Israel, juillet 2014 - C'est World Tribun qui cite l'ex secrétaire d'état et sioniste convaincu, Henry Kissinger. " Dans les dix années à venir, les frontières israéliennes connaitront de très grosses turbulances et son régime politique s'effondrera", a dit
Kissinger au risque de soulever une tempête aux Etats Unis (photo, Henry
Kissinger)
La guerre secrète d’Israël contre la Syrie, le Liban et la Jordanie pour l’eau
Début janvier, moins d’un mois après la prise de Damas par les forces rebelles et le renversement du gouvernement syrien, les forces d’occupation
israéliennes ont lancé une offensive incontestée jusqu’aux abords du barrage
Al-Mantara – une source d’eau essentielle pour Deraa et le plus grand barrage de la région, situé dans la campagne occidentale de Quneitra.
Les
rapports indiquent que les chars et les troupes israéliens ont établi des avant-postes militaires, élevé des talus et imposé des restrictions strictes à la circulation locale,
n’autorisant l’accès qu’à des heures précises et prédéterminées.
Géopolitique de l’eau
Les ressources naturelles ont toujours joué un rôle central sur le plan géopolitique, et parmi elles, les sources d’eau
douces ont de plus en plus disputées. Alors que le pétrole et le gaz font les gros titres, le rôle indispensable de l’eau dans l’agriculture, l’industrie et la vie quotidienne en
fait un facteur tout aussi essentiel de la stabilité mondiale.
Alors que les ressources en eau douce se raréfient, le risque de conflit autour de cette précieuse ressource augmente, menaçant le développement économique
et la stabilité sociale.
De tout temps, les nations se sont disputé le contrôle des territoires riches en eau pour sécuriser les routes commerciales, forger des alliances et
favoriser les avancées technologiques. Les anciennes civilisations du berceau de la civilisation, comme les Sumériens et les Babyloniens, ont prospéré en exploitant le Tigre et
l’Euphrate. En revanche, les régions pauvres en ressources sont souvent restées à la traîne, limitant leurs progrès politiques et technologiques.
Aujourd’hui, la pénurie en eau continue de façonner les stratégies politiques régionales. Le bassin du Nil en est un exemple marquant, où l’Égypte, le
Soudan et l’Éthiopie sont en conflit au sujet du barrage de la Grande Renaissance Éthiopienne (GERD).
Ce projet, la plus grande initiative hydroélectrique d’Afrique, a exacerbé les tensions diplomatiques avec l’Égypte, qui dépend du Nil pour 90% de son
eau douce.
La région de l’Asie de l’Ouest et de l’Afrique du Nord est confrontée à une pénurie d’eau sans précédent, 83% de sa
population étant soumise à un grave manque d’eau. Selon le World Resources
Institute, 12 des 17 pays les plus touchés par la pénurie d’eau sont situés dans cette région, le Qatar, Israël et le Liban occupant les trois premiers rangs.
En outre, environ 40% de la
population mondiale dépend de cours d’eau franchissant des frontières internationales, faisant de la gestion transfrontalière de l’eau un enjeu géopolitique majeur. La récente incursion
israélienne au barrage d’Al-Mantara illustre parfaitement cette réalité.
La demande mondiale en eau devrait augmenter de 20 à 25% d’ici à
2050, soumettant des régions comme le WANA [Asie de l’Ouest et
Afrique du Nord] à une pression considérable. D’ici le milieu du siècle, 100% de la population de la région pourrait être confrontée à une pénurie d’eau extrême, ce qui
déstabiliserait davantage les relations politiques et augmenterait le risque de conflits entre États au sujet des ressources en eau partagées.
De telles tensions sont déjà manifestes en Israël et en Syrie, où le contrôle des sources d’eau vitales est devenu un sujet de discorde.
Réalités et ambitions d’Israël
relatives à l’eau
Le climat aride et les ressources naturelles en eau limitées de la Palestine ont depuis longtemps influencé l’approche de l’État d’occupation en matière de
gestion de l’eau, les déserts constituant plus de la moitié de son territoire. Les principales sources d’eau douce du pays sont la mer de Galilée, le Jourdain et les nappes aquifères le
long de la côte et des montagnes.
Cependant, les avancées technologiques en matière de désalinisation et
de réutilisation des eaux usées ont aidé Israël à réduire sa dépendance à l’égard des sources d’eau naturelles. En 2018, Israël a réutilisé 87% de ses eaux usées traitées, principalement
à des fins agricoles.
Cependant, ces innovations ont leurs limites. La désalinisation et le traitement des eaux usées sont coûteux et ne peuvent compenser totalement les effets
du changement
climatique. La hausse des températures, la diminution des précipitations et la réduction des taux de renouvellement des nappes aquifères aggravent la pénurie d’eau en Israël, tout
comme la baisse des niveaux d’eau et l’augmentation de la salinité du lac Kinneret, ainsi que la poursuite du processus de désertification dans le sud du pays.
Pour relever ces défis, Israël s’est employé à collecter et à
traiter environ 94% des eaux usées, dont 87% sont réutilisées, principalement pour l’agriculture. Globalement, entre 2000 et 2018, la part de l’agriculture dans les prélèvements
d’eau douce est passée de 64 à 35% du total des prélèvements d’eau.
Ces défis ont contraint Israël à se tourner vers des sources d’eau régionales, telles que le fleuve Yarmouk en Jordanie et le fleuve Litani au Liban, pour
compléter ses besoins.
L’eau est la pierre angulaire de la stratégie d’Israël depuis les premiers jours du mouvement idéologique sioniste. Depuis la création de l’État à travers
les guerres, les occupations et les négociations avec les États arabes voisins, l’accès à l’eau a été une priorité stratégique pour Israël. Cette approche consiste à maximiser
l’utilisation de l’eau à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières, même au détriment de la sécurité hydrique des pays voisins.
Les premiers dirigeants sionistes, tels que Chaim Weizmann,
ont souligné l’importance de l’eau provenant de régions telles que le mont Hermon, récemment occupé en Syrie, et le fleuve Litani, au Liban, pour l’irrigation et le développement
économique.
Le fondateur du sionisme moderne, Theodor Herzl, a insisté dès le départ sur la nécessité d’inclure le Sud-Liban dans l’État juif, en partie parce qu’il
contient des sources d’eau vitales. Le mouvement sioniste a exercé une pression considérable lors de la conférence de paix de 1919 à Paris, cherchant à annexer à la Palestine les sources
du Jourdain, du Litani et de la plaine du Hauran en Syrie. Ces demandes ont toutefois été rejetées par la partie française, qui avait le mandat sur la Syrie et le Liban en vertu de
l’accord
Sykes-Picot de 1916.
En 1941, David Ben-Gourion, qui deviendra plus tard le premier Premier ministre d’Israël, a clairement révélé que le futur État israélien convoitait le
fleuve Litani, en déclarant : «Nous ne devons pas
perdre de vue que le Litani doit se situer à l’intérieur des frontières de l’État juif afin d’assurer sa viabilité».
Après 1948, Israël a nationalisé ses ressources en eau et lancé des projets ambitieux, comme le National Water Carrier, pour transporter l’eau du nord vers
le sud aride.
Des études sur l’eau menées dans les années 1930 et 1940 indiquent que le projet Johnston de 1953 mené par Israël a ignoré les frontières politiques des
pays du bassin du Jourdain, considérant la mer de Galilée comme un réservoir naturel de l’eau du fleuve. Tel-Aviv a prévu de détourner le cours des eaux du Jourdain à son avantage et a
commencé à mettre en œuvre ces plans par l’intermédiaire de la société israélienne Mekorot depuis 1953.
Ces mesures ont consisté à détourner les eaux du Jourdain et de ses affluents vers la mer de Galilée, entraînant une baisse du niveau des eaux de la mer
Morte et un rétrécissement de sa superficie à mesure qu’elle s’asséchait en raison du détournement des affluents à des fins d’irrigation et d’expansion de l’agriculture.
En outre, le taux élevé d’évaporation dû aux températures élevées dans la région de la vallée du Jourdain a contribué à accélérer la baisse du niveau de
l’eau. Au début des années 1990, le niveau de la mer Morte était descendu à moins de
410 mètres sous le niveau de la mer, menaçant sérieusement son existence en tant que ressource naturelle unique.
La guerre de 1967 a marqué un tournant, Israël prenant le contrôle de territoires riches en eau comme la Cisjordanie,
Gaza et le plateau du Golan. Ces régions fournissent désormais une part importante de l’approvisionnement en eau d’Israël.
Toutefois, ce contrôle s’est fait aux dépens des États voisins et des Palestiniens, confrontés à de sévères restrictions en matière d’accès à l’eau. Par
exemple, la consommation d’eau
par habitant en Palestine est en moyenne de 20 mètres cubes par an, contre 60 mètres cubes en Israël.
Le gouvernement israélien réglemente strictement l’utilisation de l’eau par les Palestiniens, en interdisant le forage de nouveaux puits et en infligeant
des amendes en cas de dépassement des quotas, alors que les colonies israéliennes ne sont soumises à aucune restriction de ce type. Il en résulte une terrible inégalité dans l’accès à
l’eau, l’agriculture palestinienne restant arriérée et inefficace, tandis que les colonies juives des territoires palestiniens bénéficient de systèmes d’irrigation modernes.
Carte des sources
d’eau d’Israël et de l’expansion israélienne en Syrie
La réalité alarmante dans le sud de la
Syrie
L’incursion d’Israël dans le sud de la Syrie illustre ses ambitions constantes en matière d’eau. Des rapports indiquent que Tel-Aviv contrôle désormais 40%
des ressources en eau partagées par la Syrie et la Jordanie. Après avoir pris le contrôle du barrage d’Al-Wehda dans le bassin de Yarmouk en décembre, les forces israéliennes ont
progressé jusqu’au barrage d’Al-Mantara.
Le bassin du Yarmouk est une zone stratégiquement cruciale, car il forme une partie des frontières naturelles entre la Syrie et la Jordanie. La principale
source d’eau du bassin, le fleuve Yarmouk, soutient les terres agricoles et fournit de l’eau
potable aux communautés des régions de Deraa et de Suwayda en Syrie, ainsi qu’au nord de la Jordanie.
Le fleuve s’étend sur 57 kilomètres, dont 47 kilomètres en territoire syrien, le reste formant une partie de la frontière syro-jordanienne. Sur ses rives,
la Syrie a construit un certain nombre de barrages, notamment le barrage de Yarmouk, ainsi que le barrage Al-Wahda, plus grand, qui a une capacité de stockage de 225 millions de mètres
cubes.
Ces barrages sont utilisés pour irriguer de vastes étendues de terres agricoles, estimées à environ 13 640 hectares, et pour approvisionner les villages
environnants en eau potable grâce à d’importants réseaux de pompage tels que la «ligne Thawra», qui s’étend du bassin à la ville de Deraa et à sa campagne, jusqu’à la campagne de
Suwayda.
Cette voie d’eau vitale est cependant victime de la stratégie plus large de Tel-Aviv visant à assurer la domination de l’eau dans la région.
Malgré ces défis, les récentes actions d’Israël dans le sud de la Syrie illustrent une stratégie cohérente visant à pallier ses pénuries d’eau par le biais
d’une expansion
régionale. Les bouleversements politiques en Syrie ont offert à l’État d’occupation une occasion historique de faire avancer ses objectifs.
Les événements en cours en Asie occidentale démontrent que le principal moyen de dissuasion contre l’exploitation par Israël des ressources en eau du Liban
a toujours été une résistance efficace. Jusqu’aux revers stratégiques majeurs subis par l’Axe de la Résistance, cette résistance a réussi à empêcher Israël de reproduire ses conquêtes
territoriales en matière d’eau dans la région.
Aujourd’hui, en prenant le contrôle d’infrastructures hydrauliques vitales, les ambitions d’Israël constituent une menace directe pour la Syrie, la Jordanie
et le Liban. Cependant, alors que la région est confrontée à des crises de plus en plus graves, cette stratégie risque d’être éclipsée par des préoccupations géopolitiques plus larges. Il
est de plus en plus évident que les ambitions d’Israël en matière de ressources hydriques ne connaissent pas de limites.
Depuis hier 6 janvier au soir, on parle sérieusement, pour la première fois depuis longtemps, d’un cessez-le feu à Gaza. Une fois de plus, tout est suspendu à l’acceptation par Benjamin
Netanyahou. Certains voient un « effet Trump » dans l’évolution en cours. Cependant, on se rappellera que le président américain avait essentiellement, peu après son élection, menacé
les Palestiniens de déclencher le feu du ciel si les orages n’étaient pas rendus avant son inauguration. Or, d’après ce que l’on sait, ce qu’a négocié le Hamas au nom des mouvements combattants
palestiniens n’est pas différent des négociations précédentes. La question est plutôt de savoir si le président « 45/47 », paradoxalement, aura plus d’autorité sur Netanyahou que
l’administration Biden. Et il n’est pas sûr que nous devions nous réjouir trop vite dans ce cas : Netanyahou a donné l’ordre d’intensifier la violence en Cisjordanie. Et les rumeurs de guerre
avec l’Iran deviennent insistantes.
Le Hamas a accepté de libérer 34 otages israéliens figurant sur une liste soumise par Tel Aviv dans le cadre de la première phase de l’accord d’échange. La liste comprend les noms de
femmes, d’enfants et de personnes ayant besoin de soins médicaux, tant civils que militaires. La liste comprend les noms de personnes vivantes que mortes, bien que le Hamas n’ait pas
encore fourni de détails exacts, demandant une semaine pour clarifier.
En particulier, deux enfants, Kfir et Ariel Bibas, âgés de 1 et 5 ans, ont été tués en novembre 2023. Kfir était le plus jeune des enfants capturés le 7 octobre 2023. Leur mère a ensuite
été tuée dans un bombardement israélien de la bande de Gaza. Les corps des trois sont inclus dans la liste.
Un porte-parole du Hamas a déclaré à Reuters que l’accord est conditionné à un accord sur le retrait des troupes israéliennes de Gaza et un cessez-le-feu permanent. Des pourparlers
entre les deux parties ont eu lieu la semaine dernière au Qatar et en Égypte, en présence du chef du Mossad israélien David Barnea et de responsables américains, dont l’envoyé américain
au Moyen-Orient Brett McGurk.
Effet Trump ou étape dans la guerre perpétuelle d’Israël ?
- Première remarque : Quelle que soit la présentation des médias occidentaux, les mouvements combattants palestiniens sont toujours en mesure de
négocier et de poser des exigences. Ils n’ont pas été vaincus. Jour après jour, l’armée israélienne est obligée de concéder publiquement des morts et des blessés à Gaza.
- Deuxièmement : Les conditions du Hamas, qui négocie au nom de tous les mouvements combattants palestiniens, n’ont pas varié depuis des mois.
Une partie des otages peut être rendue, contre un cessez-le-feu permanent.
- Troisièmement : depuis hier soir, les médias parlent de la proximité d’un accord comme ils ne l’ont pas fait depuis longtemps. Effet Trump? Il
s’agirait d’un paradoxe puisque « 45/47 » est rhétoriquement parlant, beaucoup plus favorable encore à la cause israélienne que Joe Biden. Illusion, alors ?
Deux hypothèses se dessinent alors :
- La première est celle d’un Donald Trump voulant se désengager, autant que possible, du Proche-Orient et misant sur la reprise des négociations entre l’Arabie
Saoudite et Israël.
