Consultant politique, président-fondateur du Réseau Voltaire.
Dernier ouvrage en français : Sous nos yeux - Du 11-Septembre à Donald Trump(2017).
Personnalité très contestée par
les propres membres de l’administration Trump, Jared Kushner a la totale confiance du président. Il a reçu pour mission de réordonner le Moyen-Orient selon le « principe de réalité »,
contre la doxa de chaque camp. Après des succès tangibles en Arabie saoudite, il s’attaque à la question israélo-arabe.
Jared Kushner est une personnalité très secrète dont on ne sait pas grand-chose. Tout au plus qu’il avait une haute opinion de la Justice et se destinait à être
procureur. Cependant lorsque son père fut arrêté et incarcéré pour fraude fiscale, il eut la certitude d’une injustice. Selon lui, son père était tombé dans un traquenard judiciaire. Il abandonna
alors ses études de droit et tenta de relever l’entreprise familiale de promotion immobilière. Ce qu’il réussit avec succès. Durant cette période, il se construisit l’image la plus lisse possible
de manière à se distancier des accusations portées contre son père.
Son beau-père, Donald Trump, lui fait extrêmement confiance au point de le charger de facto de diriger sa campagne électorale. Certains de ses adversaires
manifestèrent leur surprise devant sa capacité à organiser cette campagne avec des moyens dérisoires et néanmoins de parvenir à la victoire.
Dès son arrivée à la Maison-Blanche, le président Trump le fait participer aux réunions les plus secrètes bien qu’il ne dispose pas de l’accréditation
Secret-Défense ; une accréditation à laquelle il n’a toujours pas droit.
Espérant laisser un nom dans l’Histoire en réalisant une tâche que ses prédécesseurs ont tous évoquée sans jamais l’atteindre, le président Trump le charge de
résoudre le conflit israélo-arabe et de pacifier le Moyen-Orient. C’est un pari d’autant plus risqué à tenir que le jeune homme (36 ans) s’est préalablement impliqué aux côtés d’Israël en
soutenant financièrement Tsahal et des colonies juives en terre palestinienne. Cependant Kushner ayant un tel besoin de se faire accepter par son milieu, il est possible que ces dons aient une
autre signification que celle qu’on leur attribue au premier abord.
Nommer à cette fonction une personnalité de confiance, mais dénuée d’expérience diplomatique, est un second pari du président Trump. Considérant l’échec des
diplomates professionnels, celui-ci a misé sur une approche nouvelle d’un problème ancien. Pour cette mission, Jared Kushner a obtenu un rare privilège : il est le seul haut fonctionnaire
dont les entretiens avec des personnalités politiques étrangères ne font pas l’objet de procès-verbaux. Personne ne pourra donc lui reprocher ses gaffes, ni même critiquer sa manière d’aborder
les sujets. Pas même le secrétaire d’État, puisqu’il ne rend compte qu’au président.
De l’avis des personnalités qui l’ont rencontré, Kushner suit les mêmes principes que son beau-père :
d’abord prendre acte de la réalité, même si cela implique d’abandonner une rhétorique officielle bien rodée ;
deuxièmement, considérer tous les avantages qu’il peut tirer des accords bilatéraux antérieurs ;
et troisièmement, tenir compte autant que faire se peut du Droit multilatéral.
La seule différence avec son beau-père réside dans son mutisme parfait, évitant des déclarations provocantes ou contradictoires comme celles dont use le président
pour secouer ses interlocuteurs.
Durant les dix derniers mois, Jared Kushner a multiplié les allers-retours vers le Moyen-Orient, particulièrement vers ses deux destinations de prédilection :
l’Arabie saoudite et Israël. Nous venons d’assister, sans comprendre, au début de son action.
L’Arabie saoudite
La réalité de l’Arabie c’était, du point de vue de Trump durant sa campagne électorale :
• l’accumulation de pétro-dollars qui sont massivement des dollars payés par les USA pour un pétrole que les Saoudiens ne fabriquent pas.
