"Je vole...!"

...par Roger Neusius - Le 02/06/2020.

Source : https://www.parachutistes-militaires.org/t1553-je-vole-je-vole-comme-dirait-sardou#4361

 

L’avion...


Sur ce forum on a plutôt l’habitude de les quitter en vol, mais de temps en temps on se dit qu’on serait mieux en restant à bord. Surtout quand les conditions de saut sont un peu « délicates »…
C’était le genre de réflexion que je m’étais faite à plusieurs reprises. En particulier lors des sauts « militaires ». Bien entendu, étant gamin, comme beaucoup d’entre-nous de la même génération, j’avais rêvé de piloter un Spitfire comme Clostermann ou un Sabre comme Buck Danny. Mais du rêve à la réalité il y a parfois un petit détour qui vous fait sauter d’un Noratlas.  
Cela dit, les sauts à partir d’un avion « civil » comme le Dragon m’avaient rapproché du monde des « petits » engins volants et des aéroclubs. C’était quand même plus sympa de sortir en marche sans être bousculé.
Cette approche fut suivie d’une chance extraordinaire : la possibilité d’apprendre à piloter au cours de mon stage à Saumur. Avec un peu de chance (et surtout de travail…) ou pouvait même espérer obtenir une licence de pilote !
Mon rêve pouvait peut-être se transformer en réalité ? C’est ce parcours que j’avais évoqué dans un précédent forum.
J’ai repris cette histoire, en la remettant légèrement en forme.
Ceux qui ont fait la même expérience s’y retrouveront certainement car je ne leur apprendrai pas grand-chose. Pour les autres, je leur demande de ne pas s’inquiéter la prochaine fois qu’ils monteront dans un avion. Je vous assure les pilotes savent piloter…

C’est une histoire connue. Elle est destinée plus particulièrement aux nouveaux venus mais j’espère que les « anciens » prendront plaisir à la relire.


(« L’affaire » se passe à Saumur en 1964-1965 pendant l’année de formation des sous-lieutenants)

Je vole, je vole  comme dirait Sardou…
Maîtriser un engin qui roule pour décoller puis le faire évoluer sous les nuages avant de le faire atterrir s’appelle : piloter. Virtuoses des déplacements sur roues ou sur chenilles, nous, les anciens marcheurs à pied, avons découvert les hélices. Nous n’étions pas dans la marine, elles étaient à l’avant.
Un détachement de l’Aviation Légère de l’Armée de Terre (A.L.A.T.) nous fournissait les avions (des Piper) ainsi que les moniteurs, des sous-officiers de l’ALAT.
J’ai découvert qu’un avion n’était pas fait pour rouler au sol et qu’un sergent-chef moniteur parle aussi bien qu’un maître de manège.
Tour de l’avion avant de monter, lecture de la check-list, manœuvre des volets, essais moteur, le cérémonial s’est lentement incrusté dans un coin du cerveau. L’accent du moniteur aussi. Cet homme placé à l’arrière était inquiétant. Ses remarques permanentes finissaient par nous persuader que nous étions incapables de piloter une machine volante.
Tout d’ailleurs dans cet appareil  posait problème.
L’horizon n’était jamais horizontal, les ailes battaient à des hauteurs différentes et le manche balayait toujours du mauvais côté. La vitesse était bien entendu insuffisante pour conserver la bonne altitude sans parler d’une bille de flipper qui ne restait jamais en place. Bref, nous subissions des cures d’amaigrissement directement proportionnelles aux minutes de vol…
Un jour, alors que j’avais été particulièrement nul à en croire mon instructeur, j’ai rangé l’avion sur son parking avec une chemise bien trempée. Le silence était revenu et j’avais commencé à me libérer de mon harnais. Dans mon dos, j’ai soudain entendu la voix de mon bourreau.
- Vous partez tout seul. Faites le tour de l’aérodrome à l’altitude habituelle et redescendez !
C’était mon « lâcher », mon premier vol en solo !
Le « Go » du largueur !
Vérifications avant le départ, régime maxi, manche vers l’avant, léger relevé et me voilà en l’air. Je n’étais pas seul. « Il » était derrière moi. Je l’entendais me parler de la ligne d’horizon, du régime moteur, de la bille…
C’est ainsi qu’après beaucoup de séances de transpirations et une épreuve finale, j’ai fini par obtenir mon 1er degré (licence élémentaire).
Pour l’étape suivante, je me suis inscrit dans le club civil situé à côté et j’ai découvert un avion plus « convivial» qui s’appelait Emeraude.