- La seconde est celle d’un arrêt potentiel de la Guerre à Gaza pour se concentrer sur une reprise de la guerre au Liban, sur un conflit avec Ansarallah
voire une guerre avec l’Iran.
En réalité, Israël est menacé sur six fronts : Gaza, Liban, Syrie (frictions inévitables avec la Turquie), Irak, Iran,
Yémen. Ce qui limite les possibilités de se lancer dans un conflit majeur avec Téhéran. Cependant, le gouvernement Netanyahou n’a aucune raison de renoncer au système de guerre
perpétuelle qui le caractérise depuis des décennies.
Hier Netanyahou a demandé l’intensification des violences en Cisjordanie. Une Cisjordanie où Israël nargue le Hamas et les mouvements combattants de Gaza en
permanence, puisqu’il y procède à des arrestations massives, qui rendent vain tout marchandage autour des otages israéliens de Gaza.
Israël ne peut perdre une «humanité» qui lui a toujours fait défaut
Le 22 décembre, quelques jours seulement avant Noël, le comité de rédaction de Haaretz a
publié un éditorial intitulé «Israël perd son
humanité à Gaza». Ce court article met en évidence une ancienne crainte omniprésente parmi les sionistes libéraux, à savoir que les crimes perpétrés à Gaza trahissent les valeurs
d’une colonie de peuplement par ailleurs intègre et morale. Pour eux, le projet sioniste est en quelque sorte un État légitime qui ne parvient pas à respecter les normes de conduite qu’il
est censé s’engager à respecter.
L’article, qui se veut à la fois un aveu de culpabilité et un appel à mieux faire n’est en fin de compte rien d’autre qu’un récit fictif de l’histoire
coloniale – un récit faisant appel à une époque prétendument meilleure et plus morale. En détournant l’attention de l’histoire coloniale violente, et en brossant un tableau révisionniste
d’un projet moralement intègre (bien que parfois problématique) et finalement légitime, voire amendable, ils ont fait ce que de nombreux sionistes libéraux tentent de faire depuis des
décennies : esquiver une vérité tant inconfortable qu’inéluctable sur un projet auquel ils s’accrochent et qu’ils soutiennent avec tant de ferveur.
Il n’y a jamais eu de «bon»
Israël.
Le mouvement sioniste et les horreurs associées sont antérieurs au projet sioniste lui-même. Les racines de la colonisation de la Palestine par ceux qui se
définissent comme sionistes remontent aux années 1880, les premières colonies étant implantées sur le territoire avant même que le premier congrès sioniste ne se réunisse en
1897. Ces stratégies
précoces, qui se sont soldés par un échec cuisant à bien des égards, ont jeté les bases du projet.
Avec la création et la ratification du Programme de
Bâle, le mouvement sioniste se coalise autour d’un objectif concret : «établir en Palestine
un foyer pour le peuple juif, garanti par le droit civil». Bien que l’emplacement proposé pour le projet soit remis en question lors du sixième congrès sioniste mondial à Bâle, en
1903, avec la proposition du Programme pour l’Ouganda, dans lequel un plan de colonisation de l’Ouganda est évalué et finalement écarté, les ambitions coloniales du mouvement sioniste ont
toujours été clairement affichées.
Au cours des années suivantes, la présence des sionistes ne cessera d’augmenter en Palestine, au fur et à mesure que les colons affluent vers la colonie.
Des milliers de personnes rejoignent les implantations en plein essor, acquérant des terres par le biais de transactions peu scrupuleuses négociées avec des propriétaires terriens
introuvables, chassant ainsi les Palestiniens des terres que leurs familles considèrent comme leurs depuis parfois plusieurs générations. La société palestinienne a continué d’être mise à
l’épreuve, tandis que les partisans du projet sioniste ont tout fait pour atteindre leurs objectifs territoriaux et nationaux suprêmes.
La nature coloniale de ces objectifs n’a jamais été vraiment occultée. Theodor Herzl [journaliste et écrivain austro-hongrois, qui a joué un rôle historique
de premier plan en créant en 1897 l’Organisation
sioniste mondiale, à l’origine de la création de l’État d’Israël] a
écrit une lettre désormais
célèbre à Cecil Rhodes [homme d’affaires, homme politique et mécène britannique et Premier ministre de la colonie du Cap de 1890 à 1896], qui dévoilait la véritable nature du
projet, énonçait clairement ce qui suit :
«Vous êtes invité à
contribuer à écrire l’histoire. Il ne s’agit pas de l’Afrique, mais d’une partie de l’Asie mineure, pas d’Anglais, mais de juifs… Comment, alors, me tourner vers vous puisque c’est une
affaire qui ne vous concerne pas ? Pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’une question coloniale».
Herzl n’était pas le seul à faire cette analyse. Ze’ev Jabotinsky [né à Odessa en 1880, fondateur de la Légion
juive et leader de l’aile droite du mouvement sioniste], le
fondateur du sionisme révisionniste a évoqué cette même nature coloniale dans son discours
de 1923 sur la Muraille d’acier, comparant les Palestiniens aux Aztèques et aux Sioux – colonisés par des puissances étrangères. Il est allé jusqu’à déclarer :
«Toute population
indigène dans le monde résiste aux colons tant qu’elle a le moindre espoir de pouvoir se débarrasser du danger d’être colonisée.C’est ce que font les
Arabes de Palestine, et c’est ce qu’ils continueront à faire tant qu’il leur restera la moindre étincelle d’espoir de pouvoir empêcher la transformation de la «Palestine» en «Terre
d’Israël»».
D’autres dirigeants du mouvement sioniste ont mis ces propos en pratique, non seulement en déplaçant des Palestiniens en masse, mais aussi en s’entraînant
et en s’armant pour préparer et éventuellement exécuter des opérations militaires visant à créer ce que certains, comme Ben Gourion, considéraient comme des combinaisons démographiques
plus favorables sur le terrain. Selon les propres estimations de Ben Gourion, la terre de Palestine ne pourrait être colonisée avec certitude que si la répartition démographique de la
terre est de 70% pour les colons sionistes, et 30% pour les peuples colonisés (les planificateurs ultérieurs ont revu ce chiffre à la baisse, le rapport étant de 60 :40). Il n’est donc
pas surprenant qu’en 1929, environ un cinquième des fermiers palestiniens se soient retrouvés privés de leurs terres à la suite d’une activité coloniale promouvant les intérêts du projet
et de ceux qui le soutenaient.
Au fil du temps, les Palestiniens ont continué à s’organiser et se sont engagés de manière de plus en plus militante dans la défense de leurs territoires,
jusqu’à la grève générale transformée en Grande Révolte en 1936 – brutalement réprimée par les forces impériales britanniques et leurs partenaires sionistes. Alors que le mouvement
national se poursuivait après l’échec de la révolte de 1939, les Palestiniens ont lutté contre un mouvement sioniste de plus en plus puissant et organisé, qui a progressé vers la
réalisation de ses objectifs dans les années 1940.
La Nakba, ou «catastrophe»,
a entraîné le nettoyage ethnique massif de plus de 750 000 Palestiniens dans plus de 530 villes et villages. Des villes comme Jaffa ont été assiégées et leurs habitants chassés sous les
tirs de snipers et les bombardements sionistes. Des villages comme Deir Yassin ont été envahis et réduits en cendres, et un nombre incalculable d’atrocités a été infligé à leurs
habitants. Au-delà d’une campagne de nettoyage ethnique, la Nakba a également été une campagne d’anéantissement, qui s’est soldée par la mort d’au moins 10 000 à 15 000 Palestiniens.
C’est cette phase que les Israéliens célèbrent chaque année comme la période fondatrice pour la création officielle de la colonie.
Comme nous le savons maintenant, le nettoyage ethnique et l’asservissement des Palestiniens ne se sont pas arrêtés en 1948 avec la formation officielle de
la colonie sioniste – celle dont le comité éditorial de Haaretz prétend
qu’elle n’a perdu son «humanité» qu’au
cours de l’année écoulée. Dans le sillage de la Nakba, des milliers de Palestiniens ont vécu sous l’occupation militaire sioniste, brutalisés, exploités et agressés par leurs occupants.
En 1967, les
sionistes ont expulsé des
centaines de milliers d’autres Palestiniens en tentant d’enfoncer le clou dans le cercueil du mouvement de libération palestinien, ainsi que plus de 100 000 Syriens, sous
occupation sioniste sur les hauteurs du Golan. Plus tard, le plan allait également concerner le Liban, jusqu’à l’expulsion forcée de l’envahisseur par les combattants de la résistance
libanaise – des combattants qui ont poursuivi leur résistance au sionisme jusqu’à aujourd’hui.
Alors que des millions de personnes vivent dans des camps de réfugiés dans toute la région, que la colonisation leur interdit de rentrer chez elles et que
des millions d’autres souffrent de l’apartheid, du génocide et de l’invasion permanente, les sionistes libéraux se trouvent dans l’incapacité de défendre cette politique. En condamnant
les actions actuelles du gouvernement, ils se trouvent dans l’incapacité de justifier une histoire révisionniste dans laquelle la colonie qu’ils défendent n’a jamais eu aucune légitimité
morale, et encore moins le droit d’exister. Il ne peut y avoir de «bon» colonialisme ou de colonialisme «moral», même s’ils souhaitent désespérément le contraire, et il ne peut y avoir de
«bon» gouvernement ou de gouvernement «moral» à la tête d’un tel projet – qu’il s’agisse du Likoud ou du parti travailliste.
La fin de l’article de Haaretz résume
à elle seule la vision globale, en concluant par ce qui se voudrait une déclaration catégorique de condamnation des pratiques du gouvernement et de ceux qui l’ont soi-disant mené dans
l’impasse :
«Plus les preuves
affluent de Gaza, plus l’image nauséabonde de notre perte d’humanité se précise.Les nombreux
Israéliens qui tentent de nier les témoignages sur ce qui se trame là-bas vont non seulement nuire à Israël sur la scène internationale, mais aussi continuer à légitimer des crimes et des
injustices entachant le caractère éthique et humain de toute une nation».
En quoi les preuves d’aujourd’hui diffèrent-elles de celles que les Palestiniens ont toujours présentées depuis des décennies ? Les sionistes libéraux
considèrent que le cœur du problème dans ce génocide repose sur l’absence de moralité et d’humanité d’un projet qui en fait ne peut ni ne doit exister dans un monde juste. Les sionistes
libéraux, qui luttent contre la perte continue de légitimité de leur projet vont continuer à propager la même histoire d’une colonie qui aurait été, un temps donné, moralement intègre,
mais ceux d’entre nous qui connaissent l’histoire savent certainement mieux que quiconque qu’il ne s’agit que d’une fiction.
Le génocide et l’occupation des Palestiniens aujourd’hui ne peuvent être dissociés de l’histoire de la colonisation sioniste de la Palestine. Les victimes
d’aujourd’hui sont associées à celles des décennies passées, victimes d’une Nakba qui n’a jamais pris fin, même si les soutiens au projet souhaitent désespérément qu’il puisse en être
autrement. Ne fabriquons pas un passé imaginaire où les colons seraient en quelque sorte plus «moraux» qu’aujourd’hui, et tournons-nous plutôt vers un avenir sans occupation sioniste – un
avenir où les millions de personnes soumises à la domination coloniale sioniste recouvreront la liberté.
Le projet sioniste n’a pas perdu son humanité à Gaza, car cette humanité n’a jamais existé.
«George C. Marshall
est probablement le plus grand responsable de la victoire américaine lors de la Seconde Guerre mondiale. Tous ceux qui l’ont connu ou qui ont travaillé avec lui ont vu en lui une
figure énorme et l’ont appelé «le plus noble des
Romains»». ~ Michael Collins,
rédacteur en chef du Middle East Institute
Le patriote américain, le général George C. Marshall, s’est fermement opposé au partage de la Palestine parce qu’il savait que la création d’un État
sioniste au cœur du monde arabe compromettrait gravement les intérêts régionaux des États-Unis tout en alimentant des conflits sans fin dans tout le Moyen-Orient. En bref, Marshall et ses
alliés au département d’État avaient compris que les dirigeants sionistes n’opteraient jamais pour une entente avec leurs voisins arabes ou pour une coexistence pacifique, mais qu’ils
chercheraient sans relâche à dominer la région en poussant Washington à détruire les ennemis qu’il percevait. L’opposition de Marshall suggère que, même avant qu’Israël ne devienne un
État, des membres influents de la politique étrangère américaine avaient prévu que l’idéologie dominante de l’État israélien conduirait à une déstabilisation généralisée, à une
conflagration et à un génocide. Ceci est tiré d’un article de Mondoweiss :
«Entre la fin de la
Seconde Guerre mondiale et la rencontre de Marshall avec Truman [le 12 mai 1948], l’état-major interarmées avait publié pas moins de seize documents (d’après mon décompte) sur la question
palestinienne. Le plus important d’entre eux a été publié le 31 mars 1948 et intitulé «Force Requirements for Palestine» (Besoins en forces pour la Palestine). Dans ce document,
l’état-major interarmées prévoyait que «la stratégie sioniste cherchera à impliquer [les États-Unis] dans une série d’opérations de plus en plus vastes et approfondies, destinées à
assurer un maximum d’objectifs juifs». L’état-major interarmées spéculait que ces objectifs comprenaient notamment : la souveraineté juive initiale sur une partie de la Palestine,
l’acceptation par les grandes puissances du droit à une immigration illimitée, l’extension de la souveraineté juive sur l’ensemble de la Palestine et l’expansion d’«Eretz Israël» en
Transjordanie et dans des portions du Liban et de la Syrie. Ce n’était pas la seule fois que l’état-major interarmées exprimait cette inquiétude. À la fin de 1947, l’état-major
interarmées avait écrit qu’«une décision de partition de la Palestine, si elle était soutenue par les États-Unis, porterait atteinte aux intérêts stratégiques des États-Unis au Proche et
au Moyen-Orient», au point que «l’influence des États-Unis dans la région serait réduite à ce qui pourrait être maintenu par la force militaire». En d’autres termes, l’état-major
interarmées ne s’est pas préoccupé de la sécurité d’Israël, mais de la sécurité des vies américaines.1
Je répète : l’état-major interarmées. (…) a prédit que «la stratégie sioniste
cherchera à impliquer [les États-Unis] dans une série d’opérations de plus en plus vastes et approfondies destinées à assurer un maximum d’objectifs juifs».
Cette prédiction s’est-elle avérée exacte ?
Oui. Les États-Unis se sont enlisés dans des guerres pour Israël au cours des deux dernières décennies (Saddam, Kadhafi, Assad) sans en
tirer aucun avantage matériel. Au contraire, en s’accommodant aveuglément de l’ambitieux projet d’«hégémonie régionale» d’Israël, Washington s’est attiré la haine de plus d’un milliard de
musulmans tout en plongeant la région dans une effusion de sang et un chaos sans fin.
Rien de tout cela n’est dans l’intérêt de la sécurité nationale des États-Unis.
L’économiste Jeffrey Sachs explique ici que toutes les guerres menées par les États-Unis au Moyen-Orient l’ont été pour Israël :
Israël dirige la politique étrangère américaine au Moyen-Orient depuis 30 ans. C’est ainsi que cela fonctionne. Nous avons un lobby israélien, nous avons
cette stratégie de la rupture nette et nous avons un plan pour sept guerres en cinq ans. Et ce qui est intéressant, c’est qu’ils mettent en œuvre cette folie sans rien
expliquer au peuple américain. Mais vous pouvez les observer pas à pas. Nous avons (déjà) eu six de ces sept guerres. La seule qui n’a pas eu lieu, c’est l’Iran. Et si vous regardez tous
les jours, les grands médias poussent à la guerre contre l’Iran. Netanyahou pousse à la guerre contre l’Iran. Ils essaient vraiment de faire en sorte qu’elle commence pour faire un sept
sur sept.
