Armée d’active et anciens militaires : La cohésion indispensable

...par le Col. JJ. Noirot - Le 12/12/2017.


Dans un récent interview, notre nouveau CEMA a déclaré: « Le débat ne me dérange pas, mais la polémique, trop violente et trop systématique peut semer le doute chez les militaires d'active. »

J'ai peine à croire que les certitudes des militaires en activité soient à ce point fragiles. Je pense le contraire, et estime qu'il a plutôt voulu souligner la nécessaire solidarité devant prévaloir entre "l'Active" et les "Anciens", née d'une fraternité d'armes qui les lie indissolublement. Ce lien mériterait d'être davantage commenté, pour faire apparaitre comme naturels et d'une certaine façon banals les échanges qui peuvent s'opérer entre ces deux mondes dont il fait aussi état-"l'Active" d'un côté et les "Anciens" de l'autre-dans ce même interview. J'y reviendrai.

Si les propos du "chef" des armées à l'égard de son prédécesseur ont pu choquer certains, tant sur la forme que sur le fond, et les faire réagir vigoureusement, ils ont conduit le général JP. Soyard à rédiger un "Plaidoyer pour nos soldats" qui veut être un constat et une force de propositions au regard de la condition militaire, de la gouvernance des armées, de leurs rapports avec le monde politico-médiatique et enfin le rôle que pourraient jouer les associations d'"Anciens".

 

Sur ce dernier point, et contrairement à ce qui se dit ici ou là, la parole des "Anciens" ne se libère pas, sous-entendu faute d'avoir eu le courage de le faire avant. Ils font parler leur cœur animé par la raison. Qui pourrait les en empêcher? Il est aussi aisé de remarquer que toutes les informations ou les jugements, très sévères parfois, qui se répandent dans les médias par de singuliers experts, souvent autoproclamés, à propos des questions de défense, ne sont pas uniquement de leur fait. Par exemple, ils ne sont pas à l'origine des manifestations d'épouses de soldats dans les rues de Paris, et pas d'avantage la cause de l'embarras du premier ministre face à l'une d'entre elles (pourtant pas forcément choisie parmi les plus expressives) lors d'une émission télévisée à forte audience, montrant bien que les affaires relevant de la condition militaire n'étaient pas la préoccupation principale de notre chef de gouvernement. Les uniformes se font rares sur les plateaux de télévision, et quand il y en a, pour défendre une cause, c'est souvent celui des gendarmes ou des pompiers qui s'affiche.

Le "Nouveau Monde" qui nous est décrit depuis le printemps dernier est celui de la parole qui pèse et que suivent des actes. Dans l'esprit du CEMA, il est celui de l'"Active". Les promesses non tenues sont du passé. Chaque mot aurait désormais un sens qu'il pouvait avoir perdu au temps des effets de manche électoraux. 
Les "Anciens", d'une façon générale, en acceptent l'augure et sont persuadés que le haut commandement tentera, en les étalant dans le temps, de faire les efforts financiers nécessaires pour remédier à des situations anormales chez les militaires, situations qui ne seraient supportées par aucune autre catégorie de citoyens. Ainsi en ira-t-il de la condition militaire et des moyens qui devront lui être consentis pour assurer par les armes la sécurité des français, de la France et de ses soldats. 
Les "anciens" n'ont-ils pas le devoir d'accorder à la condition de leurs successeurs la vigilance attentive qu'elle mérite, et de réagir, par toutes les voies possibles, si la parole venait à faillir?

 

Cependant, certaines situations sont à examiner plus attentivement, en raison de leurs poids dans la marche de la nation vers son avenir.

 

En effet, "l'Ancien Monde", que nous serions, à tort ou à raison, censés représenter aux yeux de beaucoup, est fondé à faire valoir les multiples incertitudes que recèle le "Nouveau". En particulier, se pose la question des vocations et des synergies, qui sont au cœur du "Plaidoyer" du général JP. Soyard.

Qui pourrait croire que la vie militaire est attrayante pour notre jeunesse prête, depuis les attentats, à servir le pays quand les contrats en cours ne se renouvellent pas et que les engagements piétinent, malgré les campagnes publicitaires? N'est-ce pas faute de promouvoir et de mettre en valeur des structures type APNM? Rendues suffisamment puissantes pour, sans se substituer à la hiérarchie, rappeler à l'ordre, comme c'est le cas dans toute les autres collectivités de la fonction publique, le pouvoir politique quand il ne fait pas ce qu'il faut, elles donneraient aux futurs engagés la certitude d'une sécurité d'ordre social, garantie d'un épanouissement personnel et familial. Sans aller jusqu'au syndicalisme, concept honni par les soldats, doit se mettre en place une défense de la condition militaire affranchie des comités et conseils "aux ordres" tels qu'il en existe aujourd'hui. N'est ce pas ce que contient l'idéal tant vanté du "Nouveau Monde"?

