Le 9 janvier à Accra, la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union monétaire des Etats d’Afrique de l’Ouest (UMEOA) ont assommé le Mali, un pays
déjà groggy par dix années de guerre. La France, l’Union européenne et les USA se sont empressés d’endosser ces sanctions économiques et financières draconiennes, jamais imposées dans cette
région, à l’exception de celles de 2010/2011 en Côte d’Ivoire. L’adoption d’un texte au Conseil de sécurité, proposé par la France et visant à soutenir ces mesures, a été bloqué par les Chinois
et les Russes. Voilà donc le Mali entré de plain-pied dans la guerre froide 2.0, avec à sa tête des colonels qui, font feu de tout bois pour confisquer le pouvoir, mais ne sont pas armés pour
essuyer les plâtres du nouveau monde multipolaire. Il y a des moments dans l’existence des nations où des actes, fussent-ils mineurs, bouleversent le cours de l’histoire. Faut-il se préparer à
une modification des plaques tectoniques dans le Sahel ou à un retour à l’ordre ancien auquel aspirent les chefs d’Etat de la CEDEAO et leurs partenaires occidentaux en décrétant l’asphyxie
du Mali ?
Conflit entre « alliés »
Car il s’agit bien d’une véritable asphyxie. L’embargo est total : fermetures des frontières de tous les pays membres de la CEDEAO, suspensions de toutes les
transactions financières et commerciales, gel des avoirs à la Banque centrale. Mais tous, à l’instar de Jean-Yves le Drian devant l’Assemblée nationale, avancent les exemptions sur les
produits de premières nécessités, médicaments, hydrocarbures, comme preuve de leur humanité. Evidemment, ils savent qu’il n’en est rien. Aucune marchandise n’entrera car il n’y aura pas
d’argent pour payer. Certains veulent croire que les pays frontaliers non-membres de la CEDEAO, Algérie, Mauritanie, ou encore la Guinée, exclue de l’organisation en raison du coup d’Etat de
septembre dernier, pourront permettre au Mali de respirer. Mais l’état des routes et le manque d’infrastructures ne permettront jamais de compenser les ports de Dakar et d’Abidjan. Ceux qui
imposent ces sanctions draconiennes savent cela aussi.
Et comme si cela ne suffisait pas, sous l’impulsion de la France qui assure depuis le 1er janvier la présidence du Conseil de l'UE, Bruxelles s’associe aux
sanctions des Africains de l’Ouest. C’est une situation totalement inédite. Paris est le premier partenaire du Mali dans la guerre contre le terrorisme, jamais des alliés ne sont entrés en
conflit ouvert alors qu’ils continuent à combattre ensemble sur le théâtre des opérations. Si au cours du dernier trimestre et conformément aux décisions prises par Emmanuel Macron en juillet
2021, Barkhane a fermé ses camps de Tessalit, Kidal et Tombouctou, l’opération française est toujours active sur sa base de Gao, la task force européenne Takuba occupant, elle, celle de
Ménaka.
Suite aux décisions de fermetures de frontières de la CEDEAO, Bamako a décidé d’appliquer la réciprocité et d’interdire son espace aérien aux vols provenant d’un
pays d’Afrique de l’Ouest. Le 11 janvier, un A 400M de l’armée française a décollé d’Abidjan à destination de Gao. Les autorités maliennes ont immédiatement dénoncé « cette violation de
l’espace aérien du Mali » en ajoutant qu’elles déclinent « toute responsabilité relative aux risques auxquels les auteurs de ces pratiques pourraient s’exposer en cas de
nouvelle violation de l’espace aérien. » Surréaliste. La junte menace-t-elle de tirer sur son partenaire, alors qu’il existe des accords signés en 2013 entre les deux parties qui
sont toujours en vigueur ?