• le rôle central du royaume, sous contrôle du MI6 et de la CIA, dans la lutte contre le nationalisme arabe et la manipulation du terrorisme islamique.
• sa crise de succession.
Les accords bilatéraux, ce sont ceux du Quincy signés par Franklin Roosevelt en 1945, renouvelés par George Bush Jr. en 2005 jusqu’en 2065. Bien qu’ils
n’aient jamais été publiés, de nombreuses personnes ayant participé à leur négociation les ont résumés ainsi :
• Le roi d’Arabie accepte le contrôle des États-Unis sur son pétrole, tandis que ces derniers s’engagent à protéger le roi et par extension sa propriété privée,
l’Arabie saoudite.
• Le roi d’Arabie s’engage à ne pas faire obstacle à la création d’un État pour la population juive de l’ancien Empire ottoman, tandis que les États-Unis favorisent
son rôle régional.
Jared Kushner a donc préparé le sommet du 21 mai 2017 qui réunit à Riyad la presque totalité des chefs d’État du monde musulman autour du président Trump. L’Arabie
saoudite a immédiatement coupé les ponts avec les Frères musulmans et cessé de financer les groupes jihadistes partout dans le monde —en tous cas, presque tous, sauf au Yémen [1]—. Le
royaume a usé de son influence pour convaincre les autres États musulmans présents. Cependant, cette réussite avait un coût :
• Le Qatar a refusé la nouvelle politique US. Ne voulant pas avoir gaspillé pour rien 137 milliards de dollars [2] contre la Syrie, il a poursuivi son soutien
à certains jihadistes. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont alors décidé unilatéralement son blocus. Si le secrétaire d’État Rex Tillerson a tenté de se tenir à l’écart de cette
querelle, Kushner et le président Trump ont alors pris parti pour l’Arabie.
• Kushner s’est engagé à aider le roi Salmane à régler comme il l’entend sa succession au trône.
Le coup de palais du 4 novembre
Jared Kushner s’est rendu trois jours en Arabie saoudite, fin octobre. Il a tenu de longues séances de travail avec le fils du roi, le prince Mohammed ben Salmane
(MBS), et a établi avec lui la liste des membres de la famille royale qui seraient neutralisés. Ignorant ce que seraient les réactions de la Garde royale une fois le prince Muteb démis, il a
donné à MBS l’assistance de mercenaires d’Academi (ex-Blackwater) pour procéder aux arrestations. Enfin, se souvenant de la campagne médiatique contre son père, il a fourni des spin
doctors pour enrober ce coup de palais du discours lénifiant de la « lutte contre la corruption ».
Il avait déjà quitté Riyad lorsque le Premier ministre libanais, Saad Hariri —fils légal de Rafic Hariri, mais fils biologique d’un prince Fadh [3]— a été
invité à se rendre d’urgence à Riyad « pour y être reçu par le roi Salmane ». La suite est connue [4] : le discours de démission d’Hariri et l’arrestation ou l’exécution de
tous les princes susceptibles de contester ou de revendiquer la succession au trône.
Les centaines de cousins de MBS ayant été arrêtés, ils furent placés en résidence surveillée ou en détention. Les uns après les autres, ils acceptèrent —souvent
sous la torture— de livrer leur fortune à leur suzerain. Celui-ci a ainsi récupéré plus de 800 milliards de dollars, selon le Wall Street Journal [5].
Aucune voix ne s’est élevée dans le monde pour venir au secours de ces milliardaires déchus, siégeant jusque-là dans les plus prestigieux conseils
d’administration.
Des témoins assurent que certains membres de la famille royale ont été hospitalisés et soignés avant de retourner en salle d’interrogatoire. MBS affirme avoir
libéré plusieurs personnalités, dont le prince Metab lui-même, Turki ben Abdallah, le docteur Ibrahim ben Abdelaziz ben Abdallah al-Assaf (ancien ministre des Finances saoudien) et Mohammad ben
Abdel Rahman al-Toubaichi (ex-chef du protocole à la cour).
L’histoire n’est certainement pas finie. Conformément aux instructions du président Trump, Jared Kushner va maintenant chercher à récupérer pour son pays une partie
des fortunes confisquées.
