Emmanuel Macron en plein meeting durant le grand débat national, à Etang-sur-Arroux le 7 février 2019.
Entre la plateforme officielle en ligne ouverte aux anonymes (volontairement ?), ses questionnaires orientés ou les meetings d'Emmanuel Macron ressemblant davantage à une pré-campagne, le
grand débat ne sert-il pas avant tout à divertir le peuple ?
Le grand débat national lancé par le président de la République et le gouvernement est d'ores et déjà un succès pour ses organisateurs. Peu importe la mobilisation hebdomadaire des Gilets jaunes, que les réponses apportées à la crise sociale le 11 décembre par le président semblent davantage satisfaire le patronat ou que le pouvoir d'achat continue de baisser (selon l'association UFC-Que Choisir dans son numéro de février). Non, selon le gouvernement et la secrétaire d'Etat auprès
de la Transition écologique et solidaire Emmanuelle Wargon, qui s'exprimait sur BFM
TV le 15 février, les 6 000 réunions locales et les 860 000 contributions en ligne sur le site montrent qu'il y aurait un engouement autour du grand débat. Toutefois, à regarder
de plus près, le gouvernement ne tenterait-il pas de duper les citoyens avec des chiffres manipulables et la direction bien particulière donnée au débat ?
Une plateforme internet potentiellement parasitée par les activistes anonymes et trolls ?
La plateforme en ligne, créée par le gouvernement, permet à n'importe quel citoyen de répondre aux questionnaires et de déposer des contributions sur quatre thèmes : la transition
écologique, la fiscalité et les dépenses publiques, la démocratie et la citoyenneté et l'organisation de l'État et des services publics. Un simple courriel suffit pour effectuer ces
démarches. La plateforme officielle ne demande aucune vérification sur l'identité de l'auteur (vérification d'une pièce d'identité en ligne par exemple).
Un militant politique proactif (à l'image des anonymes pro-Macron sur Twitter) ou un troll pourrait donc créer autant d'e-mails qu'il le souhaite, répondre ainsi aux questionnaires et déposer des
contributions. Ironique lorsque Emmanuel Macron plaide,
dans le même temps, pour la levée de l'anonymat sur internet, le secrétaire d'Etat chargé du Numérique Mounir Mahjoubi évoquant même le 13 février sur France Inter la levée de l'anonymat
pour les dispositifs de démocratie participative en ligne...
Nous avons fait le test. Nous avons créé deux faux comptes, avec deux e-mails que nous avons spécialement créés pour cet article. Nous avons pu déposer deux contributions avec un titre
légèrement modifié («la nécessaire dépense publique» et «nécessaire dépense publique») et les mêmes mots.
Nos deux contributions ont pu être publiées. Pour contrer le léger filtre, nous avons supprimé un mot dans le titre de l'une d'entre elle.
Ainsi nos deux pseudos, Jean Tourloupe et Jesus Christ, ont pu sans encombre passer les éventuels filtres (s'il en existe réellement). Sur les 860 000 contributions en ligne annoncées par
Emmanuelle Wargon, combien pourraient ainsi être le fait d'anonymes politisés proactifs qui usent du site pour le submerger à des fins de récupération politique ? Des activistes,
macronistes ou non, pourraient en effet vouloir inonder le site de contributions, soit pour donner l'apparence d'un engouement des Français, soit pour orienter le débat. Un simple clic
sur l'un des thèmes permet d'ailleurs de constater que la plupart des contributions en ligne sont l’œuvre de pseudos...
Si le gouvernement a déjà assuré qu'il ne changerait pas de cap politique à l'issue du grand débat le 15 mars (ce qui constitue, en soi, un paradoxe sur l'utilité même d'un débat), l'exécutif ne sait
pas comment il procédera pour tout analyser. Il laissera d'abord cet
exercice périlleux à l'institut de sondage privé OpinionWay. Mais comment, ensuite, le gouvernement pourra-t-il s'assurer que la synthèse numérique est bien le reflet des
positions de l'ensemble des citoyens contributeurs et non de celles de trolls ou de faux comptes ?
