Exportation d’armements au Levant

...par Caroline Galactéros - le 02/04/2017.

 

Docteur en Science politique, ancien auditeur de l'IHEDN, elle a enseigné la stratégie et l'éthique à l'Ecole de Guerre et à HEC.

Colonel de réserve, elle dirige aujourd'hui la société de conseil PLANETING et tient la chronique "Etat d'esprit, esprit d'Etat" au Point.fr.

Elle a publié "Manières du monde. Manières de guerre" (éd. Nuvis, 2013) et "Guerre, Technologie et société" (avec R. Debray et V. Desportes, éd. Nuvis, 2014).

Polémologue, spécialiste de géopolitique et d'intelligence stratégique, elle décrit sans détours mais avec précision les nouvelles lignes de faille qui dessinent le monde d'aujourd'hui.


Le Soukhoï Su-35 est le plus moderne des chasseurs russes.

Le Soukhoï Su-35 est le plus moderne des chasseurs russes.

Dans l’un des premiers articles de ce blog, nous évoquions déjà les « dividendes de la guerre » que le conflit syrien pourrait faire toucher à Moscou, mais aussi à Paris. Depuis, les exportations d’armement, particulièrement russes, n’ont jamais été aussi florissantes. L’opération extérieure russe en Syrie crée un effet multiplicateur pour au moins deux raisons. La première est celle du « combat proven, battle tested » et de la « vitrine technologique » : bien des pays, notamment au Moyen-Orient, ont pu mesurer “en live” si j’ose dire, l’efficacité – parfois non sans quelque inquiétude… – des armes russes doublée d’un prix imbattable par rapport aux équivalents occidentaux. La seconde est plus politique. En fondant sa politique étrangère sur un réalisme pragmatique qui se manifeste tant par un principe de constance dans l’engagement – beaucoup de chefs d’Etat autoritaires auront noté que Vladimir Poutine n’a pas abandonné Bachar al-Assad au premier coup de vent – que par un principe d’élasticité – la brouille avec Erdogan s’est transformée rapidement en une coopération approfondie –, la Russie dispose d’une indéniable aura de fiabilité aux yeux de nombreux Etats qui souhaiteraient lui acheter des armements.

L’avenir dira ce qu’il en est de l’Administration Trump et si les mêmes principes de réalisme et de pragmatisme “vendus” par Donald Trump durant sa campagne pourront vraiment s’incarner en politique étrangère américaine ou si l’establishment politique, militaire et industriel ainsi que les Services américains finiront par faire plier ce président « anti-système ». Quoi qu’il en soit, nombre d’Etats se méfient aujourd’hui de Washington, y compris lorsqu’il s’agit d’importations d’armements, dont le coût financier – déjà élevé – s’accompagne de lourdes contreparties politiques et d’une incertitude sur la fiabilité dans le temps de l’engagement américain. Rien, pas même des achats dispendieux d’armements américains ne garantit totalement contre un lâchage soudain soldé par le classique. « Ce n’est que du business. N’y vois rien de personnel ». M’est avis sur ce point qu’en Egypte, le maréchal Abdel Fattah al-Sissi préfère, pour “équilibrer sa relation” avec Washington, disposer de MiG-29 (et de Rafale ) pour accompagner ses escadrons de F-16.

Le marché florissant de l'armement au Moyen-Orient

Le marché de l’armement au Maghreb et au Levant est en pleine expansion. Entre 2012 et 2016, les transferts d’armes dans le monde ont augmenté de 8,4%. Un commerce mondial dopé par la demande des pays du Moyen-Orient, notamment par celle des monarchies du Golfe, dont la part a bondi de 17% à 29%, restant certes très en deçà de la zone « Asie & Océanie » (43% des importations mondiales d’armements) mais se situant très loin devant l’Europe (11%). On retrouve notamment l’Arabie saoudite, en guerre au Yémen, qui a augmenté de 212% ses importations d’armes sur la même période. « Bien qu’à des niveaux moins importants, la majorité des autres États de la région a également augmenté ses importations d’armes », note l’Institut international de recherche pour la paix de Stockholm (SIPRI).

