L'armée française plutôt désarmée malgré son joli budget
...par Claude Angeli - Le 25/11/2020 (Le Canard enchaîné)
Un rapport parlementaire recense les armements inutilisables, faute d'un bon "service après-vente".
MACRON et ses ministres, qui se flattent d'avoir augmenté le budget de la défense - 1,7 milliard de plus chaque année, jusqu'en 2022 -, préfèrent cacher cette
extravagante réalité : Les militaires français ne peuvent utiliser toutes les armes dont ils sont abondamment pourvus.
Un document de quelque 340 pages révèle l'étendue de ce « peine à combattre ». François Cornut-Gentille, député LR de la Haute-Marne, qui a rédigé
ce rapport parlementaire et l'a remis, le 27 octobre, à la commission des Finances de 1'Assemblée, fait autorité en la matière
Et il a du mérite, car la ministre des Armées, Florence Parly, ne lui a pas vraiment facilité la tâche. Normal : Son enquête mesure l'« indicateur de
performance » et « l'état opérationnel » des matériels utilisés par les trois armées françaises.
Et le bilan est loin d'être à la gloire de la ministre et de son président-chef de guerre.
Exemple parmi d'autres, les hélicoptères de l'armée de terre. Seuls 45,6 % des vieux Gazelle encore en service sont utilisables. De fabrication plus récente, moins
d'un tiers des Tigre (certains interviennent au Sahel) sont en état de voler. Tout comme les transports de troupes Puma, Super Puma ou NH90. Bref, les deux tiers de ces différents hélicoptères
sont en panne, faute de pièces détachées rapidement disponibles, ou déjà en réparation - et pas pour une petite avarie.
Un gâchis de technologies
Autre signe des temps : Les livraisons de matériels modernes s'effectuent au compte-gouttes. Les « terriens », censés recevoir cette année 128 beaux blindés Griffon
de 25 tonnes, devront se contenter de seulement 90. La crise sanitaire en a ralenti, paraît-il, la fabrication.
Même retard pour un autre transport de troupes blindé, le Jaguar, ou pour la rénovation des chars Leclerc. Mais « la crise sanitaire a bon dos s'insurge le général
Charles Palu, de l'état-major de l'armée de terre, qui s'est confié à la députée En Marche Sereine Mauborgne.
La marine, toujours selon le rapport Cornut-Gentille, n'est pas mieux lotie. Les amiraux avaient passé une commande de 17 frégates FREMM, dont six sont actuellement
en service, mais il leur faudra se montrer patients car le dernier exemplaire ne leur sera livré qu'en 2023, soit avec un retard de six ans sur le calendrier prévu. Autre triste constat
pour les sous-marins nucléaires d'attaque, chargés notamment de la protection du Charles-de-Gaulle : En 2019, sur les cinq alors en service avant l'incendie de l'un d'entre eux -, ils n'étaient
pas tous en état de plonger.
Les aviateurs ne sont pas non plus à la fête. Sur les 22 avions de patrouille maritime Atlantique 2, un très grand nombre sont « en rénovation ». Résultat : moins
de 30 % sont en mesure de remplir leur mission.
Autre mauvaise nouvelle figurant dans le rapport, Dassault a livré 152 exemplaires de son Rafale à l'armée de l'air et à l'aéronavale (pour le porte-avions), mais
seulement un sur deux est actuellement prêt à balancer une bombe nucléaire ou un missile. En d'autres contrées que la France on aurait déjà mis à la retraite quelques généraux et industriels pour
cette publicité désastreuse.
Plus déprimant, s'il est possible : Les généraux-aviateurs devront céder 24 de leurs Rafale à la Grèce, qui va en acheter 12 d'occasion, et à la Croatie, qui en
veut autant mais n'a pas encore signé de contrat. « Sans commandes supplémentaires, prédit Cornut-Gentille, l'armée de l'air sera en déficit capacitaire et le parc global de Rafale, attendu à 171
exemplaires à la fin 2025, ne sera que de 147. »
Dernier motif de dépression pour les chefs de l'armée de l'air : Sur les 70 avions de combat Mirage 2000-D, un sur trois seulement est en état d'aller semer des
missiles et des bombes. Et c'est pourtant un « progrès », souligne - ironiquement ? - Cornut-Gentille, par rapport aux années 2013 et 2018.
Quel destin connaîtra ce rapport parlementaire, et le gâchis qu'il décrit ? La constitution d'une commission d'enquête qui convoquerait ministres, anciens
ministres, généraux, officiers, industriels et députés ? On n'ose y croire.
Ce serait un excès de démocratie dans la France de Macron.
