L’agonie de l’Occident

...par Thierry Meysan - Le 05/07/2022.

Consultant politique, président-fondateur du Réseau Voltaire.

Dernier ouvrage en français : Sous nos yeux - Du 11-Septembre à Donald Trump (2017).

Sergueï Lavrov avait l’habitude de comparer l’Occident à un prédateur blessé. Selon lui, il ne faut pas le provoquer car il serait pris de folie et pourrait tout casser. Il convient plutôt de l’accompagner au cimentière. L’Occident ne l’entend pas ainsi. Washington et Londres mènent une croisade contre Moscou et Pékin. Ils rugissent et sont prêts à tout. Mais que peuvent-ils entreprendre vraiment ?

Source : Rzo Voltaire.

 

Comme Rome, l’Empire anglo-saxon s’effondre de par sa propre décadence.

Cet article fait suite à :
 1. « La Russie veut contraindre les USA à respecter la Charte des Nations unies », 4 janvier 2022.
 2. « Washington poursuit le plan de la RAND au Kazakhstan, puis en Transnistrie », 11 janvier 2022.
 3. « Washington refuse d’entendre la Russie et la Chine », 18 janvier 2022.
 4. « Washington et Londres, atteints de surdité », 1er février 2022.
 5. « Washington et Londres tentent de préserver leur domination sur l’Europe », 8 février 2022.
 6. « Deux interprétations de l’affaire ukrainienne », 15 février 2022.
 7. « Washington sonne l’hallali, tandis que ses alliés se retirent », 22 février 2022.
 8. « Vladimir Poutine déclare la guerre aux Straussiens », 5 mars 2022.
 9. « Une bande de drogués et de néo-nazis », 5 mars 2022.
 10. « Israël abasourdi par les néo-nazis ukrainiens », 8 mars 2022.
 11. « Ukraine : la grande manipulation », 22 mars 2022.
 12. « Le Nouvel Ordre Mondial que l’on prépare sous prétexte de guerre en Ukraine », 29 mars 2022.
 13. « La propagande de guerre change de forme », 5 avril 2022.
 14. « L’alliance du MI6, de la CIA et des bandéristes », 12 avril 2022.
 15. « La fin de la domination occidentale »,19 avril 2022.
 16. « Ukraine : la Seconde Guerre mondiale ne s’est jamais terminée », 26 avril 2022.
 17. « Washington espère rétablir son hyper-puissance grâce à la guerre en Ukraine », 3 mai 2022.
 18. « Le Canada et les bandéristes », 10 mai 2022.
 19. « Une nouvelle guerre se prépare pour l’après défaite face à la Russie », 24 mai 2022.
 20. « Les programmes militaires secrets ukrainiens », 31 mai 2022.
 21. « Ukraine : quiproquos, méprises et incompréhensions », 7 juin 2022.
 22. « La Pologne et l’Ukraine », 14 juin 2022,
 23. « L’idéologie des bandéristes ukrainiens », 21 juin 2022.
 24. « Le sabordage de la paix en Europe », 28 juin 2022.

Le président Joe Biden et le Premier ministre Boris Johnson lors du sommet du G7 à Elmau (Allemagne).

Les sommets du G7 en Bavière et de l’Otan à Madrid devaient annoncer la punition par l’Occident du Kremlin pour son « opération militaire spéciale en Ukraine ». Mais, si l’image donnée a mis en avant celle de l’unité des Occidentaux, la réalité atteste de leur déconnexion des réalités, de leur perte d’audience dans le monde et en définitive de la fin de leur suprématie.

Alors que les Occidentaux se persuadent que l’enjeu est en Ukraine, le monde le voit affronter le « piège de Thucydide » [1]. Les relations internationales continueront-elles à s’organiser autour d’eux ou deviendront-elles multipolaires ? Les peuples jusqu’ici soumis s’affranchiront-ils et accéderont-ils à la souveraineté ? Sera-t-il possible de penser autrement qu’en termes de domination globale et de se consacrer au développement de chacun ?

Les Occidentaux ont imaginé un narratif de l’« opération militaire spéciale » russe en Ukraine qui fait l’impasse sur leur propre action depuis la dissolution de l’Union soviétique. Ils ont oublié leur signature de la Charte de la Sécurité européenne (dite aussi déclaration d’Istanbul de l’OSCE) et la manière dont ils l’ont violée en faisant adhérer un à un presque tous les anciens membres du Pacte de Varsovie et une partie des nouveaux États post-soviétiques. Ils ont oublié la manière dont ils ont changé le gouvernement ukrainien en 2004 et le coup d’État par lequel ils ont placé au pouvoir à Kiev des nationalistes bandéristes en 2014. Ayant fait du passé table rase, ils accusent la Russie de tous les maux. Ils refusent de remettre en question leurs propres actes et considèrent, qu’à l’époque, ils sont passés en force. Pour eux, leurs victoires font le Droit.

Pour préserver ce narratif imaginaire, ils ont déjà fait taire les médias russes chez eux. On a beau se prétendre « démocrates », il vaut mieux censurer les voix discordantes avant de mentir.

Ils abordent donc le conflit ukrainien, sans contradiction, en se convaincant qu’ils ont le devoir de juger seuls, de condamner et de sanctionner la Russie. En faisant chanter de petits États, ils sont parvenus à obtenir un texte de l’Assemblée générale des Nations-unies qui semble leur donner raison. Ils envisagent maintenant de démanteler la Russie comme ils l’ont fait en Yougoslavie et ont tenté de le faire en Iraq, en Libye, en Syrie et au Yémen (stratégie Rumsfeld/Cebrowski).

Pour ce faire, ils ont commencé à isoler la Russie de la Finance et du Commerce mondial. Ils ont coupé son accès au système SWIFT et aux Lloyds, l’empêchant d’acheter et de vendre tout autant que d’assurer son transfert de marchandise. Ils pensaient ainsi provoquer son effondrement économique. De fait, le 27 juin 2022, la Russie s’est avérée incapable d’honorer une dette de 100 millions de dollars et l’agence de notation Mody’s l’a déclarée en défaut de paiement [2].

Mais cela n’a pas eu l’effet escompté : tout le monde sait que les réserves de la Banque centrale russe regorgent de devises et d’or. Le Kremlin a payé les 100 millions, mais n’a pas pu les transférer en Occident du fait des sanctions occidentales. Il les a placés sur un compte bloqué où ils attendent leurs débiteurs.

Pendant ce temps, le Kremlin qui n’est plus payé par les Occidentaux s’est mis à vendre sa production, notamment ses hydrocarbures, à d’autres acheteurs, particulièrement à la Chine. Les échanges ne pouvant plus être effectués en dollars le sont en d’autres monnaies. Par conséquent, les dollars que leurs clients utilisaient d’habitude refluent vers les États-Unis. Ce processus avait déjà commencé il y a plusieurs années. Mais les sanctions unilatérales occidentales l’ont brutalement accéléré. L’énorme quantité de dollars qui s’accumule aux USA y provoque une hausse des prix massives. La Réserve fédérale fait tout son possible pour la partager avec la zone euro. La hausse des prix se propage à grande vitesse sur tout le continent ouest-européen.

La Banque centrale européenne n’est pas un organisme de développement économique. Sa mission principale est de gérer l’inflation à l’intérieur de l’Union. Constatant qu’elle ne peut absolument pas ralentir la brusque hausse des prix, elle tente de l’utiliser pour diminuer sa dette. Les États membres de l’Union sont donc invités à compenser, par des baisses d’impôts et des allocations, la baisse du pouvoir d’achat de leurs « citoyens ». Mais c’est un cercle sans fin : en aidant leurs citoyens, ils se lient les pieds et les mains à la Banque centrale européenne, ils s’enchaînent un peu plus aux dettes US et s’appauvrissent encore.

Il n’y a pas de remède à cette inflation. C’est la première fois en effet que l’Occident doit éponger les dollars que Washington a imprimé avec insouciance durant des années. La hausse des prix en Occident correspond au coût des dépenses impériales des trente dernières années. C’est aujourd’hui et aujourd’hui seulement que l’Occident paye ses guerres de Yougoslavie, d’Afghanistan, d’Iraq, de Libye, de Syrie et du Yémen.

Jusqu’à présent les États-Unis tuaient tous ceux qui menaçaient la suprématie du dollar. Ils ont pendu le président Saddam Hussein qui la refusait et ont pillé la Banque centrale iraquienne. Ils ont torturé et lynché le guide Mouamar el-Kadhafi qui préparait une nouvelle monnaie panafricaine et ont pillé la Banque centrale libyenne. Les sommes gigantesques amassées par ces États pétroliers ont disparu sans laisser de traces. On a seulement vu des GI’s embarquer des dizaines de milliards de dollars emballés dans de grands sacs-poubelles. En excluant la Russie des échanges en dollar, Washington a lui-même provoqué ce qu’il redoutait tant : le dollar n’est plus la monnaie de référence internationale.

La majorité du reste du monde n’est pas aveugle. Elle a bien compris ce qui se passe et s’est précipitée au Forum économique de Saint-Pétersbourg, puis a tenté de s’inscrire au sommet virtuel des Brics. Elle réalise —un peu tard— que la Russie a lancé le « Partenariat de l’Eurasie élargie », en 2016 et que son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, l’avait solennellement annoncé à l’Assemblée générale de l’Onu, en septembre 2018 [3]. Durant quatre ans, quantités de routes et de chemins de fer ont été construits pour intégrer la Russie dans les réseaux des nouvelles « routes de la soie », terrestres et maritimes, imaginés par la Chine. Il a donc été possible de déplacer en quelques mois les flux de marchandise.

Le reflux des dollars et le déplacement des flux de marchandise provoquent une hausse plus marquée encore du prix des énergies. La Russie, qui est l’un des premiers exportateurs d’hydrocarbures au monde, a vu ses revenus augmenter considérablement. Sa monnaie, le rouble, ne s’est jamais aussi bien portée. Pour y faire face, le G7 a fixé un prix plafond du gaz et du pétrole russe. Il a ordonné à la « communauté internationale » de ne pas payer plus cher.

Mais la Russie ne va évidemment pas laisser les Occidentaux fixer les prix de ses produits. Ceux qui ne veulent pas les payer aux prix du marché ne pourront pas les acheter et aucun client n’a l’intention de se priver pour faire plaisir aux Occidentaux.

Le G7 tente d’organiser, au moins au plan intellectuel, sa suprématie [4]. Cela ne fonctionne plus. Le vent a tourné. Les quatre siècles de domination occidentale sont terminés.

En désespoir de cause, le G7 a prit l’engagement de résoudre la crise alimentaire mondiale que sa politique a provoqué. Les pays concernés savent ce que les engagements du G7 veulent dire. Ils attendent toujours le grand plan de développement de l’Afrique et autres miroirs aux alouettes. Ils savent que les Occidentaux ne peuvent pas produire les engrais azotés et qu’ils empêchent la Russie de vendre les leurs. Les aides du G7 sont uniquement des pansements sur des jambes de bois chargés de les faire patienter et de ne pas remettre en question les principes sacrés du libre-échange.

Le sommet de l’Otan à Madrid était une manifestation d’unité et de puissance. Mais ses Etats membres étaient convoqués pour signer ce que Washington et Londres avaient décidé pour eux. Leur unité n’était qu’une forme de servitude dont beaucoup songeaient à s’affranchir.

La seule option possible pour le sauvetage de la domination occidentale, c’est la guerre. Il faut que l’Otan parvienne à détruire militairement la Russie comme jadis Rome avait rasé Carthage. mais c’est trop tard : l’armée russe dispose d’armes bien plus sophistiquées que l’Occident. Elle les a déjà expérimentées depuis 2014 en Syrie. Elle peut à tout instant écraser ses ennemis. Le président Vladimir Poutine a exposé devant ses parlementaires, en 2018, les progrès stupéfiants de son arsenal [5].

Le sommet de l’Otan de Madrid était une belle opération de communication [6]. Mais ce n’était que le chant du cygne. Les 32 États membres ont proclamé leur unité avec le désespoir de ceux qui craignent de mourir. Comme si de rien n’était, ils ont d’abord adopté une stratégie pour dominer le monde durant les dix prochaines années, désignant la « croissance » de la Chine comme un sujet de préoccupation [7]. Ce faisant ils ont admis que leur but n’est pas d’assurer leur sécurité, mais bien de dominer le monde. Ils ont alors ouvert le processus d’adhésion de la Suède et de la Finlande et envisagé de s’approcher de la Chine avec, pour commencer, une possible adhésion du Japon.

Le seul incident, rapidement maîtrisé, aura été la pression turque qui a contraint la Finlande et la Suède à condamner le PKK [8]. Incapables de résister, les États-Unis ont lâché leurs alliés, les mercenaires kurdes en Syrie et leurs leaders à l’étranger.