La guerre en Syrie est une vraie guerre, certes de faible densité par rapport aux conflits qu’a connus l’Europe au 20e siècle, mais une vraie guerre quand même. Artillerie, chars, aviation, presque tout le spectre des armements est utilisé. L’exemple paradigmatique est celui du char d’assaut dont certains stratèges pensaient après la Guerre froide, qu’il allait progressivement quitter les champs de bataille, et que ne seraient plus employées que des forces spéciales ou des frappes aériennes ultra-ciblées “chirurgicale”donc “propre”. Les conflits ukrainien, syrien et yéménite (où notre Leclerc national excelle...) rappellent aujourd’hui le char d’assaut en première ligne comme élément essentiel des forces conventionnelles. Mais les chars d’assaut doivent s’adapter aux armements d’aujourd’hui, notamment au développement des missiles portatifs antichars, notamment les missiles américains de type BGM-71 TOW (l’équivalent russe est le 9M133 Kornet). Sans protection de dernière génération, les centaines de vieux chars et blindés issus de la Guerre froide vendus avant ou après 1991 aux pays du Moyen-Orient ou du Maghreb sont extrêmement vulnérables. En 2012, l’Armée syrienne s’en est amèrement rendu compte. Les anciens T-55 et T-72 non modernisés étaient des cibles de choix pour les groupes rebelles islamistes équipés de TOW fournis par les pays du Golfe. Mais depuis 2014/2015, Moscou a livré aux Syriens des T-90MS, chars de dernière génération équipés de système de protection (blindage réactif) particulièrement modernes qui ont montré rapidement leur efficacité et ont permis à l’Armée syrienne de renverser le rapport de force sur le terrain (cf. la vidéo d’un T-90 résistant à la frappe d’un missile TOW près d’Alep). Les Etats de la région se rendent alors compte qu’il leur faut moderniser leurs forces armées. La guerre en Syrie est à cet égard une vitrine des adaptations nécessaires à mener. L’opération extérieure de la Russie permet aussi de tirer d’imortantes leçons car elle est à la fois efficace et peu coûteuse. Contrairement aux Occidentaux qui ont fait le choix de s’équiper d’avions omni-rôles de très haute valeur ajoutée (autant sur le plan technologique que financier) capables de mener tous types d’opérations (supériorité aérienne, interception, attaque au sol, bombardement tactique et stratégique, frappe nucléaire), les Russes ont fait le choix de conserver un large éventail d’avions pour des usages spécifiques. Des Su-25 modernisés peu coûteux pour les attaques au sol. Des bombardiers Su-24 et leurs successeurs les Su-34 pour le bombardement tactique. Des Su-30SM, des Mig-29 et des Su-35S pour contrôler les airs. Même si ces derniers chasseurs sont des avions multi-rôles qui pourraient aussi être utilisés en attaque au sol et en bombardement tactique, utiliser un petit Su-25 pour frapper au sol coûte beaucoup moins cher qu’un très moderne Su-35S, l’équivalent russe de nos Rafale. En tout état de cause, l’excellent rapport qualité/prix des équipements russes est apparu avec force aux yeux des Etats géographiquement proches de la Syrie qui savent que des conflits équivalents peuvent éclater à leurs frontières.

Les Russes en position de force au Moyen-Orient

En revenant militairement et politiquement en force au Moyen-Orient comme arbitre régional qui souhaite s’adresser à tous les pays et capable de nourrir un dialogue tous azimuts non dogmatique avec tous les interlocuteurs – arabe ou non-arabe, chiite ou sunnite, islamiste ou laïc, occidental ou anti-occidental – la Russie peut aujourd’hui vendre des armements aux anciens pays qui se fournissaient auprès de l’URSS, mais aussi à des Etats proches de l’OTAN qui se fournissent habituellement à l’Ouest, notamment chez les Américains (Egypte, Turquie, Emirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite). Ces clients habituellement tournés vers l’Ouest s’ajoutent à des clients plus classiques (comme l’Algérie) ou logiques dans le contexte actuel (Iran) et remplacent avantageusement des clients historiques pour l’instant non solvables pour cause de guerres (Syrie, Libye).

Le présent article recense, pays par pays, l’étendue des exportations d’armements russes au Moyen-Orient. Les chasseurs-bombardiers (Soukhoï, mais aussi Mikoyan-Gourevitch) figurent en bonne place avec les missiliers. Mais il ne faut pas oublier les chars et les blindés dont nous ne pouvons établir une liste exhaustive. En revanche, la marine – sauf en matière de sous-marins diesel-électrique – apparaît sous-représentée dans les exportations, ce qui illustre parfaitement le marasme dans lequel se trouve tant la Flotte que les chantiers navals russes.

