Gilets jaunes : Leçon d'anatomie !

...par Richard Labévière - Le 21/01/2019.

Celui qui, face à deux chats noirs, pense qu’il y a un noir universel que l’on retrouve en chacun mais qui existe indépendamment d’eux est dit « réaliste ». Celui qui pense qu’il n’existe aucune chose réelle qui soit le noir, et que c’est juste un nom pour désigner une ressemblance, est dit « nominaliste ».
 Le premier croit en l’existence d’universaux, le second uniquement en l’existence de choses particulières. Vaste tournoi sur l’idée qu’on se fait du réel et de la connaissance, la « Querelle des universaux » prend sa source dans la résistance matérialiste d’Aristote à l’idéalisme platonicien de la toute-puissance des idées. Traversant de part en part l’histoire de la raison occidentale, cette opposition culminera au Moyen-Âge parmi les théologiens qui en tireront de nouvelles conclusions sur l’existence, l’essence et l’intentionnalité. De nos jours, elle reste latente comme interrogation fondamentale sur la consistance du réel et de ses représentations.

La révolution numérique a remis la Querelle des universaux au cœur de nos jours avec son lot de questions – sur le réel et ses images, la vérité et l’erreur, l’essence et l’existence – et ses corollaires modernisés : Fake News, complots, désinformations, trafic d’influences, propagandes et haines de l’autre, sinon de soi… Dans le sillage ininterrompu des ruses de l’Histoire, ces différentes injures du temps ont trouvé un espace de condensation particulièrement dense dans l’émergence du mouvement des Gilets jaunes, déchaînant un déferlement d’affects plus ou moins maîtrisés. Ainsi, le plus souvent sans connaître quoi que ce soit du phénomène et de son terrain, chacun se sent appelé à opiner immédiatement sur le sujet.

Quelques exemples : les yeux tournés vers le ciel, le ministre de l’Intérieur voit la seule main de « l’ultra-droite » ; le brillantissime porte-parole du gouvernement s’indigne, quant à lui de la seule irresponsabilité des casseurs ; les docteurs de la Fondation Jean Jaurès (le pauvre !) affirment pouvoir étudier les ploucs sentant le fuel et le tabac ; parlant plus vite que son gilet vert, Alain Finkielkraut a commencé – lui – par traiter de « barbares » les manants qui osent ainsi défier l’ordre du monde. Jamais très loin de l’académicien, Bernard-Henri Lévy ne peut que servir la lecture des maîtres de Tel-Aviv : le mouvement des Gilets jaunes est… antisémite !1

RHETORIQUE DU MEPRIS

Cette nouvelle Querelle des universaux accouche clairement de deux camps opposés : les « populistes » face aux « mondialistes », les premiers se préoccupant davantage de leur fin de mois que de la fin du monde, les seconds – bénéficiaires des délices de la mondialisation – ne jurant que par les progrès inéluctables du libre-échange, de l’abolition des frontières et des services publics. Les premiers sont déclarés « fermés », repliés sur leurs pauvres intérêts personnels et catégoriels tandis que les seconds seraient – bien-sûr – « ouverts » aux progrès inéluctables de la modernité, créatifs, entreprenants, gens du respect de l’autre, partisans de la bienveillance et de l’altruisme.

Dans ce genre de régression métaphysique, l’essence précède toujours l’existence, la théorie le terrain, la certitude l’étude et la démonstration ! La scolastique de la bêtise (les Gilets jaunes ne comprennent pas le monde moderne), celle de la rancœur (ils détestent le monde), ajoutées à celle de la violence (ils abîment le monde) reviennent systématiquement. « Et pour jouer au jeu des statistiques, on peut aussi, comme un article du Nouvel Observateur,2 calculer qu’il n’y avait que 6 600 personnes occupant les ronds-points, soit 0,01% de la population, et qu’il serait donc irrationnel de donner une telle importance à une poignée de « meneurs », eux-mêmes infiltrés et mis en vedette par des médias victime de l’effet loupe… Presque rien en somme ».

Ces lignes sont tirées de la première étude scientifique (répondant aux critères des sciences humaines) consacrée au mouvement. Cette dernière est signée par trois chercheurs qui ne sont pas des perdreaux de l’année : le médiologue François-Bernard Huyghe, un maître de conférences à Sciences-Po Xavier Desmaison et Damien Liccia, spécialiste de l’analyse des opinions en ligne et de la désinformation3. Cette salutaire leçon d’anatomie dissipe théories du complot et légendes technologiques, démontrant aussi comment, hors médias traditionnels voire contre eux, les « réseaux numériques » donnent un visage et des armes à ceux qui étaient auparavant invisibles.