Sur ce, ils ont décidé de multiplier par 7,5 la Force d’action rapide de l’Otan, en la faisant passer de 40 000 à 300 000 hommes, et de la stationner à la frontière russe. Ce faisant ils ont violé une fois de plus leur propre signature, celle de la Charte de la Sécurité en Europe, en menaçant directement la Russie. En effet, celle-ci n’a pas la possibilité de défendre ses immenses frontières et ne peut assurer sa sécurité qu’en veillant à ce qu’aucune force étrangère n’installe de base militaire à ses frontières (stratégie de la terre brûlée). D’ores et déjà, le Pentagone fait circuler des cartes prospectives du démantèlement de la Russie qu’il espère mettre en œuvre.

L’ancien ambassadeur russe à l’Otan et actuel directeur de Roscosmos, Dmitry Rogozin, leur a répondu en publiant sur son compte Telegram les coordonnées de tir des centres de décisions de l’Otan, salle du sommet de Madrid comprise [9]. La Russie dispose de lanceurs hypersoniques, pour le moment impossibles à intercepter, qui peuvent porter une charge nucléaire en quelques minutes sur le siège de l’Otan à Bruxelles et sur le Pentagone à Washington. Pour qu’il n’y ait pas de méprise, Sergueï Lavrov a précisé, faisant allusion aux Straussiens, que les décisions martiales de l’Occident n’étaient pas prises par les militaires, mais au département d’État US. C’est lui qui serait la première cible.

La question est donc : les Occidentaux joueront-ils le tout pour le tout. Prendront-ils le risque d’une Troisième Guerre mondiale pourtant déjà perdue, juste pour ne pas mourir seuls ?

Le MNA 2.0 vous salue

par Pepe Escobar - Le 24/07/2022.

La dynamique du MNA 2.0 – dont la Chine est un acteur clé – s’oppose radicalement à la manière dont l’Empire du chaos – et du mensonge – a tissé son réseau toxique, via la guerre contre le terrorisme, depuis le début du millénaire.

C’était en 1955, lors de la légendaire conférence de Bandung en Indonésie, lorsque le Sud global nouvellement émancipé a commencé à rêver de la construction d’un nouveau monde, via ce qui s’est configuré plus tard, en 1961 à Belgrade, comme le Mouvement des Pays Non-Alignés (MNA).

L’Empire du chaos – et du mensonge – n’aurait jamais permis au MNA de jouer un rôle de premier plan. Il a donc joué de manière déloyale : tout, de la subversion pure et dure et des pots-de-vin aux coups d’État militaires et aux proto-révolutions colorées.

Pourtant, aujourd’hui, l’esprit de Bandung revit, via une sorte de MNA 2.0 sous stéroïdes : un Mouvement des Pays Nouvellement Alignés, avec les leaders de l’intégration eurasiatique à l’avant-garde.

Nous venons d’avoir un aperçu de la direction que prend le vent géopolitique lors de la réunion d’une nouvelle troïka de pouvoir à Téhéran. Contrairement à Staline, Roosevelt et Churchill en 1943, Poutine, Raïssi et Erdogan ne se sont pas réunis pour découper le monde. Ils se sont rencontrés essentiellement pour discuter de la manière dont un autre monde est possible – par le biais des bilatérales, trilatérales, multilatérales et d’un rôle accru pour un ensemble d’institutions géopolitiques et géoéconomiques relativement nouvelles.

La Russie – et la Chine – ont été à l’avant-garde de toutes les décisions clés récentes. Leur diplomatie a permis à l’Iran de rejoindre l’OCS en tant que membre à part entière. Leur force d’attraction incite les principaux acteurs des pays du Sud à rejoindre les BRICS+. La Russie a pratiquement convaincu la Turquie de rejoindre les BRICS+, l’OCS et l’UEE, et a facilité le rapprochement entre Téhéran et Ankara, ainsi qu’entre Téhéran et Riyad. La Russie a largement influencé le processus de remake/remodelage en Asie occidentale.

Cette dynamique du MNA 2.0 – dont la Chine est un acteur clé – est en opposition totale avec la manière dont l’Empire du Chaos – et du Mensonge – a tissé son réseau toxique, via la guerre contre le terrorisme, depuis le début du millénaire. L’Empire a tenté de soumettre ce qu’il a décrit comme la région MOAN (Moyen-Orient-Afrique du Nord) en s’appuyant sur deux invasions/occupations (Afghanistan-Irak), une dévastation totale (Libye) et une guerre par procuration prolongée (Syrie). Toutes ont finalement échoué.

Et cela nous amène au contraste saisissant entre ces deux approches de la politique étrangère, illustré graphiquement par l’échec spectaculaire du « leader du monde libre » lisant le téléprompteur lors de sa visite à Djeddah – il n’a même pas été autorisé à se rendre à Riyad – comparé à la performance de Poutine à Téhéran.

Nous ne sommes pas seulement témoins des traits d’une alliance informelle entre la Russie, l’Iran et la Turquie, mais aussi d’une alliance qui fait la leçon à l’Empire : quittez la Syrie avant de subir une nouvelle humiliation. Et avec un corollaire kurde : restez loin des Américains et reconnaissez l’autorité de Damas avant qu’il ne soit trop tard.

Ankara ne pourra jamais l’admettre en public, mais le fait est que le sultan Erdogan – tout aussi opposé aux troupes américaines en Syrie que Poutine et Raïssi – semble même avoir rapidement calibré ses précédentes visées sur le territoire souverain syrien.

L’opération militaire turque dans le nord de la Syrie, qui a fait l’objet de nombreux débats, pourrait finalement se limiter à dompter les Kurdes des YPG. Le cœur de l’action tournera en fait autour de la manière dont l’alliance Russie/Iran/Turquie/Syrie rendra impossible le vol du pétrole syrien par les Américains.

Comme la Russie est désormais en mode « pas de prisonniers » face à l’Occident collectif – le mantra de chaque intervention de Poutine, Lavrov, Medvedev, Patrouchev – et qu’elle est en outre fermement alignée sur la Chine et l’Iran, il est inévitable que tous les autres acteurs d’Asie occidentale et d’ailleurs accordent toute leur attention au nouveau jeu en ville.

Choisis la Caspienne, jeune homme

Reliant l’Asie occidentale et l’Asie centrale, la mer Caspienne est enfin sous les feux de la rampe géopolitique et géoéconomique, comme en témoigne le consensus inédit auquel sont parvenus les cinq États riverains lors du sommet de la Caspienne, fin juin, pour bannir officiellement l’OTAN de ces eaux.

En outre, les dirigeants de Téhéran n’ont pas tardé à comprendre que la Caspienne constitue un couloir parfait et économique entre l’Iran et le cœur de la Russie, le long de la Volga.

Il n’est donc pas étonnant que Poutine lui-même, à Téhéran, ait proposé la construction d’un tronçon clé d’autoroute sur la route Saint-Pétersbourg-Golfe Persique, à la grande joie des Iraniens. Les nostalgiques du Grand Jeu de l’ancienne île qui « règne sur les mers » ont eu des crises cardiaques en série : ils n’ont jamais pu imaginer que « l’empire » russe aurait enfin un accès complet aux eaux chaudes du golfe Persique.

Nous en revenons donc à la réorganisation absolument cruciale du Corridor international de transport Nord-Sud (INTSC), qui jouera pour la Russie et l’Iran un rôle parallèle à celui de l’Initiative Ceinture et Route (BRI) pour la Chine. Dans les deux cas, il s’agit de corridors multimodaux de commerce et de développement à l’échelle de l’Eurasie, à l’abri des interférences de la marine impériale.

Et nous voyons ici l’importance renouvelée de la libération hyper-stratégique de Marioupol et Kherson par les forces russes et de la RPD. La mer d’Azov est désormais configurée comme un lac russe de facto – et il en sera de même pour ce qui restera de la côte de la mer Noire (actuellement ukrainienne), notamment Odessa.

Nous avons donc le corridor maritime ultra-stratégique de la mer Caspienne à la mer Noire – via le canal Volga-Don – relié de manière transparente à la mer Noire et à la Méditerranée, et plus au nord, jusqu’à la Baltique et au connecteur Atlantique-Pacifique en plein développement, la route maritime du Nord. Appelez cela les routes maritimes russes du Heartland.

Le combo OTAN/Five Eyes/Intermarium n’a absolument rien à opposer à ces faits (terrestres) sur le terrain (Heartland), si ce n’est de jeter un tas de HIMARS dans le trou noir ukrainien. Et bien sûr, continuer à désindustrialiser l’Europe. En revanche, ceux qui, à travers le Sud global, ont un sens aigu de l’histoire – comme dans le grand débat d’idées au sens hégélien – et sont également versés dans la géographie et les relations commerciales, sont occupés à se préparer à prendre le nouveau virage (et à en profiter).

Une ambiguïté stratégique

Même s’il est très amusant de recenser tous les cas où la Russie joue de l’ambiguïté stratégique à des niveaux capables de déconcerter l’ensemble de l’appareil gonflé du « renseignement occidental », ce qui apparaît au premier plan, c’est la manière dont Poutine – et Patrouchev – augmentent délibérément le seuil de douleur pour épuiser tactiquement non seulement le trou noir ukrainien, mais aussi l’ensemble de l’OTAN.

Les gouvernements occidentaux s’effondrent. Les sanctions sont abandonnées – pratiquement en secret. Un hiver glacial est à prévoir. Et puis il y a la crise économique/financière à venir, le monstre définitif de l’enfer, comme Martin Armstrong l’a dit très clairement : « Il n’y a aucun moyen pour eux de s’en sortir autrement que par défaut. S’ils font défaut, ils s’inquiètent de voir des millions de personnes prendre d’assaut les parlements d’Europe… C’est vraiment une énorme crise financière à laquelle nous sommes confrontés. Ils ont emprunté année après année depuis la Seconde Guerre mondiale sans avoir l’intention de rembourser quoi que ce soit ».

Pendant ce temps, Moscou est peut-être en train de faire tourner les turbines pour le lancement – à l’automne prochain ? Au milieu de l’hiver ? Au printemps prochain ? – d’une série d’offensives à multiples facettes, tirant parti d’une série continue de stratégies interconnectées qui ont déjà rendu hébétés et confus tous les « analystes » de l’OTAN en vue.

Cela expliquerait pourquoi Poutine a l’air de siffler gaiement « Call Me the Breeze » de JJ Cale dans la plupart de ses apparitions publiques. Lors de son intervention cruciale au forum « Des idées fortes pour une nouvelle époque », il a promu avec enthousiasme l’avènement de changements « véritablement révolutionnaires » et « énormes » qui conduiraient à la création d’un nouvel ordre mondial « harmonieux, plus juste, plus axé sur la communauté et plus sûr ».

Pourtant, ce n’est pas pour tout le monde : « seuls des États véritablement souverains peuvent assurer une dynamique de croissance élevée ». Ce qui implique que l’ordre mondial unipolaire, suivi par les États de l’Occident collectif qui ne sont guère souverains, est condamné à l’échec, car il « devient un frein au développement de notre civilisation ».

Seul un souverain sûr de lui, qui n’attend rien de constructif de l’Occident collectif, peut s’en tirer en le qualifiant de « raciste et néocolonial », porteur d’une idéologie qui « s’apparente de plus en plus au totalitarisme ». À l’époque du Mouvement des Pays Non-Alignés, ces mots auraient été suivis d’un assassinat.

« L’ordre international fondé sur des règles » sera-t-il préservé ? Aucune chance, affirme Poutine : les changements sont « irréversibles ». Pour ceux qui sont sur le point de se déchaîner, le MNA 2.0 vous salue.

Pepe Escobar

source : Strategic Culture Foundation

traduction Réseau International

Le conflit en Ukraine précipite la fin de la domination occidentale

...par Thierry Meyssan - Le 30/08/2022.

Le conflit ukrainien, présenté comme une agression russe, n’est que la mise en application de la résolution 2202 du Conseil de sécurité, du 17 février 2015. Si la France et l’Allemagne n’ont pas tenu leurs engagements lors de l’Accord de Minsk II, la Russie s’est préparée durant sept ans à la confrontation actuelle. Elle avait prévu les sanctions occidentales longtemps à l’avance et n’a eu besoin que de deux mois pour les contourner. Celles-ci désorganisent la globalisation états-unienne, perturbent les économies occidentales en brisant les chaînes d’approvisionnement, en faisant refluer les dollars vers Washington et en provoquant une inflation générale, enfin en créant une crise énergétique en Occident. Les États-Unis et leurs alliés sont dans la situation de l’arroseur arrosé : ils creusent eux-mêmes leur tombe. Pendant ce temps, les recettes du Trésor russe ont crû de 32 % en six mois.