Les principaux armements exportés

Par souci de précision, il me semblait pertinent de donner au préalable quelques précisions sur les matériels vendus avant d’évoquer les pays dans lesquels la Russie joue sa carte. Cette liste est encore une fois non exhaustive.

Du côté des armements terrestres, notre article ne peut citer l’ensemble des contrats qui peuvent porter sur des matériels extrêmement divers. Nous ne citerons donc que le char de combat principal T-90 (notamment dans sa dernière version « MS ») utilisé dans l’Armée russe et qui connaît un grand regain à l’export. Mais il faudrait citer d’autres blindés (les transports de troupes BTR, les véhicules de combat d'infanterie BMP-3 ou le blindé léger TiGr, l’équivalent russe du Hummer américain) ainsi que divers équipements comme les fusils d’assaut, les mitrailleuses, les lance-grenades, etc.

En matière de missiles, les exportations concernent principalement les systèmes de défense anti-aériens et anti-missiles. L’histoire retient particulièrement le système à longue portée S-300 Grumble (de 80 à 200 km selon les versions) ou son successeur, le S-400 Triumph dont la portée bondit à 400 km et les capacités anti-missiles décuplent. Almaz-Antei est en train de préparer un système S-500 Prometeï spécialement conçu pour former le bouclier anti-missiles russe et stopper des cibles hypersoniques (plus de cinq fois la vitesse du son). Néanmoins, ce dernier ne devrait pas entrer en service avant le début des années 2020. Ces systèmes de longue portée particulièrement onéreux jouent un rôle capital dans les exportations d’armements russes. Viennent ensuite divers système à courte et moyenne portée comme le Pantsir-S, le Buk-M3 ou le Tor-M2E qui sont aussi très largement exportés. Les Bastion-P, missiles côtiers de défense anti-navires, destinés à protéger les ports, rencontrent un certain succès à l’export, en Asie. Du côté des armes offensives, citons la famille des missiles de croisière « Kalibr » qui se sont illustrés pendant la Guerre de Syrie avec des frappes contre des cibles terrestres depuis des corvettes en Mer caspienne ou depuis des sous-marins en Mer méditerranée. Ces missiles existent en version anti-navires, anti-sous-marines ou d’attaque au sol. Pour l’instant, il ne semblerait pas que ces missiles aient été exportés, mais la guerre en Syrie pourrait changer la donne.

En matière d’aviation, Soukhoï a détrôné depuis de nombreuses années son concurrent Mikoyan-Gourevitch. Soukhoï produit notamment de nombreuses évolutions de son fameux chasseur Su-27 (nom OTAN : Flanker), qui a fait son premier vol en 1977. Parmi elles, on trouve notamment la famille des Su-30, fournis au début des années 2000 notamment à l’Inde avec le Su-30 MKI ou à l’Algérie avec le Su-30 MKA. Une ultime version du Su-30 a particulièrement fait ses preuves en Syrie. Il s’agit du Su-30 SM destiné à l’Armée russe mais qui pourrait connaître un fort succès à l’export. Avion relativement peu onéreux basé sur le Su-27, il est néanmoins doté d’équipements très modernes, notamment en matière d’avionique, qui lui permettent d’être un chasseur multirôles et non simplement de supériorité aérienne. Il représente pour beaucoup de pays un parfait équilibre entre les avions de 4e génération (Su-27, MiG-29, F-15, F-16) et les avions de 5e génération (les chasseurs furtifs américains F-22 et F-35 et leurs équivalents russe ou chinois en cours de développement). Plus proche encore de la 5e génération que le Su-30 mais toujours basé sur le Su-27, le Su-35S représente aujourd’hui le summum de l’aéronautique russe. Il s’agit d’un avion dit de génération 4++ ou 4.5 à l’image du Dassault Rafale. «Super-manoeuvrable » grâce à ses moteurs à poussée vectorielle (orientation du flux à la sortie du réacteur grâce à l’utilisation d’une tuyère orientable), équipé de commandes de vol entièrement électriques, d’un radar à balayage électronique, d’éléments de furtivité et de systèmes d'autodéfense actifs de dernière génération (comme des leurres thermiques), fabriqué en partie à partir de matériaux composites, le Su-35 a un coût unitaire de 65 millions de dollars, certes au-dessus des chasseurs de la famille Su-30, mais très en deçà des avions américains de 5e génération dont le coût dépasse largement les 100 millions de dollars voire frôle les 200 millions l’unité. Par ailleurs, Soukhoï vend un bombardier tactique, le Su-34, qui remplace l’ancien Su-24 dont la version « M » (pour modernisé) est encore utilisée avec succès en Syrie. En revanche, Soukhoï ne vend plus son avion d’attaque au sol Su-25 dont les exemplaires modernisés au sein des Forces russes jouent là encore parfaitement leur rôle en Syrie : ils sont à la fois très robustes et peu onéreux.