A la manière cartésienne du « doute hyperbolique », les trois chercheurs partent du terrain : « quel est le mot le plus entendu ? Incontestablement : mépris4. Le sentiment d’être méprisé – c’est-à-dire au sens étymologique tenu pour pas grand-chose, voire pour rien du tout – est celui qu’expriment le plus volontiers les manifestants. Ce qui met l’affaire sur un plan personnel – on se sent blessé en tant qu’individu par l’attitude d’un acteur en particulier, et c’est souvent par Emmanuel Macron intuitu personae qu’on est socialement humilié ». Le mot attribué à Marie-Antoinette – s’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche – a souvent été repris sur les ronds-points…

Un exemple entre cent, cette citation du président de la République5 : les Gilets jaunes seraient « un mouvement de 10 000 personnes dans la radicalité qui, avec les réseaux sociaux et les chaînes d’information, a acquis une force de frappe énorme ». Ce qui est dire, dans une même phrase, décryptent les trois chercheurs : qu’ils sont très peu et pas représentatifs (si peu qu’il va quand même falloir leur céder) ; qu’ils sont radicalisés, ce qui évoque le jihadisme dans lequel on « tombe » comme dans la drogue. C’est, par ailleurs, une expression absurde (vers quelles « racines » revient-on en se radicalisant ainsi ? Sinon celles du peuple éternellement rebelle ?) ; que cette affaire a été gonflée artificiellement. On comprend que la faute en revient aux réseaux numériques incontrôlés et aux chaînes d’information continu friandes de sensationnel (mais qui furent aussi friandes d’un jeune candidat) ; qu’ils ont une force de frappe – terme agressif aux connotations militaires – imméritées, artificielles, mais redoutable.

LE PEUPLE, QUEL PEUPLE ?

Il faut certainement relire Léon Tolstoï et Les Âmes mortes de Nicolas Gogol6 pour se laver de toutes les injures actuelles entachées du terme de « populisme ». Nos trois chercheurs : « les Gilets jaunes sont-ils le peuple ? A chaud, surtout sur les plateaux de télévision, beaucoup ont commencé par traiter cette jacquerie avec des pincettes. S’élever contre l’impôt, n’est-ce pas typiquement poujadiste ou de droite ? » Les Gilets jaunes ont évolué, sans doute, dans la composition sociologique des manifestations comme dans leurs langages. En tout cas, pour qui a discuté avec eux, il est difficile de ne pas privilégier la contradiction qui correspond le mieux aux réalités exprimées par le peuple des ronds-points que l’opposition centraux/périphériques.

« Il est vrai qu’à part une étude sociologique à chaud de chercheurs de Bordeaux7, nous ne disposons guère de données scientifiques. Mais grosso modo, cela donne : beaucoup d’employés (33%) et d’ouvriers (14%) comme d’artisans, commerçants et petits patrons (14%), un quart d’inactifs dont force de retraités, beaucoup de femmes… Bref, vraiment les fameuses « couches populaires » et revenus modestes. Politiquement, 33% se disent apolitiques, 15% d’extrême-gauche, presque trois fois plus que ceux qui se disent d’extrême-droite, 42% de gauche et 12% de droite. Beaucoup de primo-manifestants. Rien à voir avec le 6 février 1934 complaisamment évoqué par les membres du gouvernement ».

Personne ne doute qu’il s’agisse bien de demander des sous à un Etat providence qui en prend de plus en plus pour en redistribuer de moins en moins. A cet égard, il n’est pas surprenant que la demande du rétablissement de l’ISF soit devenue aussi emblématique, demande portée par des groupes sociaux de plus en plus déclassés depuis la crise de 2008, voire avant : « des gens qui ne protestaient guère… » Sur cette question-valise du « peuple », nos trois chercheurs concluent provisoirement : « les manifestants, au-delà de leurs difficultés personnelles, se réfèrent au Bien commun, à la Solidarité, au mandat que le peuple a confié à ses Représentants et qui n’est pas respecté. Et, bien-sûr aux mensonges méprisants qui insultent leur intelligence et leur dignité ».