Je vole, je vole comme dirait Sardou… Bmil10


Un joli nom.
Et délicat avec çà. Rien à voir avec le Piper, il avait même des sortes d’« aérofreins » ! Pas de problème pour se poser si on était un peu « long ».
En route pour le 2ème degré (pilote privé) avec un moniteur civil ferme mais rassurant. Quel changement !
Tout allait bien, sauf mon compte en banque naturellement car cette fois les heures de vol n’étaient pas gratuites. Mais, c’est bien connu, dans la cavalerie les sous-lieutenants sont toujours fauchés…
Pour compléter mes heures de vol afin d’arriver aux 40 heures nécessaires à l’obtention du brevet, j’ai demandé et obtenu d’en faire sur un Piper de l’ALAT. J’avais un peu perdu l’habitude de piloter cet appareil mais comme je le connaissais bien, c’est en toute confiance que je suis monté à bord. Mon ancien instructeur de l’ALAT m’a regardé partir avec un œil bienveillant.
Check-list, moteurs etc. pas de problème tout m’est revenu rapidement. Décollage impeccable et me voila en l’air. Bon, avant d’aller faire un tour le long de la Loire je me suis dit qu’un atterrissage de principe serait peut être une bonne chose. Descente, approche, ralentissement, limite de décrochage, arrondi et « trois points »…
Et, patatras !
Un coup sur la roulette de queue, un coup sur les roues avant et rebelote et… manche vers l’avant, moteur à fond,  léger relevé et décollage en catastrophe!
Qu’à cela ne tienne, j’ai recommencé.
J’ai même recommencé plusieurs fois. Toujours le même résultat !
Toujours ces rebonds avec parfois une tendance à partir « en crabe ».
Bref, je ne suis pas allé voir les bords de Loire. J’ai passé mon heure de vol à essayer d’atterrir !
Incroyable mais je n’y arrivais pas ! Impossible de comprendre ce qui se passait. Au sol, tout le monde était persuadé que je m’amusais à faire des décollages en catastrophe. Bien entendu, pas de radio pour crier au secours ! J’aurais bien aimé entendre quelqu’un derrière moi avec un accent me « remonter les bretelles » mais j’étais seul !
Après une dizaine de tentatives au moins, chemise trempée, le « pale rider » blême s’est décidé à faire atterrir la bête coute que coute. Tant pis, elle finirait bien par s’arrêter !
C’est donc en  faisant une succession de rebonds acrobatiques que j’ai réussi à terminer en bout de piste, sans casser l’avion… Une sorte de miracle.
En ramenant mon Piper sur le parking, j’ai retrouvé mon fameux instructeur. Tête des grands jours, il a d’abord fait le tour de l’avion pour vérifier son état. Et, j’ai eu droit à une « explication » imagée et particulièrement sonore sur la technique d’atterrissage « trois points » dans un cirque Pinder…
Il faut croire qu’il était particulièrement « convainquant » car j’ai compris mon erreur. En pilotant l’Emeraude j’avais oublié comment atterrissait un Piper !
Les roues d’un Emeraude sont plus près de la caisse et j’avais perdu le « coup d’œil » !

Je vole, je vole comme dirait Sardou… L21_bm10


Pour finir mon histoire en beauté, je vous signale qu’en l’air on peut aussi se perdre. Mais, quand vous ne savez plus très bien où vous êtes, pas de panique. Il suffit de descendre assez bas pour lire les panneaux qui donnent les noms des villages. Je connais des apprentis pilotes qui l’ont fait. Cela ne m’est pas arrivé mais tout juste…

