"L'armée est asphyxiée, au bord du burn-out"

par le Gal. Vincent Desportes - le 28/04/2016.



Un moral en berne et une grande fatigue... Le général Vincent Desportes, retraité, fait le diagnostic du malaise dans l'armée française. Une crise causée, selon lui, par la gestion à la petite semaine de l'État.

Le général Vincent Desportes est connu pour ne pas avoir la langue dans sa poche.

Cet ancien patron du Collège interarmées de défense (aujourd'hui École de guerre), où sont formés certains officiers supérieurs des armées françaises, a récemment publié la Dernière Bataille de France (Gallimard, 2015), un ouvrage dans lequel il dénonce le fiasco de la gestion politique de la Défense. 


Comment expliquez-vous que l'on perçoive si mal le malaise des militaires aujourd'hui ?

Le militaire a naturellement une attitude d'obéissance extrêmement disciplinée. Pendant très longtemps, il a admis la dégradation de son statut dans la société et la déperdition d'un certain nombre de prérogatives qu'il aurait dû conserver. Depuis les deux dernières lois de programmation de 2008 et 2013, qui ont fait un mal terrible aux armées, les militaires se sont rendu compte qu'au fond, on leur mentait : ils n'étaient pas protégés par ceux qui devaient les protéger, en particulier les politiques. Ils l'ont vu à l'inadéquation grandissante entre les moyens qui leur étaient accordés et les missions qu'on leur demandait de remplir. On voit bien aujourd'hui que le malaise va grandissant et que la situation n'est plus tenable, parce qu'une armée sans moral, c'est une armée qui ne fonctionne pas. Et puis ce n'est plus uniquement une question de moral, c'est aussi une question de fatigue. L'armée est asphyxiée. Elle est proche du burn-out. Elle ne voit pas arriver les mesures qui soulageraient et permettraient aux soldats de mieux remplir leurs missions.

 

Est-ce si difficile à exprimer ?

Ce qui est terrible, c'est que pour que le pouvoir politique s'empare d'un problème dans les armées, il faut que les réseaux sociaux le fassent apparaître. Ce ne sont pas les militaires eux-mêmes, mais les sœurs, les familles, les mamans, qui disent : « Attention, M. le ministre, il faut faire quelque chose. » Il a fallu ce mouvement pour qu'à l'été 2014, le ministre décide d'un plan d'urgence de 700 mesures. S'il y avait autant de mesures à prendre pour remettre à niveau les casernements, c'est que, très probablement, on aurait pu s'en apercevoir avant.

 

Avez-vous toujours eu une parole libre ?

Je suis profondément un homme de conviction. Je pense que les convictions sont plus importantes que le reste. Tous les officiers doivent être des hommes de conviction. Les premiers livres que j'ai écrits étaient destinés à faire comprendre la guerre. Le besoin de m'exprimer de manière divergente de la parole officielle est venu des coups portés par le livre blanc de 2008, qui m'a poussé à témoigner dans Le Monde, quatre mois avant ma sortie de l'armée, en 2010, pour donner mon avis. Cela m'a valu d'être immédiatement convoqué par le cabinet du ministre et que l'on m'explique que ce n'était pas tolérable.

 

Comment les militaires peuvent-ils participer au débat politique ?

Ils doivent rester apolitiques. On m'a proposé de rentrer dans l'équipe d'un candidat éligible. J'ai refusé. Les armées françaises sont profondément républicaines et doivent le rester. Plutôt que d'appartenir à un lobby ou à une équipe de campagne, il faut diffuser la parole inlassablement, expliquer ce qu'est la Défense, ce qu'est le besoin de défense. Je vais dans tous les lieux où l'on parle des problèmes de l'armée, du parti de Mélenchon à celui de Dupont-Aignan, en passant par les écolos. Je dis ce que je pense des armées. Que ce soit récupéré par Mélenchon ou par Fillon, je m'en fiche. Je dis ce que je crois. S'ils en font quelque chose, tant mieux.

Les armées sont les armées de la France, pas celles d'un parti politique.


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