L'illusion d'une écoute des doléances
La plateforme est d'ailleurs assimilable à un pot-pourri au sein duquel les contributions s'entassent, le citoyen pouvant difficilement avoir une visibilité sur l'orientation politique de
celles-ci (nombreuses n'ont pas de titre explicite), ou sur leur éventuel succès auprès des lecteurs (les internautes ne peuvent ni réagir, ni commenter, ni voir celles qui ont
suscité le plus de lectures).
Par ailleurs, les questionnaires sont clairement orientés pour convaincre les participants au grand débat national du bien-fondé de la politique menée actuellement par la
majorité. Exemple édifiant : «Afin de baisser les impôts et réduire la dette, quelles dépenses publiques faut-il réduire en priorité ?». Premièrement, la question est biaisée. Elle
part du constat que la dette doit être réduite et que cette réduction doit passer par une baisse des impôts. Or, tout un courant de pensée économique néo-keynésien pense que, lors des
périodes de stagnation ou dépression économique, l'Etat doit justement s'endetter pour permettre la relance économique.
Les réponses sont là aussi définies, sans marge de manœuvre pour l'internaute qui doit choisir entre quatre propositions : «les dépenses de l'Etat, les dépenses sociales, les
dépenses des collectivités territoriales, "je ne sais pas"». Or, quid par exemple de la traque contre la fraude fiscale (estimée à 100 milliards d'euros d'après le rapport établi par le syndicat Solidaires-Finances publiques) ou la possibilité d'effectuer une politique visant à réduire l'optimisation fiscale légale ? Deux
solutions qui ne sont pas proposées par le site. Le gouvernement ne tenterait-il pas, de la sorte, de guider le citoyen pour qu'il approuve in finela suppression du nombre de fonctionnaires ou les annonces de réduction des aides de protection sociale. Nombre d'autres questions et propositions de réponses sont
orientées de la même manière.
Selon le gouvernement, le citoyen est le principal responsable du problème écologique
Face à l'orientation manifeste des questions, l'internaute a la possibilité de proposer, en supplément, une contribution. Sauf que celle-ci n'est pas une feuille blanche où le
citoyen peut noter ses doléances librement. Il doit recomposer avec de nouvelles questions tout aussi orientées. Ainsi, par exemple, dans le thème «écologie», on peut lire : «Quelles
seraient pour vous les solutions les plus simples et les plus supportables sur un plan financier pour vous inciter à changer vos comportements ?»
Ainsi, cette question incite le citoyen à cautionner le paiement d'une nouvelle taxe pour favoriser la transition écologique. Le punitif est acté. Le questionnaire ne fait aucune mention
de la responsabilité des entreprises, voire de l'Etat, dans la pollution. Le questionnaire n'oriente pratiquement jamais vers une politique d'Etat qui privilégierait l'incitation par
l'investissement public à moins polluer, par de vastes crédits d'impôts, par exemple sur les travaux d'isolation. L'utilité d'une taxe carbone – mesure qui fut l'étincelle de la
contestation Gilets jaunes – est même sous-entendue comme une mesure évidente, notamment à travers la question suivante : «A quoi les recettes liées aux taxes sur le diesel et l’essence
doivent-elles avant tout servir ?». Le secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Action et les comptes publics Olivier Dussopt ayant évoqué le 14 février, sur BFM
TV, un éventuel retour de la taxe carbone en 2020, c'est peut-être tout simplement pour préparer de nouveau le terrain.
Enfin, toujours sur le thème de l'écologie, le gouvernement ne pose aucune question sur l'une des problématiques majeures : quelle énergie doit-on privilégier pour les générations
futures ? Ainsi, les questionnaires sont tournés de telle sorte que le citoyen ne peut jamais proposer une solution sur le long-terme concernant l'énergie nucléaire, les énergies fossiles
ou renouvelables.
Aussi, la plateforme n'est-elle pas finalement une manière d'encaisser massivement les revendications citoyennes et faire en sorte que celles-ci correspondent au maximum à l'orientation
gouvernementale ?
Réunions publiques : les marcheurs s'activent sur le terrain
L'autre grande action macronienne en faveur du grand débat national reste l'organisation de réunions publiques sur le territoire français. Là aussi, le gouvernement tire parti de
celles-ci pour redorer son blason dans les sondages.