Je répète : L’état-major interarmées…. a également prédit qu’Israël chercherait à établir «la souveraineté juive
sur l’ensemble de la Palestine et l’expansion d’ «Eretz Israël» en Transjordanie et dans des parties du Liban et de la Syrie».
Ainsi, dès 1947, les hommes de pouvoir américains du département d’État et du Pentagone avaient déjà compris que les dirigeants sionistes n’échangeraient
jamais de terres contre la paix et ne se conformeraient jamais à la résolution 242 de l’ONU. Ils savaient également qu’Israël était déterminé à s’emparer de toutes les terres situées
entre le Jourdain et la Méditerranée et à tuer ou bannir l’ensemble de la population indigène. En bref, la solution à deux États a toujours été une ruse. Et ce n’est pas
tout :
L’État-major interarmées (…) a prédit qu’«une décision de
partition de la Palestine, si elle était soutenue par les États-Unis, porterait atteinte aux intérêts stratégiques des États-Unis au Proche et au Moyen-Orient» au point que
«l’influence des
États-Unis dans la région serait réduite à ce qui pourrait être maintenu par la force militaire».
Cette prédiction s’est avérée exacte. Après tout, les États-Unis ne sont-ils pas plus décriés dans la région qu’à aucun autre moment de l’histoire ?
Washington n’est-il pas devenu le principal fournisseur d’armes et de bombes mortelles qui massacrent les femmes et les enfants palestiniens par milliers ? Ce comportement n’a-t-il pas
prouvé que les États-Unis ne sont pas un «honnête courtier» capable d’agir de manière impartiale, mais qu’ils ne sont que le bras armé de l’État-nation sioniste dont la tâche principale
est de poursuivre une guerre qui va à l’encontre des intérêts de sécurité nationale des États-Unis ?
Oui, oui et oui. Et Marshall avait tout prévu, c’est pourquoi il s’est opposé à la partition dès le début.
«Le chef d’état-major
interarmées ne se préoccupait pas de la sécurité d’Israël, mais de la sécurité des vies américaines».
Mais n’est-ce pas ainsi que les choses devraient se passer ? N’est-ce pas ce que nous attendons de tout dirigeant américain digne de ce nom ?
Le fait est que Marshall a été qualifié d’antisémite simplement parce qu’il «faisait son travail». Cet homme n’était pas plus antisémite que les personnes
qui s’opposent à l’explosion de femmes et d’enfants à Gaza ne sont antisémites. L’idée est risible.
Consultez ce billet du Center for Israel Education sur Loy Henderson, directeur du bureau des affaires du Proche-Orient et de l’Afrique au département
d’État des États-Unis auprès du secrétaire d’État américain George Marshall :
«Loy Henderson, le
deuxième membre le plus haut placé du département d’État dans la section du Proche-Orient, était un arabiste avoué et un antisioniste passionné. (…) Henderson a conclu cette lettre au
secrétaire d’État Marshall, «Nous n’avons aucune obligation envers les juifs de mettre en place un État juif. La déclaration Balfour et le mandat ne prévoyaient pas un État-nation juif,
mais un foyer national juif. Ni les États-Unis ni le gouvernement britannique n’ont jamais interprété l’expression «foyer national juif» comme étant un État-nation juif».
Écrit deux mois avant
que les États-Unis ne votent en faveur de la partition de la Palestine en deux États, il présente des sympathies vigoureuses et profondes pour les intérêts des États arabes. La volonté
des États-Unis d’approfondir leurs relations avec les pays arabes et musulmans a motivé ses opinions politiques pour des raisons politiques et économiques. Henderson s’est vigoureusement
opposé à la création d’un État juif et s’est donc opposé au vote des États-Unis en faveur de la partition de la Palestine en un État arabe et un État juif. Après le vote de novembre 1947,
il a fait pression pour que les États-Unis ou les États-Unis et la Grande-Bretagne administrent une tutelle sur la Palestine. Le secrétaire d’État Marshall et George Kennan, chef de la
direction de la planification politique du département d’État, se sont joints à ses sympathies pro-arabes.
Il écrit au
secrétaire d’État Marshall que le plan de l’ONU (UNSCOP) visant à diviser la Palestine en deux États est tout à fait irréalisable ; s’il était adopté, dit-il, «il garantirait que le
problème de la Palestine serait permanent et encore plus compliqué à l’avenir. Non seulement les propositions contenues dans le plan de l’UNSCOP ne reposent sur aucun principe de
caractère international dont le maintien serait dans l’intérêt des États-Unis, mais elles sont en contradiction flagrante avec divers principes énoncés dans la Charte ainsi qu’avec les
principes sur lesquels reposent les conceptions américaines du gouvernement. (…) Ces propositions, par exemple, ignorent des principes tels que l’autodétermination et la règle de la
majorité. Elles reconnaissent le principe d’un État racial (juif) théocratique et vont même, dans plusieurs cas, jusqu’à établir une discrimination fondée sur la religion et la race à
l’encontre de personnes extérieures à la Palestine».2
Brillant ! L’analyste politique Greg Stoker explique pourquoi la partition de la Palestine était «une erreur
stratégique que même l’impérialiste le plus endurci (…) doit commencer à reconnaître».
Ainsi, les experts du département d’État (et du Pentagone) savaient que l’État juif proposé ne serait PAS fondé sur les «principes sur lesquels reposent les
concepts américains de gouvernement». Mais, au contraire, sur le «principe d’un État racial (juif) théocratique qui discrimine sur la base de la
religion et de la race les personnes en dehors de la Palestine».
Corrigez-moi si je me trompe, mais cela semble suggérer que les mandarins de la politique étrangère américaine savaient qu’Israël serait un État d’apartheid
dès le départ, mais qu’ils ont choisi de se taire. N’est-ce pas ce qu’ils disent ? Et il y a aussi cette anecdote :
«Ces propositions, par
exemple, ignorent des principes tels que l’autodétermination et la règle de la majorité».
Ainsi, Israël ne serait jamais une démocratie, les Palestiniens n’allaient jamais être autorisés à se gouverner eux-mêmes et le pays allait
être dirigé par une étroite caste d’élites ashkanazes. Est-ce vrai ou faux ?
C’est vrai. Voici comment Max Blumenthal résume la situation :
«Israël est l’État
juif en Israël et au Levant (JSIL) C’est la seule colonie de peuplement active au monde. Il adopte un système anachronique fondé sur l’idée de maintenir la pureté ethnique ou une majorité
démographique juive dans une région où la plupart des gens ne sont pas juifs. Cela nécessite, comme je l’ai dit, un colonialisme de peuplement, mais aussi la dépossession et l’exclusion
de la population palestinienne indigène qui n’est pas juive. C’est pourquoi nous voyons des gens ghettoïsés dans la bande de Gaza. Les habitants de la Cisjordanie sont enfermés derrière
638 kilomètres de béton. Des gens dépossédés dans le Néguev à l’intérieur d’Israël, les Bédouins. Ce système catastrophique qui maltraite constamment les Palestiniens est le résultat de
la tentative de maintenir une majorité démographique juive et la pureté ethnique dont dépend l’existence de l’État. Pour ce faire, l’ensemble de la population doit participer à ce projet
de domination et de contrôle des peuples indigènes. Cela signifie que tout le monde s’engage dans l’armée à l’âge de 18 ans et doit participer à un certain niveau aux violations des
droits de l’homme. C’est catastrophique pour la population juive également. C’est donc le maintien d’Israël en tant que JSIL, l’État juif en Israël et au Levant, qui pose problème. Ce
n’est pas une démocratie, c’est une ethnocratie anachronique». ~ Max
Blumenthal
Et voici un deuxième article sur le sionisme de la Jewish Voice for Peace :
«Le sionisme qui s’est
installé et qui subsiste aujourd’hui est un mouvement de colonisation, établissant un État d’apartheid où les juifs ont plus de droits que les autres…..
La fondation de
l’État d’Israël reposant sur l’idée d’une «terre sans peuple», l’existence palestinienne elle-même est une résistance….(sionisme) une idéologie politique fondée sur l’effacement (des
Palestiniens)».3
À ce stade, les lecteurs se demandent probablement pourquoi le président Harry Truman a choisi de reconnaître Israël en 1948 alors que ses conseillers les
plus fiables et ses experts régionaux s’opposaient fermement à cette mesure. Il convient de noter que ces conseils n’ont pas été prodigués par quelques antisémites véreux du département
d’État, mais (comme l’a déclaré Henderson) «par presque tous les
membres du service diplomatique ou du département qui ont travaillé de manière appréciable sur les problèmes du Proche-Orient, de la manière dont ils auraient dû être présentés». En
d’autres termes, il s’agissait d’un consensus pro-américain.
Mais Truman a choisi de reconnaître Israël malgré tout. Pourquoi ?
Il est impossible de répondre définitivement à cette question, mais le «moulin à rumeurs» regorge de théories convaincantes, dont la plupart sont liées aux
généreuses contributions des donateurs qui ont alimenté les caisses de campagne de Truman. Voici un court extrait d’un article d’Alexander Cockburn paru dans Counterpunch en
2006 :
«Le regretté Steve
Smith, beau-frère de Teddy Kennedy et figure puissante du parti démocrate pendant plusieurs décennies, aimait raconter comment un groupe de quatre hommes d’affaires juifs avait réuni deux
millions de dollars en liquide et les avait donnés à Harry Truman lorsqu’il avait désespérément besoin d’argent au milieu de sa campagne présidentielle en 1948. Truman devint ensuite
président et exprima sa gratitude à ses bailleurs de fonds sionistes».4
Dans la même veine, l’auteur Gore Vidal s’exprime dans l’avant-propos d’un livre d’Israël Shahak intitulé «Jewish History,
Jewish Religion : The Weight of Three Thousand Years» (Histoire juive, religion juive : le poids de trois mille ans) d’Israël Shahak :
«À la fin des années
1950, John F. Kennedy m’a raconté comment, en 1948, Harry S. Truman avait été pratiquement abandonné par tout le monde lorsqu’il s’était présenté à l’élection présidentielle. C’est alors
qu’un sioniste américain lui a apporté deux millions de dollars en liquide, dans une valise, à bord de son train de campagne. «C’est la raison pour laquelle notre reconnaissance d’Israël
s’est faite si rapidement». Comme ni Jack ni moi n’étions antisémites (contrairement à son père et à mon grand-père), nous avons considéré qu’il s’agissait d’une nouvelle histoire drôle
sur Truman et la corruption sereine de la politique américaine.
Malheureusement, la
reconnaissance précipitée d’Israël en tant qu’État a débouché sur quarante-cinq ans de confusion meurtrière et sur la destruction de ce que les compagnons de route sionistes pensaient
être un État pluraliste. (…) Je ne rappellerai pas les guerres et les alarmes de cette région malheureuse. Mais je dirai que l’invention hâtive d’Israël a empoisonné la vie politique et
intellectuelle des États-Unis, le mécène improbable d’Israël».5
Comme nous l’avons dit précédemment, ces rumeurs ne peuvent être vérifiées de manière indépendante, mais elles semblent avoir été largement diffusées et (je
le soupçonne) considérées comme des preuves crédibles de l’existence d’un acte criminel. Je pense que la décision de Truman n’était probablement pas un simple pot-de-vin, comme le
suggèrent Vidal et Cockburn, mais une dette de gratitude envers un dirigeant américain qui partageait leur vision sioniste du monde. Jetez un coup d’œil à ce court extrait d’un article du
Dr. Alfred M. Lilienthal et vous comprendrez ce que je veux dire :
«Truman était un
fondamentaliste biblique qui se référait constamment à ces mots de l’Ancien Testament : «Voici que je vous livre le pays ; entrez et prenez possession du pays que l’Éternel a juré à vos
pères, à Abraham, à Isaac et à Jacob» [Deutéronome 1 :8]. L’ampleur de la dévotion de Truman au fondamentalisme a été soulignée dans les écrits de sa sœur après sa mort.
Le chaos qui s’est
produit et se produit encore en Cisjordanie et à Gaza découle naturellement de l’action de Truman. Il avait été prévu dans mes écrits et mes déclarations publiques avant et après la
création de l’État d’Israël par le sionisme».6
Truman était donc un sioniste refoulé ?
Nous ne le savons pas, mais nous savons qu’il a fait passer les intérêts d’Israël avant ceux des
États-Unis. Nous pouvons en être absolument certains.
Un changement fondamental est en train de s’opérer dans le monde entier en ce qui concerne l’image d’Israël et peut-être aussi parmi les juifs eux-mêmes.
Les juifs d’Europe ont suscité la pitié, la sympathie et la compassion après la catastrophe qu’ils ont vécue sous Hitler et pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est ce qui a rendu
possible la création de l’État d’Israël. L’holocauste ou la shoah, c’est-à-dire les horreurs et les persécutions subies par les juifs, sont devenus la base d’un accord unanime : après
tant de souffrances, les juifs avaient tout simplement le droit de créer leur propre État. Celui-ci est devenu le capital moral des juifs et a défini une attitude sacrée à l’égard de
l’Holocauste.
Les philosophes de l’école de Francfort ont proclamé qu’il fallait désormais penser à partir d’Auschwitz. Cela signifie que la philosophie, la politique et
la morale doivent désormais prendre en compte l’ampleur des crimes commis par les Européens (principalement les Allemands) à l’encontre des juifs et que l’Occident, et donc l’humanité
tout entière, doit se repentir.
L’image des juifs en tant que victimes en est la pierre angulaire. Elle élève les juifs au rang de peuple saint : tous les autres peuples sont invités à se
repentir et à ne jamais oublier leur culpabilité. Désormais, toute allusion à l’antisémitisme, sans parler des tentatives directes de révision du statut sacré des juifs et de la
métaphysique de l’Holocauste, est punissable.
Peu à peu, cependant, la politique de plus en plus dure d’Israël à l’égard des Palestiniens et des pays musulmans environnants a commencé à brouiller cette
image, du moins aux yeux des populations du Proche-Orient qui, rappelons-le, n’ont rien à voir avec les crimes des nazis européens. De plus, l’attitude violente des sionistes à l’égard de
la population locale a conduit à des protestations directes et, dans sa forme la plus extrême, à l’Intifada antisioniste.
L’identité des Israéliens et des juifs restés dans la diaspora s’est progressivement modifiée. L’accent est mis de plus en plus sur leur démonstration de
force et de puissance, ainsi que sur l’aspiration à créer un Grand Israël. Dans le même temps, les idées messianiques se sont intensifiées : attente de l’arrivée imminente du Machia’h,
début de la construction du troisième temple (qui nécessiterait le dynamitage du sanctuaire islamique de la mosquée al-Aqsa), forte augmentation des zones sous contrôle israélien (d’un
océan à l’autre) et résolution définitive de la question palestinienne (appels directs à la déportation et au génocide des Palestiniens).