Le 12 janvier, après le conseil de défense, l’Elysée a interdit aux vols Air France d’atterrir à Bamako. La partie de ping-pong entre alliés continue…
Barkhane : une situation devenue intenable
De complexe, la situation devient volcanique pour les militaires français. Pour rappel, fin novembre, il y avait eu l’affaire du convoi logistique de Barkhane
bloqué par des manifestants pendant plus d’une semaine d’abord à Kaya au Burkina Faso puis à Téra au Niger. Un long périple qui a occasionné trois morts, de nombreux blessés et qui a laissé des
traces. Selon des sources diplomatiques, les autorités burkinabè et nigériennes auraient expressément demandé à leurs homologues français que ces convois ne traversent plus leur territoire
respectif. Il n’est donc plus possible de ravitailler la base de Gao par voie terrestre à partir du port d’Abidjan. Par ailleurs, après les déclarations d’Emmanuel Macron sur « la rente
mémorielle » qui avaient fâché Alger, le ciel de ce pays est toujours interdit aux avions militaires français depuis le mois d’octobre. Les regrets publics du locataire de l’Elysée et le voyage de Jean-Yves Le Drian dans la capitale algérienne n’y ont rien
changé. Si en plus, le ciel des Etats membres de la CEDEAO est fermé à Paris, il ne lui reste plus que l’option d’entrer au Mali via la Mauritanie en faisant un détour par l’océan
Atlantique !
Mais le ravitaillement n’est pas le seul obstacle auquel sont confrontés les militaires français pris au piège des décisions politiques. Ils devaient déjà affronter
le rejet de plus en plus marqué de la politique française au Sahel par les populations de cet espace. Avec ces sanctions, certes décidées par les chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest mais, et c’est
un secret de polichinelle, fortement encouragées par Emmanuel Macron, c’est toute l’opinion publique de la région qui s’enflamme et apporte son soutien au peuple malien. Comment perdre
définitivement la « bataille des cœurs » en jetant de l’huile sur le feu ? C’était pourtant fort prévisible.
La peur de l’Ours
Officiellement, ces sanctions, avec leurs lots de conséquences contreproductives sont prises pour obliger la junte au pouvoir à revenir à « un ordre
constitutionnel » et à organiser des élections dans un temps raisonnable et non dans cinq ans, comme elle l’a proposé. Le retour à cet « ordre constitutionnel » est
une notion à géométrie variable pour la CEDEAO et ses partenaires qui en ont fait fi lors des 3ème mandats en Guinée ou en Côte d’Ivoire, pour ne rappeler que ces exemples-là. En réalité,
derrière la violence de ces sanctions se cache à la fois la présence avérée d'instructeurs russes au Mali et celle de la société militaire privée (SMP) Wagner. Celle-ci reste possible, probable,
mais n'est pas reconnue par les autorités maliennes. Elle fait couler l'encre et donne une traque à l’Ours qui a vu l’Ours sans jamais apporter de preuve irréfutable. Jean-Yves Le Drian
est néanmoins formel et a déclaré devant l’Assemblée nationale : « La
junte essaie de duper l'ensemble de ses partenaires. Il y a une fuite en avant, un appel confirmé à une milice extérieure ». La proportion qu’a prise cette affaire de mercenaires
est déraisonnable, d’autant que les pays occidentaux ont toujours travaillé avec des SMP sur les théâtres de conflit. D’anecdotique au départ, Wagner est devenue une affaire d’Etats. La crainte
de voir Moscou s’impliquer dans le Sahel fait flotter une atmosphère d’hystérie collective. Selon le Washington Post du 12 janvier, Joe Biden qui avait envisagé de réduire son soutien aux opérations militaires en Afrique l’a finalement doublé. Toujours d’après le
journal, cette décision aurait été prise pour mettre un terme aux différends entre les deux pays après l’affaire des sous-marins australiens. Un haut responsable américain sous couvert d’anonymat
a également déclaré : « Washington souhaitait voir des réformes dans l'approche de Paris vis-à-vis de la mission au Sahel. La Maison Blanche avait fondé sa décision sur l'objectif
commun de réduction de la violence et la promesse des Français de mettre davantage l'accent sur les questions de gouvernance et de développement. » Sur ces derniers points, avec
les sanctions et leurs corrolaires : la mise en pause de tous les financements opérés par l’Union européenne, l’AFD, la Banque Mondiale, le FMI, ce n’est pas gagné ! A toutes
ces raisons, s’est ajouté indéniablement l’arrivée des instructeurs russes, ce qui explique la réaction des USA d’endosser les décisions de la CEDEAO illico presto.