 

Source : RzO Voltaire.

 

 

Les chefs d’État et de gouvernement présents lors de l’Accord de Minsk II.

Au cours des sept dernières années, il incombait aux puissances garantes de l’Accord de Minsk II (Allemagne, France, Ukraine et Russie) de le faire appliquer. Ils avaient été avalisés et légalisés par le Conseil de Sécurité des Nations unies, le 17 février 2015. Mais aucun de ces États ne l’a fait, malgré les discours sur la nécessité de protéger les citoyens menacés par leur propre gouvernement.

Alors que l’on évoquait une possible intervention militaire russe, le 31 janvier 2022, le secrétaire du Conseil de Sécurité nationale et de Défense ukrainien, Oleksiy Danilov, défiait l’Allemagne, la France, la Russie et le Conseil de Sécurité des Nations unies en déclarant : « Le respect des accords de Minsk signifie la destruction du pays. Lorsqu’ils ont été signés sous la menace armée des Russes — et sous le regard des Allemands et des Français — il était déjà clair pour toutes les personnes rationnelles qu’il était impossible de mettre en application ces documents » [1].

Lorsqu’à l’issue de sept années, le nombre d’Ukrainiens tués par le gouvernement de Kiev s’éleva à plus de douze mille selon celui-ci et à plus de vingt mille selon la Commission d’enquête russe, et alors seulement, Moscou lança une « opération militaire spéciale » contre les « nationalistes intégraux » ukrainiens (c’est l’appellation qu’ils revendiquent) qualifiés de « néo-nazis ».

La Russie a déclaré dès le début de son opération qu’elle s’en tiendrait à porter secours aux populations et à « dénazifier » l’Ukraine, pas à l’occuper. Pourtant les Occidentaux l’ont accusée de tenter de prendre Kiev, de renverser le président Zelensky et d’annexer l’Ukraine ; ce que manifestement, ils n’ont jamais fait. Ce n’est qu’après l’exécution de l’un des négociateurs ukrainiens, Denis Kireev, par les services de sécurité de son propre pays (SBU) et la suspension des pourparlers par le président Volodymyr Zelensky que son homologue russe, Vladimir Poutine, a annoncé durcir ses exigences. Désormais la Fédération réclame la Novorussia, c’est-à-dire tout le sud de l’Ukraine, historiquement russe depuis la Tsarine Catherine II, à l’exception de trente-trois ans.

Il faut bien comprendre que si la Russie n’a rien fait durant sept ans, ce n’est pas parce qu’elle ait été insensible au massacre des populations russophones du Donbass, mais parce qu’elle se préparait à faire face à la prévisible riposte occidentale. Selon la citation classique du ministre des Affaires étrangères du tsar Alexandre II, le prince Alexandre Gortchakov : « L’Empereur est décidé à consacrer, de préférence, sa sollicitude au bien-être de ses sujets et à concentrer, sur le développement des ressources intérieures du pays, une activité qui ne serait déversée au dehors que lorsque les intérêts positifs de la Russie l’exigeraient absolument. On adresse à la Russie le reproche de s’isoler et de garder le silence, en présence de faits qui ne s’accordent ni avec le droit, ni avec l’équité. La Russie boude dit-on. La Russie ne boude pas. La Russie se recueille ».

Cette opération de police a été qualifiée d’« agression » par les Occidentaux. De fil en aiguille, la Russie a été dépeinte comme une « dictature » et sa politique étrangère comme un « impérialisme ». Nul ne semble avoir lu l’Accord de Minsk II, pourtant validé par le Conseil de Sécurité des Nations unies. Dans une conversation téléphonique entre les présidents Poutine et Macron, révélée par l’Élysée, ce dernier manifeste même son désintérêt pour le sort de la population du Donbass, c’est-à-dire son mépris de l’Accord de Minsk II.

Aujourd’hui, les services secrets occidentaux se portent au secours des « nationalistes intégraux » ukrainiens (les « néo-nazis » selon la terminologie russe) et, au lieu de chercher une solution pacifique, tentent de détruire la Russie de l’intérieur [2].

En droit international, Moscou n’a fait qu’appliquer la résolution de 2015 du Conseil de Sécurité. On peut lui reprocher sa brutalité, mais ni de s’être précipité (sept ans), ni d’être illégitime (la résolution 2202). Les présidents Petro Porochenko, François Hollande, Vladimir Poutine et la chancelière Angela Merkel s’étaient engagés, dans une déclaration commune annexée à la résolution, à faire la même chose. Si l’une de ces puissances était intervenue auparavant, elle aurait pu choisir d’autres modalités d’opération, mais aucune ne l’a fait.

Le président ukrainien s’exprime pour la troisième fois devant le Conseil de sécurité par liaison vidéo, le 24 août 2022. Pourtant le règlement intérieur du Conseil fait obligation aux orateurs, hormis les fonctionnaires de l’Onu en mission, d’être présents physiquement pour prendre la parole. Le secrétariat général et la majorité des membres du Conseil ont accepté cette irrégularité, malgré l’opposition de la Russie.

En toute logique, le Secrétaire général des Nations unies aurait dû rappeler à l’ordre les membres du Conseil afin qu’ils ne condamnent pas l’opération russe dont ils avaient accepté le principe sept ans plus tôt, mais qu’ils en fixent les modalités. Il ne l’a pas fait. Au contraire, le Secrétariat général, sortant de son rôle et prenant parti pour le système unipolaire, vient de donner instruction orale à tous ses hauts fonctionnaires sur des théâtres de guerre de ne plus rencontrer de diplomates russes.

Ce n’est pas la première fois que le Secrétariat général contrevient aux statuts des Nations unies. Lors de la guerre contre la Syrie, il avait rédigé un plan d’une cinquantaine de pages sur l’abdication du gouvernement syrien, impliquant la déchéance de la souveraineté populaire syrienne et la dé-baasification du pays. Ce texte n’a jamais été publié, mais nous l’avons analysé dans ces colonnes avec effroi. En définitive, l’envoyé spécial du Secrétaire général à Damas, Staffan de Mistura, a été contraint de signer une déclaration reconnaissant sa nullité. Quoiqu’il en soit, la note du Secrétariat général interdisant aux fonctionnaires de l’Onu de participer à la reconstruction de la Syrie [3] est toujours en vigueur. C’est elle qui paralyse le retour des exilés dans leur pays au grand dam non seulement de la Syrie, mais aussi du Liban, de la Jordanie et de la Turquie.

Lors de la Guerre de Corée, les États-Unis profitaient de la politique soviétique de la chaise vide pour mener leur guerre sous le drapeau des Nations-Unis (à l’époque, la Chine populaire ne siégeait pas au Conseil). Il y a dix ans, ils utilisaient le personnel de l’Onu pour mener une guerre totale contre la Syrie. Aujourd’hui, ils vont plus loin en prenant position contre un membre permanent du Conseil de Sécurité.

Après être devenue une organisation sponsorisée par des multinationales sous Kofi Annan, l’Onu s’est transformée en une annexe du département d’État sous Ban Ki-moon et António Guterres.

La Russie et la Chine sont conscientes, comme tous les autres États, du fait que l’Onu ne remplit plus du tout sa fonction. Au contraire, l’Organisation aggrave les tensions et participe à des guerres (tout au moins en Syrie et dans la Corne de l’Afrique). Aussi Moscou et Beijing développent-ils d’autres institutions.

La Russie ne porte plus ses efforts vers les structures héritées de l’Union soviétique comme la Communauté des États indépendants, la Communauté économique eurasiatique, voire même l’Organisation du Traité de Sécurité collective ; ni même vers celles héritées de la Guerre froide, comme l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Non, elle se concentre vers ce qui pourra redessiner un monde multilatéral.

En premier lieu, la Russie met en évidence les actions économiques des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Elle ne les revendique pas comme ses réalisations, mais comme des efforts communs auxquels elle participe. Treize États espèrent joindre les BRICS, mais celles-ci ne sont pas, pour le moment, ouvertes à adhésion. D’ores et déjà, les BRICS ont un pouvoir bien plus important que le G7, ils agissent, tandis que depuis plusieurs années le G7 déclame qu’il fera de grandes choses que l’on ne voit jamais venir et qu’il décerne de bons et de mauvais points à ceux qui sont absents.

Surtout, la Russie pousse à une plus grande ouverture et à une profonde transformation de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). Jusqu’ici, il ne s’agissait que d’une structure de contact des pays d’Asie centrale, autour de la Russie et de la Chine, pour prévenir les troubles que les services secrets anglo-saxons tentaient d’y fomenter. Petit à petit, elle a permis à ses membres de mieux se connaître. Ils ont étendu leurs travaux à d’autres questions communes. En outre, l’OCS s’est élargie, notamment à l’Inde et au Pakistan, puis à l’Iran. Dans les faits, elle incarne aujourd’hui les principes de Bandung, fondés sur la souveraineté des États et la négociation, face à ceux des Occidentaux, fondés sur la conformité à l’idéologie anglo-saxonne.

L’OCS représente les deux tiers de la population mondiale, c’est-à-dire quatre fois plus que le G7, Union européenne comprise. C’est là, et plus ailleurs, que se prennent les décisions internationales qui comptent.

Les Occidentaux pérorent, tandis que la Russie et la Chine avancent. J’écris bien « pérorent », car ils croient leurs gesticulations efficaces. Ainsi, les États-Unis et le Royaume-Uni, puis l’Union européenne et le Japon ont pris des mesures économiques très dures contre la Russie. Ils n’ont pas osé dire que c’était une guerre visant à maintenir leur autorité sur le monde et les ont donc désignées sous le vocable de « sanctions », bien qu’il n’y ait pas eu de tribunal, de plaidoirie de la défense, ni de sentence. Bien sûr, il s’agit de sanctions illégales car décidées hors des instances des Nations unies. Mais les Occidentaux, qui se prétendent les défenseurs de « règles internationales », n’ont que faire du Droit international.

Bien sûr, le droit de veto des cinq membres permanents du Conseil empêche que l’on prenne des sanctions contre l’un d’entre eux, mais c’est précisément parce que le but de l’Onu n’est pas de se conformer à l’idéologie anglo-saxonne, mais de préserver la paix mondiale.

Je reviens à mon propos : la Russie et la Chine avancent, mais à un rythme tout différent de celui des Occidentaux. Il s’est écoulé deux ans entre l’engagement russe d’intervenir en Syrie et le déploiement de ses soldats sur place ; deux ans qui furent utilisés à finaliser les armes qui assurèrent sa supériorité sur le champ de bataille. Il aura fallu sept ans entre l’engagement russe de Minsk II et l’intervention militaire au Donbass ; sept ans qui furent utilisés à préparer le contournement des sanctions économiques occidentales.

C’est pourquoi ces « sanctions » ne sont pas parvenues à mettre l’économie russe à genoux, mais atteignent profondément ceux qui les ont émises. Les gouvernements allemands et français prévoient de très graves problèmes énergétiques qui contraignent déjà certaines de leurs usines à tourner au ralenti et bientôt à la fermeture. Au contraire, l’économie russe est en pleine expansion. Après deux mois durant lesquels le pays ne vivait plus que sur ses stocks, le moment est venu de l’abondance. Les recettes du Trésor russe ont connu un boom de 32 % au premier semestre [4]. Non seulement le refus occidental du gaz russe a fait monter les prix au profit du premier exportateur, la Russie, mais cette entorse au discours libéral a effrayé les autres États qui, pour se rassurer, se sont tournés vers Moscou.

La Chine, que les Occidentaux présentent comme un vendeur de camelote faisant tomber ses proies dans une spirale d’endettement, vient d’annuler la plupart des dettes à son égard de 13 États africains.

Chaque jour nous entendons les nobles discours occidentaux et leurs accusations contre la Russie et la Chine. Mais chaque jour aussi nous constatons, si nous regardons les faits, que la réalité est inverse. Par exemple, les Occidentaux nous expliquent sans preuve que la Chine est une « dictature » et qu’elle « a incarcéré un million d’Ouïghours ». Bien que nous ne disposions pas de statistiques récentes, nous savons tous qu’il y a moins de prisonniers en Chine qu’aux USA, alors que ce pays est quatre fois moins peuplé. Ou encore, on nous explique que l’on persécute les homosexuels en Russie, alors que nous voyons de plus grandes discothèques gays à Moscou qu’à New York.

L’aveuglement occidental conduit à des situations ubuesques où les dirigeants occidentaux ne perçoivent plus l’impact de leurs contradictions.