Ces idées sont soutenues par Benjamin Netanyahou et plusieurs de ses collaborateurs, les ministres Ben Gvir, Bezalel Smotrich, etc. Ce programme est
ouvertement reflété dans la «Torah royale» d’Yitzhak Shapira, dans les sermons des rabbins Kook, Meyer Kahane et Dov Lior. D’un point de vue stratégique, il a été décrit en 1980 dans un
article du conseiller de Sharon, le général Oded Yinon. Le plan de Yinon était de renverser tous les régimes arabes appuyés sur l’idéologie nationaliste baasiste afin de plonger le monde
arabe dans un chaos sanglant et de créer un Grand Israël.
Aujourd’hui, dix ans après le printemps arabe, et surtout après l’attaque terroriste du Hamas contre Israël en octobre 2023, nous voyons ces plans se
réaliser à un rythme accéléré. Netanyahou a détruit Gaza, massacrant sans pitié des centaines de milliers de civils. Il a ensuite attaqué le Liban, tuant tous les dirigeants du Hezbollah.
S’en est suivi un échange de tirs de roquettes avec l’Iran et des préparatifs actifs de guerre contre ce pays, y compris des attaques contre des installations nucléaires. Tout cela a été
suivi par l’invasion de ce qui restait du plateau du Golan et par des attaques contre la Syrie. Un mois plus tôt, Bezalel Smotrich avait proclamé que Damas ferait partie d’Israël et Ben
Gvir avait directement fait allusion à la destruction d’al-Aqsa. La chute de Bachar al-Assad marque la fin du dernier régime baasiste. Le monde arabe est en effet plongé dans le chaos. Le
Grand Israël et l’extermination des Palestiniens deviennent une réalité sous nos yeux.
Ce dernier point est important : les politiciens sionistes de droite abandonnent le référent à l’Holocauste. Le capital moral des victimes de celui-ci est
maintenant complètement épuisé. Israël affiche sa puissance, sa grandeur et sa cruauté actuelles, presque comme si nous étions revenus à l’Ancien Testament. Aujourd’hui, les juifs ne sont
plus pris en pitié, mais craints, haïs, détestés ou admirés et, dans tous les cas, considérés comme une force puissante et impitoyable.
L’identité juive a changé. Elle n’est plus symbole d’humiliation et de souffrance, mais synonyme de domination et de triomphe. Il n’est plus nécessaire de
penser depuis Auschwitz. Il faut maintenant penser à partir de Gaza. La tradition juive elle-même parle de deux Machia’h, celui qui souffre (Ben Yusef) et celui qui est victorieux (Ben
David). Après l’holocauste européen, l’accent a été mis sur le Machia’h souffrant, la victime. Aujourd’hui, cette Gestalt est remplacée par le Machia’h victorieux, celui qui attaque,
celui qui triomphe. C’est particulièrement évident en Israël même. Mais il est clair que cela ne s’arrêtera pas là. Il y a un changement d’archétype messianique parmi tous les juifs du
monde.
C’est précisément dans ce contexte que Donald Trump, un fervent partisan du sionisme de droite et de Netanyahou, arrive au pouvoir aux États-Unis. Une
partie importante de l’entourage de Trump est constituée de sionistes chrétiens, qui sont prêts à apporter tout leur soutien à Israël. Une fois de plus, le capital de compassion devient
capital d’agression. C’est très, très grave et cela ne tardera pas à s’aggraver. D’un autre côté, nous ne devons pas tirer de conclusions, de jugements ou d’évaluations hâtives. Il faut
d’abord bien analyser la situation et rassembler de nombreux faits, événements et incidents pour avoir une image cohérente des événements.
L’armée israélienne est en grande difficulté à Gaza. Ce n’est pas dans les médias français que vous le trouverez. Mais dans les médias israéliens. Les milices combattantes palestiniennes ne
cessent de refaire leurs effectifs. Et les soldats israéliens repartent de la Bande en proie à des troubles psychologiques ou psycho-somatiques importants. Progressivement le pari de « l’Axe
de la Résistance » qui était, en octobre 2023, d’user la société israélienne, malgré la surpuissance de bombardement que procurent les Etats-Unis à Tsahal, est-il en train de se réaliser ?
Combattants du Front Populaire de Libération de la Palestine
« Le Hamas a recruté quelque 4 000 nouveaux agents pour son aile militaire au cours des derniers mois », a rapporté mercredi le site
d’information israélien Walla,
citant des sources du commandement sud de l’armée.
« Dans certains endroits, le Hamas s’est adapté à la lutte contre les forces du sud de la bande de Gaza », ont ajouté les sources.
Le rapport ajoute que tout au long de la guerre, les combattants des Brigades Qassam ont été en mesure d’échapper aux services de renseignement et de déjouer les opérations.
Mohammad Sinwar, chef militaire des Brigades Qassam et frère du défunt chef du Hamas Yahya Sinwar, et le commandant Izz al-Din Haddad sont les deux chefs qui dirigent les opérations du
groupe de résistance palestinien, selon le site d’information. « Ils ont fait très attention à ne pas s’exposer.
Ces derniers jours, des batailles féroces ont repris à Gaza, l’aile militaire du Hamas reconstituant ses rangs
Les milices combattantes palestiniennes refont leurs forces
Prenons le temps de comprendre ce que cela signifie. L’armée israélienne se plaint qu’il lui manque entre dix et vingt-mille hommes. C’est
d’ailleurs la raison pour laquelle une épreuve de force est engagée entre le gouvernement israélien et certaines communautés juives religieuses d’Israël qui ne veulent pas servir.
Face à cela, on nous dit que le seul Hamas arrive à recruter, en quelques semaines 4000 combattants à Gaza. Il faudrait y ajouter les autres milices palestiniennes:
Jihad islamique international, Front Populaire de Libération de la Palestine etc….Le ratio, depuis le début du conflit est d’un tiers de combattants des autres milices à ajouter aux hommes du
Hamas. Disons qu’il y a entre 5 et 6000 combattants palestiniens.
Parcourez les canaux Telegram des milices palestiniennes en regard des nouvelles données par la presse israéliennes: tous les jours ont lieu une dizaine
d’embuscades, d’escarmouches, de combats où les Israéliens perdent des soldats, tués ou blessés.
La démoralisation de l’armée israélienne
Là encore, « The Cradle » propose une revue de presse israélienne:
Pendant ce temps, l’armée israélienne est épuisée, épuisée et psychologiquement endommagée par la guerre qui dure depuis plus d’un an, et par des batailles terrestres féroces.
« L’armée estime que d’ici 2030, le nombre de soldats handicapés atteindra 100 000, dont 60 % souffriront de troubles mentaux », a rapporté mercredi la
société israélienne de radiodiffusion (KAN).
De plus en plus de soldats refusent également de servir dans l’armée. Selon un rapport du
magazine Ha-Makom publié
le 20 octobre, nombre d’entre eux sont déprimés, épuisés, psychologiquement endommagés et démotivés.
L’un des parents d’un soldat cité dans le rapport de Ha-Makom a
déclaré que, selon son fils, « les salles sont vides. Tous ceux qui ne sont pas morts ou blessés ont subi des dommages mentaux. Il en reste très peu qui sont retournés au combat. Et ils
ne sont pas tout à fait bien non plus ».
Il faut comprendre cet effondrement psychologique répandu et sans doute appelé à se généraliser aux multiples sens d’une « démoralisation »:
(1) Les soldats israéliens sont épuisés psychologiquement par une guerre qui n’en finit pas. Ils n’ont plus le moral.
(2) La guerre n’a plus de sens pour eux.
(3) Tsahal est engagée dans une guerre d’extermination des Palestiniens.
(4) Comme dans tout génocide, les bourreaux sont atteints de syndromes psychologiques et même psycho-somatiques aigus.
Derrière les apparences, un bilan terrible pour Israël
Israël a pris le contrôle de Gaza à la suite d’une opération terrestre déclenchée par le massacre du 7 octobre et continue de gouverner la Cisjordanie. Ces dynamiques façonnent une
réalité sécuritaire complexe, avec Israël empêtré sur de nombreux fronts et confronté à l’absence de gouvernance stable à ses frontières.
Les réalisations militaires d’Israël au cours de l’année écoulée, notamment la destruction des restes de l’armée d’Assad et l’affaiblissement d’adversaires tels que le Hezbollah,
n’améliorent pas nécessairement l’équilibre général des forces face à l’Iran. Téhéran n’est pas seulement évalué à l’aune de sa capacité à représenter une menace directe, mais aussi à
l’aune de sa réussite à fragmenter les États régionaux en entités faibles dépendantes d’un parrainage extérieur.
Et l’auteur est pessimiste quant à l’impact socio-économique sur Israël :
Les implications économiques de cette nouvelle réalité sont peut-être les plus importantes. Le fonctionnement d’une armée moderne nécessite des ressources massives. Alors que les dépenses
de défense augmentent, les budgets pour le développement des infrastructures, l’éducation, la protection sociale et l’innovation diminuent. En d’autres termes, une plus grande partie des
recettes fiscales d’Israël est réorientée vers la lutte contre les menaces sécuritaires actuelles plutôt que vers la construction d’une infrastructure civile robuste pour soutenir la
croissance économique à long terme.
C’est le talon d’Achille de tout État occidental : la dépendance à un niveau de vie élevé et à la stabilité économique comme fondement de la résilience nationale.
La société israélienne étant obligée de sacrifier son bien-être au profit des dépenses de sécurité, une érosion interne se produit. L’écart entre riches et pauvres peut s’élargir et la
classe moyenne – un pilier central de la stabilité sociale et économique – peut se réduire. À long terme, la réduction des investissements dans l’éducation, la recherche et le
développement, les infrastructures de transport et l’énergie propre entravera le potentiel de croissance d’Israël.
La baisse cumulative du niveau de vie remodèlera la société, exacerbera les tensions internes et sapera la cohésion nationale
Le point de vue que je cite est perspicace mais il a une limite : il considère qu’Israël ne fait que se défendre contre l’Iran et ses alliés. Je pense pour ma part
plus exact de présenter Israël comme l’agresseur permanent. Ce qui rend encore plus évident l’effet délétère de l’enlisement en cours. Quand on n’est pas soutenu par des
principes moraux et que vient la défaite, l’effondrement du moral et la désintégration sociale sont d’autant plus marqués.
Aujourd’hui, Israël est en surextension militaire (Gaza, Cisjordanie, Galilée, Syrie) avec des troupes au sol qui ont de moins en moins envie de se battre; quand
elles le font, elles se comportent comme la pire des armées du XXè siècle; et toute la société israélienne est confrontée aux récits des horreurs qui rongent les soldats – quand ils ne les
racontent pas. Ajoutons-y l’isolement international croissant du pays et le mécanisme redoutable de l’implosion nationale est définitivement mis en place.
Le nettoyage ethnique est pratiquement terminé au nord de la bande de Gaza
Un général de Tsahal a récemment admis que l’objectif était d’expulser les habitants et de ne leur laisser aucune possibilité de retour.
Les efforts déployés par Israël pour éliminer ou expulser les Palestiniens de la bande de Gaza – efforts qui sont évidents depuis les tous premiers jours de
l’assaut militaire israélien sur le territoire, qui dure depuis un an – sont en passe d’atteindre leur objectif dans la partie la plus septentrionale de la bande de Gaza.
Les responsables israéliens ont également laissé transparaître d’autres signes montrant que tel est bien leur objectif. La semaine dernière, un général de
brigade des forces de défense israéliennes (FDI) a déclaré à des journalistes israéliens qu’en expulsant les habitants de cette zone, qui comprend la ville de Beit Lahiya et le camp de
réfugiés de Jabaliya, Tsahal n’avait pas l’intention de les laisser revenir. Le général a ajouté qu’Israël n’autoriserait aucune aide humanitaire dans cette partie de la bande de Gaza car
«il n’y a
plus de civils».
Un porte-parole des FDI a par la suite essayé de démentir les propos du général, et le gouvernement israélien, à plusieurs reprises, a nié avoir procédé à
des expulsions forcées. Cependant, les rapports concernant ce qu’il se passe sur le terrain, en dépit des mesures prises par Israël pour empêcher la presse de couvrir la zone de conflit,
confirment qu’il s’agit d’une campagne de nettoyage ethnique. Des journalistes du journal israélien Haaretz ont
pu confirmer les expulsions forcées. D’autres articles ont confirmé que l’aide ne parvenait pas dans le nord de la bande de Gaza, avec pour conséquence la perspective d’une famine.
Les images les plus fréquentes quand il s’agit du nord de Gaza sont en partie celles qui nous sont devenues familières il y a un an : bâtiments réduits à
l’état de ruines et photos d’habitants quittant leurs maisons avec le peu de biens qu’ils peuvent emporter. Ces images d’exode ressemblent à celles du précédent nettoyage ethnique
israélien visant les Palestiniens, la Nakba de 1948.
Même si Israël le nie, ce qui se passe semble fort être une version du «plan des généraux», une proposition présentée au gouvernement de Benjamin Netanyahou
en septembre et qui a ensuite fait l’objet d’une fuite. Celle-ci prévoit de couper l’approvisionnement de la partie de la bande de Gaza en question et de dire à tous ceux qui y vivent
qu’ils doivent partir ou être considérés comme des «combattants» susceptibles d’être attaqués.
Les opérations israéliennes se concentrent actuellement sur le nord, mais la majeure partie des opérations menées par l’armée israélienne dans toute la
bande de Gaza depuis un an s’apparente à un nettoyage ethnique. Les habitants qui n’ont pas été tués – et le nombre réel de morts dans les décombres est probablement bien plus élevé que
le décompte officiel actuel qui s’élève à environ 43 000 – se retrouvent dans un terrain vague où il est impossible de vivre. L’attaque israélienne a détruit les équipements et les
services de santé et d’éducation, les systèmes d’urgence et la plupart des autres infrastructures nécessaires à l’existence d’une communauté.
Les dirigeants du mouvement de colonisation juive en Cisjordanie ont hâte que les colonies gagnent la bande de Gaza. Le plan des généraux est davantage axé
sur la sécurité, l’idée étant de transformer la partie de la bande à partir de laquelle le Hamas a lancé son attaque contre le sud d’Israël l’année dernière en une zone tampon contrôlée
par les forces de défense israéliennes. Alors que le gouvernement Netanyahou fait toujours l’objet de critiques internes pour avoir laissé cette attaque se produire, un tel dispositif
représenterait une «réussite» à faire valoir même si l’objectif déclaré de «destruction» du Hamas ne pourra jamais être atteint et même si cela ne fera rien ou pas grand-chose pour éviter
que les Palestiniens ne commettent d’autres formes de violence à l’encontre d’Israël, sans reproduire l’attaque du Hamas du 7 octobre.
Les récentes évolutions politiques en Israël ont rendu le gouvernement de Netanyahou encore plus enclin à continuer le nettoyage ethnique à Gaza. Netanyahou
a limogé le ministre de la défense, Yoav Gallant, qui était favorable à un cessez-le-feu prévoyant le retour des otages israéliens encore détenus et qui avait déclaré que l’armée
israélienne n’avait «plus rien à
faire» à Gaza. Netanyahou l’a remplacé par le ministre des Affaires étrangères Israël Katz, communément considéré comme un béni-oui-oui sous la coupe de Netanyahou.
Les changements opérés par Netanyahou au sein de son cabinet prouvent qu’il se satisfait de dépendre non seulement des partis ultra-orthodoxes, qui sont
favorables au maintien d’un projet de dérogation au service militaire auquel Gallant était opposé, mais également des extrémistes, tels que le ministre de la Sécurité nationale Itamar
Ben-Gvir, qui ont explicitement appelé à la création d’une bande de Gaza peuplée de colons juifs et excluant toute présence palestinienne.
