« Ne pas sous-estimer la solidité du régime de Moscou »

...par le Gal. Lalanne-Berdouticq - Le 10/10/2022.

Source : Bd. Voltaire.

Sommes-nous en guerre totale ? Les frappes russes à Kiev et l'engagement de troupes biélorusses vont-elles acter la réelle et dangereuse escalade d'un conflit qui s'envenime de jour en jour ? Réponses avec le général Lalanne-Berdouticq, ancien responsable des sessions régionales de l’Institut des hautes études de Défense nationale (IHEDN) et ancien chef de corps du 3e régiment étranger d’infanterie.

Marc Eynaud. La Russie a frappé les environs de Kiev, une zone auparavant épargnée par les combats. Que faut-il comprendre de ces frappes russes au cœur de l’Ukraine ?

Général Lalanne-Berdouticq. Contrairement à ce qu'on dit depuis des mois, il ne s’agissait pas d’une guerre totale, la Russie n’a jamais engagé ses gros moyens stratégiques. Par exemple, elle n’a pas détruit le commandement militaire de Kiev, alors que les Américains avaient fait cela pour Bagdad, et la France en quelque sorte aussi en Serbie, en 1999. Là, Poutine peut intensifier ses frappes et dire qu’il fait monter la pression.

M. E. Après la contre-offensive ukrainienne, on pensait en arriver aux négociations. Qu’en est-il ?

G. L.-B. Sincèrement, je ne le pense pas. Surtout que Poutine a annexé les territoires du Donbass qu'il revendique. Ils font partie intégrante de la Russie, maintenant. Il considère que c’est un territoire russe comme ça l'a été et pendant des siècles et durant la période soviétique. On change complètement de braquet, cela devient une guerre nationale. Une contre-attaque ukrainienne toucherait le sol sacré de la patrie russe, on n’est plus dans le même registre. Je crains que nous n’ayons pas suffisamment compris, en Occident, de quoi il s’agit. Dans le système interne de l’Empire russe, Poutine se voit maintenant comme l’agressé.

M. E. Le président biélorusse a annoncé le déploiement de forces militaires aux côtés des Russes. Est-il à craindre que la situation ne dégénère davantage ?

G. L.-B. Il y a également les Tchétchènes avec un effectif important. Une partie de l’attaque russe du 24 février est partie de Biélorussie. Donc, sur les 100.000 hommes qui manœuvraient à l’attaque, une partie était en Biélorussie. Par ailleurs, dans l’esprit d’un Russe, la Biélorussie est un peu comme l’Ukraine. Elle fait vraiment partie d’une des trois Russie originelles. Elle s’est soi-disant séparée du territoire moscovite en 1991 mais tout le monde sait que c’est une fiction. Luc Ferry dit qu’il s’agit d’une guerre civile pour les Russes. J’ai entendu aussi un reportage intéressant sur France Info. Dans certains villages libérés par l’armée ukrainienne, le reporter disait que 90 % de la population était pour les Russes. Ils voient l’armée ukrainienne comme une armée d’invasion. C’est énervant de voir parfois de tels partis pris que nous ne voyons plus la réalité, qu’elle nous dérange ou pas.

M. E. Selon vous, cette guerre est loin d’être terminée…

G. L.-B. Nous ne connaissons pas la solidité du régime russe. Il est évident que Biden et tous les Occidentaux voudraient qu’il s’effondre. Je rappelle que les bombardements stratégiques que nous avons effectués pendant la Deuxième Guerre mondiale sur l’Allemagne, en bombardant les civils pour monter la population contre le régime, a fait autant de morts qu'Hiroshima et Nagasaki. C’était soi-disant pour faire écrouler le régime hitlérien qui, en fait, était beaucoup plus solide qu’on ne le pensait. Comparaison n’est pas raison, méfions-nous beaucoup ! Je n’ai pas les compétences pour savoir quelle est la solidité du régime de Vladimir Poutine. Je le pense plus solide que ne le pensent nos chancelleries.

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