Bonjour à tous,
Dans un entretien, qui s'écoute comme un roman d'histoire ou d'espionnage, Frédéric Pierucci, l'ancien directeur commercial d'Alstom Power, décrit tous les chantages qui permettent aux multinationales états-uniennes de faire plier les politiciens à Paris comme à Bruxelles.
Chacun se souvient que Frédéric Pierucci a été pris en otage par le gouvernement US dans le cadre d'une guerre économique impitoyable, qui ne dit pas son nom, menée par les USA contre leurs alliés (dont la France etl'Allemagne).
Il nous raconte de manière très claire comment la justice et l'extraterritorialité du droit américain sont instrumentalisés pour prendre le contrôle de nos fleurons industriels.
Il nous raconte aussi les conditions d'incarcération dans les prisons américaines et le triste fonctionnement de la justice dans ce "modèle US de démocratie occidentale"....
Si elle poursuit dans l'attitude de servilité qui est la sienne et dans la lâcheté qui caractérise nombre de ses dirigeants, la France a vraiment beaucoup de soucis à se faire pour son avenir.
Ce "documentaire" devrait être partagé sans modération et passé dans les salles de cinéma pour l'éducation et le déniaisement des citoyens de notre pays.
Visionnez la vidéo et vous ne serez pas déçu..... soit sur thinkerview : https://www.youtube.com/watch?v=dejeVuL9-7c
soit sur le blog mediapart qui l'a déjà repris :
C'est en multipliant les reprises, les diffusions et le partage de ce type de documentaire que les médias alternatifs peuvent participer à la véritable information des français, voire des élites de notre pays.....
Il faut continuer inlassablement à "tirer sur le fil du mensonge" pour que tout soit mis en lumière et pour que tout vienne sur les véritables objectifs des USA relatifs à l'Europe ....
Installez vous bien dans votre fauteuil et bon documentaire à tous.
DD
PS : Ce documentaire est important à visionner au moment ou le gouvernement songe à privatiser l'aéroport de Paris ( encore un des fleurons rentables d'une France vendue à la découpe) .....
Eric Denécé et Jean-Michel Quatrepoint reviennent sur la vente d'Alstom à General Electric ainsi que les enjeux de guerre économique qui la sous-tend.
Source : Thinkerview
Qui le sait ? Depuis la fin 2014 la France a perdu une partie du contrôle de
ses centrales nucléaires au profit des Américains.
Je m’appelle Frédéric Pierucci et je me suis retrouvé, bien malgré moi, au
cœur de ce scandale d’État. Ancien patron d’une des filiales d’Alstom, je connais les dessous de ce thriller à 12 milliards de dollars. Après avoir été longtemps contraint au silence, j’ai
décidé, avec le journaliste Matthieu Aron, de les
révéler.
(...à voir ou
revoir....JMR)
En avril 2013, j’ai été arrêté à New York par le FBI et poursuivi pour une
affaire de corruption. Je n’ai pas touché un centime dans cette transaction, mais les autorités américaines m’ont enfermé pendant plus de deux ans – dont quatorze mois dans une prison de très
haute sécurité.
Un véritable chantage pour obliger Alstom à payer la plus gigantesque amende
jamais infligée par les États-Unis, et à se vendre à General Electric, son grand concurrent américain.
Mon histoire illustre la guerre secrète que les États-Unis livrent à la
France et à l’Europe en détournant le droit et la morale pour les utiliser comme des armes économiques. L’une après l’autre, nos plus grandes sociétés (Alcatel, Total, Société Générale et bientôt
d’autres) sont déstabilisées. Ces dernières années, plus de 14 milliards de dollars d’amende ont ainsi été payés par nos multinationales ces dernières années au Trésor
américain. Et ce n’est qu’un début…
Sur le même sujet :
https://dissidentvoice.org/2019/04/the-coalition-of-the-us-justice-department-and-ge-against-alstom/
L'affaire Alstom a connu en juin de nouveaux rebondissements : annonce de plans de
licenciements, interrogations émises par Olivier Marleix - président de la commission
d'enquête parlementaire sur les décisions de l'État en matière industrielle - concernant
les responsabilités réelles des plus hautes autorités de l'Etat dans cette affaire... D'où
l'intérêt d'entendre ici un témoin-clé du dossier, Frédéric Pierucci, ancien président de
la filière chaudière d'Alstom, qui a sorti en début d'année un livre-choc, Le piège
américain (avec Matthieu Aron, JC Lattès), pertinemment sous-titré : l'otage de la plus
grande entreprise de déstabilisation économique témoigne.