L’affaire Hariri
Contrairement à ce que prétend la presse française, la libération du Premier ministre libanais ne doit pas grand-chose à Paris. Certes, le président Emmanuel Macron
était intervenu, Saad Hariri ayant la triple nationalité saoudo-libano-française. Certes, il s’était rendu lui-même à Riyad, mais pour s’y faire humilier [6]. La seule action utile est venue
de son homologue libanais, le président Michel Aoun.
La France s’est vu opposée une réalité simple : en droit international consulaire, les multi-nationaux ne peuvent disposer d’immunité diplomatique dans un pays
dont ils sont ressortissants. Toutefois, le président Aoun a fait basculer la situation en ne défendant plus l’homme Saad Hariri, mais son Premier ministre Saad Hariri. Il ne fait aucun doute
qu’arrêter et placer en résidence surveillée le chef du gouvernement d’un pays tiers en dehors de toute procédure judiciaire est un acte de guerre ; d’ailleurs la presse internationale
bruissait de rumeurs d’un possible bombardement saoudien du Liban. Dès lors, le palais de Baabda a menacé de porter l’affaire devant le tribunal arbitral des Nations unies et de saisir
simultanément le Conseil de sécurité. Il a également joint, via son homologue syrien Bachar el-Assad, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi qui fait le lien entre les pro et les anti-US.
C’est ce dernier qui a téléphoné à Jared Kushner et obtenu avec son appui la libération du Premier ministre. Et d’ailleurs, dès que celui-ci fut libéré, il se rendit au Caire remercier
al-Sissi.
La question israélo-arabe
Reste la question israélo-palestinienne.
La crue réalité, c’est :
• Depuis 70 ans, Israël n’a cessé de grignoter les territoires de ses voisins. Il occupe actuellement le Golan syrien, les fermes de Chebaa libanaises, une très
grande partie des territoires palestiniens de 1967 dont presque tout Jérusalem-Est.
• Les dirigeants de la Résistance palestinienne ont presque tous été neutralisés par Israël : beaucoup ont été assassinés, Tel-Aviv a divisé les Palestiniens
en factions rivales, ceux qui restent au Fatah ont été largement corrompus par leurs ennemis, tandis que ceux du Hamas ont ouvertement collaboré avec le Mossad pour éliminer leurs
rivaux [7]. Il ne reste à combattre pour leurs droits que quelques petits groupes comme le Jihad islamique et le FPLP-CG.
• Certes, les Palestiniens et les autres peuples arabes et/ou musulmans conservent le sens de la Justice et militent pour le respect des droits inaliénables du
peuple palestinien. Mais en l’absence de représentation politique crédible, ils ne peuvent rien faire, sinon défiler par dizaines de millions le « Jour de Jérusalem ».
Les accords bilatéraux, ce sont :
• La réalisation du projet exprimé par la déclaration britannique Balfour et par les 14 points du président états-unien Wilson en créant
Israël [8].
• La lettre adressée au Premier ministre Ariel Sharon par le président George Bush Jr. qui réfute le droit au retour des réfugiés palestiniens et reconnait les
territoires conquis, depuis 1949, comme faisant partie intégrante d’Israël [9].
Les accords multilatéraux, ce sont :
• Les résolutions 242 [10] et 338 [11] du Conseil de sécurité des Nations Unies et l’article 49 de la 4e Convention de Genève.
Seuls le président Trump et quelques-uns de ses conseillers connaissent le scénario que Jared Kushner a écrit. Il a poursuivi la politique de ses prédécesseurs de
réduction de la question israélo-arabe à un simple différent israélo-palestinien. Dans la ligne de John Kerry, il a favorisé la réconciliation entre le Fatah et le Hamas contre Israël, et est
parvenu à leur faire signer (mais ni au FPLP-CG, ni au Jihad islamique) un accord, le 12 octobre au Caire [12]. Il a fait nommer à la tête du Hamas un ami d’enfance du leader du Fatah
Mohammed Dahlan, préparant la fusion des deux mouvements.