L’évolution politique aux États-Unis – le retour de Donald Trump au pouvoir – a également donné à Netanyahou une plus grande liberté de manœuvre pour
poursuivre le nettoyage ethnique. Le bilan du premier mandat de Trump, qui a accordé au gouvernement Netanyahou presque tout ce qu’il voulait, a rendu sa victoire ce mois-ci très
populaire en Israël. Ben-Gvir et son collègue extrémiste Bezalel Smotrich se sont montrés particulièrement enthousiastes face à sa victoire. Ben-Gvir a déclaré qu’avec le retour de Trump
au pouvoir : «Voici venu le temps
de la souveraineté, voici venu le temps de la victoire totale».
Pour ceux qui cherchent à donner à la victoire de Trump une autre tournure, plus orientée vers la paix pour Gaza, et parmi eux on compte certains Arabes
américains du Michigan qui l’ont soutenu, l’espoir réside dans les affirmations répétées mais vagues de Trump affirmant qu’il mettra fin, d’une manière ou d’une autre, à la guerre
actuelle au Moyen-Orient. Il ne fait aucun doute que Trump, comme tout autre président qui entre en fonction, aimerait que ce gâchis soit écarté de sa politique étrangère le plus tôt
possible au cours de son mandat. Mais le fait de chercher à mettre fin, en tout ou en partie, à la guerre ne dit rien sur la manière dont elle se terminerait.
L’autre facette de la politique de Trump au cours de son premier mandat au Moyen-Orient, outre l’extrême déférence à l’égard de Netanyahou, a été une
hostilité constante à l’encontre des Palestiniens, allant de la fermeture du bureau diplomatique palestinien à Washington à la suppression du financement de l’agence des Nations unies
chargée de l’aide humanitaire aux Palestiniens. Pendant la campagne présidentielle, Trump a utilisé le terme «palestinien» comme une insulte pour désigner son adversaire de l’époque, Joe
Biden.
Trump fera pression sur Netanyahou pour qu’il mette fin à l’assaut israélien contre Gaza (ainsi qu’à l’offensive au Liban) le plus tôt possible, mais il le
fera tout en restant muet sur la situation des Palestiniens qui vivent dans cette région. Le souhait publiquement exprimé par Trump est qu’Israël «finisse le travail» à Gaza. Le nettoyage
ethnique est une partie importante du «travail» auquel Israël se livre actuellement. Le finir signifie terminer le nettoyage ethnique dans le nord de la bande de Gaza, même si cela veut
dire remettre à plus tard la réalisation des plans israéliens plus ambitieux visant à vider le reste de la bande de ses habitants palestiniens.
Outre les questions morales et juridiques évidentes qu’elle soulève, l’épuration ethnique pratiquée par Israël à Gaza a d’autres conséquences s’agissant de
la stabilité régionale et des intérêts des États-Unis. La violence de la résistance palestinienne à Israël ne s’arrêtera pas, même si elle est menée en grande partie depuis l’exil. Les
mesures israéliennes extrêmes ne feront qu’accroître la colère et le désir de riposter.
La soumission des Palestiniens par Israël ayant été la principale source d’instabilité et de violence au Moyen-Orient – comme le démontre une nouvelle fois
la guerre actuelle au Liban et les échanges de tirs entre Israël et l’Iran découlant de la situation à Gaza – la forme extrême de soumission qu’est la purification ethnique alimentera
cette plus grande instabilité.
Les agissements d’Israël s’éloignent de plus en plus de tout ce que l’on peut raisonnablement considérer comme une réponse juste et appropriée à l’attaque
du Hamas de l’année dernière, et Israël en devient de plus en plus un paria sur le plan international. Dans la mesure où les États-Unis se sont associés à ces opérations, par la
fourniture persistante d’armes et le maintien d’une couverture diplomatique, ils seront de plus en plus la cible de l’opprobre de la communauté internationale. Les conséquences possibles
vont du boycott des entreprises américaines au terrorisme contre les intérêts et les citoyens américains.
Une femme accompagnée d’un enfant est
abattue alors qu’elle brandit un drapeau blanc | Des fillettes affamées sont écrasées à mort dans la file d’attente pour du pain | Un homme de 62 ans menotté est écrasé, manifestement par
un char d’assaut | Une frappe aérienne vise des personnes qui tentent d’aider un garçon blessé | Une base de données de milliers de vidéos, de photos, de témoignages, de rapports et
d’enquêtes documente les horreurs commises par Israël à Gaza.
La note de bas de page n° 379 du document très fouillé et très complet que l’historien Lee Mordechai a rédigé contient un lien vers un clip vidéo. On y
voit un gros chien ronger quelque chose au milieu de buissons. «Wai, wai, il a pris le terroriste, le terroriste est parti – parti dans les deux sens du terme», dit le soldat qui a filmé
le chien en train de manger un cadavre. Après quelques secondes, le soldat lève la caméra et ajoute : «Mais quelle vue magnifique, quel magnifique coucher de soleil ! Un soleil rouge
se couche sur la bande de Gaza». Un beau coucher de soleil, assurément.
Le rapport que le Dr Mordechai a compilé en ligne – «Bearing
Witness to the Israel-Gaza War» – constitue la documentation la plus méthodique et la plus détaillée en hébreu (il existe également une traduction en anglais) des crimes de
guerre perpétrés par Israël dans la bande de Gaza. Il s’agit d’un acte d’accusation choquant composé de milliers d’entrées relatives à la guerre, aux actions du gouvernement, des médias,
des forces de défense israéliennes et de la société israélienne en général. La traduction anglaise de la septième version du texte, la plus récente à ce jour, compte 124 pages et contient
plus de 1400 notes de bas de page faisant référence à des milliers de sources, y compris des rapports de témoins oculaires, des séquences vidéo, des documents d’enquête, des articles et
des photographies.
Par exemple, il existe des liens vers des textes et d’autres types de témoignages décrivant des actes attribués à des soldats de Tsahal qui ont été vus
«tirant sur
des civils agitant des drapeaux blancs, maltraitant des individus, des captifs et des cadavres, endommageant ou détruisant allègrement des maisons, diverses structures et institutions,
des sites religieux et pillant des biens personnels, ainsi que tirant au hasard avec leurs armes, tirant sur des animaux locaux, détruisant des propriétés privées, brûlant des livres dans
des bibliothèques, dégradant des symboles palestiniens et islamiques (y compris en brûlant des Corans et en transformant des mosquées en espaces de restauration)».
Un lien renvoie à la vidéo d’un soldat de Gaza brandissant une grande pancarte prise dans un salon de coiffure de la ville de Yehud, dans le centre
d’Israël, avec des corps éparpillés autour de lui. D’autres liens renvoient à des images de soldats déployés à Gaza lisant le Livre d’Esther, comme il est d’usage lors de la fête de
Pourim, mais à chaque fois que le nom du méchant Haman est prononcé, ils tirent un obus de mortier au lieu de se contenter d’agiter les bruiteurs traditionnels. Un soldat est vu en train
de forcer des prisonniers ligotés et les yeux bandés à envoyer des salutations à sa famille et à dire qu’ils veulent être ses esclaves. Des soldats sont photographiés tenant des piles
d’argent qu’ils ont pillées dans les maisons de Gaza. Un bulldozer des FDI est vu en train de détruire une grande pile de paquets de nourriture provenant d’une agence d’aide humanitaire.
Un soldat chante la chansonnette des enfants «L’année prochaine, nous brûlerons l’école», alors qu’on voit une école en flammes à l’arrière-plan. Et il y a de nombreuses séquences où l’on
voit des soldats montrant des sous-vêtements féminins qu’ils ont pillés.
La note de bas de page n°379 figure dans une sous-section intitulée «Déshumanisation dans les forces de défense israéliennes» qui est incluse dans le
chapitre intitulé «Discours israélien et déshumanisation des Palestiniens». Elle contient des centaines d’exemples du comportement cruel de la société israélienne et des institutions de
l’État à l’égard des habitants de Gaza qui souffrent – d’un Premier ministre qui parle d’Amalek, au chiffre de 18 000 appels d’Israéliens sur les médias sociaux pour raser la bande, aux
médecins israéliens qui soutiennent le bombardement des hôpitaux de Gaza, en passant par l’humoriste qui plaisante sur le fait que les Palestiniens ne sont pas les seuls à souffrir, Il
comprend également un chœur d’enfants chantant doucement «Dans un an, nous anéantirons tout le monde et nous reviendrons ensuite labourer nos champs», sur la mélodie de la chanson
emblématique de l’époque de la guerre d’indépendance, «Shir Hare’ut» (Chanson de la Camaraderie).
Les liens dans «Témoigner de la
guerre Israël-Gaza» mènent également à des images graphiques de corps éparpillés, dans toutes les conditions possibles, de personnes écrasées sous les décombres, de flaques de sang
et de cris de personnes qui ont perdu toute leur famille en un instant. Des éléments attestent du meurtre de personnes handicapées, d’humiliations et d’agressions sexuelles, de l’incendie
de maisons, de la famine forcée, de tirs aléatoires, de pillages, de l’abus de cadavres et de bien d’autres choses encore.
Même si tous les témoignages ne peuvent être corroborés, l’image qui s’en dégage est celle d’une armée qui, dans le meilleur des cas, a perdu le contrôle de
nombreuses unités, dont les soldats ont fait ce qui leur plaisait, et qui, dans le pire des cas, laisse son personnel commettre les crimes de guerre les plus atroces que l’on puisse
imaginer.
Mordechai cite des exemples d’horribles situations difficiles que la guerre a imposées aux habitants de Gaza. Un médecin qui ampute la jambe de sa nièce sur
une table de cuisine, sans anesthésie, à l’aide d’un couteau de cuisine. Des gens qui mangent de la chair de cheval et de l’herbe, ou qui boivent de l’eau de mer pour apaiser leur faim.
Des femmes obligées d’accoucher dans une salle de classe bondée. Des médecins regardant, impuissants, des blessés mourir parce qu’il n’y a aucun moyen de les aider. Des femmes affamées
poussées dans une file chaotique à l’extérieur d’une boulangerie ; selon le rapport, deux filles de 13 et 17 ans et une femme de 50 ans ont été écrasées à mort lors de cet
incident.
Dans les camps DP de la bande de Gaza en janvier, selon «Bearing Witness», il y avait en moyenne un cabinet de toilette pour 220 personnes et une douche
pour 4500 personnes. Un grand nombre de médecins et d’organisations de santé ont signalé que des maladies infectieuses et des affections cutanées se propageaient parmi un grand nombre de
Gazaouis.
Le quartier Shujaiyeh
de la ville de Gaza, le 7 octobre 2024. «Il n’est pas nécessaire qu’il y ait des camps de la mort
pour que cela soit considéré comme un génocide».
De plus en plus
d’enfants
Lee Mordechai, 42 ans, ancien officier du corps des ingénieurs de combat des FDI, est actuellement maître de conférences en histoire à l’université
hébraïque de Jérusalem, où il se spécialise dans les catastrophes humaines et naturelles des époques antique et médiévale. Il a écrit sur la peste de Justinien au VIe siècle et sur
l’hiver volcanique qui a frappé l’hémisphère nord en 536 de notre ère. Il a abordé le sujet de la catastrophe de Gaza d’une manière académique et historique, avec une prose sèche et peu
d’adjectifs, en utilisant la plus grande diversité possible de sources primaires ; ses écrits sont dépourvus d’interprétation et ouverts à l’examen et à la révision. C’est
précisément la raison pour laquelle les visages reflétés dans son texte sont si épouvantables.
«J’ai senti que je ne pouvais pas continuer à vivre dans ma bulle, que nous parlions de crimes capitaux et que ce qui se passait était tout simplement trop
important et contredisait les valeurs dans lesquelles j’avais été élevé ici», explique Mordechai. «Je ne cherche pas à confronter les gens ou à polémiquer. J’ai rédigé ce document pour
qu’il soit connu de tous. Ainsi, dans six mois, un an, cinq ans, dix ans ou cent ans, les gens pourront revenir en arrière et constater que c’est ce que l’on savait, ce qu’il était
possible de savoir, dès janvier ou mars dernier, et que ceux d’entre nous qui ne savaient pas ont choisi de ne pas savoir».
«Mon rôle en tant qu’historien, poursuit-il, est de donner la parole à ceux qui ne peuvent pas s’exprimer, qu’il s’agisse d’eunuques au XIe siècle ou
d’enfants à Gaza. Je cherche délibérément à ne pas faire appel aux émotions des gens et je n’utilise pas de mots qui pourraient être controversés ou obscurs. Je ne parle pas de
terroristes, de sionisme ou d’antisémitisme. J’essaie d’utiliser un langage aussi froid et sec que possible et de m’en tenir aux faits tels que je les comprends».
Mordechai était en congé sabbatique à Princeton lorsque la guerre a éclaté. Lorsqu’il se réveille le 7 octobre, c’est déjà l’après-midi en Israël. En
quelques heures, il a compris qu’il y avait une disparité entre ce que le public israélien voyait et la réalité. Cette compréhension découle d’un système alternatif de réception
d’informations qu’il s’était créé neuf ans plus tôt.
«En 2024, lors de l’opération Bordure protectrice [à Gaza], je suis rentré de mes études doctorales aux États-Unis et de mes recherches dans les Balkans.
J’ai eu l’impression qu’il n’y avait pas de discours ouvert en Israël ; tout le monde disait la même chose. J’ai donc fait un effort conscient pour accéder à d’autres sources
d’information – [basées sur] les médias étrangers, les blogs, les médias sociaux. Cela ressemble aussi à mon travail d’historien, qui consiste à rechercher des sources primaires. Je me
suis donc créé une sorte de système personnel pour comprendre ce qui se passait dans le monde. Le 7 octobre, j’ai activé le système et j’ai rapidement réalisé que le public en Israël
avait un retard de quelques heures – Ynet a publié un bulletin sur la possibilité que des otages aient été pris, mais j’avais déjà vu des clips d’enlèvements. Cela crée une dissonance
entre ce qui est dit sur la réalité de la situation et la réalité réelle, et ce sentiment s’intensifie».
Le rapport contient plus de 1400 notes de bas de page faisant référence à des milliers de sources. Il détaille les cas où les troupes israéliennes ont tiré
sur des civils brandissant des drapeaux blancs, ont maltraité des individus, des captifs et des cadavres, ont tiré au hasard avec leurs armes, ont joyeusement détruit des maisons, brûlé
des livres et dégradé des symboles islamiques.
En effet, la disparité entre ce que Mordechai a découvert et les informations parues dans les médias israéliens et étrangers n’a fait que s’accroître. «Au
début de la guerre, l’histoire la plus marquante était celle des 40 nourrissons israéliens décapités le 7 octobre. Cette histoire a fait les gros titres des médias internationaux, mais
lorsqu’on la compare à la liste [officielle de l’Assurance nationale] des personnes tuées, on se rend vite compte que
cela n’a pas eu lieu».
Mordechai a commencé à suivre les informations en provenance de Gaza sur les réseaux sociaux et dans les médias internationaux. «Dès le début, j’ai reçu un
flot d’images de destruction et de souffrance, et j’ai compris qu’il y avait deux mondes séparés qui ne se parlaient pas. Il m’a fallu quelques mois pour comprendre quel était mon rôle
ici. En décembre, l’Afrique du Sud a présenté ses revendications officielles de génocide à l’encontre d’Israël en 84 pages détaillées avec de multiples références à des sources pouvant
être recoupées».