Le président Emmanuel Macron ou Edouard Philippe enchaînent les meetings de plusieurs heures. Alors que le grand débat devait avant tout permettre aux citoyens de s'exprimer, l'exécutif
semble davantage se poser dans le rôle d'un professeur, dictant la bonne marche de sa politique. Au regard de ces éléments, difficile d'écarter l'hypothèse d'une opération de
communication avant les élections européennes de 2019. Le 3 février à Trappes, la ministre de la Santé Agnès Buzyn n'avait d'ailleurs pas hésité à se servir de
l'une de ces réunions locales pour promouvoir la liste de La République en marche pour les échéances électorales, en défendant sa vision de l'Union européenne.
«Une campagne électorale déguisée en grand débat national»
Entre la médiatisation régulière de ces débats impliquant Emmanuel Macron ou Edouard Philippe depuis le 15 janvier sur la plupart des chaînes d'information en continu, ou les réunions
plus confidentielles impliquant des ministres, l'opposition se questionne : le patron des Républicains, Laurent Wauquiez, a ainsi saisi le
CSA pour des interventions du président qui «monopolisent les antennes» : «Chacun a pu constater une explosion du temps de parole dévolu au président de la République et aux membres du
gouvernement. Aussi, nous souhaitons connaître les mesures prévues par le CSA afin de garantir un rattrapage des autres formations politiques et d'assurer la meilleure équité possible.»
Le président de la Région Rhône-Alpes y voit une «campagne déguisée», tout comme Alexis Corbière, député de La France insoumise (LFI), qui a attesté le 13 février, à l'Assemblée
nationale, que «certaines de ces réunions se transforment en meeting pro-République en marche aux frais du contribuable». Il a aussi déploré «la confiscation» de la parole aux Français
par «Emmanuel Macron [qui, depuis le 15 janvier, a eu] un temps de parole équivalent à 34 heures de retransmission sur les chaînes d’info, deux heures quotidiennes si on enlève les
week-ends !»
Alexis Corbière
✔@alexiscorbiere
Il est temps de dire stop au macronisme quotidien ! Désormais, le temps de parole de #Macron doit se faire hors caméras lors des futurs débats du #GrandDebatNational ! #DirectAN
L'élu du Nord LFI Adrien Quatennens a dénoncé sur BFM
TV le 13 février, «une campagne électorale déguisée en grand débat national». La France insoumise a également saisi le CSA pour «garantir le pluralisme politique». Néanmoins,
Alexis Corbière craint que le temps de parole ne soit pas corrigé. En effet, selon le député, le CSA doit publier ses rapports sur cette question «sur base trimestrielle», or l'élection
européenne aura lieu dans trois mois. La France insoumise a également saisi la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques «pour savoir comment les frais
d'organisation du grand débat vont être inclus dans les comptes de campagne de La République en marche».
Plusieurs parlementaires ou responsables de tous bords tels que Patrick Kanner (Parti socialiste), Brigitte Kuster (Les Républicains) ou Jordan Bardella (porte-parole du Rassemblement
national) ont aussi saisi – ou annoncé saisir – le CSA pour contester la possible «campagne déguisée» des marcheurs.
« Les Français ne croient pas dans ce "grand débat", ils savent que rien ne changera... Nous allons saisir le CSA : ces heures d'antenne pour Macron en période
électorale vont-elles être décomptées du temps de parole d'En Marche ?! » @BFMTV
Documents à l'appui, Mediapart révélait
d'ailleurs le 24 janvier que la Commission nationale du débat public «était disposée à assurer l'impartialité et la neutralité du grand débat national». Sauf que «l’Élysée s’y est
opposé», selon la même source. La présidente de l'institution, Chantal Jouanno, a évoqué une «campagne de communication» mise en place à travers le grand débat national. Il n'est donc pas
étonnant que l'initiative soit considérée à mi-parcours, par le gouvernement, comme «un succès incontestable», d'après le compte-rendu du conseil des ministres du 14 février.
Une rampe de lancement macroniste parfaite en vue des européennes ?