Dans l'entretien qu'il a accordé à Bruno Racouchot, directeur de Comes
Communication, Frédéric Pierucci met en relief l'extraordinaire complexité des jeux
d'influence mis en œuvre par les autorités américaines pour tuer ou s'approprier les
grandes entreprises étrangères, notamment européennes, dans une guerre
économique sans pitié. Enfermé plus de deux ans dans les geôles américaines,
Frédéric Pierucci montre comment l'influence trouve sa place entre violence physique
et prédation financière. Avec à la clé une leçon : il serait temps pour les Européens de
faire preuve de courage et de réalisme !
-o-
En matière de guerre économique, l'affaire Alstom constitue un exemple percutant de
l'utilisation combinée et simultanée par les Etats-Unis d'outils et méthodes alliant
violence, puissance et influence (normes, droit, médias, etc.). Comment analysez-vous
ce dispositif ?
Tout le monde est bien sûr contre la corruption et le terrorisme. Ce sont là des références
morales indiscutables. Mais, à y regarder de plus près, l'utilisation du droit comme arme
économique relève d'une autre logique, parfaitement maîtrisée et orchestrée, par le
gouvernement américain en particulier, lequel – comme vous le relevez – parvient à engager
simultanément ou tour à tour les éléments idoines du triptyque violence, puissance, influence.
D'emblée, il faut se souvenir que la lutte contre la corruption internationale est classée au
second rang des priorités du Département de la Justice, juste après la lutte contre le
terrorisme, au même titre que la lutte contre le trafic de drogue. Le scénario est rodé : dans un
premier temps, ils utilisent le droit comme une arme économique en créant une loi de nature
extraterritoriale ; ensuite, ils imposent à leurs concurrents de l'OCDE de mettre leurs propres
lois anticorruption en adéquation avec la nouvelle articulation qu'ils proposent ; enfin, ils
utilisent à plein les ressources de leurs agences de renseignement afin de collecter toutes les
informations nécessaires pour imposer leur logique, en particulier en recueillant des preuves
visant à impliquer des entreprises – essentiellement européennes – dans des affaires de
corruption en vue de les condamner ou les mettre en difficulté.
La recension que j'ai placée à la fin de mon livre des vingt-six entreprises ayant payé aux
autorités américaines au titre du FCPA (Foreign Corrupt Practices Act) plus de cent millions
de dollars d'amendes est pour le moins éloquent puisque l'on constate que ce sont
essentiellement des entreprises européennes qui se trouvent dans la ligne de mire des
autorités américaines. Face à cela, il n'y a pas de réponse concertée de la part des
Européens, d'abord parce qu'en Europe, ce type d'affaire ressort du pénal, donc dépend de
chaque Etat. Il y a vingt-cinq ans, le gouvernement américain avait déjà œuvré de la même
manière en attaquant l'Europe sous l'angle de la lutte contre les cartels, mais l'Europe avait
alors répliqué et une sorte d'équilibre s'était mis en place. Aujourd'hui, force est de constater
que les Européens sont incapables de faire face... Au-delà de mon expérience personnelle sur
le dossier Alstom, j'ai voulu faire œuvre pédagogique avec ce livre et montrer comment nous
devions avant tout faire prendre conscience de la gravité de la configuration dans laquelle
nous nous trouvons face au géant américain et simultanément montrer nos faiblesses. En
l'occurrence, il s'agit aussi de contribuer à une prise de conscience de la part de nos élites et
surtout des générations montantes qui vont accéder demain à des postes-clés – ingénieurs,
managers, décideurs de toutes sortes... – qui devront se montrer d'un total réalisme sur ces
questions.
Le soft power, c'est donc malgré tout de la puissance...
Bien sûr ! Souvent, il peut se révéler bien plus dévastateur et beaucoup moins cher que le
hard power. Imaginez que dans les cas qui nous préoccupent ici, ce sont les propres
entreprises incriminées qui doivent supporter le coût de leurs enquêtes internes ! Et ensuite,
elles doivent acquitter des amendes d'un montant faramineux. Or, qu'est-ce que ça coûte en
revanche aux autorités américaines, si ce n'est quelques équipes du FBI et autres services
spécialisés ? La démarche initiée par les autorités américaines se mue de facto en centre de
profit. Voyons un peu comment fonctionne ce piège de soft power. L'entreprise incriminée est
sommée de coopérer, sous la férule d'un moniteur imposé, qui durant trois ans, va tout
superviser, tout contrôler et donc tout transmettre aux autorités américaines. Sous contrôle
FCPA, vous n'avez plus réellement le contrôle de votre entreprise.