Claude Angeli
« Le Canard enchaîné » — mercredi 25 novembre 2020 —
Avions cloués au sol, navires à quai : Malgré des crédits en hausse, l’armée française démunie
Malgré un budget de l’armée en hausse, un Rafale sur deux et moins d’un hélicoptère Tigre sur trois est apte à prendre les airs. Des carences opérationnelles que met en lumière l’édition 2020
du rapport sur les crédits de Défense. Retour en détails sur un document qui appuie là où ça fait mal.
Une «peine à
combattre». Sur la base du rapport publié en octobre par le député Les Républicains (LR) François Cornut-Gentille, rapporteur spécial pour les crédits de la Défense de l’Assemblée
nationale, le Canard
enchaîné est revenu dans sa dernière édition sur le «gâchis
technologique» qui frappe l’armée française.
Si le budget de la Défense est bel et bien en hausse, avec 1,7 milliard d’euros de plus chaque année jusqu’en 2022, comme l’avait promis Emmanuel Macron en 2018 lors de ses vœux aux Armées,
l’état opérationnel des matériels laisse plus qu’à désirer. «Le bilan est
loin d’être à la gloire de la ministre et de son Président-chef de guerre», tacle l’hebdomadaire satirique.
À travers un passage en revue de tous les programmes d’armement en cours et à venir, le rapport
parlementaire de 370 pages du député Cornut-Gentille met tout particulièrement en lumière la disponibilité des équipements aéronautiques et maritimes tricolores. L’Armée de
l’air apparaît à première vue particulièrement mal lotie sur ce point.
Quant à la Marine, malgré un lifting programmé, celle-ci semble sous-dimensionnée au regard de l’immense empire maritime français (le deuxième au monde, juste derrière celui des États-Unis).
En somme, les moyens dont disposent les soldats français sont en inadéquation avec les ambitions d’un pays tel que la France, bien que les crédits militaires soient en hausse et que l’Hôtel
de Brienne ait affiché sa volonté de remédier à la problématique de l’insuffisante disponibilité de ses aéronefs.
Rafale et Mirage 2000, vitrine –fêlée– de l’armée de l’air
Un problème que le ministère semble éluder, alors que la France entend livrer 12
de ses Rafale en service à la Grèce, et potentiellement autant à la Croatie. Dans un tel cas de figure, l’Armée de l’air se verrait amputée de l’équivalent du tiers de ses Rafale en état
de vol. En effet, au 31 décembre 2019, seul un Rafale sur deux était disponible (50,2% des 105 Rafale et 49,2% des 42 Rafale Marine) selon le rapport parlementaire. Un chiffre
par ailleurs en baisse par rapport aux années précédentes et tout particulièrement 2017 (respectivement, de 55,4% et 56,9%), année qui marqua un pic de disponibilité pour de nombreux
matériels, tout juste avant les promesses de l’exécutif de redresser la barre.
Seule la moitié des 147 Rafale actuellement en service dans les forces armées françaises est en état de voler. Un chiffre en constante baisse. À cela s’ajoute un retard de trois ans sur
la livraison des missiles air-air Meteor que la version la plus moderne du Rafale (standard F3) peut déployer.
Autre vedette et vecteur de frappe nucléaire des forces aériennes françaises, le Mirage 2000-D fait également partie du lot des aéronefs les mieux lotis, avec une disponibilité de 39,7%,
en hausse.
Est-ce une question d’âge? Pas vraiment. Les quatre avions radar AWACS, achetés aux Américains au début des années 90, affichent une disponibilité de 45,7%. La disponibilité des
87 hélicoptères d’attaque Gazelle, en baisse constante, s’établissait quant à elle à 45,6%. Pas si mal pour cet appareil entré en service au début des années 70, et dont pas un seul
nouveau modèle n’a été produit depuis 25 ans. À l’inverse, le très européen hélicoptère multirôles NH-90, dont le plus vieil exemplaire affiche à peine dix ans au compteur, présente un
«inquiétant»
taux de disponibilité.
La Gazelle au poil, pépins en série sur le NH90
Ce dernier n’est que de 31,4% pour sa version marine (NFH) et de 34,3% pour sa version transport de troupes (TTH), alors même que les deux parcs n’ont cessé de croître. Un comble pour celui
qu’Airbus présente comme «l’hélicoptère
standard de l’Otan». «Les autres
États partenaires à ce programme sont confrontés à des difficultés similaires», note le député, qui évoque le cas de la
Belgique qui a décidé de limiter son utilisation.
