Dans la crise du golfe Persique, Donald Trump continue à souffler le chaud et le froid, comme s’il s’agissait d’une affaire immobilière. Mais ce faisant, le
président américain s’est pris lui-même à son propre piège de ne pas vouloir déclencher une opération militaire conventionnelle 1, rejetée par son électorat malgré les rodomontades de John Bolton et Mike Pompeo. Ces deux-là ne finiront- ils pas par se faire virer ? Avec cette obsession
« tous contre l’Iran » , Emmanuel Bonne, le conseiller diplomatique d’Emmanuel Macron , s’est rendu à Téhéran le 20 juin dernier pour y retourner les 9 et 10 juillet.
L’Elysée explique : « le contexte est extrêmement volatil et extrêmement dangereux, c’est pour cela qu’il très important d’explorer les possibilités
d’obtenir une pause entre les deux parties », soulignant que cette initiative vise à ramener l’Iran « à ses obligations au sein du traité ». Ramener l’Iran à ses
obligations ? Mais il les respecte parfaitement depuis la signature du traité, ce qui n’est pas le cas des Etats-Unis !
Cela commence mal : en effet, il aurait d’abord fallu commencer justement par « ramener les Etats-Unis – oui, les Etats-Unis – à leurs obligations au sein
du traité ». Signé le 14 juillet 2015, après plus de quinze ans d’âpres négociations entre Téhéran et un format Cinq+Un (les cinq membres permanent du conseil de sécurité de l’ONU, plus
l’Allemagne), ce traité entérinait la mise sous contrôle international (effectué par l’Agence internationale de l’énergie atomique – AIEA) de la poursuite d’un programme nucléaire civil iranien
contre une levée immédiate des sanctions économiques frappant le pays !
Non seulement les sanctions n’ont jamais été levées, mais Donald Trump a ajouté plusieurs nouvelles séries de « punitions » afin d’humilier l’Iran, tout
en lançant à la cantonade qu’il laissait – « à tout hasard ! » – son numéro de téléphone personnel pour que les autorités iraniennes l’appellent directement. Encore un qui n’a pas
compris que la Perse éternelle n’est pas la Corée du Nord : 5000 ans de culture. En comparaison des inventeurs du western qui ont proprement massacré les peuples premiers de l’Amérique du
Nord jusqu’au siècle dernier, il n’y a pas photo !
ALLER D’ABORD A WASHINGTON !
Fidèle à sa fonction de passe-plats élyséens, Le Monde récidive sans surprise2 : « l’objectif est de convaincre l’Iran, comme les Etats-Unis (NDLR : sic !), de faire quelques « gestes
intermédiaires » à même de calmer la situation ». L’Iran comme les Etats-Unis ? Ah bon ! Mais alors, il fallait peut-être commencer par aller à Washington avant
d’effectuer des allers et venues sans doute parfaitement inutiles à Téhéran ! C’est l’un de nos grands ambassadeurs qui le déclare à prochetmoyen-orient.ch : « après plus de deux ans de strict respect de l’accord de Vienne
par Téhéran, c’est bien Washington qui a déchiré ce texte capital – capital pour la sécurité de l’Europe – en mai 2018, imposant des nouvelles sanctions unilatérales parfaitement arbitraires,
même contre ce pauvre Zarif, le très réformateur ministre iranien des Affaires étrangères ! Par conséquent, le problème n’est pas à Téhéran, mais pleinement, entièrement et très profondément
à… Washington ! ».
Plusieurs hauts responsables du Quai d’Orsay partagent cette analyse en ajoutant que « si la mission Bonne avait été sérieuse, elle n’aurait pas donné lieu à
une communication aussi pléthorique qu’inadaptée. Les grandes avancées diplomatiques se font d’abord dans le secret, le secret le plus absolu, tant que faire se peut ! Dès l’instant où l’on
médiatise l’affaire, les vieux briscards de la politique étrangère savent parfaitement que la messe est dite, se transformant immédiatement en communication politique. Cela s’appelle la
‘diplomatie du ventilateur’ ! Il s’agit d’afficher, et d’apporter un peu de fraîcheur en essayant de convaincre l’opinion publique que les dirigeants ne restent pas inertes, qu’ils cherchent
à reprendre l’initiative… ». En l’occurrence, l’initiative apparaît quelque peu « vinaigrée » !