Mikoyan-Gourevitch, l’autre grand fabricant russe d’avions de chasse, connaît une certaine décrépitude depuis la chute de l’URSS. Néanmoins, il pourrait renaître dans les prochaines années. L’avion-phare de Mikoyan-Gourevitch est le chasseur Mig-29 (Fulcrum en langage OTAN), dont le premier vol a eu lieu en 1977. Plus léger que le Su-27, il est connu pour son extraordinaire maniabilité et son prix extrêmement peu élevé (environ 30 millions de dollars). Une version modernisée a été lancée en 1995, le Mig-29M, qui existe aussi en version biplace, le MiG-29M2. Elles se distinguent notamment par des commandes de vol électriques, de nouveaux systèmes d’armements et de nouveaux réacteurs Klimov qui permettent au MiG-29 de devenir un chasseur multirôles et non plus seulement un chasseur de supériorité aérienne. Une ultime version, le MiG-35, est au Mig-29 ce que le Su-35S est au Su-27, c’est-à-dire un chasseur de génération 4++ ou 4.5. Après de nombreux retards, cet avion de dernière génération commence cette année ses essais au sein de l’armée de l’Air russe. Il devrait entrer en service un peu avant 2020. Il est le premier avion russe à être équipé d’un radar à antenne active (type AESA en anglais), c’est-à-dire que le radar ne possède pas une seule antenne émettrice mais plusieurs centaines de modules juxtaposés, qui se comportent comme autant de radars autonomes coordonnés par un calculateur central. Il peut également, comme le Su-35, être équipé de réacteurs à poussée vectorielle. Le MiG-35 pourrait relancer dans les prochaines années Mikoyan-Gourevitch, mais il faudra beaucoup de patience à l’avionneur russe avant de rattraper son concurrent Soukhoï qui est bien plus avancé dans les avions dits de 5e génération (Soukhoï teste actuellement son chasseur furtif T-50, équivalent de l’Américain F-35). Un chasseur MiG de cinquième génération est néanmoins en projet. Le cas de la relation entre la Russie et les Emirats Arabes Unis permettra d’en reparler.

En matière d’hélicoptères, sans être exhaustif, nous citerons les deux hélicoptères d’attaque les plus récents, le Mi-28NE Havoc mis en service en 2006 et le Ka-52 Alligator entré en service en 2012, dérivé biplace du Ka-50 et dont la version navale est le Ka-52K Katran. Ces hélicoptères se sont illustrés en Syrie. Nous citerons également l’hélicoptère de transport Mi-26, qui a la particularité d’être le plus grand et le plus lourd hélicoptère du monde. Mis en service en 1983, il a été modernisé depuis et est toujours en production.

Du côté de la marine, la Russie n’exporte que peu de bâtiments de guerre, excepté dans le domaine des sous-marins d’attaque diesel-électrique avec la version modernisée de son « Kilo », surnommé « trou noir » par les marines de l’OTAN, en raison de son silence. Le Kilo-M peut être équipé de missiles de croisière « Kalibr » qui ont été utilisés pour frapper depuis la Méditerranée des cibles terrestres en Syrie. La Russie vend également quelques corvettes et frégates, mais plutôt en Asie, au Vietnam ou à l’Inde. En réalité, la production des chantiers navals russes peine déjà à équiper de suffisamment de navires modernes la Flotte de la Fédération de Russie, dont les grands navires sont encore des bâtiments qui datent de l’époque soviétique.

Passons maintenant en revue les pays vers lesquels se portent les exportations d’armements russes.

L’Algérie: le client historique

En septembre 2015, l’Algérie a signé un contrat avec la Russie portant sur 14 Soukhoï Su-30 MKA pour un montant estimé à environ 500 millions de dollars. L’Algérie possède déjà 44 chasseurs multirôles Su-30 MKA. Le nombre total de Su-30 MKA devrait donc être porté à 58. Les derniers exemplaires devraient être livrés en 2017. Il semblerait qu’Alger soit aussi intéressé par le Su-30 SM dont l’avionique est beaucoup plus performante. Plusieurs médias algériens évoquent le chiffre de 28 Su-30 SM.

