Le président turc Recep Tayyip Erdogan n'en finit plus de menacer d'envahir la Grèce. Sa dernière imprécation est lancée exactement 100 ans après l'attaque génocidaire de la
Turquie contre les Grecs et les Arméniens de Smyrne en septembre 1922 : « Nous n'avons qu'une phrase à dire à la Grèce : n'oubliez pas Izmir [Smyrne]... le moment venu, nous
ferons le nécessaire ». Photo : en septembre 1922, des milliers de Grecs tentent de quitter Smyrne par bateau pour fuir l'armée turque de Mustafa Kemal Atatürk. (Photo par Topical
Press Agency/Getty Images)
Le président d'un pays membre de l'OTAN, le Turc Recep Tayyip Erdogan, n'en finit plus de menacer d'envahir la Grèce, un autre pays membre de l'OTAN. Le 27
septembre, Erdogan adéclaré:
« Les armes stockées [par la Grèce] en Thrace occidentale et dans les îles n'ont aucun sens pour nous car notre puissance est bien supérieure, mais nous vous rappelons que cette
accumulation n'est rien d'autre qu'une occupation déguisée [de la Turquie par la Grèce] ...
« Nous voudrions dire à la Grèce : reprenez vos esprits. Pensez-vous que le soutien des États-Unis et de l'Europe vous sauvera ? Certainement pas. Vous ne faites que tourner la roue
et rien d'autre ».
Depuis des mois, Erdogan multiplie les déclarations hostiles. Le 4 septembre, il a, à nouveau, proféré publiquement de lourdes menaces contre la Grèce :
« Grecs, regardez l'histoire. Un pas de plus et le prix sera élevé. Nous n'avons qu'une phrase à dire à la Grèce : n'oubliez pas Izmir [la ville de Smyrne]. Votre occupation des îles
[de la mer Egée] ne nous arrêtera pas ; nous agirons le moment venu. Nous vous l'avons déjà dit : « Une nuit, à l'improviste, nous surgirons. »
Une semaine auparavant, le 30 août, jour célébré en Turquie comme le "Jour de la Victoire", Erdogan a
déclaré :
« Nous avons vu nos ennemis [grecs] détruire nos villes lors de leur retraite [d'Anatolie en 1922], preuve s'il était besoin de leur caractère ignoble. Ils ne sont pas différents
aujourd'hui. »
Quand Erdogan demande aux Grecs « de ne pas oublier Izmir », il fait référence à l'attaque génocidaire lancée en 1922 contre les habitants grecs et arméniens de cette ville autrefois
nommée Smyrne.
Le génocide perpétré par la Turquie ottomane entre 1913 et 1923 contre les chrétiens a représenté une tentative délibérée
d'éliminer toute présence grecque, assyrienne et arménienne de la région.
Les meurtres de masse des communautés chrétiennes et yézidies ont commencé en 1913, puis ont gagné l'ensemble du territoire de la Turquie ottomane. Cette guerre – propulsée par le
djihad islamique et le nationalisme turc – avait pour but d'anéantir les peuples chrétiens d'Asie Mineure pour créer un pays dominé par les Turcs et les musulmans.
La première phase du génocide a eu lieu sous l'égide du Comité ottoman de l'Union et du Progrès, également connu sous le nom de "Jeunes Turcs". La seconde phase, menée par les forces
nationalistes turques de 1919 à 1923 - et qui comprenait l'attaque de Smyrne - a parachevé le génocide.
Le livre de George N. Shirinian, Genocide in the Ottoman Empire : Armenians, Assyrians, and Greeks,
1913-1923, précise :
« Les dernières années de l'Empire ottoman ont été catastrophiques pour ses minorités non turques et non musulmanes. De 1913 à 1923, ses dirigeants ont déporté, tué ou persécuté un
nombre impressionnant d'hommes, de femmes et d'enfants dans le but de réserver « la Turquie aux Turcs ». Ce premier génocide a constitué un précédent sur la manière dont un régime
peut commettre un génocide contre ses propres citoyens à des fins politiques, tout en échappant largement à toute responsabilité. »
Avant le génocide de 1922, Smyrne, ville ancienne, prospère et cosmopolite fondée par les Grecs, passait pour la "Perle de l'Orient". Cette cité de la côte égéenne était peuplée
essentiellement de Grecs mais comportait de grandes communautés arméniennes et non musulmanes. Ce mois de septembre marque le 100 e aniversaire de leur destruction.
James Marketos, avocat, membre du conseil d'administration de l'American Hellenic Institute, a déclaré en 2012 :
« Depuis l'Antiquité, et malgré la succession des époques romaine, byzantine et ottomane, la ville était restée essentiellement grecque. Au cours des derniers siècles, les influences
arméniennes, turques, juives, européennes et américaines se sont fait sentir mais tout le temps, l'esprit grec a prédominé. »
« Dans cette société », ont écrit les universitaires Evangelia Boubougiatzi, Ifigenia Vamvakidou et Argyris Kyridis, « les Grecs avaient la position dominante,
tant sur le plan démographique que sur le plan économique ».
