Catalogne : la nation déchirée

...par Jean-Baptiste Noé - le 05/10/2017.

Mon premier contact avec le nationalisme catalan eut lieu il y a deux ans. J’envoyais un courriel à un professeur d’université à Barcelone, rédigé en espagnol. Celui-ci me répondit en catalan. Nous poursuivîmes donc la conversation en anglais. Cette anecdote est révélatrice des impasses du nationalisme catalan. Il est devenu une idéologie portée jusqu’à l’absurde (répondre en catalan à un locuteur français qui forcément ne maîtrise pas cette langue par refus d’utiliser l’espagnol, que le professeur en question maîtrise parfaitement) pour aboutir à une autre forme de domination (symbolisée par l’usage de l’anglais). La Catalogne est déchirée et il n’y a plus de dialogue possible entre les indépendantistes et le reste de l’Espagne. Pour les indépendantistes, tout problème est de la faute de Madrid et son action néfaste est vue partout. Le chômage, le terrorisme, les retards de train, les difficultés quotidiennes n’ont qu’une seule explication : Madrid. L’indépendance apportera à coup sûr le bonheur aux Catalans opprimés. Pour les autres Espagnols, l’attitude des Catalans indépendantistes devient insupportable. Leur arrogance, leur haine de Madrid et de l’Espagne portée au paroxysme, leur oubli des réalités du pays. Oublié le fait que c’est l’ensemble de l’Espagne qui a financé pendant 25 ans les Jeux olympiques de Barcelone (1992). Oublié le fait que c’est le reste de l’Espagne qui a sauvé de la faillite les deux principales banques de Catalogne. Oublié aussi le fait que la Catalogne est certes riche, mais aussi l’une des régions les plus endettées d’Espagne, et que cette dette est essentiellement payée par la Castille. Les indépendantistes invoquent la nation, la langue catalane (un dialecte mis en forme à la fin du XIXe siècle et qui varie d’une ville à l’autre), l’oppression subie par la Catalogne à cause de Madrid.

 

Dans les rues des villes et des villages, les drapeaux catalans sont partout. Dans certaines communes, le maire a retiré le drapeau de l’Espagne. Malheur aux Catalans qui ne sont pas indépendantistes : ils sont brimés et, dans les administrations, leur progression professionnelle est arrêtée. La région ne semble plus qu’avoir une seule obsession en tête : l’indépendance.

 

L’indépendance ou l’hubris en action

 

La passion indépendantiste a rejoint les sommets de l’hubris, la démesure décrite par les Grecs comme étant déraisonnable et coupée du logos, de la raison. Impossible d’échanger avec un Catalan indépendantiste sur le sujet. Quand on leur demande qu’elle constitution ils prévoient en cas d’indépendance, comment ils feront pour assurer les services régaliens d’un État (diplomatie, armée, police, douane), ce qu’ils feront aussi lorsqu’ils auront quitté l’Union européenne, qu’elle monnaie ils prendront en place de l’euro, il n’y a aucune réponse. Les indépendantistes ne parlent que de passions, de luttes, d’oppression, mais ils n’ont aucun sens des réalités concrètes d’une indépendance ni des obligations dévolues aux États. Face à cette absence totale de dialogue, on comprend que la situation avec le gouvernement central soit bloquée. Madrid essaye de rester dans le domaine du droit, de rappeler que la tenue de ce référendum est illégale et qu’il ne respecte ni la constitution espagnole ni les lois votées par la Generalitat. Mais dans les villes en-dehors de Barcelone cela fait longtemps que les panneaux écrits en espagnol ont été retirés pour être remplacés par des panneaux en catalan.

 

 

 

Du cosmopolitisme au nationalisme

 

Barcelone était pourtant la ville rêvée du cosmopolitisme et de l’effacement des frontières. C’était la ville de la fête, de la movidad, des boîtes de nuit et des rencontres des noctambules. Barcelone était la destination de rêve des échanges Erasmus. On faisait semblant de croire qu’on y aillait pour travailler quand les préoccupations étaient autres. En 2002, Cédric Klapisch sortait le film L’Auberge espagnole décrivant une année Erasmus d’une communauté d’étudiants européens se retrouvant à Barcelone. C’était le rêve d’un homme sans frontière, d’une sorte d’éternelle jeunesse et d’une éternelle fête. Le héros, Xavier, revenait déprimé en France, ne rêvait que de repartir pour revivre cette année de fête.

 

Le temps du cosmopolitisme semble loin. Barcelone est aujourd’hui la capitale du nationalisme et des fermetures de frontière. On se rend compte aussi de la fragilité des États : velléité d’indépendance des Flandres, de l’Écosse, de la Catalogne, de la Lombardie, pour aller jusqu’à quel émiettement ?

 

L’ambiguïté de l’indépendance

 

L’actuel gouvernement de Catalogne regroupe une union très hétéroclite de partis politiques aux intérêts divergents. Le principal est Convergence démocratique de Catalogne (CDC) fondé par Jordi Pujol, qui gouverna la Catalogne de 1980 à 2003. Il a passé la main à Artus Mas et Carles Puigdemont. Le CDC est le principal parti de Catalogne, qui dirige la région, seul ou en coalition, depuis la fin du franquisme. N’ayant plus la majorité absolue, le CDC s’est allié avec un parti de gauche républicaine et avec la CUP (Candidature d’unité populaire), un parti d’extrême gauche aux références bolchéviques. Cette troïka composite trouve à s’unir dans la détestation de Madrid et la volonté d’indépendance, mais elle n’est absolument pas capable de gouverner ensemble. Si cette coalition a obtenu la majorité des sièges au parlement de Catalogne, elle n’a pas la majorité des voix, preuve que tous les Catalans ne partagent pas les velléités d’indépendance.

