La bataille de l'explication

par le Col. Michel Goya - le 15/05/2017

Maintenant que nous avons changé de Président et de gouvernement, il serait peut-être temps, quand l’exécutif aura quelques minutes, d’expliquer enfin un peu plus clairement la guerre que nous menons. Car, et l’attaque du 20 avril dernier sur les Champs Élysées l’a rappelé, nous sommes toujours en guerre contre des organisations djihadistes.

 

En fait nous célébrerons bientôt les vingt-cinq ans de cette guerre et je ne suis pas sûr que beaucoup de citoyens français soient capables d’expliquer, malgré cinq campagnes présidentielles, qui est l’ennemi et quelle est la stratégie que nous suivons pour le vaincre. Il est vrai que lorsque certains candidats parlent systématiquement d’al-Nostra (fusion improbable de Cosa Nostra et de l’ex-al Nosrah), on peut avoir quelques doutes sur leur capacité à expliquer (sans même parler de vaincre). 

 

Un jour viendra, je l’espère, où un Président de la République ou un Premier ministre (celui qui est chargé de la mise en œuvre de la politique de défense) cesse de prendre les citoyens pour des grands enfants et explique clairement aux Français qui est l’ennemi (ou qui sont les ennemis) sans employer le mot « terroristes » (même si le mot « terrorisme » peut être utilisé pour décrire certaines de leurs méthodes). J’avoue que j’aimerais beaucoup qu’un responsable de la nation ne se contente pas de citer une « liste de mesures » prises à la suite de chaque événement mais explique vraiment la guerre et réponde à des questions du genre : qu’est-ce que le djihadisme ? Quels sont ses liens avec le salafisme ? Faut-il combattre tous les groupes djihadistes de la Terre ou sinon lesquels, précisément nommés, et pourquoi ? Quelles sont nos options stratégiques ? Comment comptons-nous vaincre ces groupes désignés ? Que se passe-t-il si cette stratégie ne fonctionne pas ? Quel est le bilan de ce que nous avons fait depuis le début de la guerre ? etc.

On pourra me rétorquer qu’il y a une littérature et qu’il y a les médias pour cela. Celui qui veut comprendre peut comprendre, il suffit qu’il en fasse l’effort et qu’il y consacre du temps et un peu d’argent. Cela n’est pas visiblement complètement vrai quand on constate ce qui se déverse sur les réseaux sociaux, en admettant que cela soit un minimum représentatif. Il serait intéressant de sonder les Français sur ce qu’ils savent de la guerre, sur la vision qu’ils ont de l’ennemi et de notre stratégie. On me sonderait moi en tout cas que j’aurais du mal à expliquer certaines choses, notamment le dernier point.

 

L’ex (et probablement futur) ministre de la défense a bien signé un « Qui est l’ennemi ? ». L’exercice était louable mais il aurait été préférable d’avoir autre chose qu’une compilation de discours cherchant surtout la justification de mesures prises par le ministère (et essayant de démontrer sa compatibilité avec d’autres courants politiques). A sa lecture on a peu appris sur l’ennemi et on reste toujours dubitatif sur la stratégie de la France et son bilan.

Une guerre majeure ne peut se gagner sans impliquer la population, au moins obtenir son soutien. Entre la fragmentation médiatique et les nombreux livres savants (ou parfois crétins car visiblement faits pour l’argent), il y a une voie pour décrire simplement les choses. Un point de situation par le Président à la télévision, sur une heure, seul (pas en mode « face aux Français ») avec tous les aides pédagogiques possibles, relayée par le Net, pourrait être appuyé par des publications gratuites, papiers ou non, décrivant l’ennemi et la guerre autrement que par des slogans, des tweets ou du storytelling. Ce petit fascicule gratuit lisible en deux heures maximum, à la manière du Que sais je ? sur le djihadisme (très utile même avec quelques défauts), aurait une vocation pédagogique et pourrait même s’appuyer sur des sources, exposer des arguments contraires, et même, horreur !, des doutes ou des interrogations. 

 

Il ne faut pas simplement faire des choses et montrer qu’on les fait, il faut aussi les expliquer, d’autant que le combat est aussi dans le champ des idées et qu’il se déroule au sein de notre propre population. Un livre bien fait est une munition intelligente. Distribuée à des dizaines de milliers d’exemplaires, il peut gagner une bataille. Rappelons qu’actuellement, quand nous cumulons les opérations Barkhane, Chammal et Sentinelle nous dépensons un million d’euros pour neutraliser un seul ennemi. L’effort de combat, qui se caractérise par un faible engagement direct contre l’ennemi, est peu rentable mais il l’est sans doute beaucoup plus que l’effort qui est actuellement mené pour empêcher que ces ennemis existent.

Il n’est pas interdit non plus après l’explication d’en accepter la critique, celle de l’intelligence bien sûr pas de la petite phrase, celle qui démontre (avec cette innovation majeure qui s’appelle l’argument) que la voie choisie n’est éventuellement pas bonne et qui propose mieux. Les démocraties sont normalement transparentes, cela peut être considéré comme une faiblesse dans la mesure où l’adversaire « voit le jeu » mais c’est en réalité une grande force, à condition de faire appel à l’intelligence. 

 

Source : http://lavoiedelepee.blogspot.fr/2017/05/la-bataille-de-lexplication.html

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