Alors le mouvement des Gilets jaunes est-il populiste ? Pardon à nos amis russes narodnik ainsi qu’à la grande tradition du roman populaire américain, mais le mot « populiste » est devenu l’injure politique par excellence, lancée par une classe politique en plein désarroi. L’effondrement des droites et des gauches gouvernementales laisse un grand vide sidéral comblé par la conjonction d’une mobilisation numérique et de plusieurs révoltes territoriales micro-locales, oscillant entre réseaux numériques et échangeurs routiers. Face aux forces de l’ordre et à la communication gouvernementale, cette conjonction oppose une fluidité extrême, une non-organisation entretenue, le gazeux contre le solide, l’essaim contre le carré des centurions, la dérision contre les sermons…

Cette liquidité qui s’engouffre dans toutes les lignes de fuite possibles désarçonne les chiens de garde de la doxa dominante qui s’auto-arroge – droit, compétence et légitimité de différencier l’ivraie (les populistes) du bon grain (les mondialistes). Orfèvre en la matière et aboyeur médiatique, qui depuis longtemps fait honte au journalisme, Jean-Michel Apathie « démasque » (c’est son mot) trois coupables : un complotiste – Maxime Nicolle -, un putschiste – Eric Drouet -, et un extrémiste – Etienne Chouard. Il y a quelque temps, le même affirmait que ce qui l’intéressait le plus « était moins l’information que de pouvoir ramener sa fraise sur n’importe quel sujet » (SIC). Pas très utile, ce genre d’idiot ne fait pourtant qu’attiser une haine dont par ailleurs il prétend dénoncer les effets. Cherchez l’erreur…

Les Gilets jaunes ont au moins compris une chose : leurs enfants et petits enfants vivront plus mal qu’eux et subiront la loi de fer d’une économie qui s’affranchit toujours des frontières et des souverainetés. « Le spectre qui hante l’Europe n’est maintenant plus celui des classes désireuses de s’emparer de l’Etat et de la richesse, c’est celui des déclassés, d’un peuple en perte de sécurité et de dignité. Les culpabiliser n’est certainement pas les apaiser. Et les psychiatriser n’est pas les convaincre », ajoutent les trois chercheurs.

Ils insistent : « … quand les grilles droite/gauche fonctionnent mal (ce qui ne veut pas dire qu’elles soient obsolètes), quand une partie de la population ne se reconnaît plus dans ceux qui sont censés la diriger ou lui dire quoi penser. Ce sont des moments où l’inévitable conflit de croyances et des intérêts n’est plus ritualisé par les appareils politiques et médiatiques.

Dans ce cas, le Peuple ou sa fraction populiste veut prendre directement les affaires en main ; il se réclame justement de sa légitimité de peuple souverain ». Il intervient – souvent maladroitement – sur la scène politique pour jouer une autre pièce suivant d’autres règles, comme « les loups exclus de la horde » si bien décrit par Jean Duvignaud dans L’Anomie8. Il ne s’organise pas, justement pour défier toute espèce de domination comme l’analyse Yves Stourdzé dans son maître livre Organisation/anti-organisation9. Il mise sur La Société contre l’Etat comme l’a déjà raconté Pierre Clastres10.

DERRIERE LES ECRANS

Mais l’apport le plus original de la leçon d’anatomie de François-Bernard Huyghe, de Xavier Desmaison et Damien Liccia réside dans la mesure de l’efficience des réseaux numérique sur le mouvement lui-même : « il est tentant chaque fois d’attribuer aux réseaux numériques un incroyable pouvoir d’organiser des révoltes et des protestations, mais aussi une redoutable capacité de troubler l’opinion en démocratie, voire de fausser le résultat des scrutins ».

Les chercheurs ne nient pas la dimension disruptive des progrès numériques imposés par l’évolution technologique, la mondialisation et la financiarisation des économies : « le mouvement des Gilets jaunes illustre l’une des questions majeures de notre époque : qu’est-ce que la technologie change à la politique ? Quels pouvoirs de rassemblement, de protestation, mais aussi de censure ou de déstabilisation portent les algorithmes ? » Au passage, ils tordent le cou à l’hypothèse d’une intervention russe pour fausser la dernière élection présidentielle américaine, le Brexit, hypothèses/fadaises qui ne reposent sur aucune enquête factuelle décisive.

Que Russes, Chinois, nous-mêmes Français et autres Européens se livrent aux délices du Soft-Power, des campagnes d’influence et de propagandes, relève d’un constat représentatif du monde globalisé d’aujourd’hui – le Léviathan – où règne la loi de la guerre de tous contre tous. En définitive Russes et Chinois procèdent-ils si différemment de ce qu’ont fait Voice of America et Radio Free Europe pendant des décennies… de ce que continuent à faire Fox NewsCNNTF-1France-2 et France-24 tous les soirs ?

