... du Vietnam d’aujourd’hui

...par Paul Rignac - le 15/03/2017.

Essayiste, écrivain 

Licence en droit 

* Au service d’associations humanitaires œuvrant dans le Sud-Est Asiatique.

     Sa fréquentation du terrain humanitaire et de ses acteurs l’a amené à écrire sur l’histoire commune et sur le choc des cultures entre la France et l’Asie.

* Directeur de collection chez Arconce Éditions (Maison d’édition régionaliste)

     Ses recherches le portent à une réflexion sur les identités culturelles, leurs fondements, leurs limites et leurs possibilités d’ouverture dans un monde de plus en plus globalisé.

 

Ouvrages

Indochine, les mensonges de l’anticolonialisme (2007) - La guerre d’Indochine en questions (2009) - Une vie pour l’Indochine (2012) - La désinformation autour de la fin de l’Indochine française (2013) - Le Mystère des Blancs (2013) - Charolles, une promenade en photos (2013) - 

Coauteur de

Présence française outre-mer

     publié par l’Académie des sciences d’outre-mer (Editions Karthala)

Dictionnaire de la guerre d’Indochine, à paraître prochainement (Robert Laffont, collection Bouquins).

 

Aspects du Vietnam d’aujourd’hui

 

Le Vietnam fut longtemps sous les feux de la rampe médiatique : guerre d’Indochine, puis guerre américaine, "libération" du Sud par le Nord communiste sous les applaudissements de la bien-pensance, tragédie des boat people, regain passager d’intérêt pour l’ancienne colonie avec l’ "ouverture" (Doï Moï) des années 90, retour d’un tourisme souvent empreint de nostalgie, quelques beaux films réalisés (dont "L’Amant", d’après le roman de Marguerite Duras), un foisonnement d’études historiques qui ont fait avancer considérablement la connaissance du pays, des souvenirs, des romans, des colloques et des expositions où le meilleur a côtoyé le pire. Et puis, l’intérêt s’est estompé peu à peu.

 

Si l’on doit résumer en quelques mots la situation actuelle du Vietnam, la phrase de l’écrivain dissident Duyen Anh est la première et la plus juste qui vient à l’esprit : "Communisme et capitalisme sont comme les lèvres et les dents, quand les premières s’ouvrent, c’est pour que les secondes mordent." C’est bien ainsi que se présente l’ "ouverture" politique à laquelle le gouvernement vietnamien fut contraint après la disparition de son mentor, l’Union soviétique. Le pays cumule depuis lors les pires excès d’un capitalisme sauvage et d’un régime dictatorial qui ne laisse pas la moindre place à une quelconque opposition. Les pères fondateurs du communisme vietnamien ont disparu (Ho Chi Minh, Giap, Le Duc Tho…), ils sont remplacés par des apparatchiks dont le public étranger ignore même le nom. Qui sait que l’actuel président de la République s’appelle Tran Dai Quang, que la réalité du pouvoir est détenue par le secrétaire général du parti communiste, Nguyen Phu Trong, et que le Premier ministre est Nguyen Xuan Phuc ? Qui connaît leurs attributions et leurs bilans ? En réalité, ces gens sont les commis d’un système maffieux où les "élites" du parti communiste se sont approprié la terre et les outils de production autrefois collectivisés. Leur mission est de proroger cette domination économique et politique. Ils s’y emploient par tous les moyens, dont un régime policier ultra-répressif. Le peuple est maintenu dans une grande pauvreté et privé de libertés tandis que la nomenklatura s’enrichit dans des proportions considérables.

 

La relation de l’état avec les religions est un jeu du chat et de la souris, où tantôt le pouvoir semble lâcher du lest, tantôt il resserre la vis. Aujourd’hui, nous sommes dans le deuxième cas de figure. Les négociations avec le Vatican (grand enjeu de liberté religieuse) marquent le pas malgré une récente visite à Rome du président Tran Dai Quang. Des occidentaux suspectés "d’action humanitaire non-autorisée" (sic) ont été récemment expulsés du pays manu militari. Car même pour aider les plus pauvres, il faut cracher au bassinet de la corruption en payant à l’état un droit de verser des dons.