Le grand débat national a officiellement débuté, le 15 janvier. Plus de 500 de réunions sont d’ores et déjà programmées, d’ici le 15 mars prochain. Le président de
la République entend ainsi aller à la rencontre de plusieurs milliers de maires, à travers nos treize régions, comme il l’a déjà fait en Normandie et en Occitanie. Ce dernier, ne cesse de
répéter, à travers ses très longues prestations, que tous les sujets peuvent et doivent être évoqués. Néanmoins, il en est un, qui n’apparait pas, ou, au mieux, qu’en filigrane : celui de nos
choix en matière de politique étrangère et de défense. La seule question qui lui a eu trait, lors du deuxième « stand up » présidentiel à Souillac, dans le Lot, concernant
notre engagement en Syrie et notre solidarité vis-à-vis des populations et combattants kurdes - à la suite du retrait programmé des forces américaines - n’aura eue, qu’une réponse aussi brève
qu’alambiquée !
Dessin Catoune
Pourtant, ces sujets, qui sont au cœur de l’action de l’Etat, sont ceux que les Français pourraient légitimement interroger, au regard, notamment de l’engagement
coûteux en moyens (plus d’un milliard d’euros/an) et vies humaines (plus de 20 morts depuis notre engagement « bicéphale » contre le terrorisme) de nos forces armées au Levant
et dans la Bande sahélo-saharienne. Il est vrai que la mobilisation des gilets jaunes, qui n’a cessé de grossir depuis novembre dernier, n’évoque, en effet, que peu, ces thèmes, pourtant
consubstantiels de la nécessaire « prise de pouls » des Français que ce grand débat national ambitionne de réaliser.
S’il s’agit bien de trouver les mots justes et définir les bonnes modalités d’actions pour reconstruire notre « pacte social », mis à l’épreuve
par plusieurs décennies de décisions hasardeuses ou manquant d’ambition réformatrice, alors, il semble, plus que légitime de faire aussi le bilan de notre politique étrangère et de sécurité. Ne
serait-ce qu’au regard des approximations qu’il revêt, faute, justement de ce sain débat.
Les interprétations « biaisées » autour du Pacte de Marrakech, portant sur les « migrations sûres, ordonnées et régulières »
s’étaient, du reste, invitées dans le débat public des dernières semaines. Loin de toute rétrocession de l’Alsace-Lorraine à Berlin, ou encore d’abandon de notre siège comme membre permanent du
Conseil de Sécurité des Nations Unies, les mêmes velléités de manipulations circulent déjà quant à la signature, le 22 février prochain, à Aix-la-Chapelle, d’un nouveau Traité de l’Elysée (venant
remplacer celui datant du 12 janvier 1963, entre le Chancelier Konrad Adenauer et le Président Charles de Gaulle) !
Le calendrier semble pourtant justifier pour le président de la République, un appel à la mobilisation générale : la France assure, depuis le 1er janvier, la
présidence du G7. Elle présidera, du reste, en mars prochain, le Conseil de Sécurité de l’ONU, avant de céder sa place, en avril, à l’Allemagne.
Plusieurs sommets devraient également ouvrir ce débat, éminemment démocratique, au-delà des seuls cénacles diplomatiques. En juin, à Marseille, autour de la
relance du projet fédérateur euro-méditerranéen, soit dix ans après la création - en juillet 2009 - de l’Union pour la Méditerranée. Attention, tout de même : à force d’appeler la société
civile à être au cœur de cette relance, personne ne devrait s’étonner que celle-ci s’exprime bruyamment de n’y être, in fine, associée que marginalement…
Il en sera question, fin août, à Biarritz, autour de cette nouvelle « grammaire des relations internationales » que notre président ne cesse de
brandir comme moyen de revitaliser un système multilatéral qui, 74 ans après la création de l’ONU, donne bien des signes de fatigue, que d’aucuns n’hésitent d’ailleurs plus à traduire en gage de
remise en cause. Le risque de la convergence des revendications, certes hétérogènes des gilets jaunes qui ont fait des émules un peu partout en Europe (Hongrie, Belgique, Pays-Bas, Espagne)
pourrait porter ombrage à la grande messe réunissant les sept économies les plus dynamiques.
Peut-être, du reste, est-ce sous présidence française que le G7 se transformera en G10, avec l’arrivée du Mexique, de l’Inde et de l’Australie, consacrant le nouvel
axe stratégique et militaro-industriel « indo-pacifique » ?