Dans cet ordre d’idées Brice Couturier – autre chien de garde multicartes – affirmait le 8 décembre dernier sur France-Culture en citant une « enquête » du Times : « je le répète, des puissances étrangères manipulent l’opinion et poussent au chaos. Via de faux comptes et la diffusion de Fake News sur les réseaux sociaux ». Vérification faite, cette enquête s’est avérée parfaitement bidon, mais personne n’a vraiment osé le relever… « il semble difficile de donner corps à l’idée que des utilisateurs exogènes (notamment des comptes russes) aient pu exercer un rôle autre que celui de suiveur. Difficile dans ce contexte de penser que des comptes aient pu réellement avoir un impact sur le déroulé des événements, comme le suggère pourtant l’étude relayée par The Times ».

Poursuivant une analyse très serrée des outils numériques, nos trois chercheurs ajoutent : « cette logique analytique permet de déconstruire les discours globaux et généralistes qui, de postulats bien souvent mal étayés, en viennent à dresser des conclusions qui altèrent totalement l’intégrité, la légitimité et, par-dessus tout, la réalité du mouvement politico-social ». Par de-delà la question du carburant, de la limitation de vitesse à 80 km, de la taxe carbone et de la fiscalité, l’analyse de la communication numérique montre que la figure du présidentielle est au cœur des critiques.

Ils concluent : « en agrégeant l’ensemble de nos six thématiques d’étude, on constate très nettement que, tant sur Facebook que sur Twitter, la part de voix du thème carburant est pour le moins marginale par rapport à d’autres sujets. Dès le début de la crise, ce sont respectivement la question du pouvoir d’achat et de la fiscalité, ainsi que la problématique institutionnelle, dans l’acception la plus large possible, qui structurent la conversation ». Plus loin : « cette crise politique telle qu’elle s’exprime sur les réseaux numériques, et comme nous avons essayé de le montrer, donne une place plus importante aux questions politiques, de justice fiscale ou encore de pouvoir d’achat qu’à la seule question du prix du carburant ».

UNE VIOLENCE PEUT EN CACHER D’AUTRES

En définitive, la « violence » et la « radicalité » du mouvement régulièrement dénoncée par les belles âmes médiatiques résulte davantage d’une violence sociale quotidienne, silencieuse et invisible, en tout cas bien plus radicale encore que celle des « casseurs », poussant chômeurs, agriculteurs, femmes chargées de famille aux pires extrémités, voire au suicide. Alors que Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen ou d’autres condamnent ou pas la violence des rues n’est vraiment pas le point ! Les causes profondes de la révolte elles-mêmes résultent d’une violence extrême de la mondialisation qui fait régresser nos sociétés à l’état de nature où n’a cours que la loi du plus fort.

Trois causes efficientes reviennent de manière récurrente à l’origine du mouvement des Gilets jaunes : la rupture entre l’Etat et la société civile ; l’incompréhension et l’inertie publiques finissant par produire une certaine solidarité entre brave gens avec une incompressible nécessité de commencer à expliquer comment on en est arrivé là et ce qu’il faudrait faire ; le retour du politique à travers un conflit qui revient : « oublions nos discours sur la post-modernité, la post-démocratie, la post-politique, la fin du social, la fin des partis ou la fin des haricots. La phase soft s’achève, la brillante alliance du libéralisme politico-économique et de la morale individualiste de compassion plus l’ouverture, ont échoué. Le tragique déborde la scène. Longtemps les temps ont été durs et les idées molles. C’est fini ! Bienvenue dans la jungle du réel ».

Sur la violence encore, un souvenir personnel : l’auteur de ces lignes se souvient avoir couvert une grande manifestation parisienne le vendredi 23 mars 1979 pour Le Matin de Paris. Alors que l’industrie sidérurgique connaissait une crise sans précédent, la CGT organisait une manifestation à Paris au cours de laquelle des dégradations et des affrontements avec les forces de l’ordre avaient été commises par des groupes de casseurs. Sous nos yeux, à l’angle de la place de l’Opéra et du boulevard des Capucines, l’un d’eux était arrêté par le service d’ordre de la CGT en flagrant délit de vandalisme. Avec stupeur, on découvrit qu’il s’agissait d’un gardien de la paix de la préfecture de police, porteur de sa carte de police : Gérard Le Xuan. Niant toute exaction, le policier affecté au deuxième arrondissement de la capitale, expliquait qu’il opérait en civil dans le cadre d’un service d’ordre lorsqu’il fut molesté par des gros bras de la CGT. L’affaire fit inévitablement scandale renvoyant à la longue histoire des provocations policières, objet du livre très sourcé de Bernard Thomas11.