Pour autant, son taux de disponibilité avoisine celui des 68 exemplaires du «récent»
hélicoptère d’attaque Tigre, dont moins d’un tiers serait en état de prendre les airs (30%). Une proportion «quasi
stable par rapport à 2018, malgré un parc en expansion», note le rapport. Toujours la même tendance du côté des 68 hélicoptères de transport Puma et Super Puma, avec une
disponibilité de 32,6%, en hausse pour un nombre d’appareils en service ayant pourtant diminué.
«Bref, les deux tiers de ces différents hélicoptères sont en panne, faute de pièces détachées rapidement disponibles, ou déjà en réparation –et pas pour une petite avarie», résume pour sa
part le Canard enchaîné.
En revanche, l’hélicoptère de transport Caracal bondit, avec une disponibilité passant de 26,5% à 42,7% en deux ans, sur toutefois un modeste parc inchangé de 18 appareils. Malgré cette
série noire, les hélicoptères ne sont pas les aéronefs affichant les pires résultats au sein de l’armée de l’air. La vingtaine de patrouilleurs maritimes Atlantique 2, pour la plupart en
rénovation, n’affichent que 28,9% de taux de disponibilité.
Avion-cargo, talon d’Achille de la projection française
Ce taux baisse encore dès lors que l’on touche aux avions de transport. Seul un quart des 16 avions-cargos A400M sont opérationnels, alors même que la France prévoit de porter leur
flotte à 50 appareils. Quant aux C-130 Hercules, «indispensable
au transport tactique de fret», «il y a
urgence», estime le rapport. En cours de modernisation, seuls 17,5% des 14 appareils en service sont disponibles, soit environ deux appareils en état de vol à un instant T. Une
faiblesse qui impose à l’armée française de se tourner vers des entreprises étrangères, en l’occurrence Russes et Ukrainiennes pour mener à bien ses opérations extérieures. Une situation qui
s’est aggravée suite
à la «défection» d’une
compagnie russe qui a mis un terme à son partenariat avec l’Otan.
Du côté de la marine, si les navires affichent une disponibilité supérieure à 70% (à l’exception des frégates Horizon), les bâtiments sont également vieillissants, à l’image les bâtiments de
commandement et de ravitaillement qui «peinent à
se maintenir». Certains de leurs remplaçants accusent également des retards à la livraison.
C’est tout particulièrement le cas des frégates européennes multi-missions (FREMM), dont les dernières arriveront avec six années de retard par rapport au calendrier initial, et ce malgré une
«réduction
drastique» de la commande française. Initialement prévues au nombre de 17, la Marine nationale n’en disposera finalement que de 8. À ce titre, le député de la Haute-Marne estime que
«le besoin
en frégates dites de premier rang demeure pour affronter les défis maritimes».
Insuffisant également à ses yeux, le nombre de porte-hélicoptères amphibies (PHA). Si sur ce terrain la France n’est «pas
absente» avec trois d’entre eux (Mistral, Tonnerre et Dixmude), elle «apparaît
sous-équipée au regard de l’étendue de ses intérêts maritimes», note de député LR.
Un point sur lequel le rapport parlementaire appuie tout particulièrement est la disponibilité des cinq sous-marins nucléaires d’attaques (SNA). Partie intégrante de la force de dissuasion
nucléaire française, ceux-ci n’affichent pourtant qu’une disponibilité de 66%, l’une des pires des bâtiments de la Marine. Un niveau d’opérabilité d’autant plus inquiétant qu’en 2019, un sixième
sous-marin a été retiré du service, le «Saphir», après 35 ans de carrière. S’ajoute à cela l’incendie qui a partiellement détruit le «Perle» dans la rade de Toulon au mois de juin et qui
n’est donc pas pris en compte dans ces chiffres. Pour être remis à flot, ce
dernier recevra l’avant du «Saphir» en démantèlement.
Le sous-marin nucléaire d’attaque, endommagé par un incendie le 12 juin dernier alors qu’il était en chantier, est sorti le 24 novembre du bassin de radoub. Désormais amarré dans la darse
de Missiessy, au cœur de la base navale de Toulon, il doit prochainement rejoindre Cherbourg pour y être réparé.
Dernier point qui fâche du côté de la Marine nationale, et non des moindres: son navire amiral. En l’occurrence, la manière dont mi-avril le Charles de Gaule et les 2.300 marins de son
groupe aéronaval furent contraints de rentrer au port à cause d’une épidémie de Covid-19 à bord. «La surprise
stratégique n’est pas venue ici d’une Marine adverse, mais d’un virus», assène François Cornut-Gentille, qui rappelle que le porte-avions tricolore était ainsi immobilisé au moment où
les «tensions en
Méditerranée orientale s’accroissaient et nécessitaient l’envoi sur ordre du Président de la République de bâtiments et d’avions de chasse sur zone.»
L'armée française à l'épreuve des nouvelles menaces