Les coups de boutoirs à la stabilité internationale que Donald Trump s’évertue à mettre en branle suffiraient, du reste, à justifier un débat national quant à la
manière dont la France devrait réagir, si nous ne voulons nous laisser entrainer dans de futurs conflits qui ne reflètent guerre nos intérêts stratégiques. Il en va, symboliquement, de la remise
en cause - en mai dernier - de l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA du 14 juillet 2015), conquis de haute lutte par tous les protagonistes (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne,
Allemagne et UE, et bien sûr l’Iran) qui cache, en réalité, de moins en moins bien, de dangereuses velléités bellicistes à l’encontre de Téhéran, émanant du président américain, de ses proches
conseillers va-en guerre et de ses alliés de circonstance que sont Israël et l‘Arabie Saoudite.
La parole présidentielle fut pourtant prolixe sur le thème des affaires étrangères, durant les 19 premiers mois de ce mandat : discours aux ambassadeurs, discours
prononcé lors des 73ème et 74ème Assemblées générales des Nations Unies en septembre 2017 et 2018, « facéties » oratoires présidentielles répétées autour d’une plus grande
convergence européenne en matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et de politique de sécurité et de défense commune (PSDC) , comme ce fut le cas à Athènes sur la
colline de la Pnyx en septembre 2017, en Sorbonne, quelques jours après, ou encore, plus récemment, devant les parlementaires européens et au Bundestag, à Berlin, le 18 novembre dernier.
Pourtant, le président est de plus en plus seul à appeler de ses vœux cette armée européenne, qu’il est, du reste, le seul à oser nommer comme tel.
Depuis quelques semaines sa parole s’est faite plus discrète en la matière. Le déplacement que le Président devait faire en Arabie Saoudite, en novembre dernier,
aurait d’évidence été compliqué à assumer publiquement, auprès d’une opinion publique outrée par l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi !
Du reste, les prochains déplacements du président de la République prévus par l’Elysée risquent de faire passer les dernières semaines de mobilisation des gilets
jaunes pour un long fleuve tranquille.
En Turquie - sur fond de tensions sur les dossiers syriens et l’épée de Damoclès de la pression migratoire que le Président Erdogan n’hésite pas à brandir au grés
de son courroux à notre égard, à l’instar de la question kurde ; en Serbie - sur fond de bévue protocolaire aux dépens du président Vusic, le 11 novembre dernier ; en Egypte -
alors que le président Al-Sissi a quelques divergences d’appréciations sur les dossiers qataris, yéménites, libyens et palestiniens et ce, malgré l’occasion festive du
150èmeanniversaire du Canal de Suez et d’année culturelle France-Egypte.
Il est vrai aussi que cette année, la « crise » née des revendications des gilets jaunes priveront les ambassadeurs d’une cérémonie des vœux au
Corps diplomatique, qui, avait, l’année dernière, permis au Président de la République d’expliquer où se situaient les « lignes rouges » en Syrie… Quatre mois plus tard, la
France frappait le territoire syrien !
Beaucoup réclamait, déjà, un débat plus large que le seul contrôle parlementaire de nos opérations extérieures (OPEX) quant à la légitimité et la portée de cette
action militaire, du moins, au-delà de celui qui eu lieu, selon l’article 35 de notre Constitution. Les récents vœux présidentiels aux forces armées, à Francazal, près de Toulouse, auront été, en
comparaison, nettement plus « nébuleux » quant au devenir de notre alliance militaire et convergence diplomatique avec les Kurdes, désormais seuls face aux menaces turques,
alors, que tout doit être mis en lumière, sans faux semblants, afin d’éviter une confrontation militaire avec notre allié au sein de l’OTAN !
Le Président ne se rendra pas, non plus, dans quelques jours, au Forum économique de Davos, en janvier, ou, en février, à la conférence annuelle sur la sécurité de
Munich. C’était pourtant, précisément à Davos, l’année dernière, qu’il avait tenu à tracer les contours d’un nouvel ordre international, qui se doit d’être plus représentatif de la montée en
puissance de nations émergentes et plus solidaire avec les Etats qui ambitionnent d’y parvenir, à l’instar des 54 pays du continent africain.
Le président de la République, que l’on a souvent dépeint en « maître des horloges » a pourtant, un agenda qui lui serait des plus favorable pour
s’accaparer et appréhender de manière plus « inclusive » le thème de notre action extérieure.