En effet, il y a un mois environ, le président Macron s’est adressé directement à Téhéran, en reprenant – point par point – l’argumentation trumpienne :
nécessité de bricoler un « nouvel accord » pour inclure le programme iranien de missiles balistiques et, pendant qu’on y est, les orientations diplomatico-militaires de Téhéran en Syrie
et au Yémen. Ce qui signifie que l’Iran ne doit plus soutenir le gouvernement de Bachar al-Assad, ni les rebelles houthis au Yémen, qui infligent défaites sur défaites à nos amis et alliés
saoudiens (de grands humanistes qui découpent leurs opposants à la scie à métaux !) et Emiriens (qui commencent à être confrontés à de sérieux problèmes intérieurs). Les Emirats arabes unis
(EAU) du reste, ont fini par comprendre qu’ils devaient se retirer du bourbier yéménite, parce que Riyad finirait par les entraîner dans le puits sans fond des massacres, crimes de guerre et
crimes contre l’Humanité dont l’histoire n’est pas dite…
Dans cette histoire-là, Emmanuel Bonne fait plutôt office de « petit télégraphiste », fidèle porteur d’exigences
américaines parfaitement irréalistes et ne correspondant pas le moins du monde aux intérêts de la France. On nous dit qu’il a rencontré le secrétaire du Conseil suprême de la
sécurité nationale, l’amiral Ali Shamkhani, le président Hassan Rohani et le ministre des affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, inscrit – on l’a dit – sur la nouvelle liste américaine
des gens infréquentables. La belle affaire ! Les Iraniens sont des gens polis et intelligents, ces entretiens leur ayant, à tout le moins, servi à rappeler que le dossier des missiles
balistiques ne fait pas parti de l’accord de 2015, qu’il relève de leurs sécurité, souveraineté et indépendance nationales.
Selon les sources de prochetmoyen-orient.ch, Mohammad Zarif aurait même expliqué à Monsieur Bonne, que « Téhéran faisait exactement ce que le général de Gaulle a fait pour la France dans les
années soixante : sanctuariser la sécurité nationale en sortant du Commandement intégré de l’OTAN, afin de pouvoir initier une ‘défense nationale’ française ».
Quant à la diplomatie régionale de l’Iran – en Syrie, comme au Yémen -, celle-ci est conforme aux relations et accords que Téhéran entretient dans la région depuis
de nombreuses années ; la diplomatie iranienne restant, elle-aussi, une attribution stato-nationale ! Ensuite, on peut toujours discuter : c’est justement le travail des
diplomates, mais faut-il encore être un tant soit peu sérieux et avoir quelque chose dans sa besace… Et, à l’évidence, Emmanuel Bonne n’a rien, rien de rien à proposer et trois fois moins.
Sur le plan économique, la France et l’Union européenne ont été parfaitement nulles, confirmant leur soumission aux diktats
financiers, commerciaux et politiques de Washington.
La société créée par Bruxelles pour contourner l’embargo américain annonce fièrement un capital de… 3000 euros ! Énorme et significatif ! Au claquement de
doigts américains, les grandes sociétés françaises – Total, Renault, Peugeot pour ne citer que les plus connues -, ont plié bagages dans une honteuse précipitation afin de ne pas mettre en péril
leurs investissements aux Etats-Unis. Triste réalité, mais réalité froide et incompressible d’une situation de vassalisation du Vieux continent, qui perdure
depuis la mise en œuvre du Plan Marshall, de l’OTAN, de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier), du Marché commun et de l’actuelle Union européenne.
LE DETOUR IRAKIEN
En termes de technicité diplomatique, et selon d’autres sources de prochetmoyen-orient.ch, la « mission Bonne » reposerait sur « une arme secrète », dite du « détour
irakien ». En effet, spéculant sur une relation bilatérale Paris-Bagdad qui se porte bien, le Quai d’Orsay et l’Elysée se sont dits que l’Irak pourrait être un merveilleux allié afin de
convaincre Téhéran de faire preuve de plus de souplesse. Et pour convaincre Bagdad de ses meilleures intentions, Paris a dépêché à Erbil l’affairiste Bernard
Kouchner, afin d’amener les autorités locales indépendantistes à respecter davantage les autorités centrales irakiennes et à finir par admettre que Bagdad restait bien leur
capitale3.