Mais surtout, au-delà de l'aspect strictement pénalisant et financier de l'amende, se greffent
bien d'autres maux. D'abord, les dirigeants sont obsédés par l'idée de sauver leur peau,
surtout s'ils se trouvaient aux commandes au moment des faits de corruption. Donc les
préoccupations stratégiques, les objectifs d'innovation, les impératifs RSEA... tout cela passe
au second plan. L'entreprise se trouve peu à peu anémiée, si ce n'est paralysée. Il faut faire
appel à des kyrielles d'avocats. Les investisseurs prennent peur, avec des conséquences
directes sur l'évolution du marché et les cours de bourse. Les personnels de haut niveau vont
dès lors avoir tendance à partir pour des cieux plus cléments, les directions commerciales se
trouvent décapitées... Bref, avec l'engagement d'une procédure FCPA, l'entreprise plonge
dans une spirale infernale, se retrouve essorée et devient de fait une proie facile pour ses
concurrents. On voit donc bien ici la logique de prédation déployée dans une guerre
économique impitoyable, qu'il faut être aveugle ou d'une parfaite mauvais foi pour nier
l'existence.
En ce sens, il faut bien comprendre que la lutte contre la corruption, qui implique
l'extraterritorialité du droit, telle que présentée par les autorités américaines, constitue l'arme
atomique économique, car elle touche toutes les entreprises d'une certaine taille, dès lors que
simplement, elles utilisent le dollar dans leurs transactions. Cela relève d'une logique à la fois
centralisée et décentralisée. N'importe qui peut aller voir un procureur américain avec des
preuves de corruption de son entreprise pour la faire plonger dans un cycle dantesque et
générer des conséquences extrêmement lourdes. Or, quand on sait que les lanceurs d'alerte
sont rémunérés à hauteur de 10 à 30% de l'amende que paiera l'entreprise, on comprend dès
lors que toute démarche de dénonciation n'est pas seulement guidée par les seuls principes
moraux...
Pour en savoir plus : Le piège américain - L'otage de la plus grande entreprise de
déstabilisation économique témoigne, par Frédéric Pierucci et Matthieu Aron, JC Lattès, 2019.
Voir aussi le long et passionnant entretien vidéo accordé par Frédéric Pierucci à Thinkerview :
https://www.youtube.com/watch?v=dejeVuL9-7c
Dans le même ordre d'idée, on consultera les travaux de Claude Rochet (https://claude-
rochet.fr/), notamment son étude sur Le dispositif américain de lutte contre la corruption
(FCPA), une arme d'intelligence économique.
On peut aussi se reporter à l'enquête minutieuse réalisée par Jean-Michel Quatrepoint,
Alstom, scandale d'Etat – Dernière liquidation de l'industrie française, Fayard, 2015, ainsi
qu'aux différentes études menées très tôt sur l'affaire Alstom, en pionnier, par le CF2R, Centre
français de recherche sur le renseignement (https://www.cf2r.org/), dirigé par Eric Denécé
(voir ci-après p.5), lequel n'hésite pas à pointer du doigt la surprenante démission de l'Etat sur
ce dossier.
Enfin, pour découvrir l'affaire sous un mode BD accessible à tous, voir l'excellent film Guerre
fantôme, réalisé par David Gendreau et Alexandre Leraître, lesquels avaient aussi en leur
temps tiré la sonnette d'alarme : https://www.guerrefantome.com/. C'est là un modèle
pédagogique, communicationnel et informationnel sur un sujet difficile, (présenté ci-après p.4).
EXTRAITS
De l'influence par les normes aux sting operations
En ouverture de l'entretien qu'il accorde en mars dernier aux notes CLES (Comprendre les
enjeux stratégiques) à l'occasion de la sortie de son livre, Frédéric Pierucci plante le décor
dans lequel se développe l'offensive des agences américaines contre les entreprises
étrangères, notamment européennes. La palette des méthodes employées est large, depuis le
cadre juridique jusqu'à l'espionnage pur et simple, sans oublier les sting operations, autrement
dit les provocations à l'infraction. Extraits.
"Avant tout, il est indispensable d’informer les acteurs économiques du cadre légal institué par
le FCPA (Foreign Corrupt Practices Act) de 1977. Quatre lettres dont j’ai découvert l’existence
peu après mon incarcération et dont j’ai eu tout le loisir d’étudier la signification... Plus de 40
ans après son entrée en vigueur ! Ce qui en dit long sur l’ignorance de beaucoup de cadres
supérieurs des plus grandes entreprises dans un domaine aussi essentiel que la
responsabilité pénale des dirigeants.
"Petit rappel : quand le FCPA est adopté, en 1977, dans la foulée de l’affaire du Watergate et
du besoin de transparence dont témoigne l’opinion, il vise d’abord les entreprises américaines.