En mettant en péril l’existence même de notre système de sécurité collective, en brandissant régulièrement, le départ des Etats-Unis de l’Alliance Atlantique, le
président américain, Donald Trump, nous offre une excellente occasion d’ouvrir un vrai débat démocratique quant à l’efficacité même de l’OTAN.
Occasion idoine, du reste, de mettre en exergue la question de notre nécessaire autonomie stratégique, de la pérennité militaire d’une alliance née, en 1949, sur
les fonts baptismaux d’une guerre froide désormais derrière nous. L’utilité d’un tel débat - mettant en exergue les notions de solidarité et de subsidiarité en matière de politique étrangère et
de défense européenne - serait, à quelques mois des élections européennes de mai prochain, l’occasion idéale de sonder les Français.
Ces derniers réclament, du reste ce type débat, en mettant systématiquement en avant la question de la souveraineté, de la puissance, des réponses fermes et fortes
à adopter face aux « incertitudes » stratégiques à l’est de notre continent. Ce sont, là, d’ailleurs, des enjeux transcendant très largement les clivages politiques.
Par ailleurs, l’année 2019 sera aussi une année aux enjeux électoraux déterminants pour nos orientations diplomatiques traditionnelles, à l’instar de celles qui se
dérouleront au Sénégal et au Nigéria, en février ; en Ukraine et en Algérie, en mars et avril ; en Tunisie, et théoriquement en Libye et en Afghanistan, d’ici décembre 2019.
La prochaine édition du Forum mondial « Normandie pour la Paix », à l’invitation du président de la région Normandie et ancien ministre de la
Défense, Hervé Morin, à l’occasion du 75ème anniversaire du débarquement du 6 juin 1944, serait l’occasion parfaite pour amplifier et étayer ce dessein interactif, participatif et de facto
éminemment citoyen.
Nombreux sont les Français qui attendent ce geste. C’est le cas, entre autres, de tous ceux qui œuvrent au rayonnement de la France, à la défense et la promotion de
ses intérêts, avec détermination, professionnalisme et abnégation, au péril de leur vie et au mépris des réductions budgétaires qui les touchent, le plus souvent, en priorité. Les coupes
budgétaires dans les budgets militaires, en réponse aux doléances des Français, mis en lumière à travers la mobilisation des gilets jaunes ne devraient faire exception, encore une fois.
Pour toutes ces raisons, Monsieur le Président, enfilez votre gilet « bleu, blanc, rouge » et ouvrez le nécessaire débat quant aux
orientations que devraient revêtir notre politique étrangère et de défense. Cela concerne chacun d’entre nous.
...par Leslie Varenne et Emmanuel Dupuy - le 26/01/2019.
La politique africaine de la France est le parent très pauvre du grand débat national, pourtant ce sujet était inscrit dans la toute première charte des Gilets
jaunes. Parmi ces revendications figuraient « la fin du franc CFA et des ingérences politiques et militaires ; le rapatriement des soldats français et l’établissement de
rapports d’égal à égal avec les Etats africains».
Dès l’apparition de ces « doléances » sur les réseaux sociaux, les nombreuses diasporas africaines vivant dans l’Hexagone, qui étaient jusque-là
restées dans l’expectative, ont ainsi apporté leur soutien au mouvement.
Tous ces sujets deviennent de plus en plus brûlants. Se taire, se terrer dans le déni, ou se complaire dans l’aveuglement, permet, en outre, de conforter tous les
Etats, qui instrumentalisent - à l’instar de la Russie, de la Chine, de l’Allemagne, des Etats-Unis, ou ceux, qui, en plein jour, attisent le ressentiment anti-français, à l’instar des attaques
récentes du gouvernement italien. Il en va, faut-il le rappeler, d’une guerre commerciale et de desseins stratégiques qui prennent le continent africain en otage.
Mais sur ce sujet, comme sur d’autres, le président de la République reste désespérément flou, et semble vouloir se murer dans une logique
« verticale » qui est le propre de son action publique. Nul étonnement donc, les mêmes ornières qui l’empêchent de sortir de ses certitudes finissent par enterrer la
singularité de notre politique africaine.