Quant à la version la plus évoluée du chasseur Soukhoï, le Su-35S, qui a connu son baptême du feu en Syrie, celui-ci s’exporte déjà en Chine (24 exemplaires) et en Indonésie (au moins 8 exemplaires). L’Algérie pourrait être un nouveau client. En février 2016, le chasseur aurait effectué plusieurs tests d’essai en Algérie. Alger aurait passé commande de 16 appareils de ce type, ce qui pourrait n’être qu’un début. Le montant du contrat s’élèverait à près de 900 millions de dollars. Au total, l’Algérie pourrait donc passer commande d’une centaine de chasseurs Soukhoï très modernes, du Su-30 MKA au Su-35S.

Par ailleurs, l’Algérie a officiellement acheté 12 bombardiers tactiques du fabricant Soukhoï : des Su-32 (version export du Su-34). Cette acquisition, annoncée en décembre 2015, coûterait entre 500 et 600 millions de dollars. Le Su-34, remplaçant du Su-24, est utilisé en Syrie. Les Su-24 de l’Armée algérienne pourraient être modernisés à l’image de ceux utilisés par Moscou en Syrie. Ces 12 bombardiers ne pourraient n’être qu’un premier contrat. Alger pourrait se porter acquéreur d’une quarantaine d’appareils.

Enfin, l’Algérie a également acquis 40 hélicoptères de combat : des Mi-28NE du fabricant russe Mil pour un contrat de 600 à 700 millions de dollars. Dans le même temps, l’Algérie a déjà reçu 6 Mi-26T2, les hélicoptères de transport les plus larges du monde. Depuis, l’Algérie a signé un nouveau contrat pour la fourniture de huit autres hélicoptères du même type. Le prix unitaire de ces appareils avoisine les 18 millions de dollars. En comptant la formation des pilotes et des techniciens, le contrat serait d’un minimum de 150 millions de dollars.

Dans le domaine naval, Moscou a déjà vendu deux sous-marins d’attaque diesel-électrique de classe “Kilo-M” (projet 363.3) livrés à Alger en 2009. Un second contrat porte sur deux sous-marins supplémentaires qui devraient être livrés en 2018. La Russie a vendu des “Kilo-M” en grand nombre à travers le monde, notamment à la Chine, au Vietnam et à un autre pays asiatique encore inconnu (d’après le Portail des forces navales de la Fédération de Russie, le blog d’Igor Delanoë, il pourrait s’agir de la Thaïlande).

L’Egypte : la Russie pour équilibrer le poids des Etats-Unis

En février 2016, l’Agence russe d’export d’armements Rosoboronexport avait annoncé la signature d’une vente de plus de 50 chasseurs MiG-29M/M2 à un pays d’Afrique du Nord sans préciser son identité. Il s’agit finalement de l’Egypte. Selon le vice-directeur général du groupe MiG, Alexeї Beskibalov : « Rosoboronexport a signé le plus gros contrat de toute l’histoire de notre coopération militaro-technique, en vertu duquel nous devrons livrer plus de 50 avions de chasse MiG-29M/M2. Cela chargera les capacités de notre entreprise unifiée jusqu’à 2020 ». Le contrat d’acquisition pour l’Égypte est estimé à près de 2 milliards de dollars. En septembre 2015, le pays était sur le point de conclure l’achat de 46 MiG-35 pour un montant de 2,2 milliards de dollars. Or, le MiG-35 se veut une version améliorée du MiG-29 avec un radar à balayage électronique et des tuyères orientables, mais l’avion de génération dite 4++ ou 4.5 (comme le Dassault Rafale ou le Soukhoï Su-35) a connu des retards importants dans son développement. Alors qu’il devait entrer en service bien avant, il n’en est aujourd’hui qu’à la période d’essais. C’est la raison pour laquelle l’Egypte ne se satisfera dans un premier temps que du MiG-29M/M2, lequel pourrait néanmoins d’ores et déjà bénéficier de certaines avancées du MiG-35. Il est possible que l’Egypte se dote ultérieurement de MiG-35 une fois que celui-ci sera opérationnel. Cette cinquantaine de Mig-29M/M2 (et peut-être plus à l’avenir) viendra s’ajouter à une armée de l’Air égyptienne composée notamment d’environ 200 F-16 américains, mais aussi de chasseurs français Dassault (une centaine de Mirage et 24 Rafales qui devrait être livrés dans les prochaines années).