A la faveur de ses investigations, le FBI a en effet découvert qu’au moins 400 d’entre elles
pratiquaient la corruption sur une grande échelle pour obtenir des contrats à l’exportation. On
se souvient que le prince Bernhard des Pays-Bas, mari de la reine Juliana, avait empoché de
Lockheed 1 million de dollars pour convaincre son gouvernement d’acheter des chasseurs F
104 américains plutôt que des Mirage V français. Dès lors, il est interdit aux exportateurs
américains de rémunérer des agents publics étrangers.
"Mais très vite, il devient clair que cette prohibition tourne au handicap puisque les non-
américains continuent, eux, d’avoir recours à la corruption sur les marchés internationaux. Les
États-Unis n'appliquent donc cette loi que de manière très ponctuelle. Un seul exemple : entre
1977 et 2001, le Department of Justice (DOJ) ne sanctionnera qu’une vingtaine d’entreprises
américaines de second rang. Pas même une par an ! Je vous rappelle qu’en France, jusqu’à
l'adoption en droit français de la convention anti-corruption de l'OCDE (2000), les entreprises
fournissaient à Bercy un état de leurs dépenses "exceptionnelles" - autrement dit destinées à
payer des pots de vin – afin de pouvoir les défalquer de leurs impôts...
"Dès la fin des années 1990, on assiste donc à un retournement de tendance sous la pression
des Majors : le FCPA est modifié en 1998 et va dès lors s’appliquer de manière
extraterritoriale. Il va devenir alors une machine de guerre économique ciblant principalement
les grandes entreprises européennes.
"Après les attentats du 11 septembre, l’offensive va s’amplifier contre le ‘‘reste du monde’’
puisqu’en vertu du Patriot Act de 2001 revu en 2005, les agences américaines (CIA, FBI,
NSA) sont autorisées via le projet PRISM dévoilé par Edward Snowden, à espionner les
sociétés étrangères, notamment avec l’aide des géants américains du numérique, grands
collecteurs de données, notamment Google, Facebook, YouTube, Microsoft, Yahoo, Skype,
AOL, Apple, et j’en passe... "
"C’est ainsi que le dossier d’accusation censé prouver votre participation à une "conspiration"
contenait... 1,5 millions de pièces ?
"Bien sûr, mais pas seulement. Car outre l’espionnage informatique, qui porte principalement
sur les mails échangés, une cellule spéciale du FBI travaille à infiltrer les entreprises
étrangères et même, à organiser des sting operations (provocations à l’infraction) pour piéger
les sociétés qui concurrencent le plus dangereusement leurs homologues américaines. C’est
ainsi qu’Alstom a été, à la fois, espionné et infiltré avant d’être poussé à la vente...
"Mais ce n’est pas tout. Washington a obtenu que l’OCDE mette au point une législation
anticorruption calquée sur la loi américaine. Or vous savez que les Etats-Unis, forts du quasi-
monopole du dollar dans les échanges internationaux, mais aussi d’instruments comme le
système Swift, sont les seuls à pouvoir imposer leur législation de manière extraterritoriale. Ce
qui les autorise à poursuivre quiconque gêne leurs intérêts, dès lors qu’il utilise le dollar ou un
moyen technique d’origine américaine dans ses transactions le rattachant au territoire
américain.
"N’ayant jamais eu les moyens ou même l’ambition d’imposer l’extraterritorialité de leurs
droits, les pays de l’Union européenne se sont placés, en adhérant à cette convention, dans
une situation totalement asymétrique. Leurs entreprises sont à la merci du droit américain
sans disposer des moyens équivalents pour riposter !
"Cette inégalité structurelle se lit dans les chiffres. Si, entre 1977 et 2014, les entreprises non-
américaines n’ont fait l’objet que de 30% des enquêtes diligentées par le DOJ, elles ont payé
la part du lion : 67% du total des amendes ! Pire : sur 26 amendes supérieures à 100 millions
de dollars, 21 concernent les sociétés non-américaines... Dont 14 européennes, parmi
lesquelles 5 françaises. Et jamais aucun géant du pétrole (Exxon, Chevron) ou de la Défense
(Raytheon, UTC, General Dynamics) n’a été visé ! Un vrai conte de fées puisque cela
signifierait que ces sociétés n’ont jamais eu besoin de recourir à la corruption pour vendre
leurs produits depuis 1977...