Qui pourrait croire que les jeunes officiers sortant d'école vont se satisfaire d'un avenir qui fera d'eux de potentiels futurs généraux soumis aux décisions d'énarques de trente ans sans expérience du terrain et du commandement, sévissant dans des ministères où ils occupent les places antérieurement dévolues à des officiers, la plupart du temps officiers généraux? Parce que nous sommes des "anciens", nous serions indifférents, nous n'aurions pas notre mot à dire concernant la "civilianisation" des états-majors et des services, injustifiée tant humainement que techniquement? Nous n'avons pas à accepter ce genre de procès. Notre parole est libre, dès lors qu'elle sert l'intérêt des armées sans être séditieuse. Il en va des recrutements futurs des officiers de haut rang.

Qui pourrait croire que ces mêmes jeunes officiers, ramenés sans cesse par le pouvoir politique à ce qu'il a décidé d'appeler, pour mieux le contraindre peut être, « le cœur de métier », c'est à dire l'opérationnel, se verraient interdire sans qu'ils s'en émeuvent l'approfondissement ou l'évolution de toute pensée militaire ou stratégique, appuyées sur leur expérience enrichie de celle de leurs "Anciens"? La France faite à coups d'épée serait désormais une France faite à coup de contrats? L'"Ancien Monde" ne manque pas de belles plumes. Chacun raconte son histoire, pensant laisser une trace. C'est utile. Mais cela ne fait pas un corpus géostratégique où se lirait les grandes lignes de notre destin et les épreuves qui nous attendent.

Qui pourrait croire, quand partout les forces de luttes ou de résistances s'allient pour peser et gagner des causes parfois discutables, le monde associatif des retraités militaires n'aurait pas intérêt à faire de même pour le plus grand profit de tous, sans déroger à sa déontologie? L'"Active", soumise au devoir de réserve, aurait tout à gagner en favorisant le regroupement des associations d´"Anciens" aujourd'hui bien souvent dispersées, pour que soit diffusées dans toute la nation ses préoccupations, ses valeurs, ses ambitions. Où pourrait-elle trouver un meilleur appui, sinon dans les rangs de ceux qui, avant elle, ont connu cet enthousiasme qui aujourd'hui l'anime? Un dialogue nouveau et fructueux doit s'instaurer entre ces deux mondes à la fois si proches et si éloignés que sont les militaires en activité et les militaires retraités ou en deuxième section. Seraient ainsi évitées incompréhensions et suspicions, et au contraire développées synergies et efficacités.


Le devoir d’expliquer et si nécessaire de dénoncer 

Pour toutes ces raisons, le "Plaidoyer" du général JP. Soyard, qui développe plus avant tous ces thèmes, se révèle fondé et particulièrement pertinent. Il était nécessaire de proposer des réponses aux problèmes de fond de nos armées, après en avoir établi le diagnostic tout en affirmant sans équivoque les principes essentiels présidant à leur examen. De la nécessité de faire évoluer les rapports "Active-Anciens" à la mise en cause de décisions politiques dangereuses et contestables sur le fond comme sur la forme, JP. Soyard nous force à changer notre regard sur les fondamentaux de notre politique de défense. Quand l'"Active" a vu, par exemple, se dérober sous ses pieds des pans entiers de ses prérogatives sans vouloir-ou pouvoir-réagir, c'est le rôle des "Anciens" de porter le fer et de dénoncer les mesures qui non seulement altèrent les capacités de défense du pays, mais créent le doute quant à l'épanouissement de vocations dont pourtant la France a le plus grand besoin.

Pour être comprise, la politique de défense de la France doit être expliquée, commentée, exposée. La lecture indigeste du "Livre blanc" n'y suffira jamais. Les beaux parleurs en civil ne sauraient convaincre que les béats. Si l'uniforme y renonce, c'est à nous, les "Anciens", de relever le gant.

Nul devoir n'est plus ardent que celui là. Si par malheur elle se révélait endormie, c'est à nous, les "Anciens", de réveiller la pensée des soldats.


Jean-Jacques NOIROT 
Colonel (ER)

 

Source : http://www.asafrance.fr/item/armee-d-active-et-anciens-militaires-la-cohesion-indispensable-libre-opinion-du-colonel-er-jean-jacques-noirot.html

 

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ITW du Chef d'Etat Major des Armées par le JDD
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"Pladoyer pour nos soldats" par le Gal. JP Soyard
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