 

L’autre ambiguïté réside dans la corruption qui gangrène le CDC. Jordi Pujol a été reconnu coupable de fraude fiscale se chiffrant en millions d’euros. Son père était l’un des fondateurs de la Banco popular, banque qui fit faillite en 1982 et qui fut renflouée par l’argent de Madrid dans des conditions très troubles. La justice soupçonne fortement Pujol d’avoir capté une partie de cet argent. Les enquêtes ont également démontré que Pujol avait organisé un vaste réseau de corruption et de détournement de fonds publics dans l’attribution des marchés publics de la Catalogne. Ses opposants le soupçonnent d’agiter le chiffon de l’indépendance pour détourner l’attention et échapper à la justice centrale.

 

De l’Espagne au califat islamique ?

 

Pour s’assurer l’indépendance de la région, le gouvernement de Barcelone a refusé toute immigration d’Amérique latine, afin de limiter les locuteurs de langue espagnole, mais il a fortement ouvert les vannes de l’immigration maghrébine, notamment du Maroc. Ce n’est donc nullement fortuit si Barcelone fut frappé par des attentats islamistes l’été dernier. La région connaît une très forte immigration musulmane et elle est gangrénée par les islamistes. Elle compte un nombre très important de mosquées salafistes, qui ont des liens à Ceuta et Melilla et au Maroc. Dans les défilés en faveur de l’indépendance, on apercevait bon nombre de femmes voilées et d’hommes en djellabas. L’État islamique encourage l’indépendance de la région, estimant qu’il sera ensuite plus facile d’en faire un califat islamiste. La reconquête de l’Andalus reste leur horizon géopolitique. En se promenant dans les rues de Barcelone, on voit beaucoup d’enfants asiatiques et maghrébins, moins d’enfants de Catalans. Se focalisant sur l’antique lutte politique contre Madrid, le gouvernement de Barcelone est en train de passer à côté de l’infiltration djihadiste. L’enquête sur les attentats en pâtit. Barcelone est très rétive à ce que la police nationale mène l’enquête dans la région, préférant que ce soit la police locale qui le fasse. Ce conflit de compétence profite aux islamistes.

 

Du refus de l’histoire à l’impasse du présent

 

La Catalogne a une très forte tradition politique de gauche socialiste. Si c’est la dernière région à avoir été obtenue par les franquistes en 1939, c’est aussi celle où les combats ont été les plus violents. Non pas entre républicains et nationalistes, mais entre républicains. La caractéristique de la guerre d’Espagne est d’avoir eu une guerre civile emboîtée dans la guerre civile, qui a vu s’opposer les différents mouvements de gauche communiste. En 1937, de très violents combats ont vu s’affronter les anarchistes et les marxistes dissidents du POUM d’une part et les autorités catalanes staliniennes soutenues par l’URSS. Les seconds ont écrasé les premiers. De violentes purges ont suivi pour éradiquer les anarchistes communistes et assurer la mainmise des communistes fidèles à l’URSS. Cette guerre interne aux communistes a été vécue par Georges Orwell qui l’a décrite dans son livre Hommage à la Catalogne.

Pour une partie de la classe politique catalane, il s’agit de rejouer ce combat et de prendre sa revanche sur l’URSS. C’est notamment le cas de la CUP, qui est bien décidée à éliminer le CDC après s’être débarrassé de Madrid.

 

Quel futur ?

 

Le oui a gagné, mais la participation fut très faible. Comme nous sommes dans une logique d’hubris, où la raison est évacuée, il n’est possible ni de discuter ni de négocier. L’hubris mène à la violence. Il est à craindre que ce nationalisme catalan ne débouche sur des violences armées et des attentats, comme cela fut longtemps le cas au Pays basque. Si tel est le cas, l’indépendance entrera dans une impasse, mais avec une radicalisation d’une frange de la population sans possible retour en arrière.

La gauche extrême est prête à enclencher cette violence.

 

Le terrorisme n’est jamais loin de la criminalité vénale. Si l’on commence à commettre des attentats pour des motifs politiques, on les poursuit pour des motifs financiers, sous couverture politique. Les Farcs contrôlent le trafic de drogue, les mafias albanaises ont fait du Kosovo leur base arrière, les terroristes basques se sont enrichis dans le trafic d’armes. Il en ira de même pour les éventuels terroristes catalans. Une alliance financière avec les islamistes n’est pas à exclure. La Catalogne, via le port de Barcelone, pourrait ainsi devenir une plaque tournante de l’entrée de la drogue en Europe. Les réseaux existent déjà vers le Maroc. Il faudra peu de chose pour les activer et pour relancer la chaine de la violence en Espagne. Ce sujet concerne directement la France. Outre que nous avons une frontière commune, les indépendantistes souhaitent l’indépendance de la Catalogne française. Nos insoumis français ont pris Podemos comme modèle et sont prêts à s’allier avec la CUP. Ce qui se joue en Espagne dépasse donc largement ses frontières.

 

Source : http://institutdeslibertes.org/catalogne-la-nation-dechiree/

 

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