"Bref, une fois ce cadre général exposé dans le détail, il faut donner aux entreprises une vraie
formation prudentielle. Les cas d’école ne suffisent plus. Il faut rentrer dans le concret, et
comprendre où se situent les plus gros risques. Je crains malheureusement qu’en cette
période de guerre économique, ils soient devant nous. Non parce que nos entreprises font
n’importe quoi, bien au contraire, mais parce que les infractions passées ne font l’objet en
pratique d’aucune prescription..."
Télécharger l'entretien :
http://notes-geopolitiques.com/notesgeo/wp-content/uploads/2019/03/CLESHS83.pdf
-oOo-
EXTRAITS
Les dessous noirs d'une Guerre Fantôme
Le réalisateur David Gendreau et l’analyste en intelligence économique Alexandre Leraître
sont les auteurs du documentaire Guerre fantôme, la vente d'Alstom à General Electric
(www.lcp.fr/emissions/droit-de-suite/283004-alstom-une-affaire-detat) – modèle d'enquête et
de pédagogie pour quiconque s'intéresse aux opérations d'influence – régulièrement diffusé
depuis 2017 sur la Chaîne parlementaire en raison de son succès. Disséquant en décembre
dernier cette attaque en règle sur un joyau du patrimoine industriel français au profit de la
Lettre d'Intelligence économique territoriale de l'EM Normandie, ils en dressent un constat
sévère. Extraits.
"[...] nous sommes partis pour étudier un cas d’école, à savoir la mise hors-circuit par GE de
son principal concurrent mondial aboutissant, en prime, à l’entrée en force des Américains
dans le cœur du cœur de notre technologie nucléaire... Et nous avons abouti à quelque chose
d’une ampleur que nous ne soupçonnions pas : le formidable désintérêt – pour ne pas dire la
négligence condamnable – dont la plupart des décideurs politiques, toutes tendances
confondues, font montre en matière de défense de nos industries de souveraineté.
"Ce qui nous a sauté aux yeux, c’est combien les questions de souveraineté en général et de
souveraineté économique en particulier, étaient devenues des abstractions aux yeux de ce
qu’il est convenu d’appeler nos "élites", lesquelles confondent globalisation et extinction des
rapports de force... [Nous disons] "nos" élites, car la situation est tout autre à l’étranger, où la
notion de guerre économique est très prégnante, qu’il s’agisse du monde politique ou de celui
de l’entreprise... Or, on le voit bien, la perte d’un fleuron industriel comme Alstom, c’est tout
sauf une abstraction politique ou juridique : c’est un drame national doublé d’une tragédie
sociale très concrète, parfaitement quantifiable en termes d’emplois sacrifiés mais aussi de
marchés perdus. Les clients qui achetaient les turbines Alstom n’acquéraient pas seulement
une technologie ; ils achetaient la garantie de ne pas être dépendants, demain, d’un
approvisionnement en pièces détachées susceptible d’être interrompu au gré des embargos
dont les Américains sont coutumiers..."
En France ? Une culture du renseignement faible et pas assez tournée vers l'entreprise
et l'international
"Outre l’angélisme très idéologique auquel [il a été] fait allusion et qui empêche de voir les
stratégies, parfois très brutales, qui se dissimulent derrière les grands principes de
"complémentarité industrielle" ou de "recherche de la taille critique", la France est clairement
en retard – pour ne pas dire gravement déficiente – en matière d’intelligence économique.
C’est un sujet qui n’intéresse pas les politiques et à peine plus la presse, qui sacrifie trop
souvent au journalisme de commentaire. Et ne parlons pas du "syndrome du grand frère" qui
caractérise les rapports franco-américains et nous fait prendre pour argent comptant les
promesses venues d’outre-Atlantique. Par exemple, celle de "développer Alstom" en créant
1000 emplois, et autres engagements oubliés sitôt l’affaire conclue...
"Ce n’est pas être désobligeant pour Arnaud Montebourg que de dire ici ce que nous avons
ressenti : il nous a donné l'impression de découvrir l'aspect "guerre économique" du dossier
en regardant notre film ! D’où, peut-être, sa tribune du Monde, quelques jours après sa
première diffusion par la Chaîne parlementaire : "Il n’est pas trop tard pour nationaliser
Alstom". A ce déficit d’intérêt pour l’intelligence économique – on devrait d’ailleurs ne pas se
cacher derrière son petit doigt, et employer le mot français de "renseignement", qui a le mérite
de la clarté et montre bien que nous sommes confrontés à une forme de guerre –, il faut
ajouter un facteur purement conjoncturel : quand l’affaire se noue, la France doit faire face à la
pire offensive terroriste depuis vingt ans. La DGSI et la DGSE sont sur les dents et leur priorité
n’est pas d’investiguer sur l’offensive lancée, depuis les Etats-Unis, contre une entreprise de
Belfort, fût-elle une légende vivante...
