AFGHANISTAN : RETEX

Honneur à nos 90 soldats tués et à leurs 700 camarades blessés en Afghanistan !

...par l'aumonier militaire Christian Venard - Le 18/08/2021.

Source : ASAF
AFGHANISTAN : Honneur à nos 90 soldats tués et à leurs 700 camarades blessés en Afghanistan !

L’ancien aumônier militaire*, présent aux côtés des soldats français dans toutes leurs opérations extérieures pendant plus de quinze ans, rend hommage aux militaires français morts ou blessés en Afghanistan et à leurs familles.

Vous savez, vous les Français, on vous aime bien. D’ailleurs, quand on reprendra le contrôle de notre pays, vous serez les derniers que l’on tuera… » La scène se passe en 2003, nous sommes en patrouilles avec des camarades du 3e RPIMa, dans un village proche de Kaboul, réputé pour ses sympathies avec les insurgés talibans. C’est le mollah du village qui me tient ces propos, à la fin d’une discussion, où nous avions abordé les différences entre la foi des chrétiens et celle des musulmans. Nous étions assis en cercle, à l’ombre d’un énorme mûrier, dégustant le « chaï » (thé) amer avec un bonbon au miel dans la bouche… Amertume et douceur mélangées… Plus qu’un symbole, à l’heure où les talibans ont de nouveau pris le contrôle de l’Afghanistan.

Pour des milliers de militaires français qui ont été engagés sur cette terre fascinante, pour les familles et les camarades des 90 soldats français morts en Afghanistan et des plus de 700 blessés, cette lancinante question revient sans cesse depuis hier matin : pourquoi ? Pour qui ? Quel sens donner à tout cela ? Sont-ils donc morts pour rien, comme semblent le clamer tant et tant de voix depuis quelques heures ?
À vue humaine le constat est déchirant. Tant de souffrances, de peines et de sang, pour en arriver là. Oh, dans le fond, cela semble habituel : ne l’avons-nous pas déjà vécu tant de fois, nous autres militaires ? Qu’on se rappelle l’Indochine, l’Algérie, ou des guerres plus proches de nous. Cette facilité à trahir nos alliés, à les abandonner à leur sort. N’est-ce pas finalement une signature révélatrice de nos démocraties occidentales ? Et comment gagner des guerres aussi complexes en dix ou vingt ans ? Quand il y faudrait, a minima, une génération, c’est-à-dire trente ans, pour le combat des idées, pour acquérir l’adhésion profonde d’une population ! Sans compter désormais la faiblesse numérique et budgétaire des armées françaises.

Dieu sait que les militaires français sont sans doute les meilleurs au monde pour cette capacité à appréhender les populations des pays où ils interviennent, à entrer en empathie avec elles, à pratiquer le « psy-ops », comme l’appelle le jargon militaire. Mais cela a des limites quand on se heurte à une civilisation aussi ancienne (voire plus ancienne) que la nôtre, aux « valeurs » aussi divergentes des nôtres, dans un pays aussi complexe. Surtout encore faudrait-il que l’on sache exactement quelles sont ces « valeurs » que nous portons à coups de bombardements, d’opérations militaires, de morts et de blessés, d’emprisonnement. Sommes-nous, Occidentaux, si sûrs de l’universalité de nos « valeurs » que nous semblions pouvoir tout nous permettre pour les imposer à des pays, des civilisations, des cultures différentes ?

Ces constats sont cruels. On aurait pu espérer au moins que la parole des chefs d’état-major des armées successifs fasse entendre un point de vue divergent, quelques rappels à la raison face aux politiques. Dans le fond, ce qui dérange le plus nos politiques, c’est la honte que leur renvoient en miroir les 90 militaires français, morts sur leur ordre, en Afghanistan. Leur pusillanimité. Au-delà des paroles de circonstances, leur distance envers les « valeurs » intrinsèques portées par les armées. La légèreté avec laquelle ils engagent ces hommes et ces femmes d’exception sur telle ou telle opération pour combattre le terrorisme islamiste. Voilà ce que leur renvoient nos morts d’Afghanistan. La classe politique française est engoncée dans ses certitudes matérialistes.
À l’opposé, quelle fierté d’appartenir à cette grande famille militaire à laquelle je dois tant et d’avoir côtoyé, durant tant d’années sur tant de théâtres d’opérations, ces hommes et ces femmes militaires d’exception, grands par leur engagement, malgré tout ce que je viens d’exposer plus haut, au service de leur patrie et de leurs concitoyens. À eux, aux familles de nos morts, je crie haut et fort : « Non, rien de rien, non je ne regrette rien. »