«Je ne pense pas que tout doive être accepté comme une preuve», ajoute-t-il, «mais il faut s’y frotter, voir sur quoi cela repose, examiner ses
implications. Au début de la guerre, j’ai voulu retourner en Israël pour faire du bénévolat pour le compte d’une organisation de la société civile, mais pour des raisons familiales, je
n’ai pas pu le faire. J’ai décidé d’utiliser le temps libre dont je disposais pendant le congé sabbatique à Princeton pour essayer d’éclairer le public israélien qui ne consomme que les
médias locaux».
Il a publié la première version de «Bearing
Witness», de huit pages seulement, le 9 janvier. Selon le ministère de la santé de Gaza, officiellement connu sous le nom de ministère palestinien de la santé – Gaza, le nombre de
personnes tuées dans la bande de Gaza s’élevait alors à 23 210. «Je ne crois pas que ce qui est écrit ici entraînera un changement de politique ou convaincra beaucoup de gens», écrit-il
au début de ce document. «J’écris plutôt ceci publiquement, en tant qu’historien et citoyen israélien, afin de faire connaître ma position personnelle concernant l’horrible situation
actuelle à Gaza, au fur et à mesure que les événements se déroulent. J’écris en tant qu’individu, en partie à cause du silence général décevant sur ce sujet de la part de nombreuses
institutions académiques locales, en particulier celles qui sont bien placées pour le commenter, même si certains de mes collègues se sont courageusement exprimés».
Depuis, Mordechai a passé plusieurs centaines d’heures à collecter des informations et à écrire, continuant à mettre à jour le document qui figure sur le
site web qu’il a créé. Depuis qu’il s’est lancé dans ce projet, il a amélioré sa façon de travailler : il compile méticuleusement des rapports provenant de différentes sources sur une
feuille de calcul Excel, à partir de laquelle il sélectionne, après un examen approfondi, les éléments qui seront mentionnés dans le texte. Il utilise une grande variété de sources :
images filmées par des civils, articles de presse, rapports des Nations unies et d’autres organisations internationales, médias sociaux, blogs, etc.
Bien qu’il reconnaisse que certaines de ses sources ne respectent pas les normes journalistiques ou éthiques, Mordechai s’en tient à la crédibilité de sa
documentation. «Ce n’est pas comme si je copiais-collais tout ce que quelqu’un d’autre trouve. D’un autre côté, il est clair qu’il y a un fossé entre ce qui existe et ce que nous
aimerions voir : Nous aimerions que chaque incident dans la bande de Gaza soit examiné correctement par deux organisations internationales indépendantes et non indépendantes, mais cela
n’arrivera pas».
«J’examine donc qui rapporte l’information, s’il a été pris en flagrant délit de mensonge, si une association ou un blogueur a transmis des informations
dont je peux prouver qu’elles sont incorrectes – et si c’est le cas, j’arrête de les utiliser et je les supprime. Je donne plus de poids aux sources neutres, comme les organisations de
défense des droits de l’homme et les Nations unies, et je fais une sorte de synthèse entre les sources pour voir si elles [les informations] sont cohérentes. Je travaille également de
manière très ouverte et j’invite tous ceux qui le souhaitent à me contrôler. Je serais très heureux de voir que je me suis trompé dans ce que j’ai écrit, mais ce n’est pas le cas. Jusqu’à
présent, j’ai dû faire très peu de corrections».
La lecture du rapport de Mordechai permet de dissiper le brouillard qui recouvre les Israéliens depuis le début de la guerre. Le nombre de morts en est un
bon exemple : La guerre du 7 octobre est la première guerre dans laquelle Israël ne fait aucun effort pour comptabiliser le nombre de tués dans l’autre camp. En l’absence de toute autre
source, de nombreuses personnes dans le monde – gouvernements étrangers, médias, organisations internationales – s’appuient sur les rapports du ministère palestinien de la santé – Gaza,
qui sont jugés tout à fait crédibles. Israël s’efforce de démentir les chiffres du ministère. Les médias locaux indiquent généralement que la source de ces données est le «ministère de la
Santé du Hamas».
Des enfants
palestiniens dans un centre de distribution de nourriture à Deir al-Balah, la semaine dernière. Mordechai
affirme que plus d’enfants ont été tués à Gaza que tous les enfants de toutes les guerres du
monde, au cours des trois années précédant le 7 octobre.
Cependant, peu d’Israéliens savent que non seulement les FDI et le gouvernement israélien ne disposent pas de leurs propres chiffres concernant le nombre de
morts, mais que des sources israéliennes haut placées, ne disposant pas d’autres données, finissent par confirmer celles publiées par le ministère à Gaza. À quel niveau ?
Benjamin Netanyahou lui-même. Le 10 mars, par exemple, le premier ministre a déclaré dans une interview qu’Israël avait tué 13 000 militants armés du Hamas
et estimé que pour chacun d’entre eux, 1,5 civil avait été tué. En d’autres termes, jusqu’à cette date, entre 26 000 et 32 500 personnes avaient été tuées dans la bande de Gaza. Ce
jour-là, le ministère palestinien a publié un chiffre de 31 112 morts à Gaza, dans la fourchette citée par Netanyahou. À la fin du mois, Netanyahou a parlé de 28 000 morts, soit environ
4600 de moins que le chiffre officiel palestinien. Fin avril, le Wall Street Journal a cité une estimation d’officiers de haut rang des FDI selon laquelle le nombre de morts s’élevait à
environ 36 000, soit plus que le chiffre publié par le ministère palestinien à l’époque.
Mordechai : «Il semble que, du côté israélien, on choisisse de ne pas s’occuper des chiffres, bien qu’Israël puisse ostensiblement le faire – la technologie
existe, et Israël contrôle le registre de la population palestinienne. L’establishment de la défense dispose également d’images faciales ; il pourrait les recouper et voir si une
personne déclarée morte est passée par un point de contrôle. Allez, montrez-moi ! Donnez-moi des preuves et je changerai d’approche. Cela me compliquera la vie, mais je serai
beaucoup moins contrarié.
Je pense que nous devons nous demander quelle «barre» de preuves est nécessaire pour que nous changions d’avis sur le nombre de Palestiniens qui ont été
tués. C’est une question que chacun d’entre nous doit se poser – peut-être que pour vous les preuves que je cite ne sont pas suffisantes – parce qu’il doit y avoir une sorte d’étape
réaliste dans l’accumulation des preuves à partir de laquelle nous accepterons les chiffres comme fiables».
«Pour moi, explique-t-il, ce moment est arrivé il y a longtemps. Une fois que l’on a fait le sale boulot et que l’on comprend un peu mieux les chiffres, la
question n’est plus de savoir combien de Palestiniens sont morts, mais pourquoi et comment le public israélien continue de douter de ces chiffres après plus d’un an d’hostilités et en
dépit de toutes les preuves».
Dans son rapport, il cite les chiffres du ministère palestinien qui mentionnent, parmi les personnes tuées depuis le début de la guerre jusqu’en juin
dernier, 273 employés des Nations unies et des organisations humanitaires, 100 professeurs, 243 athlètes, 489 travailleurs de la santé (dont 55 médecins spécialistes), 710 enfants de
moins d’un an et quatre prématurés qui sont morts après que les FDI ont forcé l’infirmier qui s’occupait d’eux à quitter l’hôpital. L’infirmier s’occupait de cinq prématurés et a décidé
de sauver celui qui semblait avoir les meilleures chances de survie. Les corps en décomposition des quatre autres ont été retrouvés dans des couveuses deux semaines plus tard.
La note de bas de page du texte de Mordechai concernant ces nourrissons ne fait pas référence à un tweet d’un habitant de Gaza ou à un blog pro-palestinien,
mais à une
enquête du Washington
Post. Les Israéliens qui s’interrogent sur «Bearing Witness to
the Israel-Gaza War» au motif qu’il s’appuie sur les médias sociaux ou sur des rapports non vérifiés doivent savoir qu’il se fonde également sur des dizaines d’enquêtes menées par
presque tous les médias occidentaux qui se respectent. De nombreux médias ont examiné les incidents survenus à Gaza en appliquant des normes journalistiques rigoureuses et ont trouvé des
preuves d’atrocités.
Une enquête de CNN a
corroboré l’affirmation palestinienne concernant le «massacre de la farine», au cours duquel environ 150 Palestiniens venus chercher de la nourriture auprès d’un convoi d’aide le 1er mars
ont été tués. Les FDI ont déclaré que c’était la foule et la bousculade des habitants de Gaza eux-mêmes qui les avaient tués, et non les coups de semonce tirés par les soldats dans la
zone. En fin de compte, l’enquête de CNN, fondée sur
une analyse minutieuse de la documentation et sur 22 entretiens avec des témoins oculaires, a révélé que la plupart des victimes mortelles avaient effectivement été tuées par des tirs
d’avertissement.
Interrogé sur l’image qui l’a le plus marqué, Mordechai mentionne une photo du corps de Jamal Hamdi Hassan Ashour, 62 ans, qui aurait été écrasé par un char
d’assaut et dont le corps a été mutilé au point d’être méconnaissable. L’image a été publiée sur une chaîne Telegram israélienne avec la légende suivante : «Vous allez adorer
ça !».
Le New York
Times, ABC, CNN,
la BBC, des
organisations internationales et l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem ont publié les résultats de leurs propres enquêtes sur des actes de torture, des
sévices, des viols et d’autres atrocités perpétrés contre des détenus palestiniens dans la base
de Sde Teiman des FDI dans le Néguev et dans d’autres installations. Amnesty International a examiné quatre incidents dans lesquels il n’y avait pas de cible militaire ni de
justification à l’attaque et au cours desquels les forces de l’armée israélienne ont tué 95 civils au total.
Une enquête menée fin mars par Yaniv Kubovich dans Haaretz a montré que les FDI créaient des «zones de mort» dans lesquelles de nombreux civils étaient
abattus après avoir franchi une ligne imaginaire délimitée par un commandant de terrain ; les victimes étaient classées dans la catégorie des terroristes après leur mort.
La BBC a mis
en doute les estimations des FDI concernant le nombre de terroristes que ses forces ont tués en général ; CNN a fait
un rapport détaillé sur un incident au cours duquel une famille entière a été éliminée ; NBC a
enquêté sur une attaque contre des civils dans des zones dites humanitaires ; le Wall Street
Journal a vérifié que les FDI s’appuyaient sur des rapports de décès à Gaza publiés par le ministère palestinien de la santé ; AP a
affirmé dans un rapport détaillé que les FDI n’avaient présenté qu’un seul élément de preuve fiable montrant que le Hamas opérait sur le terrain d’un hôpital – le tunnel découvert dans la
cour de l’hôpital Shifa ; The New
Yorker et The
Telegraph ont publié les résultats d’enquêtes approfondies sur des cas d’enfants dont les membres ont dû être amputés, et bien d’autres choses encore – toutes mentionnées dans
«Bearing
Witness».
Le rapport publié cette semaine par le ministère palestinien de la santé – Gaza, qui indique que depuis le 7 octobre, 1140 familles ont été totalement
rayées du registre de la population locale, probablement victimes de bombardements aériens, n’est pas inclus dans le rapport.
Mordechai cite de nombreux éléments relatifs au laxisme des règles d’engagement des FDI dans la bande de Gaza. Un clip montre un groupe de réfugiés avec une
femme à l’avant, tenant son fils d’une main et un drapeau blanc de l’autre ; on la voit se faire tirer dessus, probablement par un sniper, et s’effondrer tandis que l’enfant lui
lâche la main et s’enfuit pour sauver sa vie. Un autre incident, largement diffusé fin octobre, montre Mohammed Salem, 13 ans, appelant à l’aide après avoir été blessé lors d’une attaque
de l’armée de l’air.
Alors qu’ils s’approchent pour offrir de l’aide, ils sont la cible d’une nouvelle attaque de ce type. Salem et un autre jeune ont été tués, et plus de 20
personnes ont été blessées.
Mordechai reconnaît que le fait de regarder les témoignages visuels de la guerre a endurci son cœur – aujourd’hui, il peut regarder même les scènes les plus
horribles. «Lorsque les vidéos d’ISIS ont été publiées [il y a des années], je ne les ai pas regardées. Mais là, j’ai senti que c’était mon obligation, parce que c’est fait en mon nom,
donc je dois les voir pour transmettre ce que j’ai vu. Ce qui est important, c’est la quantité ; ce sont des enfants, et encore des enfants, et encore des enfants».
Mordechai. «J’ai
écrit cela pour que dans un semestre ou dans 100 ans, les gens reviennent
en arrière et voient que c’est ce qu’il était possible de savoir, dès le
mois de janvier, et que ceux d’entre nous qui ne savaient pas ont
choisi de ne pas savoir.
Lorsqu’on lui demande laquelle des milliers d’images, qu’il s’agisse de vidéos ou de photos, de personnes mortes, blessées ou souffrantes l’a le plus
marqué, Mordechai réfléchit et mentionne la photo du corps d’un homme qui a ensuite été identifié comme étant Jamal Hamdi Hassan Ashour. Ashour, 62 ans, aurait été écrasé par un char
d’assaut en mars, son corps ayant été mutilé au point d’être méconnaissable. Une ligature sur l’une de ses mains atteste qu’il avait été détenu auparavant, selon des sources
palestiniennes.
L’image a été publiée sur une chaîne Telegram israélienne avec la légende «Vous allez adorer ça !».
«Je n’ai jamais rien vu de tel dans ma vie», déclare Mordechai à Haaretz. «Mais
le pire, c’est que l’image a été partagée par des soldats dans un groupe Telegram israélien et qu’elle a suscité des réactions très favorables».
Outre les informations concernant Ashour, «Bearing Witness»
fournit des liens vers les images d’un certain nombre d’autres corps dont l’état suggère qu’ils ont été écrasés par des véhicules blindés. Dans un cas, selon un rapport palestinien, les
victimes étaient une mère et son fils.
Un cas mentionné uniquement dans une note de bas de page témoigne des questions relatives aux méthodes de Mordechai et aux dilemmes auxquels il a été
confronté. Fin mars, Al
Jazeera a diffusé une interview d’une femme qui était arrivée à l’hôpital Shifa de Gaza et avait déclaré que des soldats des FDI avaient violé des femmes. Peu de temps après, la
famille de cette femme a démenti ses allégations et Al
Jazeera a supprimé le reportage, mais de nombreuses personnes avaient encore des doutes.
«Selon ma méthodologie, après la suppression d’Al Jazeera, ce n’est pas crédible et cela n’a pas eu lieu», explique Mordechai. «Mais je me pose aussi la
question : Peut-être que je participe à la réduction au silence de cette femme ? Et ce n’est pas pour honorer la vérité que cette femme est réduite au silence, mais au nom de son honneur
et de celui de sa famille. Est-ce parfait ? Ce n’est pas parfait, mais en fin de compte, je suis un être humain et c’est à moi de décider. J’ai donc expliqué dans une note de bas de page
qu’il s’agissait de l’allégation d’une femme et j’ai ajouté [qu’elle était] «presque certainement fausse» pour exprimer mes réserves».
«Je ne garantis pas que chaque témoignage soit totalement fiable. En fait, personne ne sait exactement ce qui se passe à Gaza – ni les médias
internationaux, ni les Israéliens, ni même les forces de défense israéliennes.