"[...] On doit rendre cet hommage à Donald Trump d’avoir, par ses postures belliqueuses,
clarifié les enjeux de la guerre économique, que même un non-spécialiste peut désormais
saisir : quiconque ne se soumet pas aux volontés américaines est considéré comme un
ennemi. Cette violence assumée a ouvert les yeux de certains qui confondaient un peu trop
facilement la simple défense de nos intérêts nationaux avec le nationalisme. Là, ils voient ce
qu’est le nationalisme en action... Et ils se rendent compte qu’il faut peut-être réagir avant que
d’autres Alstom s‘ajoutent à la liste. L’erreur serait de croire, en effet, que cela est nouveau et
dépend de la couleur de l’administration au pouvoir. L’affaire Alstom a été déclenchée sous
Barak Obama, président au tempérament en tous points opposé à celui de son successeur et
dont le capital de sympathie reste inentamé. Il importe donc de bien comprendre que
l’extraterritorialité du dollar et des droits afférents est consubstantielle aux Etats-Unis : les
institutions américaines, à commencer par les services de renseignement sont formées pour
les promouvoir, y compris en piégeant leurs proies... Voyez d’où viennent la plupart des
"pontes" de la CIA : de la banque et de la finance dont ils maîtrisent d’autant mieux les circuits
que leurs "majors" sont presque tous américains. Ce n’est évidemment pas le cas chez nous
où la culture du renseignement reste très faible et pas assez tournée vers l’entreprise et
l’international."
Pour télécharger l'entretien dans son intégralité :
https://blog.ecole-management-normandie.fr/wp-content/uploads/2018/12/Comprendre-et-
entreprendre-N30_Guerre-fant%C3%B4me-v4.pdf
-oOo-
EXTRAITS
Racket américain et démission d'État
Le 19 décembre 2014, l’assemblée générale des actionnaires d’Alstom autorise la vente des
activités de sa branche Energie à General Electric (GE). Au même moment sort en France un
rapport qui tire la sonnette d'alarme sur ce qui est en train de se passer. Intitulé Racket
américain et démission d'Etat – Le dessous des cartes du rachat par General Electric, il est
signé Leslie Varenne et Eric Denécé (directeur du CF2R, Centre français de recherche sur le
renseignement). Ce travail est le premier d'une longue série d'enquêtes qui toutes vont
s'efforcer d'explorer les zones troubles de ce dossier. Voilà comment les auteurs présentent
alors leur travail de pionniers...
"Une nouvelle fois la France a capitulé devant son allié américain en lui cédant dans des
conditions litigieuses et rocambolesques les activités rentables et pour partie stratégiques d’un
fleuron de son industrie. Quelles sont les réelles raisons qui ont conduit à cette vente ? En
effet, Il est troublant que la France ait cédé sans état d’âme une entreprise dont les activités
sont si importantes pour son indépendance. Les risques liés aux procédures judiciaires pour
corruption engagées contre Alstom dans de nombreux pays ont joué un rôle déterminant dans
le rachat de la société française. La justice américaine a su habilement exploiter les craintes
des dirigeants du groupe. En effet depuis plusieurs décennies, les règles juridiques édictées à
Washington s’imposent au reste du monde, au détriment des droits et des intérêts des autres
nations. Ce sont elles, et non une soi-disant complémentarité économique ou la recherche de
la taille critique, qui sont à l’origine de la cession de la branche Energie du groupe français.
"L’affaire Alstom met par ailleurs en lumière deux faits préoccupants : d’une part, l’attitude de
nos "élites" qui, derrière un discours circonstancié sur la mondialisation – mais en réalité
motivées par la satisfaction d’intérêts personnels ou la dissimulation d’erreurs stratégique –
sont en train de vendre nos joyaux industriels à l’étranger, n’hésitant pas à sacrifier notre
indépendance militaire et nucléaire ; d’autre part, l’incompétence et l’impuissance des
politiques, qui n’ont toujours pas compris ce qu’était la guerre économique moderne et se
révèlent incapables de défendre nos intérêts. Dans ce dossier, rien n’a été fait pour sauver
Alstom, le gouvernement n’a pas été à la hauteur des enjeux. Enfin, pour aboutir à cet accord
et pendant toute la période des négociations, il y a eu une multiplication "d’affaires" dans
l’affaire : suspicion de manipulation de cours et de délits d’initiés, conflits d’intérêts, projet de
déménagement du siège d’Alstom à Singapour, etc. Autant d’éléments qui, ajoutés à la vente
déshonorante d’activités stratégiques nationales, font de l’affaire Alstom un véritable scandale
d’Etat."
