Russie /Méditerranée.

par Bernard Lugan - le 08/01/2017.



 

L’une des conséquences de l’intervention de Moscou en Syrie est l’ouverture à la marine russe d’un accès permanent à la Méditerranée. Le succès d’une telle politique dans laquelle les Tsar et l’URSS avaient échoué, nécessite la mise à disposition de points d’appui.

Celui de Syrie étant sécurisé et l’Egypte se rapprochant de plus en plus de la Russie, Vladimir Poutine regarde maintenant vers la Libye et le port en eau profonde de Tobrouk en Cyrénaïque. D’où son soutien au général Haftar.

 

Mais le président russe voit plus loin. En appuyant le Maroc dans la question du Sahara occidental, c’est désormais l’ouverture sur l’océan atlantique qu’il prépare. Une telle réussite laisse sans voix les « castrats » de Bruxelles et les « beaux merles » du Quai d’Orsay. Quant à l’Algérie, la voilà paralysée et mise hors-jeu en raison de son soutien-boulet au Polisario.

De la Crimée au Maroc, cette politique russe qui rebat les cartes de la géopolitique méditerranéenne, a été menée en sept étapes et en moins de trois ans.

 

Etape 1 : le rattachement de la Crimée à la Russie

 

Au mois de février 2014, en rendant à la Russie sa province de Crimée, Vladimir Poutine a posé les bases de la nouvelle politique méditerranéenne russe. Désarmés par leur inculture historique et par leurs errances idéologico-analytiques, les Européens n’ont pas saisi la véritable portée de cet évènement. Le retour de la Crimée à la Russie, condition de la sanctuarisation de la base navale de Sébastopol, était en effet le préalable à toute projection en Méditerranée.

 

Etape 2 : sauver la Syrie

 

Ses arrières en Crimée étant assurés, la Russie a engagé la phase 2 de son plan qui était la sécurisation de ses bases de Tartous et de la région de Lattaquié, ce qui passait par le sauvetage du régime de Damas.
Cet objectif fut atteint dès le mois d’octobre 2015.

 

Etape 3 : la réalpolitique avec la Turquie

 

L’erreur des pilotes turcs qui, le 27 novembre 2015, abattirent un avion russe, permit à Vladimir Poutine d’intimider à ce point le président Erdogan, que ce dernier comprit qu’il valait mieux s’entendre avec son puissant voisin plutôt que le provoquer. D’autant plus que ses alliés américains de l’OTAN soutenaient les séparatistes Kurdes et accordaient l’asile à son mortel ennemi, le chef du mouvement Gülen. 
Résultat de ce quasi retournement d‘alliances, la nouvelle coopération d’intérêt entre Moscou et Ankara garantit la liberté de circulation des navires russes dans les Détroits. Tout en affaiblissant l’Otan.

 

Etape 4 : l’Egypte renverse ses alliances

 

Le nécessaire élargissement du périmètre de sécurité russe se fit ensuite vers l’Egypte à travers un spectaculaire rapprochement entre le général Sissi et le président Assad, devenu effectif au mois d’octobre 2016. 
Il s’agit là d’une autre considérable réussite de la diplomatie russe et d’un bouleversement géopolitique dont la portée n’a pas été évaluée à sa juste mesure par les observateurs européens. L’Egypte qui dépend de l’aide économique de l’Arabie saoudite, ennemie acharnée d’une Syrie alliée de Moscou et de Téhéran, a en effet osé se dresser face à son donateur sur deux dossiers essentiels :

- Alors que les Saoud sont en guerre totale contre le président Assad, au Conseil de sécurité de l’ONU, l’Egypte a voté avec la Russie au sujet de la Syrie, s’attirant une l’amère remarque suivante de l’ambassadeur saoudien aux Nations Unies : « Il est pénible que les Sénégalais et les Malaisiens aient des positions plus proches du consensus arabe que celle du représentant arabe au Conseil de sécurité ».

- Cette position indépendante de l’Egypte venait après le refus du Caire d’envoyer des troupes combattre les Houtistes pro-iraniens du Yémen aux côtés des troupes saoudiennes.

 

Cette réorientation de la diplomatie égyptienne débouchera-t-elle sur une normalisation des relations égypto-iraniennes ? Les prochains mois nous le diront. Quoiqu’il en soit, comme au même moment Moscou tente de rapprocher les points de vue d’Ankara et de Téhéran, tous les équilibres régionaux pourraient être bientôt bouleversés.

 

Ulcérée, l’Arabie saoudite a répliqué en cessant de fournir à l’Egypte du pétrole sous forme de dons ou de tarifs préférentiels et en appuyant l’Ethiopie dans son projet de construction de barrage de la Renaissance. Or, pour l’Egypte, il s’agit là d’une provocation car ce chantier va entraîner la baisse du niveau du Nil. Le Caire a donc dénoncé cette décision saoudienne comme une « démarche politique dangereuse constituant un acte d’intrigue publique visant à nuire aux intérêts de 92 millions d’Egyptiens ».