Dans «Bearing Witness», je soutiens que le fait de faire taire les voix de Gaza – de restreindre les informations qui en sortent – fait partie de la méthode
de travail qui rend la guerre possible. Je soutiens la synthèse que j’utilise et j’aimerais avoir tort. Mais du côté israélien, il n’y a rien. Je parle de preuves – apportez-moi des
preuves !
L’un des cas décrits dans le document, même si de nombreux Israéliens auront du mal à le croire, concerne l’utilisation par les FDI d’un drone qui émettait
le son des pleurs d’un nourrisson afin de déterminer où se trouvaient les civils et peut-être de les faire sortir de leur abri. Dans la vidéo référencée par le lien donné par Mordechai,
on entend des pleurs et on voit les lumières d’un drone.
«Nous savons qu’il y a des drones équipés de haut-parleurs, peut-être qu’un soldat qui s’ennuie décide de le faire pour plaisanter et que cela est perçu par
les Palestiniens comme une horreur», explique-t-il. «Mais est-ce si exagéré qu’un soldat, au lieu d’être filmé avec des culottes et des soutiens-gorge ou de dédier l’explosion d’une rue à
sa femme, fasse quelque chose comme ça ? C’est peut-être une invention, mais c’est compatible avec ce que je vois». Cette semaine, Al Jazeera a diffusé un reportage d’investigation sur
les «drones
pleureurs» et a affirmé que leur utilisation avait été confirmée par un certain nombre de témoins oculaires qui ont tous raconté la même histoire.
«Nous pouvons toujours contester ce genre de témoignages anecdotiques, mais il est plus difficile de le faire face à des montagnes de témoignages plus
étayés», note Mordechai. «Par exemple, des dizaines de médecins américains qui ont travaillé bénévolement à Gaza ont rapporté qu’ils voyaient presque tous les jours des enfants qui
avaient reçu une balle dans la tête. Essayons-nous même d’expliquer ou de faire face à cela ?»
Plus d’enfants ont été tués à Gaza que dans toutes les guerres du monde au cours des trois années précédant le 7 octobre. Au cours du premier mois de la
guerre, le nombre d’enfants tués était dix fois supérieur au nombre d’enfants tués au cours de la guerre d’Ukraine en un an.
L’un des sommets de la brutalité militaire israélienne à Gaza s’est manifesté lors du deuxième grand raid
sur l’hôpital Shifa à la mi-mars, ajoute l’historien ; il y consacre d’ailleurs un chapitre distinct. Les FDI ont affirmé que l’hôpital était un centre d’activité du Hamas à
l’époque et qu’il y avait eu des échanges de tirs pendant le raid, à la suite duquel 90 membres du Hamas avaient été arrêtés, certains d’entre eux occupant des postes de haut rang.
Cependant, l’occupation de Shifa par les FDI s’est poursuivie pendant environ deux semaines. Au cours de cette période, selon des sources palestiniennes,
l’hôpital est devenu une zone de meurtres et de tortures.
Apparemment, 240 patients et membres du personnel médical ont été enfermés dans l’un des bâtiments pendant une semaine, sans accès à la nourriture. Les
médecins présents sur place ont rapporté qu’au moins 22 patients étaient décédés. Un certain nombre de témoins oculaires, y compris des membres du personnel, ont décrit des exécutions.
Une vidéo tournée par un soldat montre des détenus ligotés et les yeux bandés, assis dans un couloir, face à un mur. Selon les sources, après le retrait des FDI de l’hôpital, des dizaines
de corps ont été découverts dans la cour. Un certain nombre de clips documentent la collecte des corps, certains mutilés, d’autres enterrés sous des décombres ou gisant dans de grandes
mares de sang coagulé. Une corde est attachée autour du bras de l’un des hommes morts, ce qui pourrait indiquer qu’il a été ligoté avant d’être tué.
D’autres sommets de brutalité ont été atteints au cours des deux derniers mois dans le cadre de l’opération militaire en cours dans la partie nord de la
bande de Gaza. L’opération a débuté le 5 octobre. Les FDI ont coupé Jabalya, Beit Lahia et Beit Hanoun de la ville de Gaza, et les habitants ont reçu l’ordre de partir.
Beaucoup l’ont fait, mais plusieurs milliers sont restés dans la zone assiégée.
À ce stade, l’armée a lancé ce que l’ancien chef d’état-major des FDI et ministre de la défense, Moshe Ya’alon, a qualifié cette semaine de «nettoyage
ethnique» de la région : Les groupes d’aide ont été interdits d’accès, le dernier dépôt de farine a été incendié et les deux dernières boulangeries fermées, et même les activités des
équipes de défense civile qui évacuaient les blessés ont été interdites. L’approvisionnement en eau a été interrompu, les ambulances ont été mises hors service et les hôpitaux ont été
attaqués.
Mais l’effort principal de l’armée s’est concentré sur les raids aériens. Presque chaque jour, les Palestiniens font état de dizaines de morts lors du
bombardement d’immeubles d’habitation et d’écoles, devenus des camps de déplacés. Le rapport de Mordechai cite des dizaines de témoignages bien documentés sur les campagnes de
bombardement : familles ramassant les corps de leurs proches parmi les ruines, funérailles dans d’immenses fosses communes, blessés couverts de poussière, adultes et enfants en état de
choc, personnes pleurant avec des morceaux de corps éparpillés autour d’elles, et ainsi de suite.
Les conséquences de
l’opération de deux semaines menée par les FDI à l’hôpital Shifa, en avril.
Dans un clip vidéo datant du 20 octobre, on voit deux enfants extraits des décombres. Le premier a l’air abasourdi, les yeux exorbités et totalement couvert
de sang et de poussière. À côté de lui, on retire un corps sans vie, apparemment celui d’une fille.
Au cours des deux dernières semaines, Haaretz a, pour sa part, envoyé des questions à l’unité du porte-parole de l’armée israélienne concernant une
trentaine d’incidents, la plupart à Gaza, au cours desquels de nombreux civils ont été tués. L’unité a répondu qu’elle avait classé la plupart d’entre eux comme des événements inhabituels
et qu’ils avaient été renvoyés à l’état-major général pour une enquête plus approfondie.
Mordechai rejette d’emblée l’affirmation couramment entendue par les Israéliens selon laquelle ce qui se passe à Gaza n’est pas si terrible si on le compare
à d’autres guerres. «Bearing Witness» montre, par exemple, que plus d’enfants ont été tués à Gaza que tous les enfants tués dans toutes les guerres du monde au cours des trois années qui
ont précédé la guerre du 7 octobre. Dès le premier mois de la guerre, le nombre d’enfants morts était 10 fois supérieur au nombre d’enfants tués dans la guerre d’Ukraine en un an.
Plus de journalistes ont été tués à Gaza que pendant toute la Seconde Guerre mondiale. Selon une
enquête publiée par Yuval Avraham sur le site web Sicha Mekomit (Local Call), concernant les systèmes d’intelligence artificielle utilisés dans les campagnes de bombardement des
FDI à Gaza, l’autorisation a été donnée de tuer jusqu’à 300 civils afin d’assassiner des personnalités de haut rang du Hamas. En comparaison, des documents révèlent que pour les forces
armées américaines, ce chiffre s’élevait à un dixième de ce nombre – 30 civils – dans le cas d’un meurtrier d’une plus grande envergure que Yahya Sinwar : Oussama Ben Laden.
Il n’est pas nécessaire qu’il y ait des camps de la mort pour que l’on puisse parler de génocide. Tout se résume à la commission d’actes et à l’intention,
et l’existence des deux doit être établie. Lee Mordechai
Un rapport
d’enquête du Wall Street
Journal affirme qu’Israël a déversé plus de bombes sur Gaza au cours des trois premiers mois de la guerre que les États-Unis n’en ont largué sur l’Irak en six ans.
Quarante-huit prisonniers sont morts dans les centres de détention israéliens au cours de l’année écoulée, contre neuf à Guantanamo au cours de ses 20 années d’existence. Les chiffres
sont également éloquents lorsqu’il s’agit des données concernant les décès dans les guerres menées par d’autres pays : En Irak, les forces de la coalition ont tué 11 516 civils en cinq
ans, et 46 319 civils ont été tués au cours des 20 années de guerre en Afghanistan. Selon les estimations les plus indulgentes, quelque 30 000 civils ont été tués dans la bande de Gaza
depuis le 7 octobre 2023.
Le rapport de Mordechai reflète non seulement les horreurs qui se produisent à Gaza, mais aussi l’indifférence d’Israël à leur égard. «Au début, on a tenté
de justifier l’invasion de l’hôpital Shifa ; aujourd’hui, il n’y a même pas cette prétention – vous attaquez des hôpitaux et il n’y a pas de discussion publique. Nous ne faisons face
d’aucune manière aux implications de ces opérations. Vous ouvrez les médias sociaux et vous êtes submergés par la déshumanisation. Qu’est-ce que cela nous fait ? J’ai grandi dans une
société dont l’éthique était totalement différente. Il y a toujours eu des pommes pourries, mais regardez l’affaire du bus n° 300 [un événement survenu en 1984, au cours duquel des
agents du Shin Bet sur le terrain ont exécuté deux Arabes qui avaient détourné un bus] et voyez où nous en sommes aujourd’hui. Il est important pour moi de tendre un miroir, il est
important pour moi que ces choses soient connues. C’est ma forme de résistance».
Un sombre secret
Dans les versions les plus récentes de «Bearing Witness», Mordechai a ajouté une annexe qui explique pourquoi, selon lui, les actions d’Israël à Gaza
constituent un génocide, un sujet qu’il a développé au cours de notre conversation. «Nous devons déconnecter l’idée que nous nous faisons du génocide en tant qu’Israéliens – les chambres
à gaz, les camps de la mort et la Seconde Guerre mondiale – du modèle qui apparaît dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide [de 1948]», explique-t-il.
«Il n’est pas nécessaire qu’il y ait des camps de la mort pour que cela soit considéré comme un génocide. Tout se résume à la commission d’actes et à l’intention, et l’existence de ces
deux éléments doit être établie. En ce qui concerne la commission d’actes, il s’agit de meurtres, mais pas seulement – [il y a] aussi des blessures, des enlèvements d’enfants et même de
simples tentatives d’empêcher les naissances au sein d’un groupe particulier de personnes. Tous ces actes ont en commun la destruction délibérée d’un groupe.
«Les gens à qui je parle ne discutent généralement pas des actions entreprises, ils discutent de l’intention. Ils diront qu’il n’existe aucun document
montrant que Netanyahou ou [le chef d’état-major des FDI] Herzl Halevi ont ordonné un génocide. Mais il y a des déclarations et des témoignages. Il y en a beaucoup, beaucoup. L’Afrique du
Sud a soumis un document de 120 pages qui contient un grand nombre de témoignages prouvant l’intention. Le journaliste Yunes Tirawi a recueilli des déclarations sur le génocide et le
nettoyage ethnique sur les médias sociaux de plus de 100 personnes ayant des liens avec Tsahal – apparemment de nombreux officiers de réserve. «Que faisons-nous avec tout cela ? De mon
point de vue, les faits parlent. Je vois une ligne directe entre ces déclarations, l’absence de tentative de lutte contre ces déclarations, et la réalité sur le terrain qui correspond à
ces déclarations».
La version anglaise de «Bearing Witness» fait référence à des articles rédigés par six autorités israéliennes de premier plan, qui ont déjà déclaré qu’à
leur avis, Israël commet un génocide : Omer Bartov, spécialiste de l’Holocauste et du génocide ; Daniel Blatman, chercheur sur l’Holocauste (qui a écrit que ce que fait Israël à Gaza
se situe entre le nettoyage ethnique et le génocide) ; l’historien Amos Goldberg ; Raz Segal, spécialiste de l’Holocauste ; Itamar Mann, expert en droit
international ; et l’historien Adam Raz.
’La définition est moins importante», dit Mordechai. «Ce qui est important, ce sont les actes. Admettons que la Cour internationale de justice de La Haye
déclare dans quelques années qu’il ne s’agit pas d’un génocide mais d’un quasi génocide. Cela atteste-t-il d’une victoire morale d’Israël ? Ai-je envie de vivre dans un endroit qui
perpétue un «quasi-génocide» ? Le débat sur le terme attire l’attention, mais les choses se produisent d’une manière ou d’une autre, qu’elles atteignent la barre ou non. En fin de compte,
nous devons nous demander comment arrêter cela et comment nous répondrons à nos enfants lorsqu’ils nous demanderont ce que nous avons fait pendant la guerre. Nous devons agir.
Mais la définition est importante. Vous dites aux Israéliens : «Regardez, vous vivez à Berlin en 1941». Quel est l’impératif moral pour les personnes qui
vivaient à Berlin à l’époque ? Qu’est-ce qu’un citoyen est censé faire lorsque son État commet un génocide ?
«Une position morale a toujours un prix. S’il n’y a pas de prix, il s’agit simplement d’une position normative acceptée. La valeur d’une chose pour une
personne est exprimée par le prix qu’elle est prête à payer pour l’obtenir. D’un autre côté, je suis conscient que les gens ont aussi d’autres considérations et d’autres besoins – ramener
de la nourriture à la maison, préserver les liens avec leur famille – chacun doit prendre ses propres décisions. De mon point de vue, ce que je fais, c’est parler et continuer à parler,
que les gens m’écoutent ou non. Cela me prend beaucoup de temps et de force mentale, mais je suis arrivé à la conclusion que c’est la chose la plus utile que je puisse faire.
Après notre séparation, Mordechai m’a envoyé un dernier lien. Celui-ci n’était pas lié à un témoignage sur les atrocités commises à Gaza, mais à une
nouvelle de la regrettée romancière américaine Ursula K. Le Guin, «The Ones Who Walk Away from Omelas» (Ceux qui s’éloignent d’Omelas). L’histoire parle de la ville d’Omelas, où les gens
sont beaux et heureux, et où leur vie est intéressante et joyeuse. Mais à l’âge adulte, les citoyens d’Omelas apprennent peu à peu le sombre secret de leur ville : leur bonheur dépend de
la souffrance d’un enfant qui est contraint de rester dans une pièce insalubre sous terre, et ils n’ont pas le droit de le consoler ou de l’aider. «C’est l’existence de l’enfant, et leur
connaissance de son existence, qui rend possible la noblesse de leur architecture, le caractère poignant de leur musique, la profondeur de leur science. C’est à cause de l’enfant qu’ils
sont si doux avec les enfants», écrit Le Guin.
La majorité des habitants d’Omelas continuent à vivre avec cette connaissance, mais de temps en temps, l’un d’entre eux rend visite à l’enfant et ne revient
pas, mais continue à marcher et abandonne la ville. L’histoire se termine ainsi : «Ils avancent dans les ténèbres et ne reviennent pas. L’endroit vers lequel ils se dirigent est un lieu
encore moins imaginable pour la plupart d’entre nous que la cité du bonheur. Je ne peux absolument pas le décrire. Il est possible qu’il n’existe pas. Mais ils semblent savoir où ils
vont».
Le bureau du porte-parole de l’IDF a répondu que l’IDF «n’opère que contre des cibles militaires et prend toute une série de précautions pour éviter de
blesser des non-combattants, notamment en émettant des avertissements à l’intention des citoyens. En ce qui concerne les arrestations, tout soupçon de violation des ordres ou du droit
international fait l’objet d’une enquête et est traité. En général, si l’on soupçonne un soldat de s’être mal comporté et d’avoir commis un acte criminel, une enquête est ouverte par la
division des enquêtes criminelles de la police militaire».
