Bourde de la diplomatie française au 17ème sommet de la Francophonie
Article proposé par le Gal. Dominique Delawarde - le 14/10/2018.
Bonjour,
Encore un article très éclairant concernant l'Afrique et la Francophonie signé Leslie Varenne et publié sur IVERIS
(Institut de Veille et d'Etude des Relations Internationales et Stratégiques).
Leslie Varenne est directrice et cofondatrice de cet Institut. Elle est une spécialiste reconnue de l'Afrique. Voir
son CV :
Dans ce court article, dont le lien est donné ci après, Leslie Varenne analyse sans concession ce qu'elle qualifie de
"bourde de la diplomatie française" au 17ème sommet de la Francophonie le 12 Octobre à Erevan.
Le 5 octobre dernier, Denis Mukwege reçoit le prix Nobel de la Paix, c’est une grande nouvelle, c’est une bonne nouvelle. Ce médecin congolais est trop souvent
réduit à son activité de gynécologue : « l’homme qui répare les femmes », alors que son action s’inscrit dans un contexte plus large, celui de la reconstruction des
blessés d’une guerre qui se déroule dans l’Est du Congo depuis 24 ans. Ce prix est donc une reconnaissance, certes tardive, de toutes les victimes de la République Démocratique du Congo (RDC), ce
pays dont la chair est à vif depuis de trop longues années. Mais les jours se suivent et ne se ressemblent pas.
Le 12 octobre, Louise Mushikiwabo, ministre des Affaires Etrangères du Rwanda, de décembre 2009 à octobre 2018, est nommée à la tête de l’Organisation
Internationale de la Francophonie (OIF). Cette désignation est une gifle infligée à tous les Congolais. Personne n’ignore ou ne peut ignorer, il suffit de lire les rapports de l’ONU, le rôle
central qu’a joué et que joue encore le Rwanda dans la déstabilisation et les crimes perpétrés en RDC. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que d’offrir le siège de la francophonie
à un petit Etat, devenu anglophone, en insultant le plus grand pays francophone au monde (la RDC compte 80 millions d’habitants).
Mais cet affront ne concerne pas uniquement les Congolais, il touche également tous les Africains avides d’alternance, de liberté et de développement. Comment expliquer une telle bourde de la diplomatie française qui a œuvré à cette nomination ? Sûrement pas par l’exemplarité supposée de Kigali en matière de droits
de femmes ou de nouvelles technologies, comme Emmanuel Macron le déclare à l’envi.
Paul Kagamé et Louise Mushikiwabo à Erevan
Comment jeter de l’huile sur le feu…
L’élection présidentielle en RDC devrait enfin se tenir le 23 décembre prochain, après avoir connue deux reports en 2016 et 2017. Ce pays est en état de crise
pré-électorale depuis plus de deux ans et vivra à coup sûr une crise post-électorale. Par conséquent, à un moment crucial de l’histoire du Congo, il y aura deux Rwandais à la tête de deux
institutions majeures, Paul Kagamé, président de l’Union Africaine jusqu’au 28 janvier 2019, et son ancienne et fidèle ministre des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo à la tête de la
Francophonie.
Depuis que le soutien du Président français à Louise Mushikiwabo a été connu, tous les observateurs se sont grattés la tête et perdus en conjoncture. Mais comment
donner du sens à ce qui n’en a pas ? Tellement de facteurs militaient en la défaveur d’une candidature rwandaise : la langue française n’est plus officielle depuis 2008 ; ce pays est entré
dans le Commonwealth en 2009 ; les rapports entre Kigali et Paris sont si mauvais depuis 1994 qu’il n’y a plus d’ambassade française dans la capitale rwandaise ; Paul Kagamé et sa
ministre des Affaires étrangères n’ont jamais cessé de vilipender la France (4). Sans évoquer évidemment les fameuses « valeurs universelles » qui ne sont que des
éléments de langage lors de discours officiels, elles ne se matérialisent que très rarement et seulement dans des formes à géométrie variable. Quant à l’OIF, ses observateurs ont toujours validé
les scrutins truqués, conforté les autocrates en place, etc.
Selon les discours officiels, il s’agissait de redonner le secrétariat général de la francophonie à une Africaine (5). Cela revient à donner le coup de
pied de l’âne à François Hollande qui avait imposé la Canadienne, Michaëlle Jean, à la tête de l’OIF en 2014, ce qui était indubitablement une erreur. Mais est-ce à dire que sur les 21 pays
africains dont la langue officielle est le français et sur les 316 millions de personnes qui composent ces Etats, il n’y avait aucune candidature crédible ? Qui peut le croire ?