Par ailleurs, en janvier 2016, Alexander Mikheyev, le directeur-général de la société russe Russian Helicopters, a révélé que Rosoboronexport avait conclu un contrat avec l'Egypte portant sur la vente de 46 hélicoptères Ka-52K Katran. Les livraisons devraient s'achever avant la fin de l'année 2017. Le Ka-52K Katran est la version navalisée du Ka-52 Alligator. Ces derniers, mis en service à partir de 1987 dans leur version monoplace Ka-50, ont la particularité de disposer de deux rotors contrarotatifs, l'un avec deux pales et le second avec trois, et de sièges éjectables. Grâce à une vitesse de croisière de 275 km/h, ils disposent d'une distance franchissable de 2 600km. Les Ka-52K Katran seront embarqués sur les deux BPC (Bâtiment de Projection et de Commandement) de type Mistral récemment achetés par l'Egypte, et initialement destinés à la marine russe (ex-BPC Vladivostok et Sébastopol), dont la vente a été annulée par Paris sur fond de crise ukrainienne. Si l’on ne connaît pas la somme en jeu, il s’agit d’un montant élevé vu le nombre et les caractéristiques du Ka-52K (probablement autour d’un milliard de dollars). On comprend mieux que Vladimir Poutine ait facilement accepté de laisser vendre les Mistral français aux Egyptiens. En plus du dédommagement pour les Mistral (et des plans qu’elle a en partie récupérés), la Russie s’offre un contrat d’export en or…

L’Arabie saoudite en difficulté au Yémen et en rivalité avec l’Iran

Depuis 2015, l’Arabie Saoudite mène avec difficulté une Coalition internationale au Yémen dans la guerre qui oppose les rebelles chiites Houthis et les forces fidèles à l’ex-président Ali Saleh au gouvernement d’Abd Rabbo Mansour Hadi, élu en 2012 à la suite de la révolution yéménite. Or, l’Arabie Saoudite dont l’aviation bombarde avec succès… les populations civiles, connaît de piètres résultats sur le plan militaire. Elle souffre notamment de difficultés avec ses chars américains Abrams dont une vingtaine pourrait avoir été détruits face aux missiles russes anti-chars Kornet utilisés par les rebelles Houthis et fournis par l’Iran. Alors que le Royaume a dépensé des centaines de milliards de dollars pour équiper son armée (+212% de dépenses militaires entre 2012 et 2016), cet échec au Yémen montre la grande vulnérabilité de Riad dont la rivalité avec l’Iran chiite s’accentue sur fond de guerre en Syrie et de retour régional de Téhéran.

Ce mois-ci, Rostech évoque la vente de chars de combat T-90 (probablement la dernière version dite « MS », utilisée en Syrie) au Royaume ainsi que de systèmes anti-aériens et anti-missiles à longue portée S-400 Triumph. De tels contrats pourraient s’élever à plusieurs milliards de dollars et signer l’arrivée de Moscou auprès d’un pays allié des Etats-Unis depuis le Pacte du Quincy de février 1945 sur le croiseur américain du même nom entre Ibn Saoud et Franklin Roosevelt. Le contenu du pacte est résumé par la formule désormais connue : « pétrole contre sécurité ». La vente d’armements russes à Riad n’aurait donc rien d’anecdotique. Elle serait aussi fonction des négociations pour la Syrie et de celles entourant la production mondiale d’hydrocarbures alors que les Etats-Unis, avec leur production de gaz et pétroles de schiste, souhaitent faire pression à la baisse sur les prix pour affaiblir tant les pays du Golfe que la Russie. L’opportunité est grande pour Moscou de se rapprocher d’une grande puissance sunnite alors que la guerre en Syrie a intronisé la Russie comme grand protecteur de l’axe chiite.

Le KOWEÏT qui est également partie prenante de la coalition au Yémen, serait aussi intéressé par le char russe T-90MS selon les mêmes sources. Quant au Qatar, comme nous l’expliquions dans un précédent article, un contrat de coopération militaire a été passé en septembre 2016 avec Moscou, qui ne prévoit pas encore, mais n’exclut pas non plus des exportations d’armements vers Doha.

