14 Juillet

Par le Col. Jean-Jacques Moirot - Le 22/07/2023.

 

Cher lecteur,

Je ne sais pas si, comme moi, vous avez apprécié ce défilé du 14 juillet. La troupe endimanchée m’a toujours ému. J’ai pu comparer la manière de défiler des troupes étrangères et la nôtre. Eux sont excessifs dans la gestuelle, les bras menacent d’uppercut le brave gars qui suit, les balancements sont saccadés, les attitudes exagérément provocatrices, les uniformes voyants et bigarrés. Nos gars ont la nonchalance tranquille des forces sûres d’elles-mêmes, le pas n’est ni rapide ni lent (marchant d’un grave pas et d’un grave sourcil nous dit Du Bellay), les uniformes ne sont jamais les mêmes, mais en soi cohérents, formant un tout qui fait plaisir à voir et admirer. C’était vraiment beau. Jusqu’à ce que survienne ce chœur des armées françaises que j’ai en horreur. Mais sur ce coup-là, ce n’est pas lui ni sa directrice qui sont en cause. Ce qui m’a fait quitter ma béate admiration ont été les paroles de ce que ce chœur a chantées.

Les jeunes : spectateurs ou acteurs ?

Avant de sombrer dans la léthargie benoîte et réjouie occasionnée par ce défilé, je m’étais déjà interrogé sur la présence des élèves des Établissements Militaires de la Défense. Que venaient faire là ces adolescents dont la raison d’être est d’étudier et non de parader aux côtés des forces armées ? Toutefois, je me suis souvenu qu’en 1958, le général de Gaulle avait fait défiler l’Ecole Militaire Préparatoire (EMP) d’Aix à Paris. Cela pouvait s’expliquer, au moment où rien n’était joué dans le processus de décolonisation, et qu’il lui a semblé utile de rappeler à ces gamins, qui avaient un statut assez proche de celui des soldats, sans toutefois en être, que la patrie aurait, un jour, besoin d’eux, sous une forme ou une autre. Ce défilé de l’EMP d’Aix (on peut s’interroger sur le choix de cette école, Autun étant plus proche de Paris, et tout aussi allante) avait été photographié. Un jour, flânant sur une brocante, un vieil ami que je nommerai CB, est attiré par la physionomie générale de ce que représente une photo dans l’étal d’un brocanteur. Il s’en approche, prend la photo, et reste plusieurs minutes à l’examiner. Le brocanteur s’approche de CB et lui demande pourquoi cette photo l’intéresse : « Pardi, parce que je suis dessus ! » s’exclame CB. « Regardez, je suis au premier rang de la musique, je suis le trombone, là ! ». Ému, le brocanteur lui dit : « Je vous en fais cadeau, prenez-la, elle est à vous ! » « Pas question », lui rétorque CB. « Elle est à 2 euros, voilà vos 2 euros ». Ils se sont quittés bons amis, conscients chacun pour ce qui le concerne d’avoir fait une bonne affaire, l’un en emportant un souvenir, l’autre en enrichissant sa cagnotte de menue monnaie.

Pas une goutte de sang impur n’a coulé

Revenons à la chanson. Mécaniquement, depuis toujours, en tout cas depuis qu’elle est devenue notre hymne national, tout le monde chante, grave et recueilli : « Qu’un sang impur abreuve nos sillons ». Pour qu’il y ait un sang impur, il faut des morts, il faut tuer ceux qui viennent jusque dans nos bras égorger nos fils et nos compagnes. Nous en sommes à plus de 250 morts, parmi lesquels il a failli récemment y avoir des bébés, mais à Nice, c’est déjà oublié, il y a eu des enfants massacrés ou estropiés au camion fou. Pas une goutte de sang impur n’a coulé. Faut-il continuer à chanter ça, sans que le rouge ne nous monte au front ? 

Chantons la liberté !

Les paroles de la chanson sont terribles. « Amour sacré de la Patrie…. Liberté, liberté chérie, combat avec tes défenseurs…que tes ennemis expirants voient ton triomphe et notre gloire ! ». Mesurons-nous la portée de ces paroles ? De quelque côté que l’on tourne nos regards éperdus, la Patrie se meurt et la Liberté en prend un coup, qu’il s’agisse de la liberté de paroles, de pensées, de circulation, de manifestation, d’association… L’ennui, c’est que ceux qui dénigrent la Patrie ou entravent ces libertés sont connus, parfois sont au pouvoir, sans que rien ne soit fait pour les en empêcher ou en annuler les effets. Chantons la liberté ! En la marmonnant comme l’a fait notre président ce 14 juillet, à plein poumon comme ces jeunes, femmes et hommes, qui accompagnaient modestement les professionnels du chœur en uniforme martyrisant la musique, ou, comme je l’ai fait dans l’intimité de mon salon bouillant, en songeant à ceux qui, de Valmy à Dien-Bien-Phu, ont donné leurs vies pour elle. C’est tout ce qui nous reste, c’est bien peu, mais c’est encore ça. 

La chanson dit vrai.

La chanson ne s’arrête pas là. Elle nous dit : « Nous entrerons dans la carrière quand nos aînés n’y seront plus ». Cela me rappelle cette saillie du chanoine Kir, venu, un matin d’inauguration de sa foire gastronomique de Dijon, faire le spectacle aux musiciens de l’EMP d’Autun en déclarant : « Contrairement à ce que dit la chanson (j’insiste, il a bien dit « la chanson »), je vous recommande de rentrer dans la carrière quand vos ainés y sont encore, ça pourra vous servir ». Aucun, parmi nous, doit quoi que ce soit à quelqu’un d’autre qu’à lui-même dans la carrière, civile ou militaire, qui a été la sienne. Kir, chanoine haut en couleurs, grand résistant et grande gueule, créateur d’un lac et inventeur d’un apéritif délicieux typiquement bourguignon, s’est mis le doigt dans l’œil jusqu’au fond de sa soutane ravaudée de communiste communiant. Les événements que nous vivons montrent que les aînés sont des gêneurs, des empêcheurs de casser, de brûler, de razzier, de voler, de déconstruire, en définitive de tout changer. C’est la chanson qui dit vrai. Les aînés partis, engloutis dans le néant d’un passé effacé, les suivants peuvent faire ce qu’ils veulent, comme ils veulent, quand ils veulent, avec qui ils veulent. Sans manquer une occasion, en déposant une gerbe avec une larme à l’œil et des trémolos dans la voix, de s’incliner respectueusement sur la poussière laissée par les anciens, en leur faisant, dans le dos, un doigt d’honneur.

Cela, aussi, nous le vivons tous les jours.

Jean-Jacques NOIROT,

Membre de l’ASAF