 

Plus grave, une affaire de pollution à grande échelle vient encore corroborer la collusion de l’état avec de grands complexes industriels au détriment des populations les plus faibles. Une usine du groupe taïwanais Formosa a provoqué une catastrophe écologique sans précédent en rejetant dans la mer de Chine (avril 2016) des produits hautement toxiques. Les côtes de la province du Nghe Anh (Centre-Nord) ont été dévastées. Des tonnes de poissons morts se sont échouées sur les rivages. Par endroits, les coquillages ont totalement disparu. En l’absence de liberté de communication sur le sujet, il est difficile de connaître les conséquences exactes de ce désastre. On ignore donc beaucoup de choses, dont l’impact sur la santé des populations elles-mêmes. Le gouvernement vietnamien n’a même pas inscrit cette catastrophe sur la liste officielle des évènements écologiques de l’année 2016. Formosa a indemnisé une partie des populations concernées (500 000 dollars en tout), mais c’est loin d’être suffisant et la révolte gronde. Les habitants de plusieurs villages de la province de Vinh ont voulu porter plainte contre Formosa. Le gouvernement a fait interdire la circulation de tout véhicule transportant d’éventuels plaignants ! Qu’à cela ne tienne, les villageois ont décidé de se rendre au tribunal à pieds, sous la conduite de leur curé. C’était compter sans la folie répressive d’un système aux racines staliniennes : les marcheurs ont été dispersés par la police avec une violence inouïe. Le prêtre lui-même a été frappé. Le droit élémentaire (et constitutionnel au Vietnam) de porter plainte a été ouvertement bafoué. Sur cette affaire, le silence des écolo-gauchistes et de la presse française est total. Il y a sans doute les bons et les mauvais pollueurs, les bonnes et les mauvaises victimes. Où sont les manifestations médiatiques indignées et les pétitions d’artistes engagés ? Où sont les cris d’alarme des sauveurs de la planète ? On cherche en vain…

 

Autre signe inquiétant : la reprise des expropriations de terrains dévolus à des congrégations religieuses ou à des paroisses, et l’emprisonnement de ceux qui ne sont pas d’accord. A Saigon, l’un des plus anciens couvents catholiques du Vietnam est menacé par un projet immobilier. Il s’agit de bâtiments que l'on peut qualifier d'historiques, puisqu’ils remontent à une présence catholique antérieure à la colonisation française. C’est donc une rareté, et un témoignage exceptionnel. Eh bien, ce que des guerres impitoyables et des révolutions sanglantes n’ont pas réussi à faire, la cupidité de la nomenklatura risque d’y parvenir.

 

En somme, malgré une augmentation sensible du niveau de vie moyen (un peu plus de 100 dollars par mois par habitant), une industrialisation importante, le développement significatif du tourisme et certaines apparences de modernité, le Vietnam reste, par bien des aspects, englué dans une tradition politique stalinienne. Une manifestation notable de l’emprise idéologique marxiste vient toutefois de disparaître, et l’on ne peut que s’en réjouir : les haut-parleurs qui diffusaient la propagande d’état dans les rues sont retirés progressivement du paysage. Plus personne n’y faisait attention ; c’est moins un renoncement du pouvoir que l’application d’un principe de réalité face à l’influence déterminante d’autres moyens de propagande.

 

Au-delà de la propagande, pour le contrôle effectif des populations demeure le très efficace système de l’ilotage : chaque unité d’habitation collective, chaque pâté de maisons, chaque quartier possède son indicateur, lequel fait un ou plusieurs rapports quotidiens à la police. La marchande de fleurs installée au coin de la rue est vraisemblablement un de ces indics. Le portier de votre petit hôtel, le guide touristique obligatoire, comme des milliers de Vietnamiens, émargent ainsi à ce système de délation généralisé. Le pouvoir tient encore grâce à ce maillage impressionnant, assez bien caché au touriste lambda, mais qui saute aux yeux dès que l’on sort des sentiers battus. On ne voit guère d’issue à cette situation, tant la dictature est solidement implantée et tant elle sait très habilement éviter une révolution en maintenant la grande masse du peuple légèrement au-dessus du seuil, non pas de pauvreté, mais de misère. On se demande seulement pourquoi, après avoir eu les yeux de Chimène pour le Nord-Vietnam communiste, les médias occidentaux semblent se désintéresser complètement du Vietnam d'aujourd'hui.

 

 

Source : http://www.magistro.fr/index.php/template/lorem-ipsum/de-par-le-monde/item/3045-aspects-du-vietnam-d-aujourd-hui

 

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