Les Emirats arabes Unis, un grand marché pour Moscou ?

En ce mois de mars, une nouvelle inattendue est venue des Emirats Arabes Unis. La Russie et les Emirats arabes unis vont créer conjointement un chasseur léger de cinquième génération sur la base du MiG-29, réputé pour sa maniabilité. Il s’agira du premier projet conjoint des deux pays dans le secteur de l’aviation de chasse. Les Emirats Arabes Unis possèdent en revanche déjà des systèmes anti-aériens de moyenne portée Pantsir-S1.

Selon une interview de Sergueï Chemezov, le PDG de la compagnie publique russe Rostech, au journal Defense News, l’appareil sera construit aux Emirats Arabes-Unis, où un bureau d’études sera créé pour l’occasion. À l’avenir, la Russie transférera à la monarchie arabe ses technologies de création d’un chasseur léger de cinquième génération, ainsi qu’une licence pour les utiliser. La conception de l’avion est prévue pour 2018 et sa production en série devrait débuter au milieu des années 2020. Il pourrait bien s’agir d’un projet qui évoluerait de conserve avec le projet LMFS de chez MiG. Le LMFS est un projet de chasseur de cinquième génération, lui-même basé sur le Mig 1.44 qui dans les années 1990 était le premier projet russe d’avion de cinquième génération avec le Soukhoï Su-47. Le LFMS est destiné à remplacer le MIG 29. L’accord avec Abou Dhabi permettrait donc d’apporter des fonds essentiels à Mikoyan. On a retrouvé le même procédé avec Soukhoï qui, en parallèle de son projet PAK-FA de cinquième génération (le T-50 qui est actuellement en essai), s’est associé avec l’indien HAL pour élaborer un chasseur de cinquième génération qui sera lui-même très proche du T-50. Une telle coopération permet de réduire les coûts de conception. En revanche, en Inde, le projet semble se dérouler avec difficulté. Les retards du côté russe ont créé des doutes chez les Indiens, les Russes craignant quant à eux que les Indiens soient encore loin d’être capables industriellement parlant de fabriquer directement en Inde un chasseur de cinquième génération. En état de cause, un tel projet avec Abou Dhabi permettrait de consacrer définitivement le grand retour des MiG.

En attendant la concrétisation de ce projet qui ne pourra porter ses fruits définitifs qu’au début des années 2030, les Emirats Arabes Unis ont déclaré être grandement intéressés par le Soukhoï Su-35. Le 20 février, à l’occasion du salon de l’armement IDEX 2017, Rostec a évoqué « l’intérêt » d’Abu Dhabi pour le meilleur avion russe du moment. Du moins est-ce le cas dans la version anglaise du communiqué diffusé par le conglomérat. Car, pour celle publiée en russe, il est affirmé que les Émirats ont déjà « signé une intention d’achat » du Su-35. Le nombre d’appareils n’est en revanche pas évoqué. Pour l’instant, Abou Dhabi repose sur une flotte de 70 F-16 et de 60 Dassault Mirage (tous modernisés au standard 2000-9). Paris espère depuis longtemps vendre une soixantaine de Rafale à Abou Dhabi. L’imminence du contrat a été souvent déclarée par Jean-Yves Le Drian devenu optimiste après les contrats signés avec l’Egypte et le Qatar, mais la lune de miel avec Abou Dhabi n’a pas encore eu lieu, même si les Emiratis se déclarent toujours intéressés par le champion français. Comment comprendre alors l’intérêt des Emiratis pour le Su-35 ? Est-ce à la place d’éventuels Rafale ? Les Emiratis pourraient-ils se retrouver dans la même configuration que les Egyptiens, avec à la fois des chasseurs russes, américains et français ? Quant au projet entre MiG et les Emirats Arabes Unis, résistera-t-il aux pressions américaines alors que certaines sources évoquent l’adhésion d’Abou Dhabi au programme F-35 d’ici 2021 ? Déjà dans les années 1990, les Emirats Arabes Unis avaient évoqué l’achat de Soukhoï Su-37(qui n’était alors qu’en projet et qui deviendra bien plus tard le Su-35) avant que les Américains ne le torpillent en vendant des F-16 à Abou Dhabi.