Faute d’avoir été choisi d’une manière transparente et en carence de représentativité au sein des diasporas, les membres du Conseil Présidentiel pour l’Afrique
(CPA) restent de grands inconnus sans réelle légitimité. Les représentants très actifs des sociétés civiles africaines, comme les chercheurs, journalistes, militants et activistes des droits de
l’homme, jeunes entrepreneurs de la nouvelle économie n’arrivent plus à décrypter les bons niveaux de décisions ni à comprendre les raisons de celles-ci.
Alors que la fin de la « FrancAfrique » reste un vœux pieux, les différents interlocuteurs officiels : le ministre des Affaires Etrangères,
Jean-Yves le Drian, son directeur Afrique, Rémy Maréchaux, le Conseiller Afrique de l’Elysée, Franck Paris, le Directeur général de l’Agence française de Développement, Rémy Rioux ; sans
omettre les « visiteurs du soir » du 2, rue de l’Elysée (siège de la cellule Afrique), cultivent une divergence d’approche et d’analyse, qui nuit, sur le terrain, à
la pérennité et à la légitimité de notre action.
Il est donc plus qu’urgent de mettre la politique africaine de la France au menu du grand débat national, et ce, afin d’apporter les nécessaires clarifications.
Comme rappelé, c’est bien l’absence de réponse qui renforce l’inquiétude.
La question du Franc-CFA est, de ce point de vue, primordiale tant elle agite les populations africaines concernées et résonne désormais en écho sur le débat
européen.
Lors de son premier discours sur sa politique africaine, en novembre 2017, à Ouagadougou, Emmanuel Macron avait déclaré être favorable à un changement de nom ou de
périmètre de cette monnaie. Depuis, ce sujet n’a plus été abordé. Le gouvernement italien, qui ne rate pas une occasion de s’en prendre au chef de l’Etat français, a bien compris l’intérêt de
jouer sur cette corde ultra-sensible. Le 22 janvier dernier, en accusant la France d’appauvrir l’Afrique en maintenant la colonisation à travers le FRCFA, et d’être par conséquent à l’origine du
drame des migrants en Méditerranée, Luigi Di Maio, le vice-président du Conseil italien, par ailleurs, chef de file du mouvement 5 étoiles, a été ovationné par les opinions publiques africaines
francophones.
Est-il utile de donner autant de bâtons pour se faire battre ? Certes, cette déclaration s’apparente plus à un règlement de compte ; Rome et Paris se
disputant un leadership libyen sans aucun résultat tangible de part et d’autre.
En prime, l’Italie a beau jeu de se faire passer pour un chevalier blanc alors qu’elle fut, elle aussi, une puissance colonisatrice sur le continent africain et
qu’elle espère toujours jouer un rôle notable à Tripoli.
Le besoin de clarification est aussi impérieux dans le domaine de la démocratie sur le continent. A force de négliger des principes intangibles, la France ne cesse
de s’en remettre à des valeurs qui sont autant de géométries variables. Le dernier exemple à l’aune des élections en République Démocratique du Congo a démontré à quelle point la parole de Paris
était devenue inaudible. S’exprimant sur un scrutin contesté et contestable, Jean-Yves le Drian a estimé que les résultats de cette élection, qui déclarait Félix Tshisekedi président, n’étaient
pas conformes et que l’autre opposant, Martin Fayulu était a priori le vainqueur.
Peu importe qu’il ait tort ou raison, d’ailleurs. Le simple fait de ne s’être jamais exprimé lors d’autres élections non-crédibles et d’avoir validé des scrutins
non-transparents, à l’instar de l’élection présidentielle au Mali en juillet-août 2018 ou au Cameroun, en octobre de la même année, rend la prise de position du ministre français des
Affaires étrangères au mieux ambiguë.
Le besoin de clarification sur tous ces sujets, comme sur d’autres (restitution des biens culturels africains exposés dans les musées européens, transparence dans
les contrats d’exploitation des riches du sous-sol…) est impérieux.
L’absence de prise en compte de ceux-ci participe au «french bashing», en vogue, depuis plusieurs années, sur le continent africain et désormais à nos
frontières.
La meilleure manière de répondre au mieux aux intérêts des Français consiste encore à autoriser et à provoquer ce rendez-vous doublement citoyen, car il est
âprement attendu des deux côtés de la mer Méditerranée…
Emmanuel Dupuy Président de l'Institut de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE)