Jusqu’où peut aller le recul américain ?

...par Renaud Girard - le 22/10/2019.

 

Dans les relations internationales, il n’y a pas pire message de faiblesse que la rodomontade suivie d’une reculade. Donald Trump en a commis trois de suite. Elles ont visé la Corée du Nord, l’Iran, la Turquie.

 

Au mois d’août 2017, les médias américains avaient rapporté que le régime de Pyongyang avait réussi à miniaturiser une tête nucléaire, de façon à pouvoir la monter sur un missile. Au mois de novembre 2017, la Corée du Nord avait procédé à des tests de missiles balistiques, dont certains à très longue portée. Par un tweet, le président des Etats-Unis l’avait avertie que, si elle continuait, elle déchaînerait contre elle « le feu et la furie comme le monde n’en a jamais vu jusqu’ici ». Aux yeux de Donald Trump, il était inacceptable que le territoire américain fût sous la menace directe de la Corée du Nord. Après la menace, la Maison Blanche opta sans transition pour le dialogue, et trois sommets Trump-Kim furent organisés entre juin 2018 et juin 2019. Ces rencontres ne parvinrent pas à faire progresser d’un iota le dossier sur la ligne voulue par les Américains : désarmement nucléaire en échange d’une promesse de levée des sanctions commerciales. La Corée du Nord a repris ses essais balistiques et a tiré, le 2 octobre 2019, un missile de 2000km de portée, capable d’être lancé d’un sous-marin. Voilà qui n’est pas pour rassurer les deux grands alliés régionaux de l’Amérique que sont le Japon et la Corée du Sud.

 

En ce qui concerne la Perse, un tweet présidentiel du 25 juin 2019 la menaça d’« oblitération », en cas « d’attaque contre quoi que ce soit d’américain ». Cette rodomontade fut suivie d’un recul stratégique américain lorsque Washington se contenta d’encourager la monarchie saoudienne « à bien se défendre », après que sa principale installation pétrolière eut été, le 14 septembre 2019, gravement endommagée par des bombardements de drones et de missiles de croisière difficilement traçables, revendiqués par les chiites yéménites Houthis, mais attribués à Téhéran par le Pentagone. Voilà qui a fait réfléchir, sinon paniquer, ces deux vieux alliés des Américains dans le Golfe Persique que sont l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. Il n’est donc pas étonnant qu’on ait déployé un immense tapis rouge à Poutine lorsqu’il se rendit à Riyad le 15 octobre 2019. Les Saoudiens ont été les adversaires de la Russie dans la guerre civile syrienne mais ils respectent profondément en elle le pays qui n’abandonne jamais ses amis, à la différence de l’Amérique.

 

La troisième rodomontade trumpienne s’est adressée à la Turquie islamo-nationaliste d’Erdogan. Le président l’a menacée, dans un tweet du 7 octobre 2019, d’ « anéantissement économique », au cas où l’armée turque profiterait du retrait des forces américaines du nord de la Syrie, pour s’emparer de territoires et en chasser les populations kurdes.

Beaucoup de parlementaires et de militaires républicains avaient été révulsés par le lâchage en rase campagne des combattants kurdes syriens, qui avaient tant aidé l’Amérique à démanteler l’Etat islamique.

La reculade est malgré tout venue. Le 17 octobre 2019, le vice-président américain Pence a signé à Ankara un accord au texte vague, qui autorise de facto la Turquie à s’emparer d’une large bande de terrain au nord de la Syrie et à la militariser. La rendra-t-elle un jour ? Les Américains n’ont pas obtenu la moindre garantie. Voilà qui incitera les Français et les Britanniques à réfléchir à deux fois avant de se lancer dans des expéditions militaires extérieures en simples supplétifs des Américains.

 

Ces reculs ne portent pas sur des dossiers essentiels de la sécurité occidentale, dira-t-on. Peut-être. Mais, en géopolitique, l’important est ce qui se passe dans la tête des gens. L’Amérique donne l’impression qu’elle ne veut plus se battre. C’est un message qui ne va rassurer ni les Baltes, ni les Taïwanais. Pire, c’est fournir un aliment inutile à la potentielle hubris d’un Vladimir Poutine ou d’un Xi Jinping.

En ce qui concerne la Chine, l’Amérique a déjà donné un immense message de faiblesse lorsqu’elle laissa, sous Obama, la marine chinoise militariser les Paracells et Spartleys, récifs qui étaient jusque-là considérés comme des terrae nullius (terres n’appartenant à personne) par le droit international.

 

L’Amérique se rend-elle vraiment compte qu’un retrait sans concertation d’une contrée auparavant investie fait courir de gros risques à ses compagnons d’armes à court terme, mais aussi à elle-même à long terme ? Rien n’est moins sûr.

La seule certitude qui nous reste est que la France et la Grande-Bretagne, les deux seules puissances européennes qui savent encore se battre, doivent, Brexit ou pas, poursuivre intensément leurs efforts conjoints d’armement et de coordination opérationnelle, conformément à leurs accords de Lancaster House de novembre 2010. 

    

 

 

 

 

Renaud GIRARD

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