On apprenait enfin que la Russie pourrait fabriquer sur son sol des drones émiratis MALE(Moyenne Altitude Longue durance) de type « United 40 », un appareil développé par ADCOM Systems, une entreprise basée à Abou Dhabi. Echange de bons procédés ? Déjà en 2013, l’agence de presse Ria Novosti avait fait part de l’intention de Moscou d’acquérir au moins deux de ces drones pour les évaluer.

La Turquie équipée de systèmes S-400 ?

La Turquie, pays membre de l’OTAN et allié historique des Etats-Unis depuis la Guerre froide, mais dont l’autoritaire président Erdogan a des souhaits d’indépendance et de grandeur ottomanes, serait tentée d’acheter le système russe anti-aérien le plus moderne et le plus performant, le S-400 Triumph, qui équipe déjà la Russie et équipera bientôt l’Inde et la Chine. Comme nous le disions précédemment, sur fond de rivalité avec l’Iran, l’Arabie Saoudite pourrait elle aussi être intéressée.

Depuis 2015, des systèmes S-400 sont déployés en Syrie sur la base aérienne russe de Lattaquié, au grand dam d’Israël et de la Turquie, car la portée du S-400 leur permet de déborder largement sur ces deux pays. Cette installation russe a fait suite à l’attaque du Su-24 russe par deux F-16 turcs qui ont abattu en septembre 2015 le bombardier tactique russe. S’en est suivi une sévère brouille d’un an entre les deux dirigeants. Mais depuis août dernier, le sultan ottoman est allé à Canossa et a cédé devant Vladimir Poutine. Depuis le coup d’Etat manqué contre son pouvoir, Erdogan pense tactiquement que le président russe peut lui servir de contrepoids face aux Etats-Unis. Il a compris par ailleurs qu’il ne gagnerait pas contre la Russie, ni en Syrie ni en matière d’exportations d’hydrocarbures vers l’Europe. Ainsi, un compromis semble se dessiner entre les deux puissances historiquement rivales tandis qu’un projet de pipeline commun ressurgit avec le Turkish Stream qui abreuverait l’Europe de gaz russe. La protection de la Turquie par de tels missiles russes serait un camouflet pour les Etats-Unis qui perdent de leur influence à Ankara, mais aussi un risque pour Poutine car la Turquie reste un pays membre de l’OTAN. Le président russe, comme l’histoire le lui a déjà montré à deux reprises, ne peut être sûr que le président turc restera son allié très longtemps.

Le 21 février, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, aurait affirmé, selon l’agence russe TASS, qu’un accord entre Ankara et Moscou serait sur le point d’être trouvé pour la livraison de batteries S-400. Mais, le lendemain, son homologue de la Défense, Fikri Isik, s’est montré plus prudent, tout en confirmant que le système russe tenait la corde. De son côté, Tchemezov, le patron du conglomérat russe Rostec, a confirmé l’intérêt de la Turquie pour le système S-400. « Des pourparlers sont en cours et la question clé porte sur le financement », a-t-il dit, en marge du salon de l’armement IDEX 2017, aux Émirats Arabes Unis.

Iran : un client prometteur mais encore “en suspens”

Du fait de la question des sanctions contre l’Iran, qui ne sont que partiellement levées, le dossier demeure hautement complexe et inflammable. Je vous propose de lire dans les prochains jours un article spécifique sur la question. Moscou souhaite en tout cas faire de l’Iran l’un de ses principaux importateurs d’armements dans la prochaine décennie.

Les exportations d’armements russes au Levant sont en train de prendre un tournant décisif comme l’illustre la traduction récente du site du ministère russe de la Défense en arabe. L’une des questions reste de savoir si les Américains laisseront les Russes gagner des parts de marché dans des pays qui étaient jusque là leur chasse gardée. Car l’on parle de contrats considérables : des S-400 pour la Turquie et l’Arabie Saoudite ; des chars pour l’Arabie Saoudite et Bahreïn ; des chasseurs et des hélicoptères ultramodernes pour l’Algérie, l’Egypte et les Emirats Arabes Unis. L’ensemble de ces contrats représente des dizaines de milliards de dollars et allongerait la liste des clients russes en matière de vente d’armements et, par extension, l’influence politique et stratégique de Moscou. Il faudra suivre l’actualité de ces prochains mois avec attention, mais d’ores et déjà, Moscou commence peut-être à toucher les “dividendes de la guerre” en Syrie.

 Source : http://galacteros.over-blog.com/2017/04/exportation-d-armements-au-levant-moscou-lorgne-vers-la-chasse-gardee-de-washington.html 

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