Selon le magazine
Jeune Afrique, l’Elysée aurait fait un double calcul (6). D’une part, l’état des relations entre Paris et Kigali est tel « qu’on ne peut soupçonner Paul Kagamé d’avoir fait
allégeance à la France », ainsi « soutenir une Rwandaise reviendrait à rompre avec la FranceAfrique » ! D’autre part, un coup de pouce en faveur du Rwanda
permettrait d’améliorer les relations bilatérales. Compte tenu des enjeux, la petitesse de ces arguments est désarmante. Par ailleurs, l’intense lobbying de
Paris pour soutenir Louise Mushikiwabo montre que les vieilles pratiques sont toujours en vigueur et rien ne dit que Kigali renverra l’ascenseur.
L’autre argument qui consiste à faire croire que les Africains ont choisi la candidature rwandaise est tout aussi fallacieux. D’une part, l’UA a validé ce choix
sous la présidence de Paul Kagamé, d’autre part, certains chefs d’Etats ont bien compris leurs intérêts. Certes, l’OIF n’a jamais été un poil à gratter pour les autocrates, mais elle ne risque
plus de l’être. Est-ce que l’ex-ministre de Paul Kagamé pourrait se permettre de tancer ceux qui changent leur constitution pour rester au pouvoir, alors que le président Rwandais l’a fait et
s’est donné les moyens d’être un chef d’Etat à vie ?
Depuis l’annonce de l’adoubement de Louise Mushikiwabo à Erevan, le téléphone sonne, des appels en provenance de plusieurs pays d’Afrique francophone avec au bout
du sans fil, toujours les mêmes questions incrédules : « Il se passe quoi chez vous ? » « Vous avez perdu la
tête ? », « Emmanuel Macron veut-il faire comme Kagamé, mettre en avant l’anglais et reléguer le français ?». Bien que le sommet
d’Erevan ait été beaucoup commenté, nul ne sait vraiment pourquoi le président français a pris cette décision. Il s’agit vraisemblablement de la pression de lobbys pro-Kagamé chargés de ripoliner
l’image du président rwandais affaibli par les dernières révélations de l’ouvrage de Judi Rever sur son rôle dans le génocide et les dernières
preuves rapportées par le professeur Filip Reyntjens sur l’origine des missiles ayant abattu l’avion de l’ancien président rwandais, Juvenal Habaryama (11). Etrange concomitance des
temps, la veille de la consécration de Louise Mushikiwabo, le
Parquet de Paris a requis un non-lieu dans l’instruction judiciaire sur l’attentat contre l’avion de Juvénal Habyarimana. Un non-lieu réclamé depuis 2006 par Paul Kagamé. Ces détestables petits arrangements entre amis ne servent ni la cause de la Francophonie, ni celle de l’Afrique.
Les conséquences de cette nomination se feront sentir pendant quatre ans. L’OIF, déjà mal en point, est durablement affaiblie. Toutes les décisions prises par cette
organisation politique seront désormais discréditées, ce n’est plus la Francophonie qui parlera mais la voix du Rwanda et elle sera inaudible lorsqu’il faudra prendre des positions sur
les prisonniers politiques ou sur la liberté de la presse, par exemple (12). Si la France voulait desservir ses intérêts, elle ne s’y serait pas prise
autrement. Le ressentiment anti-français culmine sur le continent depuis quelques années déjà (13). Avec cette décision, elle s’est encore aliénée une grande partie des opinions publiques,
dont plus de 80 millions de Congolais. Il fallait le faire…
(3) Le Rwanda a toujours bénéficié de la sollicitude des grandes puissances et n'a jamais été inquiété pour les horreurs commises et elles perdurent comme le soulignait la
journaliste indépendante, Judi Rever, dans un entretien à l’IVERIS : « Depuis la création du Tribunal Pénal International en 2002, les enquêteurs ont suffisamment de preuves pour
inculper Kigali pour avoir créé, formé et armé les milices tutsi (le RCD, le CNDP et le M23) qui ont commis des pires atrocités contre les Congolais - Maintenant on constate que les anciens
combattants tutsi et leurs milices agissent dans l’ombre au Kasaï et à Beni où le conflit fait rage.»
https://www.iveris.eu/list/entretiens/329-in_praise_of_blood
Rwanda : raison d’Etat ou nouvelle humiliation nationale ?