Les attaques turques contre les Grecs et les Arméniens de Smyrne ont commencé par des pillages, des viols et des massacres, et se sont terminées par un incendie qui a détruit les quartiers
chrétiens de la ville.
Des témoins oculaires ont rapporté que l'incendie a démarré le 13 septembre 1922 - quatre jours après que les forces turques ont eu repris le contrôle de la ville à l'administration
grecque - et a duré jusqu'au 22 septembre. Un court
documentaire produit par Glenn Beck rappelle ce que fut l'incendie de Smyrne.
La Grèce voisine a accueilli les survivants du génocide. Les propriétés et les domaines de Smyrne abandonnés par les victimes ont été illégalement saisis par les Turcs.
L'historien Lou Ureneck décrit le génocide de Smyrne ainsi :
« En septembre 1922, la ville la plus riche de la Méditerranée a été incendiée et un nombre incalculable de réfugiés chrétiens ont été tués. La ville portait le nom de Smyrne, et ce
saccage a été le dernier épisode du premier génocide du 20e siècle - le massacre de trois millions d'Arméniens, de Grecs et de Assyriens par l'Empire Ottoman. Pendant le massacre de
Smyrne, les navires de guerre des grandes puissances - États-Unis, Grande-Bretagne, France et Italie - se sont tenus à l'écart.
En réalité, la République de Turquie se vante de son génocide. Elle a toujours rejeté la responsabilité de l'incendie qui a détruit une grande partie de Smyrne sur l'armée grecque. Mais
la « victoire de 1922 », que l'État turc appelle « la libération ou le salut d'Izmir », est célébrée chaque année lors de cérémonies officielles et non officielles. En dépit des preuves,
les écoles turques reprennent l'historiographie turque qui fait de l'incendie une péripétie de la guerre gréco-turque ; guerre ou« les Turcs ont vaincu les envahisseurs grecs ».
Depuis la fondation de la République de Turquie en 1923, aucun enseignement n'a informé les écoliers turcs de l'extrême brutalité, des massacres, des viols, des pillages et autres
atrocités commis par les Turcs contre les Grecs et les Arméniens natifs de Smyrne. La vérité sur l'identité des incendiaires fait l'objet d'un déni inébranlable. Depuis 100 ans, la
Turquie blâme les victimes du génocide de s'être exterminés eux-mêmes.
En 2007, cependant, l'Association internationale des spécialistes du génocide (International Association of Genocide Scholars, IAGS) a officiellement reconnu le génocide
infligé aux populations arménienne, assyrienne et grecque de l'Empire ottoman. La résolution de l'IAGS stipulait :
« Considérant que la négation du génocide est largement reconnue comme l'étape finale du génocide, elle consacre l'impunité pour les auteurs du génocide et ouvre manifestement la voie
à de futurs génocides. »
Le déni continu par la Turquie du génocide qu'elle a commis, associé à une impitoyable fierté envers l'événement, s'est accompagné pendant des décennies de la destruction, de l'abus et de
l'appropriation du patrimoine culturel grec et arménien dans le pays. Le 21 juin 2019, les médias turcs ont rapporté que l'école de
filles grecque Saint-Jean Theologos à Smyrne, vide depuis 1922, avait été pillée ; ses portes et fenêtres enlevées et ses objets de valeur pillés. Le bâtiment historique, qui appartient
maintenant au sous-secrétariat turc au Trésor, avait été squatté par des toxicomanes sans abri.
Selon un article de presse récent, l'église arménienne Surp Sarkis située dans le quartier de Menemen à Smyrne sera "restaurée" en tant que
"centre scientifique artistique et musée commémoratif" après avoir été utilisée comme entrepôt et écurie.
Le mois de septembre 2022 marque le 100ème anniversaire du génocide de Smyrne. Le gouvernement turc se glorifie toujours de son massacre, mais tous les autres feraient bien de se souvenir
des victimes, d'honorer leur mémoire et d'empêcher le renouvellement des agressions turques. Le bon moyen pour les gouvernements occidentaux d'y parvenir est de reconnaître officiellement
le génocide de 1913-23, mais surtout de mettre fin au flux des menaces d'Erdogan contre la Grèce.
Uzay Bulut, journaliste turc, est Distinguished Senior Fellow du Gatestone Institute.
Deux États membres de l’OTAN au bord d’un conflit armé - Le 14/10/2022.
La première réunion de la Communauté
politique européenne, composée de 27 membres de l’UE et de 17 pays invités, qui s’est tenue à Prague, a été le théâtre d’une furieuse joute entre les dirigeants de la Türkiye et de la
Grèce. Elle a éclipsé même la question cruciale concernant l’Ukraine poussant les observateurs à se demander si le monde connaît une guerre à part entière au sein de l’OTAN entre ces deux
États.