Au demeurant, les factions palestiniennes tiennent toujours des discours radicalement différents. Pour le Fatah, Israël est une seconde Rhodésie, c’est un État
colonial qui s’est auto-proclamé indépendant. Tandis que pour le Hamas, s’appuyant sur des Hadiths (et non pas sur le Coran), le problème est qu’une terre musulmane ne peut être
gouvernée par des non-musulmans.
Le début des événements vient de commencer avec l’annonce du transfert de l’ambassade US de Tel-Aviv à Jérusalem.
À l’évidence, la Maison-Blanche teste sa capacité à passer en force. En effet, d’un côté, le plan de partage de la Palestine prévoyait effectivement que
Jérusalem-Ouest soit la capitale de l’État hébreu. Mais d’un autre, le Conseil de sécurité condamna Israël lorsqu’il fit unilatéralement de Jérusalem-Ouest sa capitale [13].
Kushner dirige les négociations vers l’acceptation du statut quo, c’est-à-dire la perte pour les Palestiniens de très nombreuses terres illégalement occupées
par Israël ; sachant que si les Palestiniens refusent ce mauvais accord, ils continueront inexorablement à perdre, jour après jour, d’autres territoires sans que la communauté internationale
ne réagisse. Seule la délimitation géographique de leur État, quelle qu’elle soit, leur garantit l’intégrité définitive de leur territoire.
L’étrange réunion de l’Organisation de coopération islamique, qui vient de se tenir à Istanbul, a proposé de transférer la capitale de l’État palestinien de
Ramallah à Jérusalem-Est [14]. Sauf que cela paraît difficilement faisable et n’a effectivement pas été fait. Peut-être ne s’agissait-il que d’un baroud d’honneur destiné à faire admettre
cet abandon dans l’opinion publique musulmane.
Conclusion provisoire
Les adversaires du président Trump tentent par tous les moyens de le contraindre à renoncer à son conseiller Jared Kushner. Cependant celui-ci est toujours en
place. Il a pour le moment réussi à mettre fin au soutien saoudien aux groupes terroristes et à résoudre la question de la succession au trône en en tranchant le nœud gordien, c’est-à-dire en
neutralisant la famille royale. On regrettera la méthode employée : pendre des vieillards par les pieds et les torturer jusqu’à ce qu’ils lâchent leurs comptes bancaires. Il n’en reste pas
moins que toutes les autres solutions, ou pis l’absence de solution, auraient conduit à une guerre civile. La faute n’en revient pas à Jared Kushner, mais à ceux qui ont si longtemps accepté ce
régime barbare et médiéval des Séoud.
De même, il est aujourd’hui extrêmement injuste, non pas de transférer l’ambassade US à Jérusalem-Ouest, mais de renoncer à établir le gouvernement palestinien à
Jérusalem-Est. Là encore la responsabilité n’en revient pas à Jared Kushner, mais à la « communauté internationale », et particulièrement aux gouvernements sionistes arabes, qui ont
laissé durant 70 ans Israël grignoter la ville, appartement par appartement.
Alors que depuis 70 ans, les diplomates occidentaux s’ingénient à multiplier et à complexifier les conflits du Moyen-Orient, Jared Kushner est le premier à en
résoudre. Le conseiller présidentiel au visage d’ange est un redoutable organisateur.
[13]
Le rejet par le Conseil de sécurité de la Loi sur Jérusalem, en 1980, n’est pas entré dans la question de savoir si Israël avait choisi comme capitale Jérusalem-Ouest ou Jérusalem dans sa
totalité. Il a condamné le principe d’une déclaration unilatérale, considérant que le statut de Jérusalem ne pouvait être modifié que par une négociation israélo-palestinienne. Cf. Résolutions
476 et 478.
[14]
Cette proposition vise à court-circuiter une proposition saoudienne de réduction du territoire de Jérusalem-Est et de transfert de la capitale palestinienne dans un de ses faubourgs, Abou Dis,
qui est déjà séparé du reste de la ville par le Mur de séparation.
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