En retour, Bagdad et ses autorités chi’ites – partenaires incontournables de Téhéran – ne pourraient qu’adouber la mission Bonne. Illusion, pure illusion ! Non
seulement, le séjour de Kouchner – qui devait rester discret – a été émaillé d’incidents hôteliers difficilement gérés par Madame Christine Ockrent accompagnant son mari (que faisait-elle là du
reste ?). Mais Bernard Kouchner n’a pu s’empêcher de louer l’irrédentisme kurde allié à ses autres grands amis israéliens. Sans tomber dans le plus commun des poujadismes, on ne peut
s’empêcher de se demander combien cette plaisanterie a-t-elle coûté au contribuable français ? Toujours est-il que, furieuse, l’ambassade de France à Bagdad a dû repasser derrière
l’ex-French Doctor pour réparer la casse.
Par ailleurs, en interne, la situation se complique en Irak. L’ex-Premier ministre Haider al-Abadi se dit prêt – dans un récent entretien à l’AFP -, à revenir au
pouvoir, dressant la liste des défis que le pays doit relever sous peine de sombrer à nouveau dans le chaos : juguler la corruption et endiguer le retour des tensions confessionnelles. Il aurait
même repris langue avec l’entourage du grand ayatollah Ali Sistani, dont l’avis est crucial pour maintenir les équilibres politiques intérieurs.
Face aux initiatives de son rival, l’actuel Premier ministre francophile Adel Abdel-Mehdi a dû démentir à plusieurs reprises les rumeurs de son éventuel départ. M.
Abadi, qui avait déclaré fin 2017 la victoire sur le groupe Etat islamique (Dae’ch), a été jusqu’à présent l’unique Premier ministre chi’ite accueilli en triomphateur dans les
provinces sunnites d’Irak, et toujours déchirées par des affrontements confessionnels extrêmement meurtriers.
L’or noir reste la principale pomme de discorde entre le Kurdistan et l’Etat irakien. Bagdad impose à Erbil de lui reverser les revenus des 250.000 barils qu’il
exporte officiellement chaque jour. En échange, Bagdad verse une part du budget à Erbil. Régulièrement, les deux parties s’accusent de manquer à leurs engagements. Pour M. Abadi, le Kurdistan
exporte en réalité « plus de 400.000 barils par jour, assez pour couvrir toutes ses dépenses ». Autre aspect de l’échec de la dernière « mission Kouchner » ! Outre ce
clivage intérieur, l’Irak reste aussi pris en étau entre ses deux « alliés » iranien et américain. Les Etats-Unis entretiennent toujours sur place quelques 30 000 soldats. Ces
derniers surveillant – entre autres – les capacités militaires des milices pro-iraniennes, notamment à leurs stocks de missiles.
Les missiles balistiques de courte, moyenne et longue portée, constituent désormais pour Washington et Tel-Aviv la principale
menace. Un expert militaire : « aujourd’hui, la question n’est plus celle du nucléaire. Comme le Japon et d’autres, l’Iran est devenu un pays seuil capable de confectionner l’arme atomique
en situation de menace extrême… La question stratégique majeure qui s’est imposée sous pression américaine est bien celle des missiles dont disposent – en nombre – non seulement l’Iran et la
Syrie, mais aussi le Hezbollah libanais, sans oublier les Houthis qui ciblent de plus en plus régulièrement des objectifs saoudiens ».
Et sur cette question centrale des missiles, le « détour irakien » d’Emmanuel Bonne n’est pas près d’apporter quoi que ce soit à une tentative de
médiation française qui a déjà tourné court…
LES ETATS-UNIS SONT-ILS TOUJOURS NOS AMIS ?
« Dans cette tentative mort-née », explique un ambassadeur de France toujours en fonction, « on finira par se demander pour qui la
diplomatie française travaille réellement et, surtout, si Washington n’est pas en train de jouer délibérément contre la sécurité de la Vieille Europe, donc de la France. Et au risque d’être
accusé d’anti-américanisme primaire, on peut prolonger le questionnement en essayant de faire preuve d’un minimum de lucidité à propos de la « première démocratie du monde ».
En considérant les humiliations successives infligées par Donald Trump à l’Europe et à la France en particulier, son mépris déclaré (pas seulement « tweeté ») à l’encontre de l’Union
européenne, l’on est en droit de se demander aujourd’hui si les Etats-Unis sont toujours nos « amis » !
A peine arrivé à la Maison Blanche, Donald Trump déchire l’accord sur le nucléaire iranien : les « trois M » (May, Merkel, Macron) envoient une même
lettre à la Maison Blanche pour signifier leur attachement commun à ce texte qualifié de « bon accord pour l’Europe » et que l’Iran respecte à la lettre. Mais, comme on l’a vu, rien n’y
fait !