Les Maliens pris au piège
En attendant, les Maliens sont pris en étau. D’un côté des colonels qui sont arrivés au pouvoir par effraction en août 2020 et qui n’ont jamais eu qu’une seule
ligne d’horizon : préserver leurs fauteuils. En mai 2021, lorsqu’ils débarquent manu-militari le président Bah Ndaw et le Premier ministre Moctar Ouane, qu’ils avaient eux-mêmes choisi après
négociations avec la CEDEAO, c’est pour protéger leur trône menacé par les deux hommes. Lorsque dans la foulée, ils commencent des pourparlers avec Wagner, ce n’est pas par conviction politique,
intérêt économique ou volonté de jouer subtilement un rapport de forces entre puissances, ni parce que la France s'apprête à quitter ses bases du nord du pays, c’est encore pour
établir une ceinture de sécurité autour de leur forteresse. L’organisation en décembre dernier, par le Premier ministre, Choguel Maïga, des Assises nationales de la refondation n’avait qu’une
cible dans sa ligne de mire : légitimer la prolongation de la transition afin de ne pas organiser l’élection présidentielle prévue le 27 février 2022 et ainsi confisquer le pouvoir jusqu'en
2026.
De l’autre, Emmanuel Macron qui, depuis le sommet de Ndjamena de février 2021, semble n’avoir qu’un objectif : Que le
Sahel ne soit pas une épine dans le pied en vue de la présidentielle de 2022. Toutes les décisions prises depuis cette date, reconfiguration de l’engagement français, réduction
des effectifs, fermeture des bases, désignation de Iyad Ghali, chef du JNIM, comme ennemi public, poursuivaient ce seul but.
De quel côté, le Mali tombera-t-il ? Du côté des Russes, des Occidentaux ou dans le néant ?
La junte militaire, qui s'est emparée du pouvoir au Mali en 2021, a donné 72 heures, ce lundi, à l'ambassadeur de France pour plier bagage. Interrogé à ce sujet, le
ministre des Affaires étrangères malien, Abdoulaye Diop, a précisé que cette décision avait pour but d'inciter la France à «
préciser sa position » au sujet de la reconnaissance du gouvernement en
place. Cela m'a fait penser à ce reportage sur la guerre au Sahel dans lequel un colonel tchadien refuse de soigner un trafiquant blessé : «
On va le laisser réfléchir », dit-il, hilare. Il y a un peu de ça.
Espérant, bien à tort, sauver la face, Paris a dit rappeler ledit ambassadeur pour consultation. Variante un peu sotte, à ce niveau de géopolitique, du
fameux «
ce n'est pas toi qui me vires, c'est moi qui pars ». Décidément, il n'y a pas de « grandes personnes ». À malien, malin et demi, constatait, malicieusement, Vincent Hervouet
sur Europe
1.
Plusieurs leçons peuvent être tirées de ce regrettable enchaînement. D'abord, la junte malienne se permet de prendre la France de haut parce qu'elle se sait
soutenue - par les Russes, en l'espèce. Les mercenaires de Wagner assurent la sécurité du
pouvoir et forment ses soldats. Moscou se positionne comme le concurrent de la Chine dans la course aux matières premières africaines. Les putschistes pavoisent. Ils ont bien raison d'en
profiter.