 

Enfin, signe très clair du retour de Moscou en Egypte, au mois d’octobre 2016, des parachutistes russes ont participé à des manœuvres militaires communes avec l’armée égyptienne dans le désert occidental séparant l’Egypte de la Cyrénaïque. A proximité donc de la région contrôlée par le général Haftar…

 

Etape 5 : L’appui au général Haftar en Libye

 

Face au chaos libyen, s’obstinant à nier le réel et encalminées dans le paradigme démocratique, l’ONU et l’UE ont prétendu reconstruire la Libye autour d’un fantomatique gouvernement d’ « union nationale » appuyé sur les milices islamistes et salafistes de Tripolitaine.

Face à cette politique de gribouille, la Russie a déroulé un plan réaliste appuyé sur les véritables rapports de force militaires et tribaux.

Sa conclusion fut le voyage que le général Haftar effectua à Moscou les 27 et 28 novembre 2016 à l’occasion duquel le président Poutine accorda officiellement l’appui de la Russie à l’homme avec lequel, niant le réel avec une rare obstination idéologique, la diplomatie de l’UE refuse de parler directement…

Or, le général Haftar est le maître de la Cyrénaïque et de Tobrouk, seul port en eau profonde entre Alexandrie et Mers-el-Kebir. Il dispose de la seule force militaire du pays. Il contrôle 85% des réserves de pétrole de Libye, 70% de celles de gaz, 5 de ses 6 terminaux pétroliers et 4 de ses 5 raffineries. Tout le croissant pétrolier par lequel est exporté 60% du pétrole libyen est en son pouvoir. 
De plus, il a l’appui de la confédération tribale de Cyrénaïque et des tribus kadhafistes de Tripolitaine[1].

 

Fort de l’appui russe, trois possibilités s’offrent désormais à lui :

 

     1)      La tentative de conquête de toute la Libye et l’élimination des multiples milices gangstéro-islamiques qui gangrènent le pays. Une telle politique ne pourra être tentée que si Misrata décidait de demeurer neutre. Cette cité-Etat étant alignée sur la Turquie, nous verrons si les accords de réalpolitique passés entre Moscou et Ankara s’étendent à la Libye.

     2)     Une sanctuarisation de la seule Cyrénaïque, prélude à une partition de fait entre Tripolitaine et Cyrénaïque. Une telle option laisserait les islamistes maîtres de la Tripolitaine avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer.

     3)      La constitution d’un gouvernement national dans lequel le général Haftar serait l’homme fort. Une telle option ne serait viable que si le général éliminait les milices, ce qui nous ramène à l’option n°1.

 

Etape 6 : L’Algérie ou le Maroc ?

 

Toute politique maritime nécessitant des points d’appui[2], les stratèges russes ont réfléchi à l’hypothèse algérienne avec la base de Mers-el-Kébir. D’autant plus que les relations militaires entre Moscou et Alger sont anciennes et que l’armée algérienne est largement équipée en matériel russe.

 

Cette option fut cependant écartée pour deux raisons :

 

     1)      La première est qu’en 2013, l’Algérie avait catégoriquement refusé d’accorder des facilités logistiques et opérationnelles à la flotte russe.

     2)      La seconde procédait d’une analyse géostratégique. La Méditerranée est en effet une mer fermée, comme l’est la mer Noire. Pour aller de cette dernière à la Méditerranée, les détroits turcs constituent un passage obligé. De même, sortir de la Méditerranée afin de déboucher sur l’océan atlantique, ou y entrer, implique que le couloir maritime situé entre Gibraltar et le cap Spartel soit libre. 
Le Maroc est donc le partenaire idéal car il contrôle la rive sud du détroit de Gibraltar. De plus, avec le Sahara occidental, il possède une immense façade atlantique s’étendant depuis Tanger, au nord, jusqu’à la frontière de Mauritanie, au sud.

 

Etape 7 : le soutien au Maroc

 

Pour le Maroc, la question du Sahara occidental n’est pas négociable. Or, le mardi 15 mars 2016, à l’issue du voyage officiel que le roi Mohamed VI effectua en Russie, le Kremlin affirma « (…) prendre dûment compte de la position du Maroc dans la question du Sahara occidental ».

Par cette déclaration, la Russie qui tirait ainsi un trait sur plus d’un demi-siècle d’étroites relations avec l’Algérie, parrain du Polisario, mouvement indépendantiste saharaoui. Elle prenait également le contre-pied de M. Ban Ki-Moon, secrétaire-général de l’ONU, qui avait aventureusement qualifié d’« occupation » la présence marocaine dans ses provinces sahariennes.

Cette déclaration russe qui renforce considérablement la position de Rabat, tout en affaiblissant d’autant celle du Polisario et de l’Algérie, prépare l’ouverture de « facilités » marocaines aux navires russes…

 

 Bernard LUGAN

 


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