Commémoration : La Somme

par  le Colonel (e.r.) Gilles LEMAIRE. - le 05/07/2016.



Le 1er juillet c’était le départ en vacances. Bison futé nous ressortait ses itinéraires et ses horaires rouges, les mêmes tous les ans. C’est aussi le départ du Tour de France qui permet à bien des Français de découvrir sur leur écran, au-delà des exploits des coureurs, les merveilles de leur pays.

En plus, cette année, il y a l’Euro. Extase ! Comme on a tout organisé, on va gagner, ou alors nous sommes de mauvais organisateurs.

Il est vrai que le temps n’est pas de la partie. C’est devenu une bien petite plaisanterie qui nous ramène à notre dernière grande élection : un vrai temps de président !

En ce 1er juillet le Président était précisément dans la Somme, à Thiepval, avec les Anglais ! Il était avec le Premier ministre Cameron mais aussi avec toute la famille royale, sans la Reine qui avait veillé la veille à Westminster. Vu son grand âge, elle n’avait pu faire de déplacement. Toutes les autorités civiles, militaires et même religieuses de Grande Bretagne avaient traversé la Manche pour cette commémoration.

Il y avait aussi un ancien président de la république d’Allemagne. 

Pas pour parler Brexit. Mais personne en France ne le savait.

En ce jour, dans les plaines de Picardie, on commémorait le centenaire de la plus grande bataille de la Première Guerre mondiale, une bataille bien plus importante que celle de Verdun qui capte l’imaginaire des Français.

C’est la plus grande bataille parce que c’est la plus lourde en pertes humaines, bien qu’ayant duré moins longtemps que Verdun : 1 200.000 victimes, tués, blessés ou disparus. Le 1er juillet 1916, jour du lancement de l’offensive, fut la journée où la Grande-Bretagne perdit le plus grand nombre de combattants : 60 000 hors de combat, soit 20 000 tués et 40 000 blessés ou prisonniers 1.

Sur la grande arche de Thiepval où s’est rendu le Président sont gravés les noms de 72 000 disparus de l’Empire britannique. Elle ouvre sur un cimetière où reposent de part et d’autre les corps de 300 soldats britanniques et de 300 soldats français.

Parce que l’armée française a aussi participé à cette gigantesque bataille. Il y eu alors 1 200 000 hommes perdus dont 500 000 dans le camp britannique, autant dans le camp allemand, et 200 000 Français.

A l’exception de quelques reportages succincts, ce moment n’a pas retenu l’attention de nos médias. Il y avait, comme cela est signalé plus haut, des choses plus importantes, plus susceptibles d’intéresser les Français, selon nos censeurs. 

Personne ne le savait parce que, première raison généralement invoquée, au regard de ces chiffres, cet épisode est considéré comme une affaire spécifiquement britannique.

Certes, il est vrai que ce sont les britanniques qui ont supporté l’essentiel de l’effort de cette offensive. Celle-ci devait, selon les plans du maréchal Joffre, être initialement française. Les allemands prenant l’initiative sur le front ouest à Verdun, les effectifs prévus sur la Somme y ont été déplacés, les Français se sont retrouvés minoritaires sur la Somme et les Britanniques ont donc assumé la conduite des opérations. 

C’est une bataille gigantesque, cependant oubliée par les Français.

Mais pour autant, pourquoi ce mutisme de nos médias, et même cette négligence de nos autorités que l’on peut considérer comme coupable devant le devoir de mémoire ? Ne convient-il pas de mieux resituer cet évènement dans la perception qu’en éprouve le pays ? Les morts de la Somme valent-ils moins que les morts sur Verdun sous prétexte qu’ils étaient deux fois moins nombreux ? 

On a d’abord annoncé que le président de notre République ne participerait pas à cet évènement. Il a fallu qu’un député du département concerné proteste lors d’une question à l’Assemblée nationale pour que le chef de l’Etat change d’avis. Les Français l’ont appris très tardivement, et pour ceux qui pouvaient être intéressés par l’événement il fallait procéder à une recherche laborieuse pour découvrir que seule l’agence régionale de France 3 Picardie en rendait compte. Il n’y a pas eu de retransmission nationale. Seuls ceux disposant d’installation ad hoc ont pu suivre ce moment. Ceci est tout simplement scandaleux. Sur France 3 national on diffusait un dessin animé...Audience oblige !