Réunion des présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune au palais d’El Mouradia sur la lutte contre les jihadistes au sahel, le 26 août 2022, en présence des généraux responsables de la sécurité intérieure et extérieure. Après les guerres de Libye, de Syrie et du Mali, la France ne peux plus cacher son soutien aux jihadistes.

Ainsi, le président Emmanuel Macron vient d’effectuer une visite officielle en Algérie. Il tente de réconcilier les deux nations et d’acheter du gaz pour contrebalancer la pénurie qu’il a contribué à provoquer. Il a conscience d’arriver un peu tard, après que ses alliés (l’Italie et l’Allemagne) ont fait leurs emplettes. Par contre, il s’efforce de croire à tort que le principal problème franco-algérien, c’est la colonisation. Il ne se rend pas compte que la confiance est impossible parce que la France soutient les pires ennemis de l’Algérie, les jihadistes de Syrie et du Sahel. Il ne fait pas le lien entre son absence de relations diplomatique avec la Syrie, son éviction du Mali [5] et la froideur avec laquelle il est reçu à Alger. En définitive, un accord anti-terroriste a été arraché par les Algériens, mais on n’en connaît pas actuellement le contenu.

Il est vrai que les Français ne savent pas ce que sont les jihadistes. Ils viennent de juger, dans le plus grand procès du siècle, les attentats de Saint-Denis, des terrasses de Paris et du Bataclan (13 novembre 2015), sans être capables de poser la question des soutiens étatiques des jihadistes. Ce faisant, loin de montrer leur sens de la justice, ils ont manifesté leur lâcheté. Ils se sont montrés terrorisés par une poignée d’hommes, tandis que l’Algérie en a connu des dizaines de milliers lors de sa guerre civile et en connaît encore autant au Sahel.

Alors que la Russie et la Chine avancent, l’Occident ne fait pas du sur place, il recule. Il continuera sa chute tant qu’il ne clarifiera pas sa politique, qu’il ne mettra pas fin à son double standard de jugement moral et qu’il n’aura pas cessé ses doubles jeux.

La décadence de l’Empire états-unien

...par Thierry Meyssan - Le 06/09/2022.

 

Alors que les États-Unis s’affrontent à la Russie et à la Chine pour empêcher une organisation multipolaire du monde et préserver leur hégémonie, ils s’affaiblissent de l’intérieur. Un fils du président Biden s’est arrogé plus de pouvoir qu’un sénateur. Il voyage en avions officiels, comme s’il était mandaté par son père, pour signer des contrats personnels sans que l’on sache ce qu’en pense le président. Mais cet individu n’a aucune compétence particulière, c’est juste un junkie menant une vie de patachon. Nul ne sait qui négocie les contrats qu’il signe et dont il profite. La grandeur de la démocratie américaine a disparu au profit de gens ni élus, ni même nommés.

Source : RzO Voltaire.

 

 

Caligula déjeunant avec le consul Incitatus. L’empire romain s’effondra lorsque ses dirigeants ne furent plus choisis selon leurs capacités.

Au cours des six dernières années, j’ai publié divers articles, très en avance sur les grands médias, mettant en garde contre la division des citoyens états-uniens et la montée de l’intolérance dans leur pays. J’ai pronostiqué l’inévitabilité d’une guerre civile et de la dissolution de l’Etat fédéral.

Dans les faits, nous assistons à la montée de nouvelles formes de ségrégation, nous avons déjà été témoins d’une élection présidentielle opaque, de la prise du Capitole et d’une perquisition chez l’ancien président du pays. La démocratie US est-elle morte ? Comment ce phénomène de fond se poursuivra-t-il ?

LA DÉMOCRATIE US

En tout premier lieu, nous devons observer le changement démographique et sociologique du pays.

Le nombre de personnes vivant aux USA est passé de 252 millions lors de la dissolution de l’Union soviétique, en 1991, à 331 aujourd’hui, soit près d’un tiers de plus ; 79 millions pour être exact. Dans le même temps, la classe moyenne US n’a cessé de s’étioler. Elle représentait 70 % des États-uniens, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Bien que les critères statistiques ne fassent plus consensus, il semble qu’elle représente aujourd’hui moins de 45 %. Le nombre de milliardaires a été multiplié par six depuis 1991, tandis que la richesse moyenne a très peu progressé en dollars constants.

Les institutions US sont fondées sur le principe de séparation des pouvoirs énoncé par Montesquieu. Il s’agit d’équilibrer les décisions en distinguant l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire. Le système ne fonctionne que si l’ensemble des décideurs partagent les mêmes intérêts. Ce ne peut plus être le cas depuis la globalisation, c’est-à-dire depuis la délocalisation industrielle vers l’Asie et la disparition des classes moyennes qu’elle a provoquées.

Les conditions sociologiques ne permettent donc plus au système démocratique de fonctionner.

Les États-uniens sont conscients de ces bouleversements puisque, depuis le mouvement Occupy Wall Street, en 2011, de nombreux discours politiques s’interrogent sur le pouvoir des 1 % les plus riches de la société. C’est-à-dire de la population dont les revenus annuels sont cinq fois supérieurs à ceux de la moyenne.

Un problème fondamental, s’est manifesté lors de l’élection présidentielle de 2020. Aujourd’hui, au moins un tiers des électeurs pense que les résultats annoncés ne reflètent pas la volonté populaire. Les deux camps ne cessent de s’insulter, chiffres à l’appui, mais le problème n’est pas le décompte, c’est l’opacité du dépouillement. Un des principes fondamentaux des démocraties est la transparence des élections. Or, celles-ci ne sont plus dépouillées depuis longtemps par des citoyens en public, mais par des fonctionnaires, voire par des entreprises sous-traitantes. Cette fois, elles l’ont été par des machines et, souvent, par des fonctionnaires à huis clos.

Concernant la fin de la séparation des pouvoirs, le plus surprenant aura été les procédures de destitution du chef de l’Exécutif par le Législatif sur la base d’accusations de trahison, aujourd’hui toutes invalidées. Mais comme l’échec de ces impeachments ne résout pas le problème sociologique, on assiste aujourd’hui à une perquisition chez le même ancien président et à sa prochaine inculpation pour trahison. Cette fois, le Judiciaire s’abrite derrière une interprétation aberrante de la Loi qui lui fait poursuivre la personne ayant le pouvoir de déclassifier ce qu’il voulait, d’avoir oublié de déclassifier certains papiers personnels. Le caractère loufoque des ces affaires n’échappe pas aux simples citoyens qui se détournent d’institutions jadis démocratiques.

Une foule, venue pacifiquement protester contre les résultats opaques de l’élection présidentielle, s’est affrontée à une police meurtrière et a fini par prendre d’assaut le Capitole.

L’effondrement de la démocratie US s’est manifesté avec la prise du Capitole par une foule en colère, le 6 janvier 2021. On sait maintenant qu’elle n’avait aucune intention de renverser le Congrès, mais que la police, se comportant comme l’instrument de répression d’une dictature, n’avait pas cherché à maintenir l’ordre, mais à punir les citoyens qui protestaient. Ce n’est qu’après que la police eut jeté de plusieurs étages un manifestant qui escaladait la façade, provoquant sa mort, que la foule exaspérée se lança à l’assaut des Assemblées parlementaires.

CE PHÉNOMÈNE VA-T-IL SE POURSUIVRE ?

Il n’y a aucune raison pour que ce phénomène s’interrompe tant que la composition sociologique actuelle des États-Unis perdurera. Les affaires de corruption attestent qu’au contraire, il va s’amplifier. En effet, il ne s’agit plus de hauts fonctionnaires abusant de leur pouvoir, mais d’individus ni élus, ni même nommés, qui accaparent un pouvoir plus important que celui d’un sénateur.

Hunter Biden

Rappelons l’affaire Biden : durant la campagne présidentielle de 2020, le New York Post révélait qu’un ordinateur appartenant à un des enfants du candidat démocrate avait été saisi par le FBI. Le tabloïd affirmait que les fichiers saisis prouvaient aussi bien la vie dissolue du jeune homme (ce qui n’était pas un mystère), que sa corruption et celle de son père.

Immédiatement, une vaste opération fut menée pour sauver l’honneur du candidat Joe Biden. D’une part le FBI refusa d’expertiser plus avant l’ordinateur, d’autre part des personnalités de la Communauté US du Renseignement répandirent la rumeur selon laquelle il s’agissait d’une désinformation russe profitable au candidat Trump [1]. En définitive, les imputations du Post furent ignorées par les médias et le candidat Biden fut déclaré vainqueur.

Deux ans ayant passé, les allégations du Post se sont avérées exactes, de nouveaux documents ont été révélés, et le ministère russe de la Défense en a saisi d’autres lors de son opération en Ukraine. Il apparaît aujourd’hui que :

 Hunter Biden, qui a lui-même raconté sa période junkie, est en réalité toujours dépendant aux drogues. Il est entouré d’une camarilla de jeunes hommes qui partagent son addiction à la cocaïne et avec qui il organise des parties fines. Sans porter de jugement moral sur ces activités, chacun peut constater qu’Hunter Biden n’est pas en état de diriger des entreprises.
 Hunter Biden a pourtant fondé ou pris le contrôle de diverses importantes sociétés (Eudora Global ; Owasco ; Oldaker, Biden and Belair LLP ; Paradigm Global Advisors ; Rosemont Seneca Advisors ; Seneca Global Advisors).
 Alors que son père était vice-président et que John Kerry était secrétaire d’État, Hunter Biden a fondé une société avec le beau-fils de Kerry, Christopher Heinz. Celle-ci a commencé à faire des affaires en Ukraine, au nom du département de la Défense dont le secrétaire était alors Ashton Carter. Il s’agissait officiellement d’évaluer les reliquats des programmes biologiques militaires soviétiques, à moins qu’il ne se soit agi de poursuivre en Ukraine des recherches illégales aux USA, ainsi que le soutiennent les Russes.
 Hunter Biden et son oncle, James Biden, ont travaillé avec une compagnie pétrolière publique chinoise, CEFC. Hunter a ainsi perçu 3,8 millions de dollars alors qu’il n’a aucune compétence en matière pétrolière.
 Hunter Biden est devenu administrateur de la seconde société pétrolière ukrainienne, Burisma, bien qu’il n’ait aucune compétence pour cela. Il y était rémunéré 50 000 $ par mois.
 Depuis des années, Hunter Biden, voyage en permanence avec des avions officiels, sans rapport avec son statut de fils du président qui ne lui permet que d’accompagner son père dans son avion.
 En définitive, Hunter Biden dirige ou siège dans de nombreuses sociétés. Il représente officiellement le département de la Défense et officieusement au moins son père. Il perçoit des sommes importantes pour un travail qu’il est incapable de faire.

Même en supposant que le président Biden ne soit pas impliqué dans les affaires de son fils, il couvre la confusion que celui-ci entretient entre ses affaires personnelles et la carrière politique de son père. Il lui permet de jouir des moyens officiels pour ses escroqueries.

Sous l’empire romain, Caligula avait nommé son cheval consul. Aux États-Unis, le vice-président Biden avait couvert les escroqueries de son fils. Aujourd’hui, devenu président, il n’a plus toute sa tête et son fils en profite pour continuer à faire des affaires en se réclamant de lui.

Ces imputations ne sont plus des rumeurs. Ce sont des faits établis par des rapports sénatoriaux.

L’AFFAIBLISSEMENT DE L’ÉTAT FÉDÉRAL

 

Les autres régions du monde considèrent différemment l’affaiblissement de l’État fédéral. Pour les Russes, qui ont connu plusieurs révolutions et la dissolution de l’URSS, les incompréhensions entre les citoyens US conduiront à une guerre civile chez eux à moyen terme. Celle-ci débouchera sur une partition des États-Unis en pays indépendants, plus ou moins homogènes ethniquement.

Au contraire, pour les Chinois, qui ont plusieurs fois connu l’affaiblissement de leur monarchie, les États-Unis perdureront, mais ils plongeront dans une forme d’anarchie. Les États fédérés prendront leur autonomie et n’obéiront plus vraiment à l’État fédéral.

En tous cas, seuls les Occidentaux imaginent que les États-Unis sont encore une démocratie et qu’ils le resteront.


 Donald Trump Jr., le fils du président Donald Trump, aborde la question des magouilles d’Hunter Biden dans son livre Liberal Privilege : Joe Biden and the Democrats’ Defense of the Indefensible, Gold Standard Publishing (2020).
 L’enquête du New York Post a donné lieu à un autre ouvrage : Laptop From Hell : Hunter Biden, Big Tech, and the Dirty Secrets the President Tried to Hide par Miranda Devine, Post Hill Press (2021).
 Les sénateurs républicains de la Commission de la Sécurité de la patrie ont présenté deux rapports : 1- Hunter Biden, Burisma, and Corruption : The Impact on U.S. Government Policy and Related Concerns. U.S. Senate Committee on Homeland Security and Governmental Affairs 2- Majority Staff Report Supplemental Committee on Finance. Committee on Homeland Security and Governmental Affairs. November 18, 2020

 

 Thierry Meyssan.