Ensuite, la France est décidément bien ridicule dans « ce concert des nations » qui ressemble de plus en plus à de la musique sérielle. Faute de plans à long terme,
elle a voulu naviguer à vue, entre une volonté françafricaine non assumée et des incantations droit-de-l'hommistes. Hollande a aussi voulu réparer les bêtises libyennes de Sarkozy, dont la
présidence se sentait - à bon droit - redevable. C'était tout. La Russie, malgré tous ses défauts, ne manque pas de vision à long terme et n'a pas de pudeurs de gazelle quand il s'agit de volonté
de puissance.
Enfin, si l'ambassadeur français a été expulsé du Mali comme un clandestin, rappelons-nous que les clandestins (notamment maliens) sont hébergés, eux, sur notre
sol, tous frais payés, comme des ambassadeurs. Rappelons-nous aussi qu'à Montreuil, deuxième ville malienne du monde en population après Bamako, on n'a pas vu de bataillons de volontaires se
constituer pour aller défendre la patrie. Au contraire : 53 soldats français sont morts pour un pays qui n'était pas le leur, depuis 2013. Tout cela devrait peut-être nous faire réfléchir pour le
mois d'avril, à l'heure du retour du régalien dans le débat.
Qui est ce Président qui accepte que la France soit autant humiliée par des pays africains ?
Pourquoi Emmanuel Macron fait-il si souvent preuve de génuflexion face aux pays du Vieux Continent ? Naguère, la France était respectée et sa diplomatie en Afrique
appelait au respect des barbouzes du monde entier. L'exemple du Mali démontre le niveau que nous avons atteint.
Le samedi 22 janvier, c'était il y a seulement quelques jours, un militaire de 24 ans, le brigadier Alexandre
Martin, issu du 54e régiment
d’artillerie d’Hyères (Var), succombait de ses blessures au Mali, dans le cadre de l’opération « Barkhane ». Il était le 53e soldat
que la France sacrifiait pour le Mali.
Le lundi 31 janvier, dans un communiqué lu à la télévision d’État, on apprend que «
le gouvernement de la République du Mali informe l’opinion nationale et internationale que ce jour, l’ambassadeur de France à Bamako, Son Excellence Joël Meyer, a été convoqué par le ministre des
Affaires étrangères et de la Coopération internationale [et] qu’il lui a été notifié la décision du gouvernement qui l’invite à quitter le territoire national dans un délai de soixante-douze
heures ». Au delà des motivations qui ont entraîné cette décision, plus extraordinaire est la réaction de la France : le ministère des Affaires étrangères français a déclaré "prendre note"
de cette décision.
"Prendre note", rien que ça ?
On atteint le niveau ultime de l'humiliation et on se contente de "prendre note". On peut déblatérer sur des éléments géostratégiques, on peut brandir la
relation historique entre la France et le Mali, bref, on peut tout ressortir pour atténuer, limite donner des explications à la décision des autorités maliennes, mais on doit prendre en
considération l'opinion publique.
Comment expliquer aux Français que leur représentant est chassé du Mali au moment où des soldats arborant le drapeau tricolore prennent des risques pour défendre ce
pays ? Il y a une forme d'indécence dans cet acte qui oblige à se poser des questions sur les choix à effectuer dans la relation France-Mali.
Sans aller jusqu'à dénoncer les accords bilatéraux entre nos deux pays, pourquoi la France ne fait-elle pas rentrer tout de suite les soldats de l’opération «
Barkhane » ? Devons-nous attendre le 54e mort
pour nous émouvoir en communiqués et tweets fallacieux ? Les 53 familles endeuillées et les centaines de soldats blessés ont versé assez de sang dans cette aventure. La France doit se retirer du
Mali maintenant car on ne peut, comme dans un mariage, obliger l'autre à une relation sans amour.
Nous avons assez donné. Si les Maliens n'ont pas conscience du sacrifice que nous avons réalisé pour eux, nous devons en tirer toutes les conséquences. Monsieur
Emmanuel Macron, les soldats français engagés en OPEX au Mali doivent rentrer maintenant, ça suffit !