Sur le front du BREXIT, Donald Trump profite des cérémonies du 75ème anniversaire du « Jour-J » (juin 2019) – durant lesquelles tous les
participants, à l’unanimité, s’efforcent de louer les bienfaits du multilatéralisme en faveur de la paix – pour jeter de l’huile sur le feu. Il engage publiquement, sans aucune gêne, le
Royaume-Uni à accélérer sa sortie de l’UE pour constituer un nouvel axe de libre-échange avec… les Etats-Unis ! Certainement une nouvelle preuve d’amitié…
Washington se retire aussi de l’accord de Paris sur le réchauffement climatique. Lors du G-20 d’Osaka, les 28 et 29 juin derniers, l’ensemble des pays présents
signent un nouvel accord (Xème accord dit de « prise de conscience ») sur le dérèglement climatique, à l’exception de… Washington ! A tout le moins, cette nouvelle provocation
délibérée aurait dû inciter l’ensemble des participants à adopter de sévères sanctions économiques contre les… Etats-Unis défiant ainsi résolument les conclusions des plus grands experts de la
planète en climatologie. Nouvelle manifestation d’une indéfectible amitié du genre humain !
Aujourd’hui, les Etats-Unis maintiennent un régime de sanctions économiques et politiques à l’encontre de plus d’une
cinquantaine pays. Un seul exemple : Cuba, qui depuis la fin de la Guerre froide ne constitue plus une menace pour personne. Par voie d’un référendum exemplaire, ce petit
pays vient de confirmer la réforme de ses institutions. Mais en réponse à cette réelle ouverture, saluée par la majorité des pays d’Amérique Latine, Donald Trump décide de prendre de nouvelles
sanctions contre l’île rebelle vivant sous blocus américain depuis 1962 !
A cette liste édifiante de marques d’amitié, on pourrait ajouter la série de coups tordus des services de renseignement américains qui écoutent en permanence les
conversations téléphoniques d’Angela Merkel, d’Emmanuel Macron, de Jean-Claude junker et d’autres responsables européens. Sous prétexte de lutte anti-terroriste, les mêmes espionnent aussi les
conseils d’administration des grands groupes européens, lorsqu’ils sont engagés dans des passations de marchés intéressant aussi les grandes sociétés américaines. Qu’on ne s’étonne pas ensuite de
voir passer nos fleurons industriels en des mains étrangères (chantiers navals, Alstom, Technip, etc.), ainsi qu’Airbus qui finira, à terme, comme sous-traitant de Boeing4…
Preuves à l’appui et sans rappeler l’assassinat programmé du Concorde par Washington : les échecs répétés de Dassault-Aviation pour vendre
le Rafale à Singapour, aux Pays-Bas, à la Suisse ou au Brésil, s’expliquent tout aussi rationnellement par cette indéfectible amitié que vouent les Etats-Unis à leurs
« alliés » occidentaux de toujours.
ETRE OU NE PAS ETRE ?
Le rappel de ces quelques facéties du dernier locataire de la Maison Blanche présente au moins un avantage : restituer le monde d’aujourd’hui tel qu’il est,
avec ses rapports de force économiques, politiques, sinon culturels. A travers ses impulsions d’agent immobilier, l’actuel président américain illustre parfaitement les ruses de la mondialisation
post-Guerre-froide : celles de la victoire sans partage du Leviathan de Thomas Hobbes, où règne désormais une « guerre de tous contre tous » de tous les instants
et à tous les niveaux. Cette réalité complexe voit se multiplier menaces et ennemis. Quant aux « amis », ils deviennent de plus en plus incertains, mobilisés par les seules défenses,
recherches et promotions de leurs seuls intérêts : America First !
Que notre diplomatie, à commencer par Emmanuel Bonne, en tire les conséquences ! Dans un « tel monde », répète notre Hubert Védrine national
(toujours prudent dans ses analyses de consultant international) , « la différence se fait, maintenant entre ceux qui savent ce qu’ils
veulent » – et que cela nous plaise ou non -, « à savoir la Chine, la Russie, l’Inde, d’autres… et ceux qui ne savent
pas… ».
Les pays européens – et tout particulièrement la France éternelle – sait-elle aujourd’hui ce qu’elle veut ? Quels sont ses intérêts et ses ennemis ? Qui
sont ses amis, ses vrais amis ? Telle est la question : être ou ne pas être ! La célèbre tirade d’Hamlet, la pièce de William Shakespeare est prononcée sur les remparts du château
de Kronberg à Elseneur au Danemark. Un lieu magnifique à visiter absolument. Nous y sommes !
Belle visite, bon été, bonne lecture et à la semaine prochaine.