Inquiétudes existentielles : La guerre financière contre l’Occident commence à mordre.

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©Motortion via canva.com

Alastair Crooke affirme que l’Europe est en train de devenir une lointaine province arriérée d’une « Rome impériale » en déclin.

Le Club de Rome, fondé en 1968 en tant que collectif d’éminents penseurs réfléchissant aux problèmes mondiaux, a pris comme leitmotiv la doctrine selon laquelle considérer les problèmes de l’humanité de manière individuelle, isolée ou comme « des problèmes capables d’être résolus en leurs propres termes » alors que « tous sont interdépendants », était voué à l’échec. Aujourd’hui, cinquante ans plus tard, c’est devenu une « vérité révélée » incontestée pour un segment clé des populations occidentales.

Le Club de Rome a ensuite attiré l’attention immédiate du public avec son premier rapport publié en 1972 « Les limites de la croissance ». Les simulations informatiques du Club suggéraient que la croissance économique ne pourrait se poursuivre indéfiniment en raison de l’épuisement des ressources. La crise pétrolière de 1973 a accru l’intérêt du public pour ce problème. Le rapport est devenu « viral ».

Nous connaissons l’histoire. Un groupe de penseurs occidentaux s’est vu poser trois questions :

-La planète peut-elle supporter un niveau de consommation à l’européenne qui se répand partout dans le monde ? La réponse de ces penseurs a été « clairement non ».

-Deuxième question : Pouvez-vous imaginer que les États occidentaux renoncent volontairement à leur niveau de vie en se désindustrialisant ? Réponse : Un « non » catégorique.

-Faut-il alors contraindre les populations réticentes à réduire leur niveau de consommation et d’utilisation de l’énergie et des ressources ? Réponse : Définitivement « oui ».

La deuxième « grande pensée » du Club est apparue en 1991, avec la publication de The First Global Revolution. Il y est noté que, historiquement, l’unité sociale ou politique a généralement été motivée par l’imagination d’ennemis communs :

« En cherchant un ennemi commun contre lequel nous pourrions nous unir, nous avons eu l’idée que la pollution, la menace du réchauffement de la planète, les pénuries d’eau, la famine, etc. feraient l’affaire. Dans leur ensemble et leurs interactions, ces phénomènes constituent effectivement une menace commune… [et] tous ces dangers sont causés par l’intervention humaine dans les processus naturels. Ce n’est que par un changement d’attitude et de comportement qu’ils peuvent être surmontés. Le véritable ennemi est donc l’humanité elle-même ».

L’objectif n’est pas ici de débattre de la question de savoir si l' »urgence climatique » est fondée sur une science non politisée – ou non. Mais plutôt de faire remarquer que « C’est ce que c’est ». Son iconographie psychique a été reprise par le culte des écolières de « Greta ».

Quels que soient ses mérites – ou ses défauts – une couche importante de la société occidentale a acquis la conviction – dont elle est à la fois intellectuellement convaincue et croyante – qu’une « urgence climatique » est si évidente que toute preuve et tout argument contradictoires doivent être rejetés catégoriquement.

C’est devenu la peur existentielle de l’Occident : la croissance démographique, les ressources limitées et la consommation excessive sonnent le glas de notre planète. Nous devons la sauver. Il n’est pas surprenant de retrouver autour de cette « façon de penser » les thèmes occidentaux antérieurs de la politique identitaire, de l’eugénisme, de la survie darwinienne des élus (et de l’élimination des itérations « inférieures » de la vie) et du nihilisme européen (le véritable ennemi est « nous », nous-mêmes).

Bien sûr, l’ « autre » facette de cette projection occidentale de la « réalité », qui devient de plus en plus évidente, est le fait que l’Europe n’a tout simplement pas de sources d’énergie ou de matières premières prêtes à être exploitées (ayant tourné le dos à la source évidente). Et comme l’a fait remarquer Elon Musk, « pour que la civilisation continue à fonctionner, nous avons besoin de pétrole et de gaz », ajoutant que « toute personne raisonnable en conclurait que ». Non seulement le pétrole et le gaz doivent continuer à être utilisés pour que la civilisation continue à fonctionner, mais Musk a déclaré que la poursuite de l’exploration « est justifiée à l’heure actuelle ».

Ainsi, les gouvernements occidentaux doivent soit s’attendre à une misère économique d’une ampleur telle qu’elle mettrait à l’épreuve le tissu politique démocratique de n’importe quel pays, soit se rendre à l’évidence que les problèmes d’approvisionnement en énergie limitent effectivement la portée du projet « Sauver l’Ukraine » (sans provoquer de révolte populaire face aux hausses de prix qui en découlent).

Cette « réalité » réelle qui se dessine, bien sûr, limite également par extension l’objectif géostratégique occidental dérivé associé à l’Ukraine, à savoir le sauvetage de « l’ordre des règles libérales » (si central dans les soins occidentaux). La « face » opposée à cette crainte centrale est donc l’inquiétude que l’ordre mondial soit déjà tellement brisé – parce que la confiance a disparu – que l’ordre mondial émergent ne sera pas du tout façonné par la vision libérale occidentale, mais par une alliance d’économies de plus en plus proches économiquement et militairement – dont la confiance dans les États-Unis et l’Europe a disparu.

Dans notre monde autrefois interconnecté, où Zoltan Pozsar suggère que ce qu’il appelle Chimerica (terme désignant l’industrie manufacturière chinoise, intimement liée à la société de consommation américaine) et Eurussia (où l’énergie et les matières premières russes ont permis de valoriser la base manufacturière européenne) n’existent plus – ils ont été remplacés par « Chussia ».

Si Chimerica ne fonctionne plus, et Eurussia ne fonctionne pas non plus, les plaques tectoniques mondiales se repositionnent inexorablement autour de la relation spéciale entre la Russie et la Chine (« Chussia ») – qui, avec les économies centrales du bloc BRICS agissant en alliance avec le « Roi » et la « Reine » sur l’échiquier eurasien, un nouveau « match céleste » est forgé à partir du divorce de Chimerica et Eurussia …

En bref, la structure mondiale a changé et, la confiance ayant disparu, « le commerce tel que nous le connaissons ne reviendra pas, et c’est pourquoi l’inflation galopante n’est pas près d’être maîtrisée non plus… Les chaînes d’approvisionnement mondiales ne fonctionnent qu’en temps de paix, mais pas lorsque le monde est en guerre, qu’il s’agisse d’une guerre chaude ou d’une guerre économique« , note Pozsar, le principal gourou de la plomberie financière occidentale.

Aujourd’hui, nous assistons à l’implosion des longues chaînes d’approvisionnement de l’ordre mondialisé, où les entreprises partent du principe qu’elles peuvent toujours se procurer ce dont elles ont besoin, sans bouger le prix :

« Les déclencheurs ici [de l’implosion] ne sont pas un manque de liquidités et de capitaux dans les systèmes bancaires et les systèmes bancaires parallèles. Mais un manque de stocks et de protection dans le système de production mondialisé, dans lequel nous concevons chez nous et gérons depuis chez nous, mais nous nous approvisionnons, produisons et expédions tout depuis l’étranger – et où les produits de base, les usines et les flottes de navires sont dominés par des États – la Russie et la Chine – qui sont en conflit avec l’Occident » (Pozsar).

Mais le plus important est la « vue d’ensemble ». Cette interconnexion et cette confiance perdues d’avance sont celles qui – très simplement – ont permis une faible inflation (produits manufacturés chinois bon marché et énergie russe bon marché). Et de la faible inflation a découlé l’élément complémentaire des faibles taux d’intérêt. Ensemble, ces éléments constituent l’essence même du projet mondial occidental.

Pozsar explique :

« Les États-Unis sont devenus très riches en faisant de l’assouplissement quantitatif. Mais l’autorisation de l’assouplissement quantitatif est venue du régime de ‘lowflation’ rendu possible par les exportations bon marché en provenance de Russie et de Chine. Naturellement, les États-Unis, qui se trouvent au sommet de la « chaîne alimentaire » économique mondiale, ne veulent pas que le régime de « faible inflation » prenne fin, mais si la Chimère et l’Eurasie deviennent des syndicats, le régime de faible inflation devra prendre fin, point final ».

Il s’agit essentiellement des problèmes existentiels orientalistes. La Russie et la Chine, cependant, ont aussi leur propre inquiétude existentielle – distincte. Elle découle d’une source d’anxiété différente. C’est que les guerres sans fin et éternelles de l’Amérique, entreprises pour justifier son expansionnisme politique et financier prédateur ; plus, son obsession de répandre une couverture de l’OTAN enveloppant la planète entière, se termineront – inévitablement – un jour en guerre – une guerre qui deviendra nucléaire, et risquera la fin de notre planète.

Nous avons donc ici deux angoisses – toutes deux potentiellement existentielles. Et déconnectées, se croisant sans être entendues. L’Occident insiste sur le fait que l’urgence climatique est primordiale, tandis que la Russie, la Chine et les États insulaires du monde de Mackinder s’efforcent de forcer l’Occident à abandonner sa présomption de mission mondiale, sa « vision » hégémonique et son militarisme risqué (c’est nous qui soulignons, ndlr).

La question pour la Russie et la Chine est donc de savoir comment (en paraphrasant Lord Keynes) changer à court terme des attitudes à long terme, datant de plusieurs siècles, sans entrer en guerre. Cette dernière précision est particulièrement pertinente, car un hégémon qui s’affaiblit est d’autant plus enclin à se déchaîner dans la colère et la frustration.

La réponse de Lord Keynes était qu’une « frappe » à outrance sur des perceptions bien ancrées était nécessaire. Pour mener à bien cette « opération », la Russie s’est d’abord emparée du talon d’Achille d’une économie occidentale surendettée, qui consomme bien plus qu’elle ne produit, comme un moyen de frapper les perceptions ancrées par la douleur économique.

Ensuite, en s’appropriant l’urgence climatique, la Russie arrache à l’Occident l’ancienne sphère mondiale occidentale, afin de saper la perception qu’il a de lui-même – en bénéficiant d’une approbation mondiale imaginaire.

La première voie a été ouverte par l’Europe qui a imposé des sanctions à la Russie. Il est probable que le Kremlin ait largement anticipé la riposte occidentale aux sanctions lorsqu’il a décidé de lancer l’opération militaire spéciale le 24 février (il y avait, après tout, le précédent de 1998). Par conséquent, les dirigeants russes ont probablement aussi calculé que les sanctions auraient un effet boomerang sur l’Europe, imposant une misère économique d’une ampleur telle qu’elle mettrait à l’épreuve le tissu de la politique démocratique, laissant ses dirigeants face à un public en colère.

La deuxième voie a été tracée par une extension concertée de la puissance russe par le biais de partenariats asiatiques et africains sur lesquels elle établit des relations politiques – basées sur le contrôle des approvisionnements mondiaux en combustibles fossiles et d’une grande partie de la nourriture et des matières premières du monde.

Alors que l’Occident exhorte le « reste du monde » à adopter les objectifs «zéro émission nette », Poutine propose de le libérer de l’idéologie radicale de l’Occident en matière de changement climatique. L’argument russe présente également une certaine beauté esthétique : l’Occident a tourné le dos aux combustibles fossiles et prévoit de les éliminer complètement d’ici une dizaine d’années. Et il veut que vous (les pays non occidentaux) fassiez de même. Le message de la Russie à ses partenaires est le suivant : nous comprenons bien que ce n’est pas possible ; vos populations veulent de l’électricité, de l’eau potable et une industrialisation. Vous pouvez avoir du pétrole et du gaz naturel, disent-ils, et à un prix inférieur à celui que l’Europe doit payer (ce qui rend vos exportations plus compétitives).

L’axe Russie-Chine enfonce une porte ouverte. Les pays non-occidentaux pensent que l’Occident a sa grande modernité et qu’il veut maintenant détruire l’échelle qui se trouve en dessous de lui, afin que les autres ne puissent pas le rejoindre. Ils estiment que ces « objectifs » occidentaux, tels que les normes ESG (environnement, social et gouvernance), ne sont qu’une autre forme d’impérialisme économique. En outre, les valeurs d’autodétermination, d’autonomie et de non-ingérence extérieure proclamées par les non-alignés sont aujourd’hui beaucoup plus attrayantes que les valeurs occidentales « occidentales », qui ont peu d’attrait dans une grande partie du monde.