...par Bernard Lugan - le 14/10/2018.
L’affaire serait cocasse si elle n’était le révélateur du niveau d’abaissement de la France. Lors du sommet de l’OIF (Organisation internationale de la
Francophonie) qui vient de se tenir en Arménie, le président Macron a, de son propre chef, fait élire une nouvelle présidente en la personne de Louise Mushikiwabo, ministre rwandaise des Affaires
étrangères, une habituée des virulentes et continuelles attaques contre la France.
Voilà donc cet organisme désormais présidé par la représentante d’un pays dont le gouvernement a rasé au bulldozer le centre culturel français à Kigali, un pays qui
a déclassé le français au profit de l’anglais, un pays qui, si l’on en croit la presse, ne cotisait plus à l’OIF, un pays qui n’a cessé de traiter de génocidaires ou de complices de génocide, le
président Mitterrand et ses ministres, ainsi que MM. Balladur et Juppé ; un pays enfin qui a menacé de traîner en justice plusieurs dizaines d’officiers et de hauts fonctionnaires
français…
La raison d’Etat a certes ses impératifs, mais certainement pas au prix d’une nouvelle humiliation nationale.
D’autant plus qu’au même moment, un vice-procureur du Parquet anti-terroriste français signait une insolite réquisition aux fins de non-lieu dans l’affaire de
l’assassinat, le 6 avril 1994, de deux chefs d’Etat en exercice, celui du Rwanda et celui du Burundi, assassinat qui fut le déclencheur du génocide du Rwanda.
Or, il est essentiel de savoir que cette réquisition fut prise trois mois après que les magistrats instructeurs eurent eu communication d’un document exclusif
émanant du TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda). Il s’agit d’un rapport jusque-là gardé secret par le Procureur de ce tribunal, dans lequel ses propres enquêteurs désignent le
président Kagamé comme étant le donneur d’ordre de l’assassinat de son prédécesseur Juvénal Habyrimana, meurtre qui, rappelons-le, déclencha le génocide du Rwanda.
Ce rapport confirmait trois autres enquêtes indépendantes qui concluaient toutes à la culpabilité de Paul Kagamé dans l’attentat contre l’avion du président
Habyarimana, à savoir le « Rapport Hourigan », l’enquête française du juge Bruguière et l’enquête espagnole du juge Merelles.
Puis, venant à l’appui de ce rapport, le 10 octobre 2018, le journal canadien The Globe and Mailrévéla, sous le titre « New information supports claims
Kagame forces were involved in assassination that sparked Rwandan genocide », qu’au terme d’une enquête rocambolesque, le professeur belge Filip Reyntjens avait réussi à se procurer, preuves
photographiques à l’appui, les numéros de série des 40 missiles sol-air livrés par l’URSS à l’Ouganda, pays soutenant Paul Kagamé, ce dernier ayant précédemment été officier des services secrets
ougandais. Or, les numéros des deux missiles ayant abattu l’avion du président Habyarimana sont de la même série[1]...
Ces documents seront sans nul doute communiqués à la justice française et aux parties civiles, ce qui fait que la réquisition de non-lieu va être fortement
contestée sur ce point et sur bien d’autres. Il va donc être « difficile » aux magistrats instructeurs de suivre les demandes du vice-procureur Ranucci.
D’autant plus que ce dernier accumule les erreurs et les contre-vérités. Ainsi, page 92 de sa réquisition, il écrit, contre toute évidence et contre tout ce que
contient le dossier, et cela le jour même où le Globe and Mail publiait une nouvelle preuve de la possession par le FPR de Paul Kagamé des missiles utilisés le jour de l’attentat :
« Les investigations menées n’ont pas établi de manière formelle que l’APR (l’armée de Paul Kagamé) disposait en 1994 de missiles sol-air ».
Une justice indépendante ne pourra donc que balayer ce réquisitoire aux fins de non-lieu qui ressemble fortement à un mémoire en défense.
Plusieurs chercheurs anglo-saxons menant actuellement des recherches détaillées, l’on peut donc s’attendre à d’autres révélations. Le tribunal de l’Histoire sera
finalement le juge ultime, et du commanditaire du crime, et des tentatives diverses d’étouffement de l’enquête.
Bernard Lugan
[1] Dans son numéro de novembre que les abonnés recevront le 1er novembre,
l’Afrique Réelle reviendra longuement sur ces deux documents. Pour l’état des connaissances voir mon livre
« Rwanda, un génocide en
questions »…