Soyons fiers de leur engagement, soyons fiers de leurs vies et de leurs morts. Ils se sont donnés jusqu’au bout, pour ce en quoi nous croyons encore : vérité, beauté, courage, honneur, fierté, grandeur incomparable de la France et de son histoire, amitié, dépassement, altruisme, service, héroïsme, sacrifice. Et nous essaierons d’être à la hauteur de leurs exemples.

Christian VENARD*
Ancien aumônier militaire
Source : Le Figaro
18 août 2021

Auteur, avec le journaliste Guillaume Zeller, de « Un prêtre à la guerre. Le témoignage d’un aumônier parachutiste », (Tallandier, coll. Texto, 2019).

«Afghanistan: A quoi ont vraiment servi les morts d’Uzbin?»

La tribune de Philippe Juvin - Le 20/08/2021

« En faisant l’effort de définir un objectif au début, on s’oblige aussi à fixer les conditions d’un retrait ordonné. C’est faute d’avoir fixé des objectifs limités, il y a vingt ans, qu’on est en train de livrer l’Afghanistan aux talibans »

Philippe Juvin
Philippe Juvin
 
© Sipa Press

Philippe Juvin est maire LR de La Garenne-Colombes, chef des urgences de l’hôpital

 

Pompiou.

 

 

Source : L'Opinion

 

Le retrait des Américains d’Afghanistan, dix ans après le nôtre, a un goût amer alors que nous commémorons l’embuscade d’Uzbin où dix soldats français furent tués au combat le 18 août 2008. Je venais alors de rentrer à Paris après quelques mois d’affectation comme officier à Warehouse, le grand camp français à proximité de Kaboul. Civil, j’avais mis entre parenthèses ma vie personnelle, hospitalière et politique pour me porter volontaire comme médecin militaire. J’avais le grade de commandant dans l’hôpital de campagne du bataillon français.

La situation était très tendue. Dès la troisième nuit, notre camp avait été attaqué par les rebelles. Nous n’avions déploré qu’un seul blessé léger mais les assaillants s’étaient retirés sans perte. Ce soir-là comme toujours, l’ennemi était insaisissable. Une embuscade, une menace, une explosion et il disparaissait. Les seuls talibans que l’on captura durant ma mission furent ces quatre qui, un matin tôt, s’étaient accidentellement fait sauter avec leurs propres explosifs. Partis avec la foi de ceux qui croient en leur mission, nous doutions parfois de notre capacité à venir à bout de cet ennemi qui s’échappait toujours.

Mais l’accueil des Afghans et leur espérance effaçaient nos doutes. Les sourires de ces fillettes en uniforme qui se rendaient à l’école. La chaleureuse francophilie du directeur de l’hôpital de l’Armée nationale afghane, formé au Val de Grâce. La joie de cet anesthésiste de l’hôpital « français » Ali-Abad devant les quelques ampoules de Diprivan, un anesthésique introuvable, que j’avais détournées de notre propre bloc opératoire. Ce marchand de tapis parlant impeccablement notre langue apprise au lycée français, et se lamentant que ses fils scolarisés sous les talibans n’aient pas eu sa chance. Et ces interprètes, médecins ou non, qui nous suivaient partout et particulièrement un dont je conserve la photographie. Lors d’une reconnaissance dans une vallée particulièrement dangereuse, le capitaine lui avait confié un pistolet au cas où. C’était interdit mais il fallait bien se débrouiller.

Leçons. Treize ans plus tard, les talibans sont entrés dans Kaboul, le président Ashraf Ghani a quitté le pays. Tous ces gens dont je garde le souvenir avaient cru en nos promesses d’émancipation. Les raisons de notre intervention militaires étaient bonnes : qui n’était pas heureux de voir ces fillettes aller à l’école ? Pourtant aujourd’hui, tous sont de nouveau sous le joug des talibans. Certains seront tués. Après vingt ans d’intervention, le résultat des alliés n’est pas glorieux : une débandade militaire et une multitude de drames humains.