La « beauté » de ce « vol » audacieux de l’ancienne sphère occidentale réside dans le fait que les producteurs de matières premières produisent moins d’énergie tout en empochant des revenus plus élevés, et qu’ils profitent du fait que la hausse des prix des matières premières augmente la valeur des devises nationales, tandis que les consommateurs obtiennent de l’énergie et paient en devises nationales.

Et pourtant, cette approche russo-chinoise sera-t-elle suffisante pour transformer l’esprit occidental ? Un Occident meurtri commencera-t-il à écouter ? C’est possible, mais ce qui semble avoir secoué tout le monde, et qui était peut-être inattendu, c’est l’explosion de russophobie viscérale émanant de l’Europe à la suite du conflit ukrainien, et ensuite, la façon dont la propagande a été élevée à un niveau qui exclut toute « marche arrière ».

Cette métamorphose pourrait prendre beaucoup plus de temps, alors que l’Europe s’enfonce dans le rôle de province lointaine et arriérée d’une « Rome impériale » en déclin.

Vous ne connaissez pas l’Organisation de la Coopération de Shanghai ?

Eh bien c’est là que se dessine le monde de demain !

Par Jean Goychman - 16 septembre 2022
Source : Le Courrier des Stratèges.

 

L'Organisation de la Coopération de Shanghai: de quoi parlez-vous ?

La Russie, la Chine, le Kazakhstan, Kirghizistan, le Tadjikistan, le Pakistan, l'Inde, l'Ouzbékistan, l'Iran....et peut-être demain la Turquie, se réunissent régulièrement pour imaginer le monde de demain, multipolaire, où la volonté hégémonique américaine soit neutralisée. L'OCS se réunissait hier en Ouzbékistan. Non seulement la Russie en est sortie confortée géopolitiquement mais on peut être sûr que l'Union Européenne a eu tort de renoncer à sa mission de construction de la paix.

 

Ouzbékistan, la fin du modèle occidental ?

 

Dans cette période de changements profonds, certains événements paraissant -à-priori- non reliés entre eux peuvent néanmoins être des témoins, voire des balises, de ce changement qui s’opère d’une façon lente, mais continue, de la géopolitique de la planète.

La tentation est forte, pour les gens des médias, toujours en quête de titres accrocheurs, de voir dans l’actualité leur cause unique. C’est notamment le cas de la rencontre Chine-Russie qui se déroule actuellement en Ouzbékistan dans le cadre plus général du groupe de Shangaï. 

Pour la plupart des pays occidentaux, habitués à parler d’une seule voix pourvu qu’elle soit celle des États-Unis, cette rencontre répond au besoin incontournable qu’aurait la Russie de Vladimir Poutine d’obtenir le soutien de la Chine pour la guerre en Ukraine. L’interpréter ainsi, est certainement beaucoup trop réducteur et masque la partie immergée.

 

 

Des visées beaucoup plus larges.

 

Les chiffres sont simples et incontournables, même si d’aucuns aiment à les perdre de vue.

En 1970, l’Occident représentait 25% de la population mondiale et 90% du PIB mondial. Parler d’un modèle occidental se justifiait en ce sens que la richesse occidentale, due à la mise en application d’un certain nombre de concepts nés de l’après-guerre, pouvait inciter les autres pays à appliquer les mêmes concepts, qui se déclinaient sur les plans économique, financier et politique.

 

En 2022, l’Occident ne représente plus que 12,5% de l’Humanité et seulement 45% du PIB.

Entre temps, beaucoup de pays, après avoir été séduits par ce modèle, en sont revenus, souvent après en avoir été les victimes. Etait-il transposable et pouvait-il s’étendre à toute la planète ?Dans la réalité, même les pays occidentaux n’étaient pas logés à la même enseigne. Exclusivement mis en œuvre par la puissance et le rayonnement des États-Unis, il fonctionnait à sens unique.

 

 

Quels étaient les instruments de cette puissance ?

 

Le premier existait à l’état latent : C’était la monnaie américaine.

Avant guerre, la monnaie la plus utilisée dans le commerce international était la livre-sterling. Celle-ci n’était plus de taille à s’opposer au dollar lors des « accords de Bretton-Woods » de 1944. Contrairement à la livre, le dollar avait conservé, du moins en apparence, la parité-or, de façon à inspirer confiance. Mais il est apparût que cela n’était que transitoire, juste le temps de s’y habituer, mais que la puissance du dollar ne prendrait son essor que lorsque l’institution émettrice, la Réserve Fédérale, déciderait de mettre un terme à cette parité afin de pouvoir créer sans limite cette monnaie émise à partir de rien, donc sans valeur intrinsèque. 

Ceci fut réalisé en 1971.

 

On notera que c’est à partir des années 70 que nombre de banques centrales évoluèrent vers le modèle de la FED. Rendues indépendantes des pouvoirs politiques, elles ne pouvaient plus financer sans intérêts les déficits budgétaires, ce qui conduisit la plupart de ces pays à des endettements exponentiels, avec leurs cortèges de « mesures de rigueur » insupportables dans certains cas.

Mais le dollar a également une autre facette, celle d’être la monnaie « de réserve internationale ».

Pour cela, il doit être émis en quantité suffisante pour les besoins grandissants du commerce international. Et pour être émis, le dollar ne peut l’être que sur une émission de « bons du Trésor américain », c’est-à-dire de la dette américaine. Ainsi, cette dette américaine utilisée pour les besoins du commerce international est payée par ceux qui l’utilise, naturellement avec un taux d’intérêt fixé par la FED. Un tel système ne peut, à l’évidence, qu’enrichir ceux qui le maîtrisent et appauvrir les autres.

Le second attribut de cette puissance est l’armée américaine, dotée depuis 1945 de l’arme nucléaire.

Cette facilité à créer de la dette a permis au « complexe militaro-industriel », aujourd’hui partie intégrante de l’État Profond américain, de faire du budget militaire américain le plus important au monde, loin devant tous les autres.

 

 

2001, le début de la fin de l’hégémonie américaine

 

Le premier sommet de l’OCS (Organisation de Coopération de Shangaï) est né cette année là. Voici ce qu’écrit Guillaume Lagane, de la revue « Atlantico » :

« L’Organisation de coopération de Shanghaï est née dans sa forme actuelle en 2001. Elle illustre la volonté de la Chine, autour de laquelle elle a été formée, d’organiser l’Asie en écartant les Occidentaux et notamment les Etats-Unis qui venaient à l’époque d’arriver en Afghanistan. Depuis, l’OCS, qui regroupe, outre la Chine, la Russie, les puissances d’Asie centrale, l’Inde et le Pakistan s’est affirmée comme une organisation clairement dirigée contre l’Occident »

 

Depuis 2001, cette organisation s’est développée et regroupe de plus en plus de pays mus par cette même volonté et devient maintenant une véritable alliance anti-occidentale, pour rester vague, mais surtout anti Etat-Profond américain, qui a assujetti nombre d’entre eux par une dette inextinguible.

En 2003, l’épisode devant les Nations Unies des « armes de destruction massive » a considérablement affaibli le crédit américain, et les guerres successives du moyen-orient menées par l’armée américaine, sans l’aval des Nations Unies ont encore augmenté cette défiance.

 

La réunion de l’Ouzbékistan ne doit pas, à mon sens, être interprétée comme liée à la guerre en Ukraine et ceux qui scrutent au microscope les attitudes respectives, pensant pouvoir en conclure ou non un rapprochement quelconque ou un renforcement des relations entre la Chine et la Russie sur cette affaire n’en perçoivent pas toute la portée.

 

 

Le dollar, atout majeur dans la main de l’État Profond

 

 

Cette guère en Ukraine, par contre, peut jouer le rôle double d’un catalyseur et d’un accélérateur. Le véritable danger pour l’État Profond n’est pas le rapport des forces militaires, mais la perte de pouvoir du dollar. Sa force tient de son double rôle de monnaie domestique et monnaie de réserve internationale, à la condition « sine qua non » d’exercer un monopole quasi-absolu sur les échanges commerciaux. L’extra-territorialité du Droit américain en est une conséquence directe, par laquelle la Justice américaine peut exercer sa pression sur des entreprises qui n’ont souvent pas d’autre choix que de se vendre aux multinationales américaines. Ce système du dollar, que les accords de Bretton Woods avait complété par le FMI et la Banque Mondiale, ont permis de contrôler l’économie et la finance planétaire. Tous les achats de produits ou denrées à l’international devant se faire en dollars, les pays acheteurs devaient se procurer des dollars en quantité suffisante pour les faire. Et le prix d’achat était fixé par la FED, conjointement au taux d’intérêt. Lorsqu’un pays « ne filait pas droit », on faisait s’écrouler sa monnaie en l’entraînant dans la spirale de l’inflation, provoquant les troubles sociaux et la famine. Ces pays étaient obligés de recourir à l’aide du FMI et de la Banque mondiale, qui les dépossédait littéralement de leurs actifs en les condamnant à l’asservissement.

Or, ce monopole du dollar « international » est en train d’être mis à mal par la guerre en Ukraine.

 

 

Pétrole payé en roubles, la « botte secrète » de Vladimir Poutine

 

On a l’impression que les sanctions à l’encontre de la Russie ont ouvert « la boîte de Pandore »

Depuis quelques années, les transactions dans des monnaies « locales » se faisaient entre Etats, mais toute tentative de généraliser le phénomène à été « étouffé dans l’œuf » quelquefois par la force militaire. La guerre en Ukraine et les sanctions afférentes ont permis à la Russie de justifier ces transactions, du fait qu’elle n ‘avait plus accès au système SWIFT.

Or, ceci n’aurait pu prospérer sans le concours, voire la complicité, des pays acheteurs, parmi lesquels on trouve la Chine, l’Inde, l’Iran et beaucoup d’autres. Seule une partie des pays de l’Union Européenne préfère (du moins le disent-ils) se passer des produits russes plutôt que d’accepter ce paiement en roubles. Il n’échappera à personne que la plupart des pays qui ont accepté font partie du groupe de Shangaï, comme titulaires ou comme observateurs. Il faut garder présent à l’esprit que ce groupe recouvre plus de 3 milliards d’individus et, comme l’écrit Sébastien Boussois dans « La Tribune » :

 

« Aujourd’hui, l’OCS est la plus grande organisation régionale du monde. Le territoire total des pays appartenant à l’OCS dépasse 34 millions de km², soit plus de 60% du territoire du continent eurasien. La population totale des pays de l’OCS est de plus de 3 milliards de personnes, soit près de la moitié de la population mondiale. L’enjeu est donc de taille. Au total, la “grande famille de l’OCS”, qui compte 21 pays, couvre trois continents – l’Asie, l’Europe et l’Afrique. »

 

 

Une nouvelle étape est franchie

 

Cette réunion, même si elle se déroule durant la guerre russo-ukrainienne, dépasse de très loin ce cadre et confirme la volonté des participants de mettre un terme a l’hégémonie de l’État Profond américain. De nombreux indices, parmi lesquels des discours officiels de plus en plus fréquents, et surtout le projet de mise en vigueur d’une nouvelle monnaie de réserve internationale dans le cadre des BRICS, montrent clairement cette intention. La réunion d’Ouzbékistan qui a donné lieu à une prise de parole du Président chinois Xi Ling Pin, fera certainement date et marquera un tournant important de la géopolitique mondiale. Il affirme clairement être, avec la Russie, les leaders de cette opération destinée à mettre un terme à ce modèle occidental globaliste qui ne correspond pas à la vision d’une majorité des peuples, sur au moins trois continents.

Personne ne peut prédire l’avenir, mais une chose paraît néanmoins certaine, c’est qu’il y aura un avant et un après. Pour paraphraser le Général de Gaulle :

« Là où il y a une volonté, il y a un chemin » 

La rencontre des dirigeants chinois et russes injecte de la stabilité dans un monde de changement et de désordre

Cet éditorial du tabloïd officiel chinois Global Times a mis en relief la rencontre entre Xi et Poutine, mais il prend place dans un ensemble consacré à d’autres rencontres « régionales », qui concernent l’Asie centrale et la Biélorussie dans laquelle il est insisté sur la manière dont Pékin attache une grande importance à la paix et à la stabilité de l’Asie centrale alors que les USA jouent partout la déstabilisation, il n’y a pas de pacte comme dans l’OTAN, pas d’alliance contraignante contre les USA en retour, mais une volonté commune d’œuvrer pour la paix et le développement par la recherche d’avantages communs sans limitation de souveraineté et dans ce cadre la relation sino-russe s’approfondit et est la base de l’entente de tous. C’est un nouveau modèle de relations internationales que met en place cette coopération : la valeur indépendante et autonome des relations sino-russes est à la fois un résumé de l’expérience historique et une innovation dans les relations internationales. En revanche, le déclenchement du conflit russo-ukrainien est fondamentalement la conséquence de l’échec du bloc militaire et politique occidental à gérer correctement les relations d’égalité avec une puissance régionaleDanielle Bleitrach
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Dans l’après-midi du 15 septembre, heure locale, le président chinois Xi Jinping a tenu une réunion bilatérale avec le président russe Vladimir Poutine à Samarcande, en Ouzbékistan, pour échanger des points de vue sur les relations sino-russes et les questions internationales et régionales d’intérêt commun. C’est devenu une pratique courante pour les chefs d’État chinois et russes d’avoir des pourparlers bilatéraux en marge des sommets de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). Il est non seulement crucial pour le développement stable des relations bilatérales que les chefs d’État des deux pays aient des échanges de vues réguliers en personne et en profondeur, mais c’est aussi très bénéfique pour la paix et la stabilité régionales.