GE ou la maîtrise des jeux médiatiques et d'influence
"A l’opposé des cafouillages français, General Electric a pu développer sa stratégie, et
parvenir à ses fins, grâce à un grand professionnalisme, aux énormes moyens financiers
déployés et à une efficace campagne médiatique et d'influence. Ne croyons pas un instant
que Jeffrey Inmelt, son président, pensait l’emporter facilement. Pourtant, GE a eu tout ce qu’il
voulait. Certes, Patrick Kron était acquis à la cause de GE, la vente était pour lui la meilleure
solution pour se débarrasser des poursuites judiciaires, mais ce qui est incroyable, c'est que
GE ait pu dérouler toute sa stratégie sans aucune opposition de la part de notre pays.
"Le groupe américain acquiert la totalité des activités d'Alstom dans l'énergie alors qu'elles
représentaient plus des deux tiers du chiffre d'affaires du groupe français : 100% des turbines
à gaz, 100% des turbines à vapeur hors nucléaire (sauf en France), 50% des turbines à
vapeur nucléaires (et hors nucléaires en France), 100% de certaines énergies renouvelables
(éolien terrestre, solaire, géothermie) et 50% des autres énergies vertes (éolien en mer et
hydroélectriques).
"Le patron de GE n'a pas augmenté le montant du prix d'achat, il a seulement donné une
Golden Share au gouvernement français et a consenti à quelques concessions qui ne
l'engagent pas et ne lui coûtent rien : la promesse que la maintenance nucléaire et les centres
de recherche et de décision resteront en France. De plus, les "co-entreprises" à 50/50
concernent des domaines dans lesquels le groupe américain n'était pas vraiment demandeur.
Le résultat de l'intervention calamiteuse du gouvernement français, c'est que le groupe
américain paye moins cher pour cette prise de contrôle. 6,7 milliards d'euros d'apport net en
cash pour une facture brute nominale de 12,35 milliards. Que GE pouvait-il demander de
mieux ?" (p.32)
Dans leur conclusion (p.34), les auteurs pointent du doigt une démission collective : "Entre la
trahison des élites, l'amateurisme dont a fait preuve le gouvernement dans ce dossier,
l'abandon par la France de son indépendance et sa souveraineté nationales et les multiples
affaires, la cession des activités énergie d'Alstom est un véritable scandale d'Etat. L'affaire
Alstom révèle par ailleurs l'incompréhension de la compétition économique des dirigeants
politiques français. Elle est à rapprocher d'autres offensives que les Etats-Unis ont
déclenchées contre nous, profitant de notre faiblesse politique du moment à cause d'un
président impopulaire et passif : remise en cause par Washington de la vente de navires
Mistral à la Russie et le racket dont a été victime BNP/Paribas. C'est pourquoi il est temps de
sortir de l'aveuglement dans lequel nous baignons : nous ne sommes plus amis avec les
Etats-Unis, tout au plus alliés... La guerre économique est depuis longtemps déclarée et il est
affligeant que nous ne rendions pas les coups !" Ces lignes ont été rédigées en 2014. Elles
restent d'actualité. L'invité de notre n°, Frédéric Pierucci, est là pour nous le rappeler...
Pour télécharger le rapport : https://www.cf2r.org/wp-content/uploads/2014/12/rr13.pd
-oOo-
BIOGRAPHIE
Fondateur du cabinet de consulting Ikarian (https://www.ikarian.eu/), spécialisé en compliance
stratégique et prévention de la corruption, Frédéric Pierucci bénéficie d'une riche et longue
expérience internationale. Ingénieur diplômé de l'ENSMA de Poitiers, titulaire d'un MBA
(INSEAD), il a vécu et travaillé en Chine, aux États-Unis, en Algérie, au Royaume-Uni, et à
Singapour. Il a été notamment responsable mondial des ventes pour la division des "Centrales
Vapeurs", en charge de la négociation des grands contrats internationaux pour la fourniture de
centrales électriques au charbon clef en main et des îlots conventionnels de centrales
nucléaires. Jusqu'à la mi-2013, il dirigeait depuis Singapour le business "Chaudières" (Alstom
Boilers) de l'ex-géant français, secteur représentant 1,4 milliard d’euros de CA et 4000
employés.
Lors d'un voyage d'affaires aux États-Unis en 2013, il a été arrêté par le FBI à l'aéroport de
JFK alors qu’il descendait d'avion, accusé "d’avoir participé à des faits présumés de corruption
en Indonésie dans le cadre d’un contrat qu’Alstom a obtenu en 2003". Secrètement inculpé
depuis 2012, il a alors passé 14 mois dans un centre de détention de haute sécurité de
Rhodes Island et un an dans un pénitencier de Pennsylvanie. Dans le but d’assurer sa
défense, il a utilisé ces périodes pour lire de manière approfondie la jurisprudence de l'US
Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) et étudier en détails les législations anti-corruption
américaine, anglaise et française, dont il est devenu l'un des meilleurs spécialistes.
