HISTOIRE : Le Passe-Muraille ou la guerre dévitalisée

...par le Col. Dominique Baudry - Le 21/11/2021.

Source : ASAF
HISTOIRE : Le Passe-Muraille ou la guerre dévitalisée

En 1943, c'est un savoureux recueil d'une dizaine de nouvelles que l’écrivain Marcel Aymé publie, en pleine période d'occupation allemande. S’agissait-il de soutenir les français qui franchissaient la Ligne de Démarcation ou de valoriser le passage en Résistance face à l’occupant allemand car, dans « le Passe-Muraille », Dutilleul, modeste employé de bureau, possède la faculté de traverser les murs. Au moment où la crise « migratoire » entre la Biélorussie et la Pologne éclate, la question que l’on pouvait se poser est celle du rôle de « sentinelle » jouée par ce pays de l’Union européenne situé aux marges de l’Est. Selon la définition de l’encyclopédie, la sentinelle est le soldat d’un corps de garde qu’on place en poste pour décourager les ennemis, prévenir les surprises et arrêter ceux qui veulent passer sans ordre et sans se faire connaître. « Le mur de sentinelles était considéré comme sacré ».

Aujourd’hui le monde compte plus d’une soixantaine de murs qui serpentent sur environ 10 000 kilomètres. Ces dernières années, une trentaine de nouvelles barrières frontalières sont apparues dont, par exemple, le mur « Trump » qui sépare les USA du Mexique, initialement commencé dès 2006, mais également le mur entre Israël et la Cisjordanie construit à partir de 2002. L’Europe n’est pas en reste, ainsi la Hongrie a installé un dispositif de 175 kilomètres avec la Serbie baptisé « Ligne de défense » il vise à protéger l’espace Schengen dont le gouvernement dénonce l’incurie. En Grèce, la frontière nord-est a été fermée sur 30 kilomètres dans la boucle de l’Evros. En Bulgarie une « barrière de métal » est édifiée sur sa frontière avec la Turquie. Toutes ces protections sont souvent illusoires. Les personnes qui veulent traverser trouvent de nouveaux moyens franchissement, des passeurs indélicats et pervers, ou d’autres alliés objectifs. A l’évidence la muraille alimente la peur de l’autre et cristallise le débat comme la polémique médiatique et politique.

Il semble ici utile de rappeler historiquement trois exemples de murs célèbres, marques visibles des tentatives de partition dans l’espace européen. Ils illustrent les réalisations protéiformes de mur-frontière, mur-militaire ou mur-prison.
Déjà au temps des romains, vers 122 avant notre ère, le mur Hadrien situé au nord de l’Angleterre, entre l’embouchure de la Tyne et le golfe de Solvay, a servi de mur-frontière. Il visait à protéger les marches de l’empire romain contre la barbaresque venue du nord. Il reste aujourd’hui 117 kilomètres de cette construction classée au patrimoine de l’Unesco.
En France, le 14 janvier 1930, André Maginot alors ministre de la Guerre fait voter une loi en vue de construire une formidable ligne fortifiée stratégique sur les frontières orientales du territoire. Il plaide pour un ouvrage flexible capable de suppléer à la diminution des effectifs militaires en raison du déficit de la natalité. En 1940, la ligne Maginot sera contournée par les Allemands et son principe défensif discrédité dans les stratégies militaires françaises. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’Europe se divise en deux blocs et les communistes mettent en place un « rideau de fer » de Lubeck à la Tchécoslovaquie.
En 1961, l’URSS fait construire le mur de Berlin, de 3.5 mètres de hauteur sur 155 kilomètres, synonyme de prison, d’oppression et de piège mortel pour plus de mille deux cents fuyards, jusqu’à sa chute en 1989. Désormais les Nations Unies relevaient, pour la seule année 2013, plus de 232 millions de migrations internationales en constante hausse. « Le mur » ne serait donc qu’une passoire physique juridique et morale. C’est en cela que la guerre, dite hybride, est dangereusement dévitalisée par un vocable de communicant qui tente de cacher la réalité politique, diplomatique et militaire. S’agit-il d’un nouvel art de la guerre ?

 

En effet, face au contournement des murs et des frontières il faut substituer une approche tactique dynamique. Il s’agit d’éviter un glissement insidieux de la notion de défense vers celle de sécurité. Il existe une dissymétrie morale fondamentale entre les gens d’armes et « les contrevenants » qui pourraient devenir un jour les « terroristes infiltrés ». La guerre même hybride se fait sans haine, dans le respect de l’autre, mais sans laisser percer le « mur des bons sentiments ». Or ce n’est pas Frontex, l’agence européenne de sécurité et de contrôle aux frontières de l’union européenne, dont les effectifs peineront à atteindre 10 000 membres en 2027, qui est de nature à maîtriser les flux actuels et à venir de migrations C’est pourquoi, la guerre hybride n’en est pas moins une guerre réelle dont Frank G. Hoffmann donna une définition en 2009 : « je définis une menace hybride ainsi : tout adversaire qui emploie simultanément et de façon adaptative un mixte d’armes conventionnelles, de tactiques irrégulières, de terrorisme et de comportements criminels dans l’espace de bataille comme le cyber et la bataille médiatique afin d’atteindre ses objectifs politiques ». (Revue Défense Nationale 2016/3). Lorsqu’une menace ou le recours à la force est qualifié d’hybride, le terme perd sa valeur et crée la confusion au lieu d’expliquer la « réalité » de la guerre d’aujourd’hui. Il est remarquable que la « judiciarisation du fait migratoire », soulignée par le Haut-Commissaire des Nations Unies, Filippo Grandi, donne un éclairage particulier et limitatif à d’éventuelles actions belligènes pour contrer une menace, certes non-armée, mais de potentielle déstabilisation.

L'Union européenne doit se préparer à d'autres crises migratoires semblables à celle née sur la frontière entre la Pologne et la Biélorussie.  Le concept de guerre hybride sera en question, même s’il s’inscrit dans plusieurs dimensions complexes. Et, si l’on remonte à une vérité du fond des âges, selon le récit biblique herméneutique, « les murs de Jéricho tombèrent sans combat, après qu’on en eu fait le tour sept jours durant ».


Dominique BAUDRY

Colonel (h) et membre de l’ASAF
Diffusé sur le site de l'ASAF

Source photo : Cliquez ICI
Légende photo : Ouvriers du bâtiment de Berlin-Est édifiant le mur de Berlin
Photo prise le 20 novembre 1961 

Commentaires: 0