En Afrique de l’Ouest, les événements s’enchaînent en mode turbo, chaque crise en nourrit une nouvelle jusqu’à former un magma qui se transforme en
tsunami.Emmanuel Macron, qui a tout fait pour que l’épineuse question sahélienne ne s’invite pas dans la campagne présidentielle reste toujours
silencieux.
En revanche, Jean-Yves Le Drian et Florence Parly ont jeté méthodiquement à intervalles réguliers de l’huile sur le feu.
Est-ce ainsi qu’ils comptaient éteindre les flammes ? Mais qu’importe puisque de toute façon l’incendie a pris.
Plus que le « vent de
l’histoire », c’est une bourrasque qui emporte tout et que rien ne semble pouvoir arrêter. Il y a seulement six mois, le général Lecointre, alors chef
d’Etat-Major, n’imaginait
pas que la France puisse quitter le Sahel et l’Afrique de l’Ouest avant une vingtaine d’années. Aujourd’hui la survie de l’opération militaire française au
Mali se compte en semaines, voire en jours. Si la rapidité des faits et la volatilité de la situation surprennent, c’est avant tout et surtout la réaction des opinions publiques qui a pris de
court dirigeants africains et français.
Le naufrage de la diplomatie
Le feuilleton des tensions entre Paris et Bamako s’est encore enrichi de plusieurs épisodes au cours de la semaine écoulée. Dernier fait en date, le lundi 31
janvier, l’ambassadeur de France, son excellence Joël Meyer, a été expulsé par le gouvernement malien et sommé de quitter le territoire sous 72 heures. Selon ces autorités, « cette mesure fait suite aux
propos hostiles et outrageux du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères français ». À plusieurs reprises, Jean-Yves Le Drian avait, en effet, fustigé
une junte « illégitime » et
« irresponsable ».
En réaction, Paris a décidé d’adopter une contre-mesure, pour le moins inattendue, en rappelant ce même ambassadeur !
Etait-il utile d’opter, de chaque côté de l’échiquier, pour ces surenchères alors que les soldats de
Barkhane sont encore en opération et que la coopération entre les deux armées se passe bien comme le souligne Abdoulaye Diop, le ministre des Affaires étrangères malien, dans
un entretien accordé au journal
en ligne Bruxelles 2:
«La qualité de la coopération
militaire doit être saluée. C’est vrai, malgré ce contexte tendu, les militaires français travaillent bien avec leurs homologues maliens. C’est sur le plan politique qu’il y a un
problème ».
Était-il utile que le Quai d’Orsay pratique la diplomatie du mégaphone alors que le rejet de la politique et de la présence militaire française était déjà à un
niveau très élevé dans le Sahel ?
Cette hostilité a augmenté au fil des années, en raison des pertes civiles et militaires. Cependant, les dirigeants français ont continué de s’exprimer comme
s’ils étaient les fers de lance d’une nation « exceptionnelle » et
« indispensable »,
comme s’ils avaient ramené la paix, alors que la situation sécuritaire ne cessait de se dégrader… À cet égard, « l’arrogance française »
pèse lourd dans la détérioration des relations bilatérales et dans le désaveu des populations. Si chaque pays du Sahel a des raisons spécifiques dans son histoire récente de réprouver l’attitude
de Paris, tous gardent gravé en mémoire la manière dont Emmanuel Macron avait convoqué les chefs d’État sahéliens au sommet de Pau en janvier 2020. Cet événement est systématiquement cité par
tous les interlocuteurs dans l’historique de la gradation de l’inimitié envers la politique française.
Mieux encore, en lieu et place d’affaiblir les dirigeants maliens, ces sanctions les ont renforcés. Ils sont portés aux nues et vus comme des héros de la lutte
contre la France. En agissant ainsi les présidents ouest-africains et français leur ont déroulé le tapis rouge en leur permettant d’abattre les cartes : respect, dignité,
souveraineté. Un triptyque, assurément gagnant dans l’atmosphère du moment, qui leur offre sur un plateau une légitimité populaire. Ce qui leur permet, en outre, d’étouffer les voix de
l’opposition qui s’apprêtait à descendre dans la rue à partir du 27 février date à laquelle aurait dû avoir lieu l’élection présidentielle.