L’atmosphère de la réunion était aussi positive et amicale que d’habitude. Le président Xi a noté que depuis le début de cette année, la Chine et la Russie ont maintenu une communication stratégique efficace et que la Chine travaillera avec la Russie pour apporter un soutien mutuel fort sur les questions concernant les intérêts fondamentaux de l’autre et approfondir la coopération pratique dans les domaines du commerce, de l’agriculture, de la connectivité et d’autres domaines. Le président Poutine a déclaré que le monde subissait de multiples changements, mais la seule chose qui reste inchangée est l’amitié et la confiance mutuelle entre la Russie et la Chine, et le partenariat stratégique global de coordination Russie-Chine est aussi stable que le sont des montagnes. Alors que l’incertitude augmente considérablement dans le paysage international actuel, le partenariat stratégique global de coordination sino-russe pour une nouvelle ère a toujours été sur la bonne voie et n’a pas perdu de son élan.

La Chine et la Russie sont les plus grands voisins l’une de l’autre, membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et puissances émergentes. Elles partagent également une longue frontière de plus de 4000 kilomètres. Le partenariat stratégique global de coordination sino-russe pour une nouvelle ère, qui repose sur les principes de « non-alliance, non-confrontation et non-ciblage de toute tierce partie », a fait l’objet d’ingérences et de provocations de la part de tiers. Surtout après le début du conflit russo-ukrainien, les États-Unis ont tombé le masque. À partir de là, les USA ont ouvertement menacé et discrédité la coopération normale et légitime entre la Chine et la Russie. Un tel scénario est rare dans l’histoire des relations internationales.

La bonne chose est que la Chine et la Russie sont des pays dotés d’une forte détermination stratégique et d’une forte autonomie. En outre, les relations bilatérales ont une force motrice interne forte. Elles n’ont pas changé et ne changeront pas leurs intentions initiales et leur cours en raison de changements drastiques dans le modèle international ou de la pression de tiers. Elles maintiendront toujours leur propre logique et leur propre rythme. En particulier, les chefs d’État de la Chine et de la Russie entretiennent des contacts étroits et une communication stratégique de diverses manières, menant toujours les liens entre les deux pays dans la bonne direction du développement. La valeur indépendante et autonome des relations sino-russes est à la fois un résumé de l’expérience historique et une innovation dans les relations internationales.

Il est peu probable que les relations sino-russes entrent en rupture ou en confrontation comme prévu et promu par les États-Unis et l’Occident. Dans le même temps, la Chine et la Russie n’ont pas formé une soi-disant alliance anti-américaine. La Chine et la Russie se sont unies pour résister au virus politique des États-Unis et de l’Occident tout en s’opposant à l’hégémonisme. Ce sont les voix de la justice des pouvoirs indépendants en vertu de la situation internationale actuelle. Elle est entièrement différente de « l’alliance anti-américaine » à nature politique de bloc dans le contexte de l’opinion occidentale. Par sombre psychologie, les États-Unis et l’Occident tentent désespérément de « creuser un fossé » entre la Chine et la Russie, dans l’espoir de vaincre les deux successivement ; pendant ce temps, ils « lient » de force la Chine et la Russie, dans l’espoir de cibler les deux à la fois. Mais peu importe à quel point ils essaient, la Chine et la Russie ont fermement maintenu la bonne direction de « construire des partenariats au lieu d’alliances ».

Un tel choix fait par la Chine et la Russie a fait de la paix et de la coopération une puissante force d’inertie qui a une signification mondiale, en particulier aujourd’hui. Ceux qui sont mal à l’aise ou même craintifs à ce sujet devraient réfléchir et se poser des questions, plutôt que de dépenser leur énergie et leurs pensées à salir les autres. La communauté internationale peut clairement voir que les États-Unis ont renforcé ces dernières années l’alliance Five Eyes, colporté Quad, reconstitué AUKUS et tenté de créer une « version indo-pacifique de l’OTAN ». Tout cela est la force la plus destructrice du système international avec l’ONU au cœur. Le déclenchement du conflit russo-ukrainien est fondamentalement la conséquence de l’échec du bloc militaire et politique occidental à gérer correctement les relations d’égalité avec une puissance régionale.

Dans de telles circonstances, imaginez si la communauté internationale ne disposait pas d’une autre force suffisamment puissante pour réellement intervenir, équilibrer, couvrir et même inverser la situation dans le sens du maintien de la paix et de la stabilité mondiales et de la promotion de la coopération multilatérale. L’avenir de ce monde pourrait bien être tragique – une résolution complète du conflit russo-ukrainien n’est nulle part en vue, et des crises potentielles ailleurs seront déclenchées. C’est quelque chose que de nombreux pays, y compris la Chine, ne veulent pas voir et essaient d’éviter. À un certain niveau, c’est l’importance de la rencontre entre les chefs d’État de la Chine et de la Russie. Comme l’a souligné le président Xi, la Chine travaillera avec la Russie pour s’acquitter de leurs responsabilités en tant que grands pays et jouer un rôle de premier plan dans l’injection de stabilité dans un monde de changement et de désordre.

source : Histoire et Société

Les leçons de Samarcande

par Strategika 51- Le 20/09/2022.

Le Sommet du Conseil de coopération de Shanghaï de Samarcande, carrefour stratégique historique de la route de la Soie, a non seulement démontré l’émergence d’une Eurasie continentale s’étendant du Pacifique jusqu’aux confins de la Pologne rejetant plus ou moins toute forme d’hégémonie des puissances océaniques mais que le président russe Vladimir Poutine est loin d’être isolé comme l’a voulu la faction de l’État profond ayant pris le pouvoir à Washington.

Ce bloc eurasien, lequel est loin d’être soudé comme a montré la résurgence chronique des conflits frontaliers (Tadjikistan-Kirghizistan, Chine-Inde) , ressemble à celui de l’Empire mongol lors de sa phase d’extention maximale. Il rassemble près de la moitié de l’humanité, d’immenses ressources énergétiques et minières et un pourcentage très élevé de la terre ferme sur la planète. Il converge dans son refus d’un monde unipolaire qui a lamentablement échoué et appelle à l’émergence d’un monde multipolaire et multilatéral loin de toute mentalité hégémonique ou totalitariste.

Cette approche peut être naïve et pour le moins réductrice tant la réalité est bien plus complexe. Cette réalité enseigne pourtant à des élites de pays aux intérêts fort divergents qu’ils ont plus intérêt à s’unir contre ce qu’ils perçoivent comme une fuite en avant suicidaire des puissances océaniques et les coteries financières qui se cachent derrière ces puissances hégémoniques. Le combat est avant tout économique et l’enjeu principal est la mise à mort d’un système économique mondial à bout de souffle basé sur une immense fraude et une spéculation sans limites. Au-delà des déclarations d’intention, l’enjeu de la guerre mondiale hybride en cours est la dé-dollarisation de l’économie mondiale et la fin du monopole exclusif du cyberespace par une seule puissance.

Le dirigeant chinois Xi Jinping a appelé à faire face aux révolutions colorées et autres formes de guerre hybride visant des gouvernements de pays classés comme hostiles par la paranoïa des puissances océaniques. Pour les Chinois, comme spécifié par un éditorial édifiant à ce propos du Global Times, l’Occident collectif est incapable de percevoir le monde au delà de son prisme paranoïaque et compétitif. Tout y est perçu comme rivalité, compétition et guerre et donc comme une menace à adresser et traiter par la guerre et l’affrontement. Pour Vladimir Poutine, les élites de l’Occident collectif sont tellement engluées dans une mentalité et même une philosophie coloniale qu’elles sont incapables de voir le monde tel qu’il est et continuent à vivre dans un mythe fallacieux et artificiel. Pour le président russe, ces élites se sont habituées à vivre au dépens d’autrui et ne peuvent imaginer un monde pouvant fonctionner autrement.

La guerre en Europe orientale importe peu dans cette grande stratégie. Il s’agit d’un front parmi tant d’autres, ouvert suite à l’expansion inexorable de l’OTAN vers l’est en Eurasie. Paradoxalement même le dirigeant d’un pays clé de cette alliance militaire offensive qu’est la Turquie a compris les enjeux réels et joue des coudes pour se faire une « place au soleil » selon l’expression d’un ex-Premier ministre israélien assassiné.

Le conflit en Ukraine n’est qu’un seul parmi une dizaine en cours de préparation. La géopolitique de l’Ukraine est terriblement complexe et compliquée d’un point de vue historique. C’est un territoire artificiel qui a joué un rôle hautement déstabilisateur dans l’histoire de la Russie tsariste et la Pologne puis dans celle de l’ex-URSS jusqu’à son démantèlement. L’idée de création d’une anti-Russie dans ce territoire fort riche ne date pas d’aujourd’hui mais remonte aux années 50. La guerre en Ukraine aurait pu être évitée sans interférence étrangère mais sa transformation en pion sacrificiel de la guerre mondiale hybride pour abattre la Russie, objectif secondaire, afin de préparer le terrain à une confrontation finale avec la Chine, objectif prioritaire, a créé une situation dans laquelle il y a très peu d’options de sortie de crise sans altération significative des cartes géopolitiques. L’implantation en masse de toutes les armées privées du monde dans ce pays confirme la régression du concept des armées régulières nationales et la montée en puissance des mercenaires. Les armées nationales sont de facto de plus en plus inadaptées aux nouvelles formes de conflit impliquant un usage croissant de ce que l’on pourrait appeler la guérilla mécanotronique (drones kamikazes, drones terrestres, mines intelligentes et drones d’attaque).

C’est une nouvelle évolution semblable à celle ayant succédé à l’invention des armes à feu et à la prédominance des gens à pied (l’infanterie) sur les gens à cheval (cavalerie) dès le XVIe siècle dans un monde où l’hégémonie d’un empire déclinant qui se traduit par la ruine de son système politique basé sur le simulacre et la répression de plus en plus flagrante des libertés se heurte à celle de puissances émergentes aux intérêts divergents mais que l’agressivité de l’hegemon a mis en alerte. La mondialisation n’était en fin de compte qu’une ruse de guerre cachant une nouvelle féodalité avec nouveaux seigneurs, suzerains et une multitude de serfs et autres lansquenets corvéables à merci dans un système économique basé sur des monnaies fiduciaires manipulées et produites à volonté par les puissants. Cette globalisation était en fait une occidentalisation du monde et il est tout à fait significatif qu’elle fut utilisée comme instrument pour geler le cours de l’histoire avec le triomphe définitif de l’Empire comme l’illustre à la fois la fin de la dystopie fictive de 1984, écrit par Éric Blair, alias George Orwell, un espion du Mi-6 et « La fin de l’histoire » de Francis Fukuyama, un idéologue de la CIA. Le seul hic est que l’histoire est toujours en marche, vers le pire suivant le principe universel d’entropie, ou vers le meilleur suivant l’utopie née de l’esprit humain tentant de façonner un réel conforme à l’idée mais dont la complexité intrinsèque lui échappe depuis au moins 8000 ans.

Samarcande, le centre du monde ancien, est devenu à nouveau le centre du nouveau monde qui s’annonce. La bataille sera rude. Des pays disparaîtront de la carte et des régions entières du monde seront affectées. C’est le prix à payer pour se débarrasser d’un « système » imposé sur l’ensemble du monde pour le bénéfice d’une infime minorité qui dirige le monde en coulisse. La principale leçon de Samarcande est que les « autocrates » asiates et eurasiens ont décidé de lutter contre les marionnettistes totalitaires, bellicistes et tyranniques cachés dans l’ombre d’un théâtre factice. Le reste n’est que des notes de bas de page dans le grand livre de l’histoire du monde.

source : Strategika 51

illustration : Un monde nouveau s’est démarqué à Samarcande : le président russe Vladimir Poutine est entouré des chefs d’États de près de la moitié de l’humanité. À noter la proximité du président turc Reçep Erdogan avec son homologue azéri Ilham Aliev, la présence du président iranien Raissi dont la pays a intégré le Conseil, celui du président biélorusse Loukachenko, le Premier ministre pakistanais, les présidents de l’Ouzbékistan, du Kirghizistan, du Tadjikistan, du Kazakhstan, de la Mongolie et le Premier ministre indien. 