Ayant vécu "de l'intérieur" les conséquences de ces lois, il se trouve aujourd'hui dans une
position unique pour conseiller les équipes dirigeantes des entreprises sur les questions liées
à leur application et sur les procédures à mettre en place afin de se prémunir contre leurs
violations. Le cabinet Ikarian intervient auprès d’une dizaine de société du CAC 40 et de
nombreuses sociétés et institutions publiques et privées, en France et à l’international, pour
conseiller sur la compliance stratégique et opérationnelle, dans un contexte international
marqué, notamment, par le nationalisme économique américain...
Dans la postface qu'il a donnée à Frédéric Pierucci pour son livre, Le piège Américain (op.
cit.), Alain Juillet, Président de l'Académie d'Intelligence économique, mais aussi ancien
directeur du renseignement de la DGSE, résume l'enjeu de son combat: "Ce qu'a vécu
Frédéric Pierucci est mieux qu'un roman, car c'est une histoire vraie du XXI° siècle. Si son
cauchemar personnel est désormais terminé, d'autres entreprises françaises, dont
l'insouciance leur voile la dure brutalité de la compétition internationale et les pratiques de
certains pays, ne sont pas à l'abri. Souhaitons que son livre leur ouvre les yeux. Alors, le
calvaire d'un homme n'aura pas été inutile".
[notice biographique tirée de la note CLES citée en p.3,
http://notes-geopolitiques.com/notesgeo/wp-content/uploads/2019/03/CLESHS83.pdf ]
-oOo-
L’INFLUENCE, UNE NOUVELLE FAÇON DE PENSER LA COMMUNICATION DANS LA GUERRE ÉCONOMIQUE
"Qu'est-ce qu'être influent sinon détenir la capacité à peser sur l'évolution des situations ?
L'influence n'est pas l'illusion. Elle en est même l'antithèse. Elle est une manifestation de la
puissance. Elle plonge ses racines dans une certaine approche du réel, elle se vit à travers
une manière d'être-au-monde. Le cœur d'une stratégie d'influence digne de ce nom réside très
clairement en une identité finement ciselée, puis nettement assumée. Une succession de
"coups médiatiques", la gestion habile d'un carnet d'adresses, la mise en œuvre de vecteurs
audacieux ne valent que s'ils sont sous-tendus par une ligne stratégique claire, fruit de la
réflexion engagée sur l'identité. Autant dire qu'une stratégie d'influence implique un fort travail
de clarification en amont des processus de décision, au niveau de la direction générale ou de
la direction de la stratégie. Une telle démarche demande tout à la fois de la lucidité et du
courage. Car revendiquer une identité propre exige que l'on accepte d'être différent des
autres, de choisir ses valeurs propres, d'articuler ses idées selon un mode correspondant à
une logique intime et authentique. Après des décennies de superficialité revient le temps du
structuré et du profond. En temps de crise, on veut du solide. Et l'on perçoit aujourd'hui les
prémices de ce retournement.
"L'influence mérite d'être pensée à l'image d'un arbre. Voir ses branches se tendre vers le ciel
ne doit pas faire oublier le travail effectué par les racines dans les entrailles de la terre. Si elle
veut être forte et cohérente, une stratégie d'influence doit se déployer à partir d'une réflexion
sur l'identité de la structure concernée, et être étayée par un discours haut de gamme.
L'influence ne peut utilement porter ses fruits que si elle est à même de se répercuter à travers
des messages structurés, logiques, harmonieux, prouvant la capacité de la direction à voir loin
et sur le long terme. Top managers, communicants, stratèges civils et militaires, experts et
universitaires doivent croiser leurs savoir-faire. Dans un monde en réseau, l'échange des
connaissances, la capacité à s'adapter aux nouvelles configurations et la volonté d'affirmer
son identité propre constituent des clés maîtresses du succès".
Ce texte a été écrit lors du lancement de Communication & Influence en juillet 2008. Il nous
sert désormais de référence pour donner de l'influence une définition allant bien au-delà de
ses aspects négatifs, auxquels elle se trouve trop souvent cantonnée. L'entretien que nous a
accordé Frédéric Pierucci va clairement dans le même sens. Qu'il soit ici remercié de sa
contribution aux débats que propose, mois après mois, notre plate-forme de réflexion.
Bruno Racouchot
Directeur de Comes