La fin de l’histoire…
La junte joue sur du velours, chaque décision prise au nom du respect et de la souveraineté lui redonne du crédit. Chaque réaction outragée de Paris alimente la
crise entre les deux pays et renforce la solidarité panafricaine. Ainsi l’affaire « l’affaire
Wagner », a fait l’objet de moult déclarations de Florence Parly ou de Jean-Yves Le Drian, « intolérable »
« inacceptable »,
ils ont tracé des lignes rouges, puis sont restés sans réaction… Mais la plus lourde de conséquences pour l’Élysée est la décision de Bamako d’appeler le Danemark à retirer ses 90 soldats tout
juste arrivés dans le cadre de la task-force Takuba. Ce départ, après celui volontaire des Suédois annoncé quelques jours plus tôt, représente un séisme pour Emmanuel Macron. Le château de cartes
que représentait Takuba s’écroule, d’autant que Bamako
se réserve toujours quant à l’accréditation des nouveaux entrants, Norvège, Hongrie, Portugal, Roumanie.
Le président français avait fait de cette coalition de forces spéciales européennes la pierre angulaire de la reconfiguration de Barkhane afin que l’ancienne
puissance coloniale ne soit plus en première ligne dans le Sahel. Le chef de l’État voit, en outre, son « laboratoire de la défense
européenne », qu’il appelle de ses vœux depuis son discours de 2017 à la Sorbonne, s’évanouir sous ses yeux, juste au moment où la France est à la tête du Conseil de l’Union
européenne ; il perd des partenaires qui lui permettent de répéter à longueur d’antennes que Paris n’est pas seul au Sahel ; en pleine campagne électorale, il ne peut partager les
dividendes de la défaite.
Suite au retrait Danois, Barkhane et les Européens engagés au Sahel s’étaient laissé 14 jours pour envisager l’avenir de leur collaboration, leur décision devait
être rendue avant le Sommet Afrique/UE des 17 et 18 février. Cependant, avec l’annonce de l’expulsion de l’ambassadeur français, l’Élysée semble une nouvelle fois pris de court, le Quai d’Orsay
se contentant d’un communiqué laconique réitérant « son
engagement en faveur de la stabilisation et du développement du Sahel, aux côtés de ses partenaires de la Coalition pour le Sahel».
Mais, le Mali a déjà demandé à revoir les accords de défense avec la France et attend la réponse, augmentant ainsi la pression sur l’Élysée.
Qui de Bamako ou de Paris sauvera l’honneur en annonçant le premier la fin de l’histoire ?
Comment organiser le départ Barkhane sereinement ? Selon des experts militaires, démonter un dispositif comme celui-là prend au moins six mois,
à moins d’agir comme les Américains lorsqu’ils ont quitté
en juillet dernier leur plus grande base de Bagram (Afghanistan) – on éteint la lumière en partant et advienne que pourra.
Vers des ailleurs incertains…
Une page se tourne au Mali et déjà une autre question se pose : En
finir avec l’opération militaire dans le Sahel ou la reconfigurer ? Les options de redéploiement sont assez limitées : le Tchad est très loin des combats terrestres et déjà bien
engagé avec la France, peut-être plus qu’il ne le souhaiterait au vu des ouvertures faites par le pouvoir à la Turquie. Le Niger, souffre des mêmes maux que ses voisins en crise. Le président
Mohamed Bazoum y gagnerait une force de frappe en appui direct de ses opérations et le soutien financier français en complément de celui des USA et d’autres États européens. Il risque néanmoins
d’être fragilisé sur le plan national, tant la population est hostile à la France. En Afrique de l’Ouest un coup d’État est si vite arrivé…
Reste encore le tout nouveau Burkina-Faso où des militaires ont pris le pouvoir et renversé le président Kaboré pendant le week-end du 23 janvier. Même dans
l’hypothèse où les nouvelles autorités, emmenées par le lieutenant-colonel Paul Henri Damiba, n’y seraient pas hostiles, elles ne sont pas assez stabilisées pour affronter le rejet de leur
opinion publique et de celles de la sous-région. D’autant que Paris se retrouverait alors dans la posture de soutenir une « junte
illégitime ».