On s’attendait à ce qu’un contact conciliant ait lieu à Prague entre les dirigeants des deux pays, Recep Tayyip Erdogan et le Premier ministre grec,
Kyriakos Mitsotakis, qui se sont récemment disputés. Lors d’un meeting dans la région de la mer Noire, le président turc avait lancé à
la Grèce : « Votre occupation des îles (de la mer Égée proches de la Turquie, NDLR) ne nous lie en rien. Le moment venu, nous ferons le nécessaire. Nous pouvons arriver subitement la nuit
».
Euractiv signale que
la Grèce et la Türkiye n’ont pas réussi à respecter la ligne de communication convenue pour montrer leur unité durant la première réunion de la Communauté politique européenne, « leurs
dirigeants s’étant disputés au cours du dîner ».
Le porte-parole présidentiel de la Türkiye, İbrahim Kalın, a, juste avant la rencontre d’Astana du 12 octobre, fait savoir que
« la question grecque a été inquiétante récemment » car « la Grèce mène un exercice militaire sous le nom d’exercice d’« extinction des incendies » avec le soutien qu’elle reçoit des
États-Unis ». Le média turc, tout en rapportant qu’İbrahim Kalın a déclaré que la Grèce menait depuis un certain temps un projet anti-Türkiye, mais qu’il n’avait pas abouti, se demande si
la Grèce est en passe de devenir l’Ukraine ?
Un jour avant, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Çavuşoğlu, a fait des déclarations concernant
les actions provocatrices de la Grèce : « La Grèce est très troublée de savoir que la Türkiye n’est pas seulement un acteur régional, mais aussi mondial ». Il a rajouté que les
États-Unis et l’UE ne seront pas derrière la Grèce pour la soutenir dans des actions provocatrices contre la Türkiye. Il a martelé que la Grèce viole le droit international, en
particulier en ce qui concerne l’espace aérien et rappelé que dans l’histoire de la Türkiye, l’armée turque a jeté les Grecs à la mer plus d’une fois.
Le Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, à Prague, avait lancé au
président turc, Recep Tayyip Erdogan, en quittant la pièce : « Cesse enfin de douter de la souveraineté des îles grecques, au lieu de provoquer, il faut dialoguer, sans rhétorique
belliqueuse et menaçante, comme le font les dirigeants responsables ». Sa tactique consistait à présenter le président turc comme un paria qui s’opposait à l’ensemble de la communauté
occidentale et à présenter la Grèce comme bénéficiant du plein soutien des États-Unis et d’autres grands pays occidentaux.
De nombreux observateurs occidentaux estiment que la perspective d’un affrontement armé ouvert entre la Türkiye et la Grèce devient de plus en plus
probable. Les principales pierres d’achoppement pour Ankara sont le traité de Lausanne de 1923, et pour Athènes, le mémorandum turco-libyen de 2019 qui délimite les zones de juridiction
maritime des deux pays en Méditerranée, entravant l’activité économique dans la partie orientale de la Grèce et de Chypre.
En vertu du traité de Lausanne de 1923, puis du traité de paix de Paris de 1947, presque toutes les îles de la mer Égée, jusqu’à la côte continentale de la
Türkiye, sont passées à la Grèce. En même temps, selon l’accord, elles devaient rester démilitarisées.
Profitant de leur grand nombre, Athènes a finalement proclamé toute la zone maritime de la mer Égée comme sa zone économique exclusive (ZEE). Ces dernières
années, craignant les demandes d’Ankara de revoir une situation aussi « injuste », ils ont, contrairement à la lettre des traités de paix, commencé à déployer leurs contingents militaires
sur ces îles.
À son tour, la Türkiye a adopté la
doctrine navale officielle de la « Patrie bleue », rédigée par l’amiral turc à la retraite Cem Gürdeniz. Selon lui, « la Grèce et l’administration chypriote grecque pensaient
pouvoir prendre 150 000 kilomètres carrés de mer à la Türkiye. Ils pensaient que les Turcs étaient des gens de la terre, pas des gens qui voyageaient par mer, et que l’UE et les
États-Unis forceraient la Türkiye à l’accepter ».
La situation est devenue particulièrement tendue après la découverte d’importants gisements de gaz naturel dans l’est de la Méditerranée. La Türkiye est
devenue de plus en plus exigeante en matière de révision des limites de la ZEE et d’accès à la production de gaz.
La montée des tensions entre les deux pays est également facilitée par la « provocation » constante des Grecs de Washington qui détestent de plus en plus
l’indépendance et le zèle « excessifs » d’Ankara. Selon les Turcs, les États-Unis ont établi au moins dix bases militaires, y compris conjointes, en Grèce ces dernières années.