Ce qui se passe à Gaza est bien un génocide, entrepris par le gouvernement de Benjamin Netanyahou, pour faire disparaître de Gaza cette population palestinienne dont le reste du monde ne veut pas
qu’elle soit déplacée. L’établissement d’un génocide est un sujet technique, non pas seulement du point de vue juridique, mais du point de vue de l’appréhension des faits. Les événements
collectés sur le terrain rentrent-ils dans la définition du génocide établie par les chercheurs et reprise par les grandes organisations internationales, à commencer par la Cour Internationale de
communication Justice? C’est là que le travail d’Amnesty International est précieux. Il aide à documenter et étayer l’enquête.
Le lecteur trouvera ci-dessus le rapport complet établi par Amnesty International pour prouver que les violences massives commises par les Israéliens à Gaza
constituent bien les éléments d’un génocide.
Nous prévenons les lecteurs que les réalités décrites dans ce rapport sont insoutenables. Par contraste, elles en disent long
sur le refus de voir de notre gouvernement et d’une partie de la classe politique et de l’intelligentisia française.
Les autorités israéliennes ont commis et commettent toujours des actes interdits par la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, dans l’intention
spécifique de détruire physiquement la population palestinienne de Gaza.
Elles se sont notamment rendues coupables de meurtres, d’atteintes graves à l’intégrité
physique ou mentale des personnes, et de soumission délibérée des Palestiniens et Palestiniennes de Gaza à des conditions de vie destinées à entraîner leur destruction physique. Depuis
plus d’un an, la population palestinienne de Gaza a été déshumanisée et traitée comme un groupe de sous-humains ne méritant pas le respect de ses droits fondamentaux, ni de sa dignité.
Nos conclusions accablantes doivent sonner comme un signal d’alarme pour la communauté internationale : il s’agit d’un génocide, qui doit cesser immédiatement. (…)
Nos équipes de chercheur·ses et d’expert·es ont examiné et analysé rigoureusement et méthodiquement un ensemble de faits survenus entre octobre 2023 et juillet 2024, qui par leur
récurrence, leur simultanéité, leurs effets immédiats ou leurs conséquences cumulées s’avèrent constituer des actes relevant de la Convention sur le génocide.
Le génocide, un terme défini par le droit international
Déterminer s’il y a eu génocide relève d’une conclusion juridique. Nos expert·es se sont concentrés sur le cadre juridique du génocide en droit international, tel qu’il est
défini et érigé en infraction par la Convention sur le génocide et repris tel quel par le Statut de Rome. Ils ont d’abord vérifié que les Palestinien.es faisaient bien partie d’un
groupe protégé tel que défini dans la Convention : à savoir un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Ils ont ensuite examiné rigoureusement et méthodiquement l’ensemble des
faits commis par les forces israéliennes d’octobre 2023 à juillet 2024 dans la bande Gaza pour vérifier s’ils correspondaient bien aux actes constitutifs d’un génocide, tels qu’énoncés
dans la Convention. Enfin, ils ont examiné les différentes preuves permettant de déterminer l’intention, un des critères clés de la définition de la Convention sur le génocide.
Bombardements incessants de zones densément peuplées, destruction de structures hospitalières, coupure permanente d’eau et d’électricité, entrave à la délivrance d’aide humanitaire,
multiples déplacements forcés de la population…
Ces différentes attaques et actions commises par les forces israéliennes dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre 2023 ont été scrupuleusement examinées.
Un génocide sous nos yeux
Comme historien du nazisme, et en particulier de la Shoah, j’ai travaillé sur des milliers de documents et de témoignages concernant les politiques génocidaires des
nazis. Comme professeur, j’ai expliqué à des étudiants comment une violence de masse passait le seuil au-delà duquel on pouvait la qualifier de génocidaire.
Pour ces raisons, je constate la qualité du rapport établi par Amnesty International
J’y ajoute un constat : Ce rapport ne nous parle pas
au passé. Il nous parle d’un génocide en train de se dérouler, sous nos yeux.
Meyssan : « Netanyahou a menti à son peuple sur ses relations avec le Hamas »
Dans ce quinzomadaire, nous revenons avec Thierry Meyssan sur le cessez-le-feu au Liban et sur le mandat d’arrêt international délivré par la CPI contre Benjamin Netanyahou et Yoav Gallant. C’est
l’occasion de réévoquer les relations entre le Premier Ministre israélien et le Hamas… et sa de plus en plus plausible implication dans les événements du 7 octobre 2023.
La presse française en parle peu, mais les juges israéliens resserrent peu à peu l’étau autour de Benjamin Netanyahou, sur les événements du 7 octobre
2023. Le Courrier a déjà évoqué cette
question.
Thierry Meyssan revient sur cette question à l’occasion de notre émission. Il rappelle les soutiens financiers massifs accordés par Benjamin Nétanyahou. Dans la
pratique, le rôle du Premier Ministre israélien dans le déroulement du 7 octobre pose de nombreux problèmes, soulève de nombreuses questions, qui nourrissent un soupçon sur les tenants et
aboutissants de cette journée terrible.
Et si Nétanyahou avait menti à son peuple ?
Netanyahou n’arrive pas à dissimuler la défaite stratégique d’Israël face au Hezbollah
Le Premier ministre israélien a beau jouer l’énergie et la maîtrise sur les événements dans son discours du 26 novembre 2024, il ne peut pas dissimuler la défaite stratégique de Tsahal contre le
Hezbollah. Deux mois après l’assassinat du secrétaire général du Hezbollah, Nasrallah, et d’une partie de l’état-major du mouvement combattant chiite libanais, une comparaison avec l’offensive de
2006 montre que l’armée israélienne n’a pas pu avancer plus que durant la campagne d’il y a dix-huit ans, considérée comme une défaite. Petit à petit la vérité se fait jour: c’est Israël, et non
le Hezbollah, qui était pressé d’arriver à un cessez-le-feu.
Benjamin Netanyahou a prononcé hier un discours pour expliquer à ses compatriotes pourquoi il était nécessaire de signer un cessez-le-feu au Liban.
Commençons par la fin du discours. Netanyahou explique qu’il y a trois raisons de signez le cessez-le-feu :
(1) Se concentrer sur l’Iran. Et là il dit qu’il ne peut pas en dire plus.
(2) Refaire les stocks de munitions et d’armes israéliens – curieusement, il avoue qu’ils ne sont approvisionnés que lentement;
(3) Isoler encore plus le Hamas à Gaza.
Les risques à venir au Proche-Orient
De fait, la question à se poser est de savoir pourquoi le Hezbollah accepte un cessez-le-feu qui n’inclue pas la fin de l’opération militaire à Gaza. N’était-ce pas
la position défendue par l’ancien secrétaire général du Hezbollah, Nasrallah, assassiné par les Israéliens fin septembre ? Cependant le Hamas, dans son communiqué publié ce jour, affirme voir
dans le retrait de l’armée d’Israël une victoire du Hezbollah. Simple propagande ?
De ce fait, n’y a-t-il pas à craindre que la campagne contre les civils de Gaza redouble, au nom de cette lutte contre le mouvement invoquée par Netanyahou ? Et que
veut dire « se concentrer sur l’Iran »? Est-ce que le Premier ministre israélien prévoit une attaque contre ce pays consécutivement à l’arrivée de Donald Trump
à la Maison Blanche ?
L’étonnante carte de l’offensive israélienne au Liban
Pour bien comprendre ce qu’il en est, je voudrais montrer trois cartes :
Tout d’abord une carte indiquant l’avancée au sol de l’armée israélienne au Liban en 1982 – et les retraits successifs des forces israéliennes des zones occupées au Liban dans les années 1980 !
Regardons maintenant une carte sur laquelle est indiquée l’avancée terrestre de l’armée israélienne en 2006 dans une guerre face au Hezbollah considérée comme une défaite :
Il s’agit du liseré orange au sud du Liban.
Eh bien regardons maintenant la carte de la guerre qui vient d’être interrompue par un cessez-le-feu :
Il s’agit de la zone en mauve au nord de la frontière israélo-libanaise indiquée en rouge. On dira sobrement que, même après avoir éliminée la direction politique du Hezbollah, Benjamin
Netanyahou a été incapable de faire mieux qu’en 2006 – une campagne considérée comme une défaite.
Un discours en trompe-l’œil
Les cartes ci-dessus nous disent quelque chose de simple : Le Premier ministre israélien est bien en peine de dissimuler la retraite stratégique de son
pays.
Soudain apparaît une hypothèse qui ne correspond pas du tout à ce que vous avez entendu dans les médias mainstream : Ce n’est pas le Hezbollah qui était
sous pression pour signer un cessez-le-feu. C’est le gouvernement israélien.
Rien de ce que dit Netanyahou ne correspond à ce que nous savons du conflit : Il a beau se vanter d’une bataille sur sept fronts et d’une vue globale,
(1) il évoque une riposte israélienne contre Israël dont nous avons montré, qu’elle était minimale et largement une mise en scène.
(2) Il se vante de bombardements du port d’Hodeida au Yémen mais oublie de parler du blocus de la Mer Rouge par Ansarallah. ou des missiles et drones envoyés depuis le Yémen sur Tel Aviv
(3) Il évoque des pertes gigantesques du Hamas mais oublie de nous dire pourquoi il faudrait encore se concentrer sur Gaza.
(4) la question de l’affrontement avec les milices combattantes chiites d’Irak est escamotée.
(5) les menaces contre Assad sont-elles plus que de la rhétorique?
(6) l’évocation de la Cisjordanie est pathétique: l’armée israélienne s’y heurte à une résistance croissante, qu’elle ne sait combattre que par des razzias de prisonniers.
(7) Enfin, le Premier ministre parle curieusement de la réinstallation à venir des Israéliens qui ont dû quitter le nord d’Israël du fait des roquettes du Hezbollah. Faut-il être fin stratège
pour se demander comment il n’a pas été possible de faire revenir plutôt les habitants du Nord, alors que l’on prétend avoir démantelé l’arsenal du Hezbollah?
Décidément, tout indique que le gouvernement israélien essaie de dissimuler qu’il a obtenu un répit pour une armée très éprouvée et manquant de munitions et
d’armes.
Cela s’appelle dissimuler une défaite stratégique.
Oui, c’est une théorie du complot. En effet, tout n’est pas fait par deux ou trois personnes qui l’écrivent et le publient, de sorte que nous savons tous ce
qu’ils ont fait.
Mais nous en savons parfois suffisamment sur ce qu’ils ont fait pour avoir une bonne idée de la situation dans son ensemble.
Le 7 octobre 2023, un groupe organisé de combattants de la liberté palestiniens/Hamas a brisé le blocus qui réprimait leur pays d’origine, Gaza, imposé par
leurs ravisseurs israéliens. Leur situation a été qualifiée d’«apartheid» et de
«prison à
ciel ouvert» par Jimmy Carter, Nelson Mandela, Noam Chomsky et d’autres – et comme un
blocus est un acte de guerre, les combattants de la liberté avaient parfaitement le droit de le briser s’ils le pouvaient. Et, qu’on le veuille ou non, les Israéliens s’y attendaient
toujours.
Par une longue tradition non reconnue, leurs ravisseurs israéliens kidnappaient et emprisonnaient des citoyens palestiniens, la plupart sans inculpation ni
procès et certains torturés.
De l’autre côté de la même tradition non reconnue, les Palestiniens capturaient parfois des Israéliens – presque toujours des militaires à dessein – pour
les échanger avec les Israéliens contre des Palestiniens emprisonnés.
Les Palestiniens, malgré la propagande israélienne bien connue – et contrairement aux Israéliens – prennent bien soin de leurs otages, sinon il n’y a aucune
valeur commerciale. Un exemple classique est l’échange de prisonniers Gilad Shalit en 2011. Après avoir été détenu pendant plus de 5 ans, Shalit
a été échangé contre 1027 prisonniers palestiniens détenus par Israël.
En raison de tous les gadgets d’espionnage, de capteurs électroniques et de signaux satellite utilisés par l’appareil israélien pour maintenir Gaza et la
Cisjordanie – et leurs propriétaires légitimes en cage – on a prétendu qu’un tel raid était désormais impossible.
L’appareil d’emprisonnement israélien avait des taupes au Hamas, des cartes de leurs tunnels, surveillait leurs communications, traquait leurs agents et
leurs répétitions – et ils avaient été prévenus par les services de renseignement britanniques et américains. Ils connaissaient la date, l’heure et le lieu de l’attaque du Hamas prévue.
En fait, Netanyahou
avait été prévenu à l’avance le matin de l’attaque.
Selon un document
préparé par la division de Gaza de l’armée israélienne, ils connaissaient même les noms de certains des combattants du Hamas et ils avaient prévu de capturer 200 à 250 militaires
israéliens. Ils avaient l’intention de les garder en vie bien sûr – les otages morts, rappelons-le, n’ont aucune valeur d’échange.
Bien que les personnes informées pensaient qu’une telle opération ne pouvait pas être une surprise, les Israéliens ont apparemment été pris au dépourvu. Et
puis très lents à réagir. Cela peut sembler familier à la génération du 11 septembre ?
La première excuse était que leurs services de renseignements étaient défaillants. Lorsqu’il a été révélé que les Américains les avaient spécifiquement
prévenus, ainsi que les Britanniques et leur propre appareil, la machine à porte-parole israélienne – articulée autour de la devise du MOSSAD, «Par la tromperie tu feras la guerre» – a
créé un autre motif de discorde
limité : ils avaient été «trop
confiants».
Quand ils ont finalement réagi, apparemment convaincus qu’il s’agissait d’un autre enlèvement de la part du Hamas, les Israéliens ont invoqué
la directive
Hannibal, qui consiste à tuer les leurs plutôt que de les laisser être pris en otage et utilisés pour un échange.
En effet, les premiers rapports faisaient état d’hélicoptères de combat israéliens effectuant leur travail lors d’un festival de musique et ailleurs. Plus
tard, il a été admis que ces machines meurtrières aériennes avaient probablement tué «quelques» civils
«par
erreur». Israël a d’abord revendiqué 700 morts, mais a substitué 2382 blessés à ce chiffre. Le reste du monde s’est finalement arrêté à un nombre bien inférieur.
Alors, combien de morts revendiqués par Israël ont été tués par les combattants de la liberté du Hamas, à la recherche d’otages vivants à échanger, et
combien par des navires de combat israéliens appliquant la directive Hannibal ?
Mais, sachant ce qu’ils savaient, pourquoi les Israéliens laisseraient-ils les choses se passer mal ?
Cela pourrait-il avoir quelque chose à voir avec cela ?
Cela a du sens au vu des faits – et des fausses déclarations du type «laissez les choses se passer» qui sont en vogue ces derniers temps chez de nombreux
gouvernements afin qu’ils puissent faire des choses encore pires que ce qu’ils font habituellement.
Pourquoi dans ce cas ? Qu’est-ce que les Israéliens avaient en tête ?
Eh bien, ils
avaient initialement volé ce qui est aujourd’hui Israël, principalement aux Palestiniens, et ils
ont volé de plus en plus à chaque fois qu’ils en ont l’occasion, en particulier en Cisjordanie. Selon les Nations unies, la Cour pénale internationale et même la plupart des
observateurs occasionnels, ce projet s’est transformé en génocide et en nettoyage ethnique, fomenté contre ce qui reste des propriétaires originels de cette terre qu’ils ont volée.
Grâce à cette Chose
complice qui vit à Washington D.C. et à son veto sur les quatre récentes résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU appelant à un cessez-le-feu à Gaza – et au