Aller plus loin, vers les pays côtiers qui sont déjà aux prises avec les premières attaques terroristes ? La Côte d’Ivoire accueille déjà des troupes
françaises (FFCI). Le commandant de ces forces le colonel Arnaud Metray, s’est exprimé devant la presse ivoirienne le 28 janvier, il a convenu que la situation politique au Mali, interrogeait sur
« le devenir
de Barkhane » et a annoncé la visite, à Abidjan, du chef d’État-Major des armées, Thierry Burkhard les 7 et 8 février prochains. Ce qui laisse à penser que cet État intégrerait le
nouveau dispositif militaire français.
Emmanuel Macron, le Gorbatchev
français
À cette heure, l’option de l’éclatement de l’opération dans différents pays, semble tenir la corde, une manière d’avoir une présence plus discrète. Mais aller
ailleurs, pour y faire quoi ? Un peu plus, un peu moins, de la même chose ? Continuer à mener la lutte contre le terrorisme, qui n’est jamais qu’un concept et qui a échoué partout ? Depuis les
guerres de 2011, en Côte d’Ivoire et en Libye et plus encore sous ce dernier quinquennat, la France a perdu sa boussole stratégique en Afrique. Aussi difficiles soient-ils, les bouleversements
actuels entraîneront de nécessaires reconfigurations entre la France et sa désormais ancienne zone d’influence. Pour le pire ou pour le meilleur, qui sait ?
Mali : Voilà où nous mène la politique africaine de gribouille de Macron ! - Le 02/02/2022.
Quel jeu joue la France au Mali ? Avec l’expulsion de notre ambassadeur, la question se pose du maintien de la force Barkhane dans ce pays.
Le coup est rude pour la diplomatie française. La tension grandissante au cours de ces derniers mois entre Paris et Bamako vient de monter encore d’un cran. En
annonçant lundi 31 janvier sa décision d’expulser l’ambassadeur de France sous trois jours, la junte militaire au pouvoir au Mali vient de signifier aussi clairement que brutalement à la France
qu’elle ne voulait plus d’elle.
Au-delà du sentiment d’ingratitude que l’on peut ressentir quand on sait les efforts accomplis par notre pays pour former les unités de l’armée malienne à lutter
contre les attaques terroristes au prix du sang de ses soldats – rappelons que 53 de nos hommes ont perdu la vie au Sahel dont 48 sont tombés au Mali – on peut s’interroger sur la pertinence de
la diplomatie française dans ses relations avec l’ancien Soudan français.
Certes, il est important de rappeler que c’est à la demande des autorités maliennes que l’armée française est intervenue en janvier 2013 dans ce pays pour repousser
une offensive djihadiste. Neuf ans plus tard, alors que la menace terroriste est toujours aussi présente, les militaires au pouvoir réclament le départ de l’ambassadeur de France. Un véritable
camouflet diplomatique qui place Paris dans une situation des plus inconfortables. Le Mali est en proie à une instabilité chronique. Un climat de guerre civile latent règne dans ce pays en proie
depuis des années à de très nombreuses violences terroristes mais aussi interethniques. Comme dans la plupart des pays africains, les administrations sont notoirement corrompues et les
gouvernements aussi illégitimes qu’inefficaces sont néanmoins reconnus par la communauté internationale.
Lorsque le Président Ibrahim Boubacar Keita est renversé le 18 août 2020 par un coup d’État militaire, la France proteste, Macron juge la situation
« inacceptable ».
