Relativiser l’acte terroriste isolé :

le besoin d’être lucide collectivement

par le Gal. François Chauvancy - le 28/05/2017.

 

Cette question mérite d’être soulevée pour que notre société soit résiliente face à une menace terroriste, aujourd’hui essentiellement islamiste, qui durera.

 

Deux critères permettent de poser ce débat plutôt difficile car il met en avant l’importance que notre société accorde à la vie humaine.

D’une part, peut-on encore valider que la vie d’une seule personne assassinée au hasard d’une rencontre pour une cause politico-religieuse, puisse impacter une société dans son ensemble ?

 

D’autre part, faut-il donner de l’importance, notamment médiatique, à l’acte terroriste isolé qui est conduite par une seule personne, sans réseau, agissant uniquement en franchise de mouvements terroristes islamistes, avec bien souvent un passé de délinquant, dans une recherche de la rédemption ou au profil psychologique fragile ?

Il s’agit bien de relativiser, sinon de banaliser une partie de ces actes terroristes afin de renforcer la résilience de la nation et de desserrer la pression anxiogène et constante sur notre société. En bref, il s’agit de faire preuve d’une lucidité collective et réaliste face à l’importance bien relative d’une partie des actes terroristes.

 

Combattre l’effet recherché par l’ennemi

Notre démocratie doit s’adapter à la réalité terroriste et notamment ne pas donner à l’acteur terroriste ce qu’il recherche : la publicité de son acte. En effet, doit-on donner la même importance à tout acte de terreur et donc participer à cette stratégie salafiste, alternant acte terroriste isolé et attentat « de masse », qui vise à entretenir l’anxiété sinon la peur au sein d’une société, la mise sur pied de guerre de dizaines de milliers de militaires ou de fonctionnaires civils ? Or, et cela n’est pas nouveau, l’acte terroriste sans médiatisation n’a que peu d’impact et constitue un échec pour son auteur.

Il faut cependant revenir aux bases de l’acte terroriste. Celui-ci se construit en fonction au moins de deux critères :

la cible visée : lieu symbolique, personnalité, représentant de l’autorité de l’Etat, simple personne de la société civile en privilégiant femmes et enfants ;

le mode d’action terroriste : arme blanche, arme de circonstance, massacre aussi par arme de circonstance, explosif ou arme de guerre, arme chimique ou biologique… sans oublier le lien bien souvent avec l’acte suicidaire.

Ces deux critères font l’objet de toutes les attentions de l’Etat. Ainsi le renseignement a désormais droit de cité dans notre démocratie et devient même une expertise, sinon un métier d’avenir. Cependant, il est sans doute plus aisé politiquement de multiplier les outils de renseignement alors que prévenir 100% des attentats est une gageure.

Il n’en est pas moins surprenant de constater cette débauche d’initiatives sinon de moyens, de plus en plus concentrés auprès de l’exécutif alors que plusieurs mouvements politiques critiquaient dans le passé la « menace » de cette trop grande proximité des services de renseignement.

Un article (Cf. Le Monde du 10 avril 2017) paru avant l’élection présidentielle annonçait des mesures de précaution dans le monde de renseignement au cas où Marine Le Pen arriverait au pouvoir. Pourtant le pouvoir n’est, et ne sera, jamais totalement exemplaire y compris en démocratie dès lors qu’il a l’accès au « renseignement ».

Qui peut croire que seule l’extrême-droite puisse être concernée ?

Qui peut croire que la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, proche de l’extrême-gauche, arrivant au pouvoir aurait été plus exemplaire ?

Le renseignement en démocratie reste un enjeu de pouvoir et seule la situation à long terme de la menace islamiste permet cette transformation et ces réformes.

Dans cette situation de conflit de longue durée contre le salafisme-« djihadiste », la « vraie valeur » de l’acte terroriste doit être prise en compte dans notre stratégie de contre-terrorisme. Cette notion, sans doute à définir froidement et sans le facteur émotionnel, doit s’intégrer dans une stratégie de communication de guerre.