Certes, toutes les violences ne peuvent se réduire à des provocations policières. Cela dit, bien des questions demeurent sur l’incapacité des forces de l’ordre à neutraliser une centaine de casseurs Blacks Blocs et autres « anarchistes » peaux de lapin, inscrits pour la plupart sur des fichiers nationaux et européens.

DÉBATS, HABILLAGES ET AJUSTEMENTS STRUCTURELS

Fidèle à un opportunisme idéologique non-écrit, les chaînes de télévision continue – samedi dernier – couvrent davantage le « grand débat présidentiel » que l’acte X des Gilets jaunes, leurs manifestations à Paris et en régions qui ne faiblissent pas. Après avoir été cordialement marginalisés, les maires sont aujourd’hui encensés par le pouvoir qui cherche à les transformer en agent de communication d’une parole tous azimuts, censée ramener le calme. Revêtant son costume de campagne présidentielle, Emmanuel Macron écoute un peu puis monopolise la parole des heures durant.

Ayant exclu certains sujets sensibles comme la demande du rétablissement de l’ISF, le grand débat s’ouvre désormais sur à peu près tout : la carte et le calendriers scolaire, l’interdiction de la fessée et la culture bio. Qu’on voudrait noyer le poisson, on ne s’y prendrait pas autrement. Pour l’instant, on a oublié la Nature et la substance infinie de Spinoza, mais on va finir par y arriver… Les Français adorent ce genre de blabla, mais la question reste – bien-sûr – de savoir à quoi cela va servir, le président de la République ayant répété à de nombreuses reprises que rien de le détournera de la poursuite des « réformes » nécessaires, selon lui, à la France.

En Tunisie dernièrement, comme dans d’autres pays du Sud, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont été jugés responsables d’ajustements structurels dévastateurs pour les économies locales. C’est une vieille histoire, les mesures en cause étant les mêmes que celles imposées par la Commission européenne, pudiquement appelées « réformes » : ouverture des marchés, démantèlement des services publics et des politiques de redistribution sociales.

Quelle est la finalité de ce grand débat national ? De nouveaux accords de Grenelle ? Un remaniement ministériel ? Une dissolution de l’Assemblée nationale ? Toujours est-il qu’il ne suffira pas de lâcher quelques miettes sociales et de procéder à un nouveau jeu de bonneteau fiscal. La demande qui s’exprime à travers la révolte des Gilets jaunes est profondément politique. Elle postule de vraies réformes institutionnelles, notamment pour déconcentrer et décentraliser le pays, sinon un passage à la VIème République.

Cette demande politique s’exprime en triptyque : 1) comment restaurer une indépendance nationale garante de souveraineté et de liberté ? ; 2) comment réintégrer les marges de la République (régions périphériques, quartiers suburbains et Outremers) dans la communauté nationale ? ; 3) comment stopper le démantèlement des services publics et la casse du programme du Conseil national de la résistance (CNR) ?

Pour répondre à cela, il faudra certainement autre chose qu’un débat fourre-tout hyper-médiatisé, afin d’ouvrir le chantier de réponses politiques et institutionnelles sérieuses, courageuses et durables. Le petit livre de François- Bernard Huyghe, Xavier Desmaison et Damien Liccia nous y aide !

Bonne lecture donc et à la semaine prochaine.

 

Richard Labévière
21 janvier 2019

1 Exemple éloquent : l’article du Monde du 19 janvier 2019 : Les « gilets jaunes », nouveau terrain d’influence de la nébuleuse complotiste et antisémite.
2 « Gilets jeunes, l’effet de loupe » par Serge Raffy. Le Nouvel Observateur du 14 décembre 2018.
3 François-Bernard Huyghe, Xavier Desmaison et Damien Liccia : Dans la tête des Gilets jaunes. V.A. Editions, décembre 2018.
4 Lu sur une pancarte : « Baissez les prix et le mépris ».
5 Rapportée par l’Opinion du 13 décembre 2018.
6 Nicolas Gogol : Les aventures de Tchitchikov ou les Âmes mortes. Editions Gallimard, 1949.
7 « Gilets jaunes : une enquête pionnière sur la révolte des revenus modestes », 11 décembre 2018 – Université de Bordeaux.
8 Jean Duvignaud : L’Anomie – Hérésie et subversion. Editions Anthropos, 1973.
9 Yves Stourdzé : Organisation/anti-organisation. Editions Repères-Mame, 1973.
10 Pierre Clastres : La Société contre l’Etat. Editions de Minuit, 1974.
11 Bernard Thomas : Les provocations policières – quant la politique devient un roman policier. Editions Fayard, 1973.

 

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