 

Ce fut pourtant un moment beaucoup mieux réglé que les cérémonies brouillonnes de Verdun qui n’ont pas fait l’unanimité, qui en ont même choqué certains, il faut bien le reconnaître. Les britanniques sont les maîtres en matière de parade militaire, ils avaient bien fait les choses. C’était un spectacle superbe autant qu’un grand moment de recueillement. Casoar et gants blancs, le bataillon de Saint-Cyriens était aussi à la hauteur. Notre président y a prononcé, sous le crachin picard, une de ses meilleures interventions en lisant un texte du médecin des armées Georges Duhamel, la terreur de la dictée à l’époque où notre école primaire était au plus haut.

Mais la comparaison entre les deux cérémonies n’était sans doute pas trop proposable à un public national.

 

L’heure n’est plus à relater dans le détail ce grand moment qui a donc échappé aux Français. On ne peut qu’espérer que la TNT propose bientôt, plutôt que de nouvelles chaînes d’information délibérément tronquée, un accès aux chaînes étrangères, en premier lieu pour contribuer à l’amélioration de la connaissance des langues étrangères dans notre pays, et plus généralement celle de nos voisins, mais surtout pour échapper à une censure sournoise instaurée au travers de la diffusion des informations parcellaires proposée par nos médias nationaux.

On doit espérer enfin que la relation de ce traumatisme national que fut la Grande Guerre cesse d’être le terrain de parcours des idéologies occupant le devant de la scène politique. L’Histoire ne doit pas être réinventée pour être celle que nous aurions souhaitée qu’elle fut. L’Histoire est un chaos, avec ses moments de plénitude et ceux de la souffrance humaine qui paraissent être les plus longs. On doit l’examiner avec humilité pour éviter le renouvellement de ses détours fâcheux. Le lundi 4 juillet sera diffusé sur la chaine France 3 nationale un documentaire illustrant ce prurit. Titre : « Somme 1916, la bataille insensée ». L’auteur interrogé sur FR3 Picardie à l’occasion de sa première diffusion s’en est pris à l’indifférence et au cynisme « des chefs militaires », grands responsables devant l’éternel de la tuerie généralisée. Sur cette lancée, nul doute que la prochaine commémoration qui sera orchestrée à l’occasion du centenaire de l’offensive du Chemin des Dames en avril prochain va encore nous conduire à honorer moultement les mutins et les fusillés de cette funeste période. Et notre industrie des images nationale contribuera avec force subventions à ce discours infligé au pays.

 

Peut-on demander à ces grands spécialistes de faire preuve non pas d’indulgence mais de plus de modestie ? Il est facile de porter un jugement lorsque l’on connait la fin de l’Histoire, et beaucoup y trouvent le moyen de prouver qu’ils avaient même raison avant l’heure. Mais une simple question peut leur être posée : Qu’auraient-ils fait à la place desdits chefs militaires si le hasard et le moment de leur naissance les y avait amenés ? Auraient-ils proposé la voie de la paix à tout prix, attitude qui aurait confiné à une capitulation, le pays ayant dix départements aux mains de l’ennemi n’étant guère en position de négocier. Doit-on rappeler que l’adversaire nous avait déclaré la guerre motivant ainsi l’Union sacrée ? Pour une majorité de Français la lourdeur du sacrifice consenti dès les premiers mois du conflit interdisait tout retour en arrière. C’est un anachronisme que de considérer le contraire : c’est ce sentiment qui provoqua l’écartement des « défaitistes » lors des diverses propositions de paix de 1916 et l’arrivée finale de Georges Clémenceau - dont a retenu, parmi ses formules célèbres, l’incontournable « je fais la guerre ! ».

Il est, à l’évidence, plus que souhaitable de se placer en situation d’éviter de retomber dans un chaos comparable à celui de la Grande Guerre, chaos résultant en grande partie de l’incapacité de l’armée française à obtenir les moyens qui lui faisaient défaut au déclenchement des hostilités. Les commentateurs seraient bien inspirés de s’intéresser aux conflits du moment en s’interrogeant sur notre capacité à les conduire. A se poser le problème de la conduite de la guerre, phénomène induisant des facteurs multiples difficilement maîtrisables. Et lorsque l’on critique la conduite des guerres passées, en s’abstenant du réflexe pavlovien de s’en prendre aux représentants désignés de l’autorité, plus particulièrement des autorités militaires, dont ils partagent peu les compétences.

 

 

Colonel (e.r.) Gilles LEMAIRE






...Voilà à quoi ressemble une commémoration : Un cérémonial immuable, rigoureux, emprunt d'un profond recueillement.

Mais, c'est organisé par nos amis Britanniques, experts en a matière ! JMR


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