Pour défendre des populations en danger, la force est légitime. Comme au Liban où la FINUL stabilise depuis des années une frontière explosive. Mais il faut reconnaître que l’Afghanistan est un échec dont nous devons tirer des leçons.

La première est évidente. Aucun pays ne peut plus réussir à intervenir militairement et durablement seul. Il faut donc désormais s’assurer de ses alliés avant de s’engager. Si nous sommes en position délicate au Mali, c’est à cause de cet isolement de fait. Où sont nos alliés sur lesquels nous puissions vraiment compter sur le terrain, autrement que dans quelques instructeurs, forces spéciales ou logisticiens ?

La seconde leçon est européenne. Les pays de l’Union collaborent très peu pour organiser leur défense militaire. Par exemple, le Fonds européen de défense qui devait être doté de 13 milliards, n’en recevra que 7. Puisqu’elle n’a pas réussi à gagner cette bataille budgétaire européenne, la France devra au moins utiliser sa présidence prochaine pour optimiser les moyens, par exemple en évitant le saupoudrage et en concentrant les crédits de ce fonds sur deux ou trois projets structurants. Il faudra aussi reposer la question du sous-financement (5 milliards au lieu de 11) de la « facilité européenne de paix » qui permet de financer les armées africaines.

La difficulté à trouver des alliés pour des opérations extérieures nous rappelle la fragilité de toute alliance quand surgissent les épreuves

La troisième leçon est militaire et vient en miroir de la première. La difficulté à trouver des alliés pour des opérations extérieures nous rappelle la fragilité de toute alliance quand surgissent les épreuves. Elle nous rappelle ce principe simple que nous devons pouvoir garantir notre autonomie stratégique car nous pouvons nous retrouver seuls. Nous devons pour cela durcir nos capacités, disposer d’une panoplie complète de moyens, y compris dans les nouveaux espaces de conflictualité, et continuer à innover.

La quatrième leçon est géopolitique. Le Sahel et l’Afghanistan prouvent que l’action de la France doit être globale pour endiguer les menaces. L’action militaire n’est qu’un des aspects du « containment ». Isolée, la force est vouée à l’échec.

Honneur. La cinquième est politique. Dans l’histoire, de nombreuses interventions occidentales finissent en pourrissement ou en débandade. C’est ce qui se passe en Afghanistan et ce qui nous guette au Mali. Est-ce dû à la méconnaissance militaire du monde civil et donc de nos dirigeants ? Il est effectivement beaucoup plus difficile de finir une guerre que de la commencer. Je propose qu’à l’avenir, dès l’ouverture d’une opex, la France définisse par un vote du Parlement les conditions politiques de son retrait futur. Cette question des buts de guerre est fondamentale. Bien sûr l’urgence peut commander une réaction immédiate, et les situations peuvent évoluer. Mais en faisant l’effort intellectuel de définir un objectif au début, on s’oblige aussi à fixer les conditions d’un retrait ordonné. On se donne des chances de limiter dans le temps les bonnes ou mauvaises raisons de poursuivre le combat. C’est faute d’avoir fixé des objectifs limités, il y a vingt ans, qu’on est en train de livrer l’Afghanistan aux talibans. Dans un an, la situation sera revenue à celle de 2001, comme si nous n’avions rien fait. A quoi ont vraiment servi les morts d’Uzbin ?

La dernière leçon de la situation afghane concerne l’honneur. Selon certaines sources, plus de 800 Afghans auraient collaboré avec nos troupes, et nous refusons un visa à beaucoup d’entre eux. Il est indispensable de les rapatrier tous avec leurs familles, et juste de leur proposer la citoyenneté française. Avoir cru à la France et l’aimer est une raison suffisante pour devenir français. Ce serait une grande hypocrisie de pleurer les supplétifs abandonnés sur les quais d’Alger en 1962 et de ne pas tendre la main à ces nouveaux Harkis. En les sauvant, nous sauvons notre honneur et pouvons continuer à croire à une certaine idée de la France. Cette décision ne tient qu’au président de la République. A l’actuel ou au prochain s’il n’est pas trop tard. Pour ma part, je sais ce que je ferai.

Philippe Juvin est maire LR de La Garenne-Colombes, chef des urgences de l’hôpital Pompidou.