Elle doit s’appuyer sur les capacités de l’Etat déjà mises en place ou en cours que ce soit dans le domaine juridique ou dans le domaine des hommes et des moyens engagés sur le territoire national ou à l’extérieur de nos frontières. Une sécurité totale n’existera pas face à la capacité de nuisance du terroriste et à son imagination à donner la mort en préparant la sienne. Il faut donc renforcer la résilience de la société pour la rendre peu perméable aux actes terroristes car les seules cellules d’aide psychologique n’y suffiront pas. Il faut surtout faire confiance à l’Etat et dans son aptitude à faire face.

 

Cette confiance recherchée, socle de la résilience de la société, doit conduire à développer cette stratégie de communication qui banalise une partie des actes terroristes en leur attribuant leur « vraie valeur ». Ainsi tout acte terroriste isolé doit faire l’objet d’une communication graduée, au bon niveau de responsabilité, circonstanciée car il ne doit pas être le prétexte à dissimuler la vérité sur l’auteur et ses motivations. L’objectif est de rendre la société plus résiliente et donc de lui faire accepter une échelle déterminant l’importance de l’acte terroriste. Cette banalisation partielle doit être acceptée aussi bien par les médias que par les politiques et les citoyens, malgré la pression des familles légitimement concernées ou le buzz des réseaux sociaux.

 

Dédramatiser l’acte terroriste isolé

Il faut en effet dédramatiser une partie des actes terroristes. Cette lucidité démocratique est nécessaire mais pose au moins deux questions.

La première est la définition d’un acte terroriste isolé. Celui-ci pourrait être défini comme un acte de violence revendiqué comme l’expression d’un engagement individuel politique ou religieux. Accompli avec des moyens limités et sans appui extérieur, avec des effets restreints en terme de dommages, il est le premier niveau d’une stratégie de terreur. Il faut certes le prendre en considération en terme de menace sur la sécurité mais il ne justifie pas pour l’Etat agressé une mise en exergue quelconque de l’acte s’il n’a qu’un impact réel limité.

Une seconde question est en effet celle la graduation de la terreur : peut-on graduer le niveau de terreur « acceptable » et donc s’y référer pour une communication adaptée ? L’attentat de Nice, celui de Londres ou celui de Manchester n’ont pas été des actes terroristes isolés puisqu’ils se sont appuyés sur des réseaux consistants ou distendus. Ils ont eu un point commun, celui de l’assassinat au hasard par une seule personne d’autres personnes de la société civile. La mobilisation par une stratégie de communication adaptée est alors incontournable.

 

En revanche, agresser un militaire à Orly ou des policiers en faction ne devrait pas faire l’objet d’une communication accentuée. Il s’agit d’un acte terroriste isolé, sans réellement de soutien logistique, avec des armes de circonstance peu dommageables, sans que cela ne remette en cause son caractère terroriste.

Le risque est certes la surenchère des islamistes radicaux dans la recherche de la cible et dans les effets voulus en terme de destruction physique d’un symbole ou en terme de massacre de masse recherché par l’acte terroriste. Cependant, il faut prendre en considération qu’une très grande partie des attentats faisant l’objet d’une planification est déjouée par nos services de renseignement et qu’un nombre important d’acteurs du terrorisme islamique sont détruits en Irak ou dans le Sahel.

 

Outre la prévention de l’acte par le renseignement ou la destruction « préventive », banaliser, sinon ignorer certains de ces actes individuels pour les priver de toute signification, n’est-ce pas aussi mettre en place une stratégie dissuasive pour une partie des terroristes ? En effet, si la reconnaissance publique de l’acte « djihadiste » n’est pas faite, n’est-ce pas une situation d’échec qui remet en cause le sens donné par l’islamiste radical à son geste ?

 

Banaliser l’acte terroriste simple n’est qu’un élément de la stratégie de contre-terrorisme que nous devons élaborer. Reste en effet la guerre à mener contre l’idéologie, les réseaux et les soutiens à l’islamisme radical. Encore faut-il déterminer une vraie stratégie qui ne peut se limiter aux seuls moyens et à la seule communication. Il faut assécher le terreau des islamistes radicaux dans les domaines aussi bien des relations internationales que de ceux de l’économie, des relations sociales sinon religieuses au sein de notre société. Cela implique une approche globale de cette guerre et donc une stratégie générale de l’Etat en fonction de l’objectif à atteindre dans le long terme.

 

Source : http://chauvancy.blog.lemonde.fr/2017/05/28/relativiser-lacte-terroriste-isole-le-besoin-detre-lucide-collectivement/

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