L’ordre mondial a déjà basculé en 2022

...par Thierry Meyssan - Le 10/01/2023.

 

C’est une constante de l’Histoire : les changements sont rares, mais soudains. Ceux qui en font les frais sont généralement les derniers à les voir venir. Ils ne les perçoivent que trop tard. Contrairement à l’image statique qui règne en Occident, les relations internationales ont été bouleversées en 2022, principalement au détriment des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France, souvent au profit de la Chine et de la Russie. Les yeux rivés sur l’Ukraine, les Occidentaux ne perçoivent pas la redistribution des cartes.

Source : RzO Voltaire.

Il est rare que les relations internationales soient bouleversées comme elles l’ont été en 2022. Et ce n’est pas fini. Le processus qui a débuté ne s’arrêtera pas, même si des événements viennent le perturber et éventuellement l’interrompre quelques années. La domination de l’Occident, c’est-à-dire à la fois des États-Unis et des anciennes puissances coloniales européennes (principalement le Royaume-Uni, la France et l’Espagne) et asiatique (le Japon), touche à sa fin. Plus personne n’obéit à un chef, y compris les États qui restent vassaux de Washington. Chacun commence désormais à penser par lui-même. Nous ne sommes pas encore dans le monde multipolaire que la Russie et la Chine tentent de faire émerger, mais nous le voyons se construire.

Tout a commencé avec l’opération militaire russe pour faire appliquer la résolution 2202 du Conseil de Sécurité et protéger la population ukrainienne dans son ensemble de son gouvernement « nationaliste intégral ». Certes, cet événement n’est pas du tout celui qui est perçu aux États-Unis, dans l’Union européenne, en Australie et au Japon. Les Occidentaux sont persuadés que la Russie a envahi l’Ukraine pour en changer les frontières par la force. Pourtant ce n’est ni ce qu’a annoncé le président Vladimir Poutine, ni ce que l’armée russe a fait, ni la manière dont les événements se sont déroulés.

Laissons de côté la question de savoir qui a tort et qui a raison. Tout dépend de savoir si l’on a conscience de la guerre civile qui déchirait l’Ukraine depuis la déposition de son président démocratiquement élu, Viktor Ianoukovytch, en 2014. Les Occidentaux oubliant les 20 000 morts de cette guerre ne peuvent pas envisager que les Russes ont voulu stopper ce massacre. Comme ils ignorent les accords de Minsk, dont pourtant l’Allemagne et la France s’étaient portées garantes aux côtés de la Russie, ils ne peuvent envisager que la Russie ait mis en pratique la « responsabilité de protéger » que les Nations unies ont proclamé en 2005.

Pourtant l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel [1] et l’ancien président français François Hollande [2] ont tous deux publiquement affirmé qu’ils avaient signé les Accords de Minsk, non pas pour mettre fin à la guerre civile, mais au contraire pour gagner du temps et armer l’Ukraine. Ces deux personnalités se félicitent d’avoir piégé la Russie tout en l’accusant de porter seule la responsabilité de la guerre actuelle. Il n’est pas surprenant que ces deux anciens gouvernants s’enorgueillissent de leur duplicité devant leurs opinions publiques, toutefois leurs propos entendus dans d’autres régions du monde sonnent différemment. Pour la majorité de l’Humanité, les Occidentaux se montrent sous leur vrai jour : ils tentent toujours de diviser le reste du monde et de piéger ceux qui veulent être indépendants ; ils parlent de paix, mais fomentent des guerres.

Il est faux d’imaginer que le plus fort veut toujours imposer sa volonté aux autres. Cette attitude occidentale n’est que rarement partagée par les autres humains. La coopération a fait ses preuves bien plus que l’exploitation et les révolutions qu’elle suscite. C’est le message que les Chinois ont tenté de propager en évoquant des relations « gagnant-gagnant ». Il ne s’agissait pas pour eux de parler de relations commerciales équitables, mais de faire référence à la manière dont gouvernaient les empereurs de Chine : lorsqu’un empereur promulguait un décret, il devait veiller a être suivi par les gouverneurs de chaque province, y compris par ceux qui n’étaient pas concernés par cette décision. Il montrait à ces derniers qu’il ne les avaient pas oubliés en leur offrant à chacun un présent.

En dix mois, le reste du monde, c’est-à-dire son écrasante majorité, a ouvert les yeux. Si, le 13 octobre, ils étaient 143 États à suivre la narration occidentale et à condamner l’« agression » russe [3], ils ne seraient plus majoritaires à l’Assemblée générale des Nations unies à voter ainsi aujourd’hui. Le vote, le 30 décembre, d’une résolution demandant au tribunal interne de l’Onu, la Cour internationale de Justice, de déclarer l’occupation des Territoires palestiniens par Israël d’« occupation » en est la preuve. L’Assemblée générale ne se résigne plus devant le désordre occidental du monde.

11 États africains, jusque là dans l’orbite de la France, ont fait appel à l’armée russe ou à une société militaire privée russe pour assurer leur sécurité. Ils ne croient plus dans la sincérité de la France et des États-Unis. D’autres encore sont conscients que la protection occidentale contre les jihadistes va de pair avec le soutien occulte des Occidentaux aux jihadistes. Ils s’inquiètent publiquement du transfert massif d’armes destinées à l’Ukraine vers les jihadistes du Sahel ou vers Boko Haram [4] au point que le département US de la Défense a désigné une mission de suivi pour vérifier ce que deviennent les armes destinées à l’Ukraine ; une manière comme une autre pour enterrer le problème et prévenir une immixtion du Congrès dans ces sombres manigances.

Au Moyen-Orient, la Turquie, membre de l’Otan, joue un jeu subtil à mi-chemin entre son allié US et son partenaire russe. Ankara a compris depuis longtemps qu’il n’intégrerait jamais l’Union européenne et, plus récemment, qu’il n’était pas plus attendu pour restaurer son empire sur les Arabes. Il se tourne donc vers les États européens (comme les Bulgares, les Hongrois et les Kosovars) et asiatiques (comme l’Azerbaïdjan, le Turkménistan, l’Ouzbekistan, le Kazakhstan et le Kirgizistan) de culture turque (et non pas de langue turque comme les Ouigours chinois). Du coup, Ankara se réconcilie avec Damas et se prépare à quitter l’Ouest pour l’Est.

L’arrivée de la Chine dans le Golfe, à l’occasion du sommet de Riyad, a renversé la table dans cette région du monde. Les États arabes ont vu que Beijing était raisonnable, qu’il les aidait à faire la paix avec leurs voisins perses. Pourtant l’Iran est un allié millénaire de la Chine, mais celle-ci le défend sans lui laisser passer ses excès. Ils ont mesuré la différence avec les Occidentaux qui, au contraire, n’ont eu de cesse depuis 1979 de les diviser et de les opposer.

L’Inde et l’Iran mettent les bouchées doubles avec la Russie pour édifier un couloir de transport qui leur permette d’échanger malgré la guerre économique occidentale (présentée en Occident comme des « sanctions », bien que celles-ci soient illégales en Droit international). Déjà Mumbai est relié au Sud de la Russie et bientôt à Moscou et à Saint-Petersbourg. Cela rend la Russie et la Chine complémentaires. Beijing construit en Eurasie des routes de l’Est à l’Ouest, Moscou selon les longitudes.

La Chine, pour qui cette guerre est une catastrophe qui perturbe ses plans de construction des routes de la soie, n’a jamais adhéré à la narration occidentale. Elle est une ancienne victime de la Russie qui, au XIX° siècle, a participé à l’occupation de Tianjin et de Wuhan (Hankou), mais elle sait que les Occidentaux feront tout pour les exploiter toutes les deux. Elle se remémore son occupation passée pour avoir conscience que son destin est lié à celui de la Russie. Elle ne comprend pas grand chose aux affaires ukrainiennes, mais sait que sa vision de l’organisation des relations internationales ne pourra voir le jour que si la Russie triomphe. Elle n’a donc aucune envie de se battre aux côtés de la Russie, mais interviendra si celle-ci est menacée.

Cette réorientation du monde est très visible dans les institutions gouvernementales. Les Occidentaux ont humilié la Russie au Conseil de l’Europe jusqu’à ce que Moscou le quitte. À leur grande surprise, la Russie ne s’en tient pas là. Elle quitte un à un tous les accords conclus au sein du Conseil de l’Europe, dans toutes sortes de domaines, du Sport à la Culture. Les Occidentaux réalisent soudain qu’ils se sont privés d’un partenaire généreux et cultivé.

Elle devrait se poursuivre dans toutes les autres organisations intergouvernementales, à commencer par les Nations unies. C’est une vieille histoire des relations occidentalo-russes qui remonte à l’exclusion de Moscou de la Société des Nations, en 1939. À l’époque, les Soviétiques inquiets d’une possible attaque nazie contre Léningrad (Saint-Petersbourg) demandèrent à la Finlande de pouvoir louer le port d’Hanko, cependant les négociations trainant en longueur, ils envahirent la Finlande, non pas pour l’annexer, mais pour placer leur marine à Hanko. Ce précédent est enseigné aujourd’hui comme un exemple de l’impérialisme russe alors que le président finlandais Urho Kekkonen a lui-même reconnu que l’attitude des Soviétiques était « compréhensible ».

Revenons aux Nations unies. Exclure la Russie ne pourrait être possible qu’après avoir fait adopter une réforme de la Charte par l’Assemblée générale. C’était possible en octobre, mais plus aujourd’hui. Ce projet s’accompagne d’une réinterprétation de l’histoire et de la nature de l’Onu.

On assure qu’adhérer à l’Organisation interdit la guerre. C’est une absurdité. Adhérer à l’Onu oblige à « maintenir la paix et la sécurité internationales », mais les hommes étant ce qu’ils sont, autorise à faire usage de la force dans certaines conditions. Parfois même, cette autorisation devient une obligation en vertu de la « responsabilité de protéger ». C’est très exactement ce que fait la Russie pour les populations du Donbass et de la Novorussia. Notez bien que Moscou n’est pas aveugle et a fait marche arrière en ce qui concerne la rive droite (partie Nord) de la ville de Kershon. L’état-major russe s’est replié derrière une frontière naturelle, le fleuve Dniepr, considérant impossible de défendre l’autre partie de la ville face aux armées occidentales et ceci alors que la population de l’ensemble de la ville avait demandé par référendum son adhésion à la Fédération de Russie. Il n’y a jamais eu de défaite russe à Kershon, mais cela n’empêche pas les Occidentaux de parler de sa « reconquête » par le régime Zelensky.

Surtout, on obscurcit le fonctionnement de l’Onu en remettant en question le directoire du Conseil de Sécurité. Lorsque l’Organisation a été fondée, il s’agissait de reconnaître l’égalité entre chaque État au sein de l’Assemblée générale et de donner aux grandes puissances de l’époque la capacité de prévenir des conflits au sein du Conseil de Sécurité. Celui-ci n’est pas le lieu de la démocratie, mais du consensus : aucune décision ne peut y être prise sans l’accord de chacun de ses cinq membres permanents. On feint de s’étonner de ne pas pouvoir y condamner la Russie, mais s’est-on étonné de ne pas y avoir condamné les États-Unis, le Royaume-Uni et parfois la France pour leurs guerres illégales au Kosovo, en Afghanistan, en Iraq et en Libye ? Sans droit de veto, l’Onu deviendra une assemblée absolument inefficace. Pourtant cette idée fait son chemin en Occident.

Au demeurant, il serait absurde de penser que la Chine, première puissance commerciale du monde, restera dans une Onu dont la Russie, première puissance militaire mondiale, aurait été exclue. Beijing ne jouera pas la caution à une opération contre son allié, tant il est persuadé que sa mort sera le prélude de la sienne. C’est pourquoi les Russes et les Chinois préparent d’autres institutions qu’ils ne manifesteront que si l’Onu est dénaturée, si elle se transforme en une assemblée monochrome et perd ainsi sa capacité de prévenir des conflits.

Nous percevons que la seule issue possible est que les Occidentaux acceptent de n’être que ce qu’ils sont. Mais, pour le moment, ils n’en sont pas capables. Ils déforment la réalité en espèrent maintenir leurs siècles d’hégémonie. Ce jeu est terminé à la fois parce qu’ils sont fatigués et surtout parce que le reste du monde s’est transformé.

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