L’annulation du défilé du 14 juillet est emblématique de la perte d'un esprit guerrier

...par le Gal. Jean-Yves Lauzier - Le 20/06/2020.

Source : https://www.asafrance.fr/item/14-juillet-2020-l-annulation-du-defile-du-14-juillet-est-emblematique-de-la-perte-d-un-esprit-guerrier.html

14 juillet 2020 : «L’annulation du défilé du 14 juillet est emblématique de la perte d’un esprit guerrier»

En raison de la crise sanitaire, le traditionnel défilé militaire du 14 juillet sera remplacé cette année par une cérémonie. Et les «soldats» honorés seront les soignants. Cette décision illustre l’effacement, dans la société française, des vertus guerrières, juge le général Jean-Yves Lauzier.

A l’image des vieillards désabusés et fourbus par les ans, les sociétés modernes doutant d’elles-mêmes se complaisent à commémorer en toute occasion, cherchant dans le passé le courage qui les fuit pour marquer le présent et préparer ainsi l’avenir des générations futures. Ces commémorations tiennent souvent de la nostalgie impuissante plus que de la fierté exaltante. Marquée par la pandémie du coronavirus et la mise à l’arrêt de la société, l’année 2020 offre de ce point de vue une occasion unique. Elle a déjà été baptisée par certains, l’année de Gaulle.

Elle marque en effet les cent trente ans de sa naissance, les quatre-vingts ans de l’Appel du 18 juin et le cinquantenaire de sa mort, incitant l’ensemble des responsables politiques, quelles que soient leurs convictions, de droite ou de gauche, à rendre hommage au fondateur de la Vème République. Mais ces commémorations seront davantage marquées par le regret d’une époque mythifiée, plutôt que par la volonté de reprendre à leurs comptes les qualités de chef que portait le général de Gaulle.

Car le général de Gaulle était avant tout un guerrier et un chef. Sa formation à Saint-Cyr, son engagement au combat pendant la Première Guerre mondiale, ses tentatives d’évasion une fois prisonnier, et bien sûr sa volonté de lutter jusqu’à la victoire pendant la Seconde Guerre mondiale en témoignent à l’envi: guerrier ambitieux et orgueilleux certes, mais guerrier par nature et formation. Ce qui impliquait pour lui, qu’il fût écrivain, chef politique ou chef militaire, de fonder son action sur les qualités propres au guerrier: un engagement total, le goût du risque, une volonté farouche de se battre pour gagner, un courage physique et intellectuel faisant fi de l’opinion générale ou des modes du moment. Pour reprendre la formule d’un ancien candidat à l’élection présidentielle, imagine-t-on un seul instant le général de Gaulle annulant le défilé du 14 juillet en raison d’une pandémie? Le 14 juillet 1940 à Londres, de Gaulle passait en revue les premiers volontaires de la France libre malgré la fragilité extrême de sa situation. Véritable message d’espérance qui sera repris le 11 novembre 1940 à Paris par des étudiants qui, au péril de leur liberté, voire de leur vie, décidèrent de célébrer la victoire de 1918 en pleine occupation. On est bien loin du principe de précaution!

L’annulation du défilé du 14 juillet, mais son évolution même depuis quelques années, est emblématique de la perte de l’esprit guerrier des Français et de leurs dirigeants. Ce défilé n’est plus réellement considéré comme l’expression des vertus guerrières d’un peuple et de son histoire, mais comme une espèce de cérémonie d’hommages tous azimuts. Le défilé militaire, organisé pour la première fois en 1880, avait pour objectif de développer dans l’opinion publique l’esprit guerrier, en affichant ostensiblement la puissance militaire des armées françaises après la terrible défaite de 1870. Il ne s’agissait pas de rendre hommage mais de montrer le courage, la détermination et la vitalité d’un peuple bien décidé à récupérer les provinces perdues. Désormais, ce n’est plus seulement la vertu guerrière millénaire de la France qui descend les Champs-Elysées, mais des corps constitués qu’on veut honorer au gré des émotions du moment. Et pourtant la cérémonie militaire du 14 juillet est bien moins destinée à rendre hommage qu’à exalter les vertus fondamentales de force, de vaillance et d’honneur, en un mot celles du guerrier. Vertus bien éloignées de la volonté de préserver à quelque prix que ce soit la sécurité et le bien-être !

 

Si les vertus guerrières ne sont pas l’apanage des seuls militaires, ce sont bien les armées qui ont la responsabilité d’entretenir, de transmettre, de former et de porter ces vertus.

Or, depuis le mois de mars, sous l’influence d’autorités, d’experts ou de conseils scientifiques, la société vit au ralenti, voyant ses libertés fondamentales restreintes comme jamais, hors période de guerre, faisant penser au mot prémonitoire du président américain Jefferson : «Si tu es prêt à sacrifier un peu de liberté pour te sentir en sécurité, tu ne mérites ni l’une ni l’autre». Et sous l’influence directe des nouveaux docteurs Purgon ou Diafoirus, chers à Molière, nous avons ainsi momentanément vu supprimée notre liberté de circulation, de réunion familiale ou professionnelle, à la fois par manque d’anticipation et de clairvoyance politique et par principe de précaution médicale. L’ironie est que les Purgon et Diafoirus modernes s’opposent entre eux sur les moyens et les remèdes comme les personnages de Molière, semant encore plus le doute sur la légitimité des décisions prises. Mais, au-delà de la crise sanitaire, source de crise économique, qui sera elle-même cause de crise sociale, et sans doute de crise politique voire de crise internationale, le plus grave est la désagrégation de cet esprit guerrier porté par le général de Gaulle. C’est bien ce qu’indique le remplacement du défilé militaire du 14 juillet 2020 «par l’hommage et la reconnaissance de la nation à tous ceux qui se sont engagés dans la lutte contre le Covid-19». Molière en aurait fait une comédie grinçante: Purgon et Diafoirus ont éclipsé Turenne et Foch.

Il n’est pas question de penser que seuls les militaires peuvent être des guerriers. Ainsi que l’écrit Marc Bloch dans l’Etrange Défaite «Il y a des militaires qui ne seront jamais des guerriers ; des civils, au contraire, qui, par nature, sont des guerriers». Mais si les vertus guerrières ne sont pas l’apanage des seuls militaires, en revanche ce sont bien les armées, en tant que corps constitué, qui ont la responsabilité d’entretenir, de transmettre, de former et de porter ces vertus. Au temps où l’ensemble de la jeunesse faisait son service militaire, les citoyens approchaient peu ou prou ces vertus, étant ainsi capables de les irriguer au sein de la société, de façon plus ou moins consciente. Mais avec la disparition de la conscription et l’effacement progressif du décideur politique au profit de l’administrateur gestionnaire, formé généralement à l’ENA, la vertu guerrière s’est graduellement délitée en faveur de la compassion et de la sécurité à outrance. La crise du coronavirus illustre parfaitement cette substitution, où l’expert médico-scientifique a pris le pas sur le décideur politique, la précipitation et l’émotion éclipsant la réflexion. Si nos sociétés tournent définitivement le dos à la liberté au nom de la précaution généralisée, il n’est guère besoin d’être prophète pour comprendre que nous allons au-devant de lendemains très douloureux. Et ce ne seront ni Purgon, ni Diafoirus qui feront face au chaos d’alors.

 

Mais trouvera-t-on encore suffisamment de guerriers pour se défendre ?

 

Jean-Yves LAUZIER
Ancien commandant des écoles de l’armée de Terre

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