Il n’y a pourtant pas eu effusion de sang. Un gouvernement de transition est formé. Pourtant, neuf mois plus tard, suite à l’éviction de deux militaires, le nouveau Président ainsi que le
Premier ministre sont démis de leurs fonctions par des putschistes bien décidés à reprendre les rênes du pays. Nous sommes en mai 2021. Les relations entre la France et le Mali se dégradent. Des
manifestations réclament le départ des forces françaises de l’opération Barkhane perçues par certains comme des troupes d’occupation. Curieux retournement de situation : ceux qui étaient
accueillis en libérateurs hier sont aujourd’hui rejetés par des populations hostiles. Aux cris de « Vive
la France » ont succédé des « À bas
la France ». Pourquoi ? Que reproche-t-on aux soldats français venus combattre le terrorisme ? Les islamistes sont-ils derrière les manifestants ? Toujours est-il
que ce retournement de l’opinion n’est pas pour déplaire à ceux qui rêvent d’instaurer un califat au Sahel.
C’est malheureusement le moment que choisit le Gouvernement français pour annoncer une reconfiguration du dispositif militaire avec une réduction programmée des
effectifs de la force Barkhane. Forte de 5 000 hommes à l’été 2021, celle-ci tombera à 3 000 hommes à l’été 2023. Trois de ses bases dans le nord du pays dont celle de Tombouctou seront
rétrocédées aux forces armées maliennes.
Une décision surprenante qui n’est pas appréciée à Bamako. Le 26 septembre dernier, à la tribune de l’ONU, le chef du Gouvernement malien ne cache pas son
mécontentement face à la décision de Paris d’alléger son dispositif militaire français au Sahel qu’il qualifie d’« abandon
en pleinvol ».
Il déplore que la décision de la France ait été prise de manière « unilatérale »
et « sans
concertation » avec l’ONU et le Mali. On sait à Bamako que sans l’aide de la France, les forces armées maliennes seraient bien incapables de faire seules face à une offensive
djihadiste. Le chef du Gouvernement malien explique que pour « assurer
la sécurité » du pays, il va devoir chercher une solution alternative. Il laisse entendre, sans la citer, qu’il pourrait faire appel à des sociétés privées comme la force Wagner cette
formation de mercenaires toujours disponible pour défendre les intérêts du Kremlin partout dans le monde où ils sont menacés.
La menace est prise au sérieux à Paris où l’on s’inquiète de l’influence grandissante de Moscou en Afrique où cette force paramilitaire est déjà présente en Libye
et en Centrafrique. Paris va tenter par tous les moyens de dissuader les autorités maliennes de faire affaire avec la force Wagner tant pour assurer la formation de ses forces armées que la
sécurité des dirigeants. « On
ne va pas pouvoir cohabiter avec des mercenaires » a prévenu Florence Parly. En vain ! Pour Bamako, le désengagement de la France est un coup dur. Et ce ne sont pas les 800 hommes de la
task force Takuba composée d’unités des forces spéciales de plusieurs pays européens qui permettront de rétablir l’équilibre militaire. Une force voulue par Paris et qui a d’ailleurs bien du
mal à se constituer tant les États rechignent à en faire partie. C’est le début de l’escalade, du bras de fer, des petites phrases déplaisantes qu’on s’échange entre Paris et Bamako jusqu’à la
situation de crise que l’on connaît avec l’expulsion de notre ambassadeur.
Comment sortir de cette impasse sans issue dans laquelle s’est fourvoyée notre diplomatie ? À trois mois de l’élection présidentielle, le dossier s’est invité dans
la campagne. Faut-il prendre des mesures coercitives contre les dirigeants maliens comme le suggère Marine Le Pen après l’humiliation subie par notre pays ? À qui incombe la responsabilité de la
situation ? Une chose est sûre, « toute
la politique africaine de la France est à repenser » comme le déclare Éric Zemmour. En attendant la question du maintien de la présence de la force Barkhane au Mali se pose avec acuité.
Devra-t-elle partir pour s’installer dans un autre pays du Sahel ? Voilà un dossier brûlant que le prochain président(ou présidente) de la République trouvera sur son bureau de l’Élysée.