Comme pour une voiture, on passe son permis pour l’obtention du second degré.
Les épreuves en l’air s’étaient bien passées. Le moniteur-examinateur n’aimait pas trop le test de départ en vrille car l’Emeraude était parait-il un avion « capricieux » mais il a trouvé qu’il était satisfaisant. Le virage serré nous a rapproché épaule contre épaule et l’épreuve d’atterrissage en catastrophe a frôlé une clôture de barbelés ce qui était parfait… Examen en vol réussi.
Une bonne chose de faite car c’étaient les épreuves les plus difficiles.
Restait plus qu’à aller se « promener »…
En effet, pour ma dernière épreuve d’obtention du 2ème degré, une navigation en solo s’imposait. Saumur, La Baule, La Roche sur Yon, Thouars et Saumur.
Une préparation de navigation avec rapporteur, règle, calcul des caps et accord du moniteur. Bon pour le départ à l’aube en longeant la Loire.
Une promenade.
Quelques coups de vent sous les nuages assez bas mais un plaisir car suivre la Loire permettait d’être tranquille pour l’orientation.
Sur l’aérodrome de La Baule, j’ai montré mon plan de vol et le responsable au sol m’a conseillé d’éviter de trop passer au-dessus de l’océan. Refaire un plan de vol c’est compliqué, j’ai pensé que c’était inutile. Il suffisait de passer « un peu » plus à gauche, de redresser et de reprendre le cap prévu. Génial mon cher Watson !
Et me voila au-dessus des baigneurs et bronzeurs de la côte. Un petit coup vers le gauche, puis vers la droite et hop on affiche les degrés voulus. Direction : La Roche sur Yon !
Je ne sais pas si vous connaissez ce charmant pays. C’est un endroit perdu au milieu de la Vendée. Pas de fleuves ou d’autoroute, rien que de la campagne. En avant donc au dessus de la campagne…
Mon cap affichait toujours le même chiffre, je devais être dans la bonne direction. Bonne direction…
Mais rien en concordance avec la carte figurant sur mes genoux.
Cette ville était une ville fantôme. Rien en dessous pour se repérer. Les minutes dans ces cas-là ont une drôle d’allure et l’aiguille donnant le niveau du carburant aussi.
La flemme de prendre un rapporteur et de tracer des traits mène parfois à des situations catastrophiques…
Il ne faisait pas chaud mais je transpirais et je n’aurai pas le courage de vous décrire ce qui me passait par la tête.
La panique !
Enfin presque, car tant qu’il restait de l’essence...
Avec ma carte, je me suis lancé dans un jeu de puzzle. Reconstituer sur le sol ce que je voyais sur ce morceau de papier. Je ne suis pas très doué pour ce jeu mais heureusement j’ai été sauvé in extrémis par la SNCF.
Oui, ces gens-là avaient eu la bonne idée de faire croiser deux lignes ferrées. Et çà ce voit de loin, enfin d’en haut. Pas de doute ce croisement correspondait à quelque chose.
Avec deux autres indices arriva la confirmation : je savais où j’étais !
Une chance, car avec l’orientation que j’avais prise je crois bien que j’étais bon pour une balade en Vendée profonde avec atterrissage d’urgence garanti…
La flemme n’est pas bonne conseillère…
Mon arrivée à la Roche sur Yon s’est effectuée sans problème et à Saumur mon instructeur a été heureux de voir son Emeraude se poser avant la tombée de la nuit. Le temps imparti pour cette épreuve de navigation avait été calculé un peu juste. Il ne me manquait plus qu’un atterrissage de nuit pour lequel je n’avais aune préparation ni instruments…
Figurez-vous que je connais quelqu’un qui était parti pour un petit vol d’entrainement au sud de la région parisienne. Pour quelles raisons exactes, je l’ignore, mais il s’est retrouvé de nuit dans l’obligation d’atterrir à Orly. Oui, Orly !
Jauge de carburant à zéro, sans radio et avec un temps pourri.
Branle bas de combat, identification de l’appareil, mesures de sécurité ! L’aéroport s’est mis sur le pied de guerre. On a fini par savoir que cet avion était « inoffensif » (comment, je ne sais pas) et pour lui permettre d’atterrir toutes les lumières ont été allumées….
Mon camarade s’est retrouvé au poste avec une amende à la clef.
Piloter peut être dangereux…


Finalement, en parachute tout est beaucoup plus simple même si on peut avoir des difficultés à l’atterrissage !
De plus, c’est le pilote qui allume la lumière rouge pour indiquer qu’on est arrivé. Avant un largage, je n’ai jamais entendu dire qu’un Noratlas était descendu pour lire les panneaux indicateurs…