"Les copains d'abord..."

par le Col. Jean-Jacques Noirot - St. Cyr "Serment de 14" - 1963/65.


 

"Les copains d'abord", c'est notre temps d'antan. Ce ne fut pas la devise de notre promotion, mais c'est tout comme. Ceux d'entre nous qui avaient connu l'internat, quel qu'il soit, avaient déjà de la chose une solide notion. Les autres ont vite compris qu'en dehors de cela, peu de salut. C'est donc sur ce fond de solidarité, de camaraderie, d'attachement que s'est construit l'esprit de notre promotion, comme ce fut le cas pour la plupart de celles qui nous ont précédé et naturellement des suivantes.

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"Les copains d'abord", c'est un projet solide, résistant, pugnace. L'expression fait penser à une citadelle assiégée dont les habitants, ses défenseurs, unis et faisant front, lancent un défi à tout ce qui les accable ou les menace. Ils protègent leur bonheur d'être ensemble quel qu'en soit le prix. C'est aussi l'expression d'un choix. Nous avant Vous. C'est pourquoi "les copains d'abord" est, aussi, une sorte d'idéal étroit, limité, restrictif. De cet horizon fini ne peut surgir qu'un défi sans cesse relevé, qui se nourrit de l'amitié elle même constamment victorieuse de l'adversité. "Les copains d'abord" est donc une succession de moments de vie, alimentés par de doux et précieux sentiments, qui tournent dans un cercle au milieu duquel évoluent une seule catégorie de personnes: les copains, mot achevé de "petits cos". Si nous en étions restés là, nous n'aurions pas représenté grand chose, et peut être aurions nous disparu, emportés dans les fourgons bâchés de l'inutilité.

 

"Les copains d'abord" se sont évanouis, sans que forcément nous en ayons été conscients, lorsque sur le vieux Marschfeld de l'ancienne école, nos cadres nous ont réunis le dernier soir pour lever une ultime fois ensemble les couleurs, alors que nous arborions  képis tout neufs et galons de sous lieutenant. Mission accomplie pour les uns, but atteint et fureur oubliée pour les autres. Dans nos cœurs serrés d'émotion, nous avons senti que le temps des "petits cos" s'achevait, et que naîtrait bientôt celui du service de la patrie. Le cercle restreint des "copains d'abord" allait laisser la place à l'espace élargi de "la France d'abord". Cause noble. Cause démesurée. Cause exaltante, désirée et vécue comme un sacerdoce. Cause qui nous dépassait et nous dépasse encore, et nous fit sortir du commun puisque nous étions devenus officiers. "Les copains d'abord" se sont construits sur un système de valeurs dans lequel nous allions puiser pour servir cette cause dont nous ne nous lasserons jamais. Pour être de ces hommes qui acceptent ce que tous les autres évitent, ignorent ou refusent, "les copains d'abord" nous ont appris le discernement, l'obstination, l'abnégation, le désintéressement, entre autre vertus fondamentales.

 

Ce sont elles qui sont la source de notre "France d'abord". C'est pourquoi aujourd'hui, devant lâchetés, mesquineries, copinages, renoncements, trucages et mensonges des  personnages qui nous gouvernent, notre "France d'abord" et le souvenir des "copains d'abord" souffrent  et veulent se rebeller. Entre notre conception de la solidarité et de la grandeur du service de la France, et celle mise en oeuvre chaque heure de chaque jour au sommet et dans les rouages de l'Etat, un gouffre s'est creusé. Ce qui se passe en France est inintelligible pour nous. Nous sommes inintelligibles pour les gens qui ont pour tâche de nous diriger. Ils sont la France "des coquins d'abord". Ils sont la honte des frontons républicains où s'écrivent en lettres de deuil les valeurs bafouées de notre immense Histoire.

 

"Les copains d'abord" immergés dans cette "France d'abord" ont-ils aujourd'hui encore un sens? Limités au périmètre d'une promotion de Saint Cyriens, assurément non. Les notions d'espace et de personnes étant consubstantielles aux "copains d'abord", quelles seraient-elles aujourd'hui? Ne faut-il pas aussi ajouter renouveau et espérance à ses fondations? Nous voyons bien que ce qui fut notre France, de la Libération aux années 90, n'est plus. Vagues successives d'immigration jusqu'au déferlement actuel, difficultés économiques, chômage de masse, perte de puissance militaire, soumissions à toutes sortes d'organismes de pression, dont l'Europe, décomposition de l'instruction publique, fractures sociales, laïcité sans âme, communautarismes, Islam conquérant et radical, insécurité, tous ces facteurs aux pouvoirs cumulatifs et destructeurs ont défiguré celle à qui nous avons consacré notre vie tout entière. La tentation est grande de se replier sur la citoyenneté. "Les citoyens d'abord" ne manquerait pas d'avoir un franc succès auprès de tous ceux qui déplorent les errements d'une fraternité républicaine mal comprise, abusée et dévoyée.

 

Mais notre "France d'abord" en souffrirait puisqu'elle plonge ses racines dans le respect de l'autre, la tolérance, la dignité et le message d'universalité dont elle se sent dépositaire. La France est donc à son tour un espace étriqué dont "les copains d'abord" doivent sortir. Ils doivent se tourner vers ce qu'ils ont du mal à voir et qui pourtant s'étale sous leurs yeux cillés: le Monde, ce Monde où résonnent les cris du désespoir et de la misère, les douleurs des guerres et des tyranies.

C'est vers le Monde qu'il faut désormais s'engager, toute crainte évanouie et toute force de l'esprit déployée, dans l'espérance et le renouveau, en aidant ceux qui souffrent et vainquant ceux qui tuent. La solution de tous ces maux terribles, dénoncés plus haut, qui nous hantent et nous détruisent, est l'Humanité tout entière, respectueuse d'elle même, redevenue gardienne vigilante du trésor inépuisable qu'est la nature généreuse et fragile. Foin des discours stériles, des coups de menton filmés, des postures revanchardes, des outrances pérorées. A l'aplomb des "copains d'abord" nous est proposé le gigantesque défi du Monde, qu'il faut prendre à bras le corps en rejetant les vielles méthodes et tous ceux qui les utilisent puisque ce fatras d'égoïsme et d'avarice nous a conduit au désastre où nous nous débattons. 

 

Les peuples se parlant entre eux, par delà les nations, les échanges fait pour leur bien, du fort vers et pour le faible, le progrès orienté vers le bonheur des gens et le respect de la Terre, le rejet des faux Dieux et le retour aux sources de l'Amour, voilà ce que devrait être le projet nouveau des "copains d'abord". "Les copains d'abord" retrouveront le sens de leur vie en étant ceux qui résolument, et en dépit de probables infortunes, exalteront "Le Monde d'abord".

 

En cette période anniversaire de la disparition de ce grand poète que fut Georges Brassens, voilà ce à quoi m'a fait penser une de ses chansons culte.

 

JJN

 


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