à la veille de cette réunion contre la reprise en main de Hong Kong par Pékin et il a fulminé : « ce n’est pas comme cela que l’on accueille ses invités ».

 

L’équipe Biden qui reprochait à l’administration Trump son isolement sur la scène internationale et une diplomatie erratique affirme vouloir être plus méthodique pour « coopérer » face aux défis majeurs que sont le réchauffement climatique, la pandémie ou la non-prolifération nucléaire. Elle veut surtout remporter la compétition stratégique avec la Chine érigée en « plus grand défi géopolitique du XXIe siècle ». Toutefois, le conseiller de la Maison-Blanche pour la Sécurité nationale, Jake Sullivan, a assuré que les États-Unis ne souhaitaient pas un « conflit » avec la Chine, mais étaient « ouverts à une compétition rude ».

 

Yang Jiechi a lui appelé à « abandonner la mentalité de Guerre froide », affirmant aussi ne vouloir « ni confrontation, ni conflit ». Mais il a très longuement reproché aux États-Unis de vouloir « imposer leur propre démocratie dans le reste du monde ». Antony Blinken a répliqué : « ce que j’entends [en Corée du Sud et au Japon où il venait d’effectuer une visite] est très différent de ce que vous décrivez. (…) J’entends une profonde satisfaction sur le retour des États-Unis auprès de nos alliés et partenaires, mais j’entends aussi de profondes inquiétudes au sujet de certaines actions de votre gouvernement ».

 

*

 

Au-dela de la Russie et de la Chine, il convient de se souvenir qu’au premier rang des pays qui provoquent l’ire de Joe Biden se trouve l’Iran ; et qu’il va sans doute aussi saboter ce que Trump avait tenté de faire en Afghanistan.

 

À n’en pas douter, Biden est en train de faire ce qu’il avait annoncé : les États-Unis veulent redevenir le leader du Monde libre en poussant – le mot est faible – ses membres à assumer leurs responsabilités, en particulier financières[3]. Sur le fond, les États-Unis pensent que de toute façon, ils sont « incontournables » du fait de leur puissance économique, militaire et psychologique. Ils ne prennent pas de gants sachant – ou croyant – que leurs interlocuteurs n’ont pas d’autre choix que « venir aux ordres ». C’est certainement vrai pour l’Europe, le Japon, la Corée du Sud mais beaucoup plus discutable pour d’autres pays dont la Russie, la Chine, l’Iran, etc.

 

Mais cette montée des tensions a un prix : elle redivise l’échiquier internationale en deux : le Monde dit « libre » d’un côté, et les « autres[4] » de l’autre. Il sera difficile d’éviter des incidents, car les bombardiers, les avions d’observation, les navires de guerre, russes chinois et occidentaux viennent se tester régulièrement aux limites de leurs espaces frontaliers. Ces incidents pourraient un jour dégénérer.

 

 

 

[1] Propos étrange dans la bouche d’un catholique pratiquant que Biden aurait tenu au Kremlin en tête à tête avec Poutine en 2011.

[2] Même si aucune preuve n’a été fournie à la communauté internationale à ce sujet, pas même par les Allemands qui ont pourtant traité le malade.

[3] Sinon, attention aux sanctions, particulièrement contre les entreprises participant au projet gazier North Stream 2.

[4] Lors de la Guerre froide, la distinction était simple : il suffisait alors de passer de l’autre côté du rideau de fer pour la percevoir (le dernier vestige de cette époque se trouve entre les deux Corées, celle effectivement du monde libre et celle de Kim Jung-un). Aujourd’hui, il est parfois difficile de savoir dans quel camp se trouve tel ou tel pays : le Pakistan, l